• 5 à 7 Philo du dimanche 29 octobre  2017 : 20 participants

    Que signifie respecter autrui ?

    Introduction  par Anne

    Analyse  de la question

    Signifier

    CNRTL. Être porteur de sens, avoir un sens spécifique, déterminé.

    Larousse Indiquer quelque chose, vouloir dire, impliquer

    Respecter – Respect

    Etymologie : Vient du latin « respectus » qui est le participe passé du verbe « respicere »  signifiant se retourner, au sens de « avoir égard », prendre une situation en considération.
    Respicere est composé du préfixe « re »  qui veut dire signifie refaire, faire une nouvelle fois, en arrière, et de  « specio » (ou spicio) du verbe latin  signifiant "regarder".

    Ce mot latin vient du mot grec "skeptomai" signifiant voir, examiner, mais employé aussi en parlant de l'eprit.
    Ces mots sont issus de la racine Proto Indo Européenne "spek" (observer) qui donnera par variante "skeptomai" en grec et "specio" en latin au sens de regarder attentivement, examiner, méditer, et par là se préoccuper, mot lui même issu du sanskrit "pasyati" et de l'Avestique « spasyeiti » signifiant voir.

    Définitions :  

    Respecter : Considérer quelqu'un avec respect, porter une profonde estime à quelqu'un, le traiter avec égards en raison de son âge, sa position sociale, sa valeur morale ou intellectuelle. (CNRTL)

    Larousse : Traiter quelqu'un avec respect, déférence, avoir de la considération pour ses opinions 

    Dictionnaire encyclopédique universel. Hachette Spadem juin 2011 ; Respecter  signifie éprouver du respect pour…" Donc de la "considération pour" et avoir une conduite en rapport avec sa condition.
    Le mot respect contient ainsi la notion "d'avoir une conduite de manière à conserver l'estime de soi", et par là de sa propre condition, voire subséquemment reconnaître une relation proche de celle de suzerain et vassal.
     

    Respect : Sentiment qui incite à traiter quelqu'un avec égards, considération, en raison de son âge, de sa position sociale, de sa valeur ou de son mérite. (CNRTL) 

    Chez Kant, sentiment moral spécifique, distinct de la crainte, de l'inclination et des autres sentiments, qui ne provient pas comme eux de la sensibilité mais qui est un produit de la raison pratique et de la conscience de la nécessité qu'impose la loi morale`` (Morf. Philos. 1980).

    Autrui : Pronom indéfini, (ancien cas oblique de autre, du bas latin alterui, datif de alter, autre)

    Autre, comme concept, signifie : En philosophie, c'est par opposition au concept de même que l'autre se situe. L'Autre est différent du Même avec lequel il entre en relation réelle. Le terme d'autrui se substitue à autre lorsqu'il s'agit d'un être humain, considéré dans sa spécificité inaliénable et incomparable.

    Autrui est un autre, les autres hommes, le prochain

    En disant autrui la langue distingue - parmi tous les êtres différents de nous - un être défini exclusivement par la propriété de ne pas être celui qui le désigne, tout en étant identique à lui. Ainsi « autrui » désigne-t-il quiconque est un autre moi que moi, un alter ego !

    Lévinas (19O5-1995) va plus loin en disant : « Autrui en tant qu'autrui n'est pas seulement un alter ego. Il est ce que moi je ne suis pas. »

    Autrui, en philosophieest un concept récent. Jusqu’à Hegel, la question de l’altérité n’avait pas droit de cité, le solipsisme (seul le sujet existait) prévalait chez Descartes et les philosophes classiques.

    Introduction au débat

    « Que signifie respecter autrui ? » J’ai, pour ouvrir le débat, juste envie de revenir sur la citation de Levinas « Autrui en tant qu'autrui n'est pas seulement un alter ego. Il est ce que moi je ne suis pas. ». Autrui est ce que je ne suis pas, et peut être en cherchant chez autrui ce que je suis moi, ça m’aide à le respecter.

