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Par 5 à 7 philo Royan le 10 Décembre 2018 à 16:20
5 à 7 Philo du dimanche 25 novembre 2018 : 23 participants
Le hasard est-il le fait du hasard ?
Préambule (par Mireille)
A la suite de notre dernière rencontre dont le thème était, je le rappelle, « Qu’est-ce que la fraternité ? », plusieurs personnes m’ont dit avoir été choquées par certains propos. L’entrée et la parole sont libres, chacun peut exprimer ses pensées, c’est une richesse. Nous interrompons ceux qui sortent du sujet ou orientent l’échange vers la polémique. C’est aussi être dans la fraternité que d’entendre des idées qui peuvent être à l’opposé des nôtres.
A l’occasion de notre 50ème café philo, je voudrais revenir sur l’esprit que nous avons souhaité mettre à ces rencontres, Anne et moi : Ecoute et échanges.
Nous avons très certainement fait une erreur en utilisant le mot « débat », il aurait fallu dire « discussion », mais « échange » est plus juste. Je me suis penchée sur les différentes définitions de ces mots :
Débattre : Cnrtl : Discuter avec vivacité et chaleur en examinant les aspects contradictoires d'une question, d'une affaire. Synonyme : discuter.
Discuter : Littré : Parler avec d'autres en échangeant des idées, des arguments sur un sujet.
Nuance entre les deux : Littré : Comme débattre est composé de battre, il implique quelque chose de violent qui n'est pas dans discuter. Débattre suppose plus de chaleur et d'emportement; discuter plus de réflexion. Aussi débattre ne se dira guère des choses générales, des causes théoriques qui émeuvent peu; c'est discuter qui y convient. Mais il se dira des questions et des causes qui touchent et qui passionnent.
Notre souhait et but était et est encore de se pencher sur un thème, une question, de la comprendre en échangeant nos réflexions dans l’écoute de l’autre.
Echanger : Littré : Se communiquer, se remettre réciproquement.
« L'échange des idées est aussi indispensable aux peuples que l'échange des substances. »
(Anatole France)Ecouter : Littré : Prêter l'oreille pour entendre, prêter son attention à ce qu'on vous dit
« Le commencement de bien vivre, c'est de bien écouter. » (Epictète)
Avant de passer la parole à Anne qui va nous présenter le thème du jour, je ferai un petit rappel des règles que nous avons posées à nos débuts il y a 7 ans (c’est l’âge de raison) :
C’est souvent difficile de ne pas réagir du tac au tac, mais c’est important de laisser à chacun le temps d’intégrer ce qui vient d’être dit avant de le commenter.
Auguste Detoeuf, industriel et essayiste français dit « Sois prompt à écouter, et lent à donner une réponse. ».
N’oubliez pas de lever le doigt pour prendre la parole et de rappeler votre prénom.
Introduction (par Anne)
Le hasard est-il le fait du hasard ?
Définitions :
Hasard. Gd Larousse : nom masculin de l’espagnol azar, de l’arabe azzahr (dé, jeu de dés)
1- Puissance considérée comme la cause d’évènements apparemment fortuits ou inexplicables. Chance, destin, sort.
2- Circonstance de caractère imprévu ou imprévisible dont les effets peuvent être favorables ou défavorables. Coïncidence, occasion.
3- en philo : La notion de hasard est liée à une idée d’incertitude que le calcul des probabilités n’a pas réussi à lever. Le hasard est, d’abord, appréhendé comme un caractère fondamental de l’existence ; il est l’imprévisible de la vie. Cette notion recouvre ce que les philosophes désignent sous le terme de « contingence du futur » liée à la nature humaine, à l’inquiétude face aux aléas de la nature et des hommes.
Synonymes (nombreux) : accident, incertitude, occurrence, sort, conjoncture, destin, imprévu…La sérendipité étant l’art, la capacité de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard.