    Débat

    Pierre : Je suis étonné de la première définition du respect que vous avez donnée : « porter une profonde estime à quelqu'un » parce que dans les qualificatifs positifs de la relation qu’on peut avoir avec autrui il y a l’admiration, la considération, l’amitié etc., mais le respect, tel que je le conçois ou vu utilisé ce terme là, c’est le degré le plus bas de vision, de comportement qu’on puisse avoir vis-à-vis d’un autre. Un philosophe disait que c’est le côté pratique dans une société, le côté moral qui impose d’avoir du respect pour quelqu’un. J’aimerais qu’on parle aussi des gens qui commettent des atrocités comme en ce moment, dans quelle mesure doit-on les respecter ? Il y a un minimum de respect à avoir pour l’être humain, c’est le minimum, mais certainement pas « une profonde estime » ça c’est autre chose.

    Thierry : Il y en a qui ont une profonde estime, considération pour un ouvrage qu’ils vénèrent. Le respect pour nous n’a pas forcement le même sens que pour d’autres.

    Mireille : C’est Kant qui parle du respect comme une nécessité qu’impose la loi morale…

    Pierre : C’est ça, on n’a pas de liberté c’est le minimum qu’on doit à l’autre dans une relation.

    Nathalie : Tu faisais allusion à daesh, comment peut-on avoir un minimum de respect pour ces gens là ? Je n’ai même pas pour eux le minimum syndical.

    Pierre : Oui, je me pose la question pour ce genre de personnes-là.

    Mireille : On peut juger et ne pas respecter l’action d’une personne, mais aussi atroce qu’elle soit la morale dit qu’on doit respecter l’être humain. Pour répondre à Thierry, la morale n’est pas universelle. Si on regarde la mafia, il y a une morale très stricte et des codes d’honneur qui lui sont propre.

    Monique : Je crois que Kant, quand il dit que le respect est un devoir, veut dire que c’est une règle morale qui doit s’opposer aux affects, ce n’est pas l’amour, ce n’est pas l’affection, ce n’est même pas l’estime. C’est effectivement quelque chose que l’on doit à tous par règle de vie et quelles que soient ses actions, qu’on apprécie ou pas. C’est simplement le respect du vivant. Si on est croyant on dira parce qu’il est une créature de Dieu, si on est humaniste on dira parce qu’il est humain et qu’il y a dans tout homme du bon et du mauvais, mais c’est une règle et on le doit à tout le monde quoiqu’il ait fait. Pour m’être trouvée en face de criminels, c’est une épreuve de la vie assez bouleversante, j’en suis restée au fait «  qu’est-ce qu’il me ressemble ». On aimerait qu’ils soient très différents de nous.

    Monica : Dans ce cas je ne parlerai pas de respect mais de considération de l’être humain. Pour moi, dans la notion de respect il y a une notion d’admiration, d’estime aussi, comme c’est donné dans certaines définitions des dictionnaires. Ce ne peut donc pas être le degré le plus bas de considération vis-à-vis de l’autre comme vous l’avez dit.

    Mireille : Il n’a pas dit tout à fait ça. Il a dit que c’était dans le rapport positif qu’on peut avoir avec l’autre, le minimum.

    Monica : Oui, mais que c’est le degré le plus bas, pour moi ce n’est pas ça

    Pierre : Vous préférez que quelqu’un qui se positionne  par rapport à vous ait de l’estime ou qu’il vous respecte ? Qu’est ce qui, pour vous, a le plus de valeur ?

    Monica : Ce sont deux choses complètement différentes. Mais je trouve que l’estime va avec le respect.

    Thierry : J’ai du mal à comprendre et je respecte énormément certains avocats qui peuvent défendre des grands criminels. Mais je respecte un gars comme Badinter qui a abolit la peine de mort.

    Anne : Il y a eu récemment avec procès Merah. L’avocat qui l’a défendu est quelqu’un de remarquable.

    Pierre : Pas nécessairement dans ce cas précis. A un moment donné quand la mère de l’accusé a sorti tout un tas d’arguments pour louer le côté positif, bon garçon de son fils et que l’auditoire commençait à réagir il n’a rien trouvé comme argument que de dire «  attendez, il s’agit de la mère dont l’enfant est mort », alors qu’en face ce n’est pas un mort qu’il y avait mais au moins 7 ou 8.

    Anne : Je ne voulais pas parler de la façon dont il a mené la défense, mais de son rôle qui est de défendre quelqu’un. On sort peut être un petit peu du sujet. A la limite si on prend le problème à l’envers, qu’est-ce que c’est que de ne pas respecter ? Est-ce qu’on peut ne pas respecter quelqu’un. C’est quoi ? C’est revenir au temps de la barbarie, au temps de l’esclavage ?

    Monique : Je ne suis pas encore sortie de ce qu’il a dit de la mère d’un mort, ceci dit on a tous daesh dans la tête. Ce qui est extraordinaire chez ces gens là, c’est qu’ils se tuent. En tant qu’humain on peut les plaindre de cela, ils sont les premières victimes de leur aberration, de leur folie. C’est quand même une réalité, et ça rejoint une chose assez commune : qu’on respecte les autres dans la mesure où on se respecte soi-même. Il faut commencer par s’estimer soi-même.

    Monica : Vis-à-vis de ces criminels, je n’ai aucune estime, je n’emploierais pas le mot respect.

    Anne : Il semble quand même que le sens du mot « respect » est vaste et qu’il a évolué, les définitions qu’on a trouvées sont anciennes et qu’aujourd’hui la notion s’est élargie.

    Agnès : On tombe dans la caricature en parlant de daesh alors qu’on est tous les jours confronté au respect : entre ses voisins, entre parents et enfants etc ; ça tout le monde le connait chaque jour. On aurait plus à dire sur le respect dans la vie quotidienne.

    Thierry : Le respect avec les gens qui nous sont proches, notamment la famille, c’est le lien qui est important dans ce qu’on vit tout les jours.

    Monique : Je reviens sur l’idée de Kant que le respect est un minimum que l’on doit à tout le monde, donc même aux grands criminels, parce qu’ils sont hommes, parce qu’ils ont un grand potentiel pour autre chose même s’ils sont dans l’horreur. Pour sortir du domaine juridique et  criminel, il y a une autre situation humaine qui entraine parfois un dé-respect, elle est d’ordre intellectuelle : on a peu d’estime pour certains vieillards ou malades mentaux qui se dégradent extrêmement, qui sont dans leurs excréments, les soignants parfois perdent le respect. Ils n’ont plus d’estime intellectuelle pour ces gens, alors ils en arrivent à ne plus les respecter. Le respect doit rester indépendant de l’estime qu’on a pour l’autre.

    Pierre : Je propose un autre domaine connu de tous où les mots respect ou respecter sont utilisés couramment, c’est celui de la conduite, respecter le code de la route. Sauf exception, la voiture qui est en face ou celle qui est derrière sont autrui. Je pense que dans la conduite qu’on peut avoir par rapport à autrui, comme sur la route, il y a ceux qui respectent autrui et d’autres qui ne respectent pas. C’est bien le mot respect qu’on utilise là et le respect du code de la route peut très bien se rapporter au respect de l’autre individu, d’autrui qui est dans l’autre voiture.

    Monique : Pour ce dont vous parlez on peu considérer que le respect de l’humain, le respect général, peut l’emporter sur le respect du code de la route, quand par exemple une personne reste longtemps à l’arrêt parce qu’elle n’a pas la priorité, le conducteur de la voiture prioritaire qui la laisse passer fait preuve de courtoisie de respect.

    Philippe C. : On est entrain de tourner un peu en rond autour du mot respect, peut-être faut-il prendre la question par l’autre bout : « Qui est autrui ? Qu’est-ce qui se cache dans ce mot autrui ? »

    Françoise : Je crois qu’il y a plusieurs formes de respect. Dans les définitions que vous avez données tout à l’heure certaines me semblent un peu désuètes, elles font un petit peu référence au respect de l’autorité, ce qui serait plus pour moi de l’obéissance. L’obéissance des règles, c’est bien, ça nous permet de vivre ensemble. Mais je crois qu’il faut aller chercher plus loin, comme tu le dis « qui est autrui ? » et « qu’est-ce exactement respecter autrui ? ». Ça va plus loin que le respect de la morale, c’est peut-être accepter la différence. Tu disais tout à l’heure que c’est plus facile quand on retrouve des choses de nous dans l’autre, ce qui me semble important c’est quand on en trouve pas, parce que là le respect peut avoir sa vraie valeur.