Antonymes : automatisme, calcul, méthode, déterminisme, nécessité, finalité…
Les jeux de hasards ont conduit aux recherches sur le calcul des probabilités.
Fait. Gd Larousse 1- Acte, phénomène, action. 2- Chose, évènement qui se produit. 3- Tout évènement susceptible de produire des effets de droit.
Ouverture de l’échange
La question « le hasard est-il le fait du hasard ? » donne le vertige. C’est une mise en abîme qui fait tourner comme une toupie. Alors comment présenter le sujet ? Je vais partir de l’émission Science publique, de Michel Alberganti sur France Culture, consacrée au hasard :
« Commençons par une devinette : Quel est le point commun entre les découvertes de l’Amérique, l’homme de Neandertal, la pierre de Rosette, la grotte de Lascaux, la poussée d’Archimède, la loi de la gravitation, les rayons X, la radioactivité, l’électromagnétisme, l’infrarouge, l’aspirine, l’aspartame, l’insuline, le LSD, la pénicilline, le vaccin antivariolique, le Viagra, l’ADN, la pilule contraceptive, le Velcro, la photographie, la Citroën 2CV, le Post-It, le Kleenex, la gomme à effacer, le jacuzzi, le Frisbee, le Kevlar, le Téflon, le Laser, l’hélice de bateau, la dynamite, la Tarte Tatin, le Nutella, le Carambar, le Coca Cola, le Sauternes, les chips ou le Roquefort ? La réponse, vous l’avez devinée, c’est le hasard, point commun à cette liste à la Prévert. Ou, plus précisément, la sérendipité. »
Il semble que l’insécurité provoquée par la notion de hasard, et dans les jeux de hasard, a conduit au développement du calcul des probabilités (qui permettent de quantifier le hasard). Est-ce le signe que le hasard dérange ?
Echanges
Mireille : Je voudrais compléter ce que tu as dit sur l’étymologie du mot « hasard ». Hasard a désigné au Moyen Age un jeu de dés (d’où aujourd’hui « jeu de hasard). Au 13ème s. hasard prend le sens figuré de « mauvais coup », donc de malchance. Au 16ème s. hasard s’écrit avec en « t », comme sort et fortune, hasard s’emploie pour « cause qu’on attribue à ce qui arrive sans cause apparente » d’où ensuite en sciences « les lois du hasard » dont tu as parlé.
Ceci dit, je trouve la question jolie mais j’ai eu du mal à y trouver un sens, jusqu’à, dans mes recherches, un semblant de réponse. Dans un compte rendu d’un café philo j’ai noté cette réflexion à propos de ce qu’en pensait Aristote : « Le hasard fait du hasard ? Voici la définition qu'Aristote donne du hasard : « il y a une foule de choses qui se produisent et qui sont par l’effet du hasard et spontanément », mais il affirme que « le hasard, ni rien de ce qui vient du hasard ne peut être la cause des choses qui sont nécessairement et toujours ou des choses qui arrivent dans la plupart des cas ». En d'autres termes, pour Aristote, le hasard ne peut provenir que du hasard »
Jean Max : Le hasard est un végétal puisqu’on dit toujours « le fruit du hasard ».
Nadine : Comment définir le hasard puisse que par essence il est indéfinissable ? On entend souvent dire « par un heureux hasard », on entend beaucoup moins dire « par un malheureux hasard », mais ça existe aussi, de ce fait c’est difficile de le situer. Les hommes se croient forts, intelligents, avoir le pouvoir de tout contrôler, bien non, le hasard, on ne le contrôle pas. C’est lui qui nous guide, qui nous emmène par des chemins qu’il a choisis. Et on n’a pas la possibilité de le prévoir, de le changer, de le contourner, en quelque sorte de le maitriser. Alors là, bien sûr, ça donne tout un tas de possibilités que vous nous avez énumérées. En fait on ne peut ni le comprendre, ni l’expliquer. Mais par contre, on va pouvoir en parler à l’infini.