    Mireille : Pour continuer ce que tu dis, j’ai noté une phrase de Goethe « La tolérance ne devrait être qu’un état transitoire ; elle doit mener au respect. »

    Nadia : Je me demande si le respect par rapport à autrui ce n’est pas aussi de rester assez humain comme sur un pied d’égalité, et comme on aimerait être traité, c'est-à-dire avec considération et pris en compte du fait qu’on est un être humain comme les autres. Il doit y avoir cette réciprocité avec autrui, le respect n’est pas à sens unique.

    Anne : Pascal distingue deux sortes de respect : « le respect d’établissement » qui est plutôt celui que l’on évoque en parlant du respect de la loi ou de l’autorité d’un supérieur, et « le respect naturel » qui fait plus appel aux sentiments.

    Jacques : On respecte aussi un animal, le respect d’un animal c’est le respect de la vie. Le respect vis-à-vis de l’animal, outre le sentiment qu’il peut provoquer en nous, est essentiellement la considération de la vie, le respect de cet animal qui a le droit de vivre comme autrui a le droit de vivre.

    Mireille : C’est pour ça que dans la question il y a « autrui », parce que si on ne parle que du « respect » on va vers le respect de la création, de la nature, des plantes etc., le terme « autrui » ne s’emploie que pour l’homme, c’est l’autre homme que moi, celui qui n’est pas moi.

    Pierre : J’aimerais rebondir sur ce qu’a dit Philippe, qu’il faudrait peut être s’intéresser au mot « autrui ». Il y a deux cas de figures bien distincts qui permettent d’éclairer le mot respect : c’est le « autrui » qu’on ne connait pas, qu’on découvre ou qu’on croise simplement,  et puis il y a « autrui » que l’on connait ; on sait qui il est, on l’apprécie pour ce qu’il est, et donc on le respecte parce qu’il a pour nous de l’importance, par exemple un élève qui admire son professeur. Le respect pour autrui connu et celui pour autrui inconnu ont une coloration différente.

    Marie Christine : Je suis d’accord avec ce que vous venez de dire, parce qu’il y a le respect de la vie qu’il y a chez l’autre, il est reconnaissable dans son humanité, c’est ce que disait Levinas « il est un autre que moi-même », et là ne rentre pas du tout l’estime de soi. Je suis choquée par cette définition du mot « respecter » qui est "d'avoir une conduite de manière à conserver l'estime de soi". L’estime de soi c’est un respect qui nécessite de connaitre la personne, qu’il y ait eu échange, alors que, lorsque tu as un humain en face de toi, tu as une attitude qui devrait être respectueuse d’emblée, il n’y a pas besoin de savoir qui il est. C’est en regardant l’autre que tu sais que toi aussi tu es un humain. Après, l’estime pour quelqu’un c’est autre chose que le respect, ça se travaille, ça s’élabore.

    Thierry : C’est vrai que tout le monde a droit au respect, c’est une loi universelle.

    Jacques : Je reviens sur la notion d’autrui. On disait qu’autrui c’est l’homme ; mais d’un autre côté on ne sait pas où ça commence, le singe n’est-il pas un homme ? La question est là car effectivement quand on regarde un chimpanzé qui a une intelligence qui maintenant s’observe de façon extraordinaire, je respecte ce singe parce qu’il se comporte comme un être humain. Alors où est la frontière ?

    Mireille : Le singe c’est l’autre, le mot autre comprend aussi les autres hommes. Par définition le terme autrui ne s’applique qu’aux êtres humains. C’est une question de vocabulaire.

    Nadia : Sommes nous capables de respecter quelqu’un malgré ses points faibles ? Quand on rencontre quelqu’un qu’on ne connait pas du tout on ne peux pas évaluer ses points forts et ses points faibles. Par contre pour nos proches est-ce qu’on va les hiérarchiser par rapport à leurs points forts et leurs point faibles où faut-il se dire quel qu’il soit je le respecte parce que c’est une personne ? Donc voir l’aspect humaniste du respect dans la relation à autrui.

    Mireille : Henri-Frédéric Amiel te répondrait « Respecter dans chaque homme l’homme, sinon celui qu’il est, au moins celui qu’il pourrait être, qu’il devrait être. »

    Monique : J’ajouterais que si on respecte quelqu’un ça le fera progresser, c’est constructif. Dans l’éducation nationale on connait ça, quand on estime l’élève il s’améliore.

    Anne : Il me semble qu’il y a quelque chose qui est avant le respect mais qui peut aider à amener au respect de l’autre, c’est la politesse. Levinas et Bergson en parlent tous les deux.  
    Levinas dit « Les règles de politesse ("Après vous Monsieur, je vous en prie, veuillez m'excuser...") témoigne de ce souci d'autrui sans lequel il n'est pas de relation possible entre les hommes. »

    Nadia : Quand on se place sur le terrain de l’humanisme et du respect de la personne en tant que telle, la politesse est le liant, c’est ce qui va permettre que la relation soit plus simple et que les choses vont se passer de manière pacifique.

    Anne : Comment peut-on manifester à l’autre le respect qu’on a pour lui si ce n’est en faisant preuve de politesse. Peut-être est-ce la première chose, mais cela fait partie de l’éducation.

    Françoise : Oui, je pense que la politesse fait, en effet, partie du respect. Personnellement, je trouve que le respect est vraiment quelque chose de très compliqué : parce qu’on est dans la relation à l’autre et que souvent, même en ne prononçant pas de mot, le courant va passer où pas et on va, malgré nous, porter des jugements. Je trouve très compliqué de vraiment respecter une personne si on ne s’arrête pas à l’apprentissage : « je dois la respecter, il faut que je la respecte parce qu’on m’a apprit comme ça ». Ce n’est pas si facile que ça à mettre en place.

    Pierre : J’aimerais avoir des exemples concrets où tu t’es posé la question « est-ce que je dois respecter ? » Tu as émis un doute et j’aimerais bien comprendre.

    Françoise : Ça se passe souvent au niveau du ressenti, ça se met en place très vite, à ce moment là j’en reste au niveau de la politesse, mais je ne suis pas sure d’être dans le respect.

    Mireille : Le contraire de respect c’est irrespect, dans l’irrespect il y a une action, une attitude négative vis-à-vis de l’autre. Par rapport à la société on parle d’incivilité.

    Marie Christine : Je suis allée dans une maison de retraite il y a peu, il y avait une dame atteinte d’Alzheimer, je lui ai dit « bonjour » mais elle était ailleurs, je l’ai fait parce que l’ai considérée en tant qu’être humain. C’est de la politesse mais il me semble que c’est très proche du respect.

    Monique : Ce que vient de dire Marie Christine me parait extrêmement vrai, et ça nous ramène à la définition que vous avez donné : « le respect c’est regarder l’autre ». Je trouve que dans notre monde qui devient assez irrespectueux, on ne regarde plus les gens. Dans les transports en commun les gens se touchent mais ne se regardent pas. Ils n’échangent même pas un petit sourire qui montrerait qu’on est humain.

    Jacques L. : Je pense qu’on a abordé deux points : le problème de la définition du respect, et la question de savoir si le respect doit s’imposer envers autrui, envers chaque individu. Pour ce qui est de la définition du respect, je suis plutôt d’accord avec la définition qui dit que le respect implique la politesse, implique de traiter avec humanité l’autre. Alors, après, si effectivement, on met en avant la notion de considération, doit-on avoir de la considération pour chaque individu ? Là c’est beaucoup plus complexe, parce que si sur le plan juridique chaque individu doit être traité de la même façon, sur le plan individuel c’est autre chose. Mireille l’a dit tout à l’heure, il faut distinguer l’action commise par un individu de l’individu lui-même. J’étais d’accord là-dessus sauf qu’on arrive maintenant dans le monde à tellement de constatations qui nous font douter du caractère humain de certains individus, que le respect devient une notion compliquée à appliquer.