Catherine : Je ne cherche pas forcément à le définir, mais je pense que le hasard flirte beaucoup avec la chance puisque vous avez souligné que généralement on dit « par un heureux hasard ». Le hasard nous apporte des choses qu’on saisit, ou pas, et ça devient chance. La vie est faite de hasard. Je voulais aussi souligner que l’artiste Jean Dubuffet disait « danser avec le hasard » dans la création. Je pense que c’est très important de jouer avec le hasard.
Pascale : Vous avez dit tout à l’heure que le hasard menait nos vies, je ne suis pas tout à fait d’accord, il y a quand même pas que le hasard. Certes on est soumis au hasard, mais, normalement, on suit un chemin que l’on se trace, on a aussi la raison, le libre arbitre, etc. Donc, comment intervient le hasard ? Ça c’est une question.
Pierre F. : Je crois qu’on va vraiment débattre, on pourrait presque imaginer une balance avec deux croyances, d’un côté celle qui dit que le hasard est effectivement un jeu de dés, c’est comme ça, c’est fortuit etc., et puis de l’autre celle qui dit qu’il y a l’expérience que l’on fait nous-même. Et la vie balance entre les deux. Un exemple concret : j’allais partir d’un lieu, et j’avais décidé que j’avais un certain nombre de personnes à voir pour leur dire au revoir ; et bien, curieusement, toutes ces personnes sont apparues à un moment ou un autre devant moi. Je dirais qu’il y a là presque une mise en œuvre en nous d’évènements extérieurs à nous et qui pourtant vont nous rejoindre. C’est pour ça que je parle de débattre parce que je crois qu’il y a la place et pour l’un et pour l’autre.
Jacques : Quel est mon degré de liberté par rapport à l’action du hasard ? Il est finalement très faible. Mais, je pense que ma liberté va être dans ma façon d’assumer précisément ce hasard et cette grande incertitude.
Francine : Quelqu’un m’a dit un jour une très belle définition que je porte en moi depuis très longtemps : « le hasard est l’ombre projetée des nécessités divines » c’est de Rudolf Steiner.
Pierre M. : Sur la notion de liberté évoquée par Jacques, je pense qu’on peut aller plus loin que parler de liberté, c’est carrément la prédétermination de notre vie. C’est un vieux débat philosophique : Sommes-nous maitres de notre vie, ou tout est-il déjà joué d’avance ? Ce qui voudrait dire qu’en fait il n’y a pas de hasard, les choses se passent comme elles doivent se passer. Et, Philippe nous donnerait bien des exemples, dans l’antiquité, les Pythies dont la tâche était de prévoir l’avenir de ceux qui les sollicitaient, interprétant les oracles en disant que les choses allaient, pour eux, se passer comme-ci ou comme ça ; ces situations là laissent-elles encore une place au hasard ? Comme vous l’avez dit en introduction, le hasard est un évènement dont on n’arrive pas à prévoir les causes. Mais, le hasard n’est-il pas en fait la manifestation d’une ignorance ? Nous n’arrivons pas à cerner les causes d’un évènement alors on l’attribue au hasard. Scientifiquement il est démontré qu’il n’y a pas d’évènement sans causes ? Il y a même des scientifiques qui ont démontré, de façon très élaborée, qu’un battement d’aile d’un papillon dans la forêt amazonienne était susceptible de provoquer un cataclysme sur le continent européen. Pour moi, le hasard pose la question de la prédétermination.
Anne : Je ne vois pas trop le lien avec une prédétermination, par contre, que ce qu’on appelle hasard soit l’expression d’une ignorance, oui.
Pierre M. : Vous parliez des dés, les jeux de hasard sont basés sur le fait qu’on ne sait pas déterminer sur quel côté va tomber le dé. Donc, si tout est déterminé d’avance, il se passe des choses qu’on n’a pas voulues, qu’on n’a pas contrôlées, dont on ne connait pas l’origine, on met ça sur le compte du hasard mais en fait ce n’était pas du tout le hasard, la ligne était tracée.