    Philippe C. : Je voudrais dire que le respect est lié à une notion de règles, de lois, voire de religions. On a beau tourner le problème comme on veut on va tomber sur « je respecte une loi, je respecte un contrat ». Dans le respect il y a cette notion de contrat, c’est la notion de toute la morale juridique, elle est là dans la notion de contrat et à partir du moment où la loi définit qu’on doit considérer l’autre comme un humain et comme soi-même, c’est le respect d’un contrat. Respecter l’autre c’est se respecter soi-même et respecter la loi quelle que soit l’origine de cette loi, c'est-à-dire qu’elle soit purement sociale ou qu’elle soit religieuse.

    Jacques L. : Pour répondre à ce qu’a dit Philippe, le respect de la loi en théorie devrait coïncider avec le respect de la personne humaine. Là aussi c’est un sujet très complexe. Il y a aussi ce qu’a défini ma voisine : c’est la notion de l’impératif catégorique de Kant c'est-à-dire qu’il ne faut pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse. Il faut donc dans tous les cas respecter l’autre.

    Nadia : Finalement le respect c’est être toujours du côté de la loi.

    Anne : Les lois sont édictées par des gouvernements, elles peuvent changer d’un pays à l’autre ; on a des exemples en particulier sous le régime communiste et sous le régime nazi, on l’a vu avec le procès d’Eichmann dont la défense a été « j’ai respecté la loi, et j’ai fais ce qu’on m’a dit de faire ». Respecter la loi est-ce que c’est respecter autrui ?

    Monique : ça nous renvoie au topo précédent : le libre arbitre.

    Nathalie : Il y a un article dans la constitution qui dit que la loi est l’expression de la volonté générale de la société, donc la loi je la respecte mais c’est un devoir. Cependant je ne me sens pas en devoir de respecter chaque être humain, on ne me fera jamais respecter un Eichmann, je ne peux pas c’est plus fort que moi. On a décidé que pour vivre ensemble il fallait des règles, les lois. Ces règles on se doit de les respecter le mieux possible dans le quotidien, mais je n’ai aucun devoir de respect pour ceux que je croise dans ma vie de tous les jours.

    Anne : Comment exprimes-tu ce non respect ?

    Nathalie : Françoise disait « on se tait, on est poli ». Non, parfois se taire est une preuve d’irrespect complet. Il y a deux trois jours, un monsieur était là et il dit « De toutes façons, si Hitler revenait ça serait vachement mieux ». Je me suis tue, mais il a compris à mon regard et mon silence que je n’avais aucun respect et qu’il ne devait pas aller plus loin.

    Mireille : Nathalie, tu n’as pas respecté sa façon de penser en ne lui répondant pas, mais tu l’as respecté lui par ton silence. C’est ça qui est difficile, c’est d’arriver à faire la différence entre l’homme, l’être humain qui est là et la vie qu’il porte, et ses actes, la pensée qui est déjà un acte. Si tu n’avais pas respecté cette part de lui, tu aurais pris derrière ton bar un couteau et tu l’aurais trucidé. Le respect c’est la base, les fondations de la paix.

    Nadia : Oui, mais ce n’est pas un devoir comme on l’a régulièrement répété ce soir.

    Mireille : On parlait du respect des lois, du respect dans le cadre juridique. Toutes ces lois, constitutions, règlements, que les sociétés édictent ne sont pas là pour nous contraindre, elles sont pour moi autant d’outils pour améliorer le vivre ensemble, arriver à la paix.

    Thierry : Je pense qu’il y a deux choses, il y a la loi et la jurisprudence. La jurisprudence existe pour corriger une loi imparfaite. Je voulais dire aussi qu’en m’occupant de jeunes de banlieue qui ne respectent ni la police, ni le médecin etc. j’ai compris que, pour eux, seul celui qui avait de l’argent était digne de respect. Celui qui peut se payer une belle voiture est respecté, c’est le « grand frère ».

    Jacques L : Je ne crois pas que le respect soit écrit dans la loi sauf s’agissant de certains domaines comme le code de la route, il me semble que le respect est un but à atteindre, c’est une pieuse volonté de traiter les gens poliment, de les traiter avec humanité, étant entendu comme le dit Sartre que « l’enfer c’est les autres », selon lui autrui est le visage de quelqu’un qui peut être mon adversaire. C’est vrai que la paix est un but à atteindre, peux tu me dire si tous les pays du monde sont en paix maintenant ?

    Brouhaha 

    Mireille : Je voudrais rectifier ce que tu dis, cette phrase de Sartre « l’enfer c’est les autres » tirée de son contexte peut être comprise comme tu viens de le dire, en fait il a corrigé lui-même cette erreur d’interprétation en expliquant que ce qui est un véritable enfer c’est l’image de nous que nous renvoient les autres. Ce n’est donc pas l’autre c’est moi qui suis l’enfer et pas l’autre. Dans L’Etre et le Néant il écrit à propos d’autrui « Autrui, c’est l’autre, c’est-à-dire le moi qui n’est pas moi […] Autrui, c’est ce moi-même dont rien ne me sépare, absolument rien si ce n’est sa pure et totale liberté […] Autrui est le médiateur entre moi et moi-même […] Le pour-soi renvoie au pour- autrui »

    Françoise : Je crois, en effet, que le respect est quelque chose qui n’est pas facile, ça nous renvoie à notre humanité, ça nous renvoie surtout à nos différences. C’est sans doute ce qu’a voulu dire Sartre «  qu’est ce que j’ai joué face aux autres ? ». C’est pour ça que ce n’est pas si facile, cette notion de respect qu’on nous apprend à l’école. Comme apprentissage je trouve que c’est déjà bien d’avoir la politesse. C’est très difficile parce que ça nous renvoie à nous- mêmes, l’autre peut être une agression pour moi. C’est pour ça que tout à l’heure j’ai dis que souvent ça se passe dans les premières secondes, parce que c’est du domaine du ressenti, le respect peut être « attention ça me met en colère, j’ai peur etc. » toutes ces sortes de ressentis qui font que je vais avoir tendance à prendre un petit peu de recul et ne plus être dans cette notion là de respect.

    Monique : Je reviens sur ce qu’a dit Nathalie par rapport à cet homme qui lui disait des horreurs, on peut dire aux gens « je vous respecte, mais je ne suis pas du tout d’accord avec ce que vous dites ». Ces gens là qui disent des atrocités peuvent être, sans qu’on le sache,  sous l’effet de l’alcool, ils peuvent être sous l’effet d’un produit ou d’une maladie mentale, ils peuvent être comme les hitlériens sous l’effet d’un endoctrinement massif dès l’enfance.

    Marie Claude ; C’est tout simple, autrui c’est un humain qui vit, qui pense et qui agit. Alors, la vie, on n’y touche pas, c’est le respect pour tout le monde et le reste, ses pensées, ses actes on en fait ce qu’on en veut. Alors on l’ignore, on lui rentre dedans, c’est la vie en lui qu’on aura respecté, le reste on en fait ce qu’on veut.

    Michel : Ce qu’a dit Nathalie, c’est que par un regard elle a abimé un dialogue. Le dialogue est fondé sur le respect, on ne peut pas dialoguer avec autrui sans le respecter. Le dialogue entre Socrate et  Calliclès  dans le Gorgias tourne cours parce que Calliclès méprise Socrate.

    Françoise : Ce qu’a dit Nathalie m’interpelle parce que c’est là que c’est très compliqué de respecter quand l’autre touche à nos valeurs. Quand on est touché de cette façon là, comment je peux respecter l’autre, comment je fais pour moi me respecter ? Si ça touche à des valeurs aussi importantes que celles dont tu as parlé, comment fait-on ?

    Marie Claude : Ce n’est pas ne pas le respecter de couper le dialogue, de l’ignorer.   

    Françoise : Toi, tu dis après tout, avoir un comportement où je discute, ou je me mets en colère, ou bien l’ignorer, pour toi ça reste dans le respect.

    Marie Claude : Oui, le respect légal concerne seulement la vie et le reste tu en fais ce que tu veux.