Anne : Je vais juste vous donner une citation de Jean-Michel Maldamé : « La notion de hasard est une des plus complexes, voire confuses, qui soient, d’autant plus qu’elle est chargée d’éléments affectifs et que le terme a valeur de drapeau pour des combats idéologiques. »
Jacques : Un ami philosophe disait : « Je ne sais qu’une seule chose c’est que je ne sais rien » et précisément le hasard c’est un aveu d’ignorance, donc en me référant à lui j’assume complètement mon ignorance. Je me retourne vis-à-vis de moi-même avec ma raison, et je fais mon discours de Descartes mais ça n’empêche pas ma liberté finalement, puisque je me retrouve comme ça en assumant complètement cette ignorance.
Jean Max : Je pense qu’il y a plusieurs sortes de hasard. Je prends par exemple le fait du dé, vous avez tous sans doute lu le livre « The dice man », « L’homme dé », qui commence très bien car tout se passe bien, c’est formidable ; mais ça se termine dans un chaos invraisemblable. Je veux dire que le hasard que nous décidons, nous, existe, c’est-à-dire que notre décision peut lutter contre ou avec le hasard. Quand on parle de chance il faut aussi parler de malchance aussi car le hasard est double.
Monique : Je voudrais répondre avec ce qui vient d’être dit sur le hasard qui n’est pas tout à fait du hasard, que l’on peut moduler, que l’on peut provoquer. Effectivement, il y a des gens qui, sans doute, se provoquent un accident quand ils sont dépressifs. À l’inverse, si on fait très attention en voiture, on a moins de chance que quelqu’un nous rentre dedans. Mais, dire que tout obéit à des lois, et que le hasard est un aveu d’ignorance, ça je le crois. Si un météorite nous tombe sur la tête, c’est le résultat de l’attraction terrestre, qui est une force, et du fait qu’on avait décidé d’être à un certain endroit à un moment donné. C’est une conjonction d’évènements qui ont une cause. Donc, il y a des causes pour tout. Par contre, Francine avait soulevé une question en parlant d’un auteur qui croit en Dieu, c’est la question du déterminisme. Est-ce que toutes ces forces, est-ce que ce qu’on appelle le hasard, est dû quelque part à un esprit supérieur ? Je n’ai pas la réponse.
Pascale : Je voudrais revenir sur le livre « L’homme dé » mais ça rejoint ce que vous venez de dire au début de votre intervention. En fait, on peut choisir certains comportements et dans le bouquin c’est ce qu’il fait : il se donne six possibilités à chaque fois, qu’il joue au dé qui a six faces, donc il choisit quand même, quelque part, ce qui va arriver puisqu’il a six propositions.
Philippe C. : On voit bien la difficulté dans la discussion qu’on a : on parle de « hasard » mais beaucoup d’entre nous parlent ou pensent « destin ». Je crois que c’est très important de rappeler que cette notion du destin, elle existe depuis la nuit des temps et que, effectivement, c’est ce que Pierre disait, il y a une ligne qui est tracée. Alors appelle-t-on ça un prédéterminisme ou un déterminisme je me garderais bien de conclure. La question qui me parait la plus évidente c’est, effectivement, de quoi parle-t-on : du hasard ou du destin ? Il ne faut pas oublier que le destin est triple ; il y a trois divinités du Destin : Clotho , Lachésis et Atropos, la naissance, le mariage, la mort. Alors le hasard, que vient-il faire dans l’histoire ? Où se situe-t-il ? Est-il simplement les petites choses qui nous arrivent ou les grands évènements qui nous arrivent ? De quoi parle-t-on quand on parle de hasard ?
Jean Max : Nous ne vivons que dans le hasard, nous ne sommes que hasard. Le temps n’a pas une importance terrible puisque, un hasard, un bon ou un mauvais hasard, on vit toute la journée dedans, notre vie n’est faite que de hasard. La preuve c’est qu’un arrêt du cœur c’est un mauvais hasard, ça peut nous arriver à tous.