    Monique : Pour répondre à Marie Claude, on peut tuer avec des mots.

    Nadia : Discuter c’est déjà considérer l’autre. Est-ce que le respect n’est pas d’accepter une discussion même difficile, même violente avec quelqu’un ?

    Thierry : Il y a eu deux faits divers récemment : des supporteurs dans un stade qui ont fait une banderole en ne respectant pas Anne Franck et il y a eu un autre fait divers c’est Filoche du PS qui a fait un tweet représentant Emmanuel Macron portant un brassard nazi au bras gauche, la croix gammée remplacée par un dollar. C’est pour dire que ça aussi ce sont des agressions. C’est un dignitaire du PS, ce sont des supporteurs, que ça soit des jeunes ou des adultes on est agressé et donc, que fait-on en face de ces agressions ? Respecter l’autre n’est pas possible.

    Pierre : Nathalie, je pense que ton silence ou quand tu l’as fusillé des yeux, il y a deux interprétations possibles : le fait de ne pas avoir enchainé la conversation et de le fusiller du regard c’est comme si tu lui avais dit « je ne te respecte pas » ; et, le fait d’avoir pris une attitude qui ne soit pas violente par des mots désagréables on peut aussi interpréter cela comme une façon de respecter ce client. C’est le respect minimum syndical pour rester en paix.

    Nathalie : Non, je ne le respecte pas et lui ai fait comprendre ? C’est ce que je disais il y a le devoir de respect pour certaines choses, mais là je n’avais aucune obligation. A travers ses idées, je ne pouvais pas respecter cet homme.

    Mireille : Tu ne le respectes pas : que fais-tu ? Tu t’es tue. Là tu ne le respecte pas par pensée parce que tu n’es pas d’accord avec lui ; mais tu l’as respecté puisque tu n’as pas agis sur lui.

    Nathalie : Il a compris et a coupé cours à la discussion.

    Mireille : C’est ce que Michel disait : tu as coupé le dialogue.

    Françoise : Oui, mais qu’est-ce qui est le plus respectueux ? Parce quand elle se tait elle le méprise, et si elle rentrait dans la conversation elle pourrait le considérer. On peut voir les choses de différentes façons.

    Brouhaha : (les avis sont partagés)

    Michel : Autrui, il semble qu’on ait besoin de la reconnaissance de cet alter-ego pour survivre. La vie solitaire de Robinson Crusoé est un beau roman, dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Tournier illustre cet argument que l’homme ne vit pas seulement pour lui. Robinson a besoin du regard d’autrui, regard exercé par un métis, Vendredi.

    Brouhaha : (sous hommes ; respect et droit des animaux)

    Monica : Autrefois, dans le mot respect il y avait la notion d’admiration, ce qui n’est plus le cas. Dans tout ce qu’on a dit ce soir sur le respect il n’a pas du tout été question d’admiration. Le mot respect a bien évolué. Quand j’ai commencé à comprendre le respect, on respectait quelqu’un parce qu’il était admirable, il avait fait quelque chose d’intéressant, dans sa vie il se comportait bien et on pouvait l’admirer et le respecter. Je suis imprégnée de cette notion respect-admiration qui fait que je suis comme Nathalie, je ne peux pas respecter tout le monde. Je suis polie mais je ne suis pas systématiquement respectueuse.

    Jacques : On respecte l’autre dans son potentiel, dans tout ce qu’il peut devenir de bien.

    Brouhaha : (le sens d’autrui chez l’enfant)

    Fermeture du débat par Mireille

    Pour terminer notre échange je vais simplement vous relire cette phrase d’Henri-Frédéric Amiel  qui pour moi résume bien une réponse à la question posée aujourd’hui

    « Respecter dans chaque homme l’homme, sinon celui qu’il est, au moins celui qu’il pourrait être, qu’il devrait être. » Ça se travaille et passe d’abord par un travail sur soi.



     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 28 Janvier (même heure, même lieu)

    La question choisie à mains levées, sera: « Dépend-t-il de nous d’être heureux ?» 

    Le thème choisi pour  janvier est  « La paix ». Préparez vos questions.

    Mireille PL

     


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