Brouhaha
Anne : Pour revenir sur ce qu’a dit Pierre à propos des Pythies, je vais reprendre Jean-Michel Maldamé qui parle d’Aristote : « Pour Aristote, la notion de hasard se définit alors en termes de causalité, comme « la rencontre de séries de causalités indépendantes ». Si dans le cadre de la causalité, il y a un enchaînement rigoureux qui permet de prévoir ce qui aura lieu, la rencontre entre deux séries indépendantes empêche de le prévoir. »
Pierre F. : Si on me dit « le hasard », je réponds « le choix ». Notre vie est-elle faite d’une sorte de laisser aller au gré du hasard, ou au contraire, dans une tentative de liberté ? Pouvons-nous être et se dire à chaque fois : « si je suis là ce n’est pas l’effet du hasard, c’est le choix que j’ai fait d’être là » ? A ce moment là, on peut imaginer qu’on passe sa vie, on passe son temps à choisir. J’aurais plutôt tendance à dire que même dans le hasard on ne serait pas innocents. C'est-à-dire, si on parle de déterminisme, nous pourrions déterminer ce qui va se passer, nous pourrions le pressentir. C’est un évènement qui est quand même un peu bizarre : une personne qui habite à la Rochelle choisit de construire une maison pour se rapprocher de ses enfants, la maison est construite, tout est fini, et à 2km de chez lui il a un accident et il se tue. Ça pose question. Est-ce qu’il était prédisposé à mourir parce qu’il avait accomplit ce qu’il avait à accomplir à proximité des ses enfants ?
Jean Max : C’est une question de temps, parce que ce hasard qui fait qu’il est mort peut peut-être poser un problème à ses enfants qui vont hériter. On peut toujours enchainer les choses, c’est ça cette espèce de route qui nous mène.
Anne : C’est peut être là qu’il y a qu’intervient l’élément affectif. C’est peut être toi qui a envie affectivement de trouver une explication à cet évènement.
Françoise : On parle de plusieurs choses. Pierre a parlé tout à l’heure de synchronicité du hasard, par exemple : je pense à une amie que je n’ai pas vue depuis longtemps et puis, tout d’un coup, j’ai un coup de fil, c’est cette amie qui m’appelle, je pense que ça vous est tous arrivé, c’est du hasard. Ensuite, dans ma vie, je décide par exemple de changer de métier, c’est ce que j’ai fait, je lâche, et me dis que ça va marcher, je vais alors faire des rencontres qui vont m’amener là où je veux aller ; c’est du hasard. Je vais ensuite aller un petit peu plus loin quitte à choquer, je pense que rien ne nous arrive par hasard. Je pense qu’on a toujours des questions à se poser par rapport à ce qui nous arrive, même dans le moins bon. Il y a il me semble des explications.
Francine : Ce qui vous est arrivé c’est ça « l’ombre projetée de vos nécessités ». Vous avez lâché prise, avait fait confiance et alors le hasard a pu vous faire rencontrer les bonnes personnes.
Mireille : Je ne crois pas du tout au hasard. Je crois aux concours de circonstances. Quand on a l’impression que quelque chose nous est arrivé par hasard, si on y réfléchit on peut remonter jusqu’à ce qui l’a provoqué. C’est vrai même pour des trucs bêtes : je décide d’aller me promener, je suis sur le trottoir je longe un immeuble, un chat pousse un pot de fleur en sautant sur la fenêtre à l’étage qui me tombe dessus, c’est un concours de circonstances ? C’est la rencontre de deux volontés, de deux actions. Maintenant si je n’avais pas été perdue dans mes pensées mais réellement présente sur ce trottoir j’aurai pu voir le chat et le pot de fleur tomber avant qu’il ne m’atteigne. Quand tu parles des rencontres que tu as faites pour ton travail tu les as plus ou moins consciemment provoquées. Il n’y a pas de hasard. Quand on écoute les grands scientifiques, notamment ceux qui s’intéressent à la création de l’univers, ils nous apprennent qu’il n’y a pas de hasard, que tout est un enchainement de causes et d’effets qui remontent à ce qu’ ils appellent la Cause Première, la Création du monde, le Temps Zéro, qui est le butoir au-delà duquel on ne peut aller.
Françoise : C’est un petit peu comme toutes les découvertes qu’Anne a énumérées en introduction, c’est au moment où ils lâchent que ça se passe.
Mireille : Dans les exemples qu’a cités Anne, il s’agit d’erreurs dont ils ont tiré parti et fait quelque chose, mais il n’y a pas de hasard. Pour moi, il n’y a pas de hasard il n’y a que des circonstances qui résultent d’actions.
Anne : Je voudrais citer Bergson : « Une énorme tuile, arrachée par le vent, tombe et assomme un passant. Nous disons que c'est un hasard. Le dirions-nous, si la tuile s'était simplement brisée sur le sol ? Peut-être, mais c'est que nous penserions vaguement alors à un homme qui aurait pu se trouver là, ou parce que, pour une raison ou pour une autre, ce point spécial du trottoir nous intéressait particulièrement, de telle sorte que la tuile semble l'avoir choisi pour y tomber. Dans les deux cas, il n'y a de hasard que parce qu'un intérêt humain est en jeu et parce que les choses se sont passées comme si l'homme avait été pris en considération, soit en vue de lui rendre service, soit plutôt avec l'intention de lui nuire. Ne pensez qu'au vent arrachant la tuile, à la tuile tombant sur le trottoir, au choc de la tuile contre le sol : vous ne voyez plus que du mécanisme, le hasard s'évanouit. Pour qu'il intervienne, il faut que, l'effet ayant une signification humaine, cette signification rejaillisse sur la cause et la colore, pour ainsi dire, d'humanité. Le hasard est donc le mécanisme se comportant comme s'il avait une intention. »
Catherine : Pour revenir sur la sérendipité qui est l’art de trouver ce qu’on ne cherchait pas, je trouve ça formidable, on a le nez sur quelque chose de précis et puis tout d’un coup il y a un petit truc qui apparait sur le côté qui n’a rien à voir et on est capable de le saisir. J’insiste énormément, que ce soit chez les scientifiques où les artistes, il y a cette facilité à saisir ce qui advient, il y a comme une révélation.
Anne : Tu parles des artistes. Je me suis posé la question de l’art abstrait et du travail des surréalistes ; la légende dit que Kandinsky, entrant dans son atelier, voit une des toiles qu’il avait faite posée à l’envers, ça lui a révélé quelque chose, il a trouvé ça très beau et ça serait comme ça que l’art abstrait serait né. Si toutefois ça c’est fait comme ça, n’est-de pas du hasard ?
Nadine : Le hasard, pour moi, fait partie des impondérables de la vie. C’est vrai qu’on est un peu maitre de son destin, mais pas entièrement. Il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre, malgré tous nos grands philosophes, tout ce qui a été découvert etc. Il y a une part qu’on ne peut pas comprendre. Là, le hasard a sa place, son importance.
Jacques : Par rapport à la sérendipité, l’action du scientifique, c’est un hasard s’il a trouvé ce phénomène, le scientifique est dans une action de recherche et puis tout d’un coup il découvre quelque chose « par hasard ». Il y avait en fait une volonté de le mettre sur le chemin de cette trouvaille puisqu’il était déjà en marche vers cette recherche, vers cette découverte. Dans ce sens là, je dis que le hasard a une volonté.
Pierre M. : Je réagis à ce qu’a dit Jacques. Je ne suis pas du tout d’accord. Dans l’énumération qu’Anne nous a faite, je ne parle pas du coca-cola, mais je voudrais bien que quelqu’un m’explique comment par hasard on peut découvrir la 2CV. La plupart des lois scientifiques, qui régissent l’infiniment petit ou l’infiniment grand, ont été découvertes pas du tout parce qu’on les cherchait, pas du tout parce qu’on était orienté vers cette recherche là, mais vraiment par hasard, c’est-à-dire que la découverte s’est faite à l’encontre d’un autre domaine. Il y a l’histoire d’Archimède dans son bain, de Newton sous son arbre, ou celle de ces ingénieurs qui découvrirent, par hasard, le bruit de fond de l’univers alors qu'ils tentaient de perfectionner une antenne. Tu disais tout à l’heure que le hasard les a mis sur la piste d’une découverte parce que ils s’étaient orientés vers cette recherche, ce n’est pas du tout ça.
Michel : Si on regarde les recherches d’aujourd’hui sur l’intelligence artificielle on essaye de plus en plus avec des systèmes de hasard. Il ne faut pas oublier que le système le plus développé est celui des chiffres aléatoires. En ce moment on collectionne dans l’intelligence artificielle tout ce qui peut être hasardeux puisqu’on est entrain de nous refaire une nouvelle informatique qui va être quantique. Le quantique, jusqu’à preuve du contraire, comme l’avait dit Einstein, c’est un petit peu du hasard.
Anne : Pour rebondir sur Einstein, Hubert Reeves, en parlant de lui, dit qu’il avait en lui « deux idées-forces » dont « sa conviction que la réalité est totalement déterminée par les lois naturelles et que le hasard n'est qu'un alibi à notre ignorance… Quand, à Niels Bohr, il dira : "Dieu ne joue pas aux dés", la réponse sera : "Albert, cessez de dire à Dieu comment il doit se comporter." » Einstein pensait que « Dans la théorie de la relativité générale, le hasard n'a nulle place. En conséquence, elle s'est avérée totalement incapable de s'adapter au monde des atomes.» Elle a marché pour l’infiniment grand, mais pas pour l’infiniment petit. Hubert Reeves dit que «Einstein avait surestimé le degré de simplicité de la réalité. »
Jean Max : Ils avaient oublié une chose c’est que « Dieu ne joue pas aux dés », mais le Diable, oui.
Rires
Jacques : Y–a-t-il une grande différence, une grande variation entre nous sur les croyances que nous avons vis-à-vis du hasard ? Chacun dans sa tête a une position vis-à-vis du hasard. Est-il possible de se mettre d’accord ?
Mireille : Je serais assez d’accord avec Jérôme Touzalin (dramaturge français) qui dit : « Il n'y a pas de hasard... il n'y a que des rendez-vous qu'on ne sait pas lire. » Pour moi le hasard n’existe pas c’est un concours de circonstances qui créent l’évènement dont on peut trouver l’origine.
Brouhaha :
Pierre M. : Parmi tout un chacun ici, quel est la position que chacun peut avoir vis-à-vis de ses propres décisions ? Le hasard, on imagine très bien que ça s’applique à un accident qui vient de l’extérieur, par des évènements qu’on ne maitrise pas. En revanche, la position que chacun prend, la décision, que ce soit une réponse à une question, que ce soit une attitude par rapport à la situation, est ce qu’il y a du hasard là-dedans ? parce qu’on est à priori maitre de ses réactions. Or, je prétends qu’il y a des circonstances où la réponse qu’on a faite, l’attitude qu’on a eue, la décision qu’on a prise auraient très bien pu être celles opposées. Elles résultent d’une cause qu’on ignore, qu’on peut donc attribuer au hasard ?
Brouhaha
Jean Max : C’est un « pile ou face »
Pierre M. : Je me suis peut être mal exprimé. Quand on joue à pile ou face on fait délibérément appel au hasard. Ce que j’essayais de dire c’est que sans vouloir faire appel au hasard, on pense répondre en toute bonne foi et puis quand on y réfléchi après coup on se dit « j’ai basculé de ce côté-là mais j’aurais très bien pu basculer de l’autre côté » j’avais aussi tout autant de raisons de le faire.
Mireille : Tu soulèves le problème de la liberté de choix. Il n’y a pas de hasard, plus ou moins consciemment tu choisis une chose plutôt qu’une autre.
Monique : Je reviens à quelque chose que j’ai dit mais qui n’a pas été relevé. Pour moi, le hasard pose la question de Dieu, du déterminisme, de l’envie, mais aussi de l’univers. Comment explique-t-on les lois scientifiques, qui sont magnifiques, qui lorsque l’intelligence humaine est très poussée coïncident, les mathématiques avec les règles de l’univers ? Le hasard, je pose une question et on m’explique. Les gens instruits actuellement expliquent les lois physiques ou biologiques par le hasard. Je me dis alors « si c’est le hasard, je fais du hasard Dieu ».
Mireille : Je ne vois pas où tout nous est expliqué par le hasard.
Monique : C’est l’intelligence qui est dans l’univers, parce que dans l’ensemble ça fonctionne bien, il y a des accidents mais, les astres ne se télescopent pas tous les jours, les gens ne meurent pas tous les jours…
Brouhaha
Mireille : Là-dessus les scientifiques ne parlent pas de hasard, ils parlent d’une cause primordiale, que tu appelles Dieu, que tu appelles comme tu veux.
Monique : J’irais jusqu’à dire qu’elle est bienveillante, pour chacun d’entre nous mais aussi pour l’ensemble de l’humanité.
Pascale : Il me semble que toutes ces lois existent, les scientifiques les trouvent mais elles existent en dehors de nous, en tant que telles. Mais il y a peut être une autres partie des sciences qui, elles, sont soumises au hasard. Je me retranche humblement derrière ce que j’ai lu, notamment sur les mutations génétiques qui seraient dues au hasard. Il se trouve qu’il y a des scientifiques qui arrivent à décrypter tout ce qui organise le monde, je pense que, nous, nous sommes un peu spectateur dans tout ça.
Anne : A propos des astrophysiciens, ils ne sont pas tous d’accord, les croyants et les non croyants. A propos de la génétique, quand j’ai vu le sujet, je suis allée farfouiller dans « Le hasard et la nécessité » de Jacques Monod ; j’ai noté cette pensée qui me semble intéressante : « Les évènements élémentaires initiaux qui ouvrent la voie de l’évolution à ces systèmes intensément conservateurs que sont les êtres vivants sont microscopiques, fortuits et sans relation aucune avec les effets qu’ils peuvent entrainer dans le fonctionnement téléonomique. Mais une fois inscrits dans la structure de l’ADN, l’accident singulier et comme tel essentiellement imprévisible va être mécaniquement et fidèlement répliqué et traduit, c’est-à-dire à la fois multiplié et transposé à des millions ou des milliards d’exemplaires. Tiré du règne du pur hasard il entre dans celui de la nécessité, des certitudes les plus implacables »
Jean Max : c’est très intéressant ce que tu viens de lire parce que Monod disait ça à une époque où il ne pouvait pas imaginer ce qu’il y a là aujourd’hui. Ce qu’il dit est tellement prémonitoire, c’est incroyable. Mille millions d’opérations à la seconde, font les machines maintenant.
Pierre F. : J’avoue que je suis assez dans la confusion, cependant j’ai un désir de parler. Je reviens à la citation de Bergson que tu as prise, en disant que finalement la notion de hasard est une spéculation humaine. C’est l’homme qui a décidé qu’il fallait placer là ce mot hasard et s’en servir d’une manière multiple. La deuxième chose qui m’inquiète beaucoup, on parlait d’ignorance et je me rends compte combien je suis ignorant. Tout le monde cite Monod et ceci et cela et moi et moi et moi ? (rires) Ça revient à dire que je suis affublé de croyances et que mes croyances me servent à avoir une petite idée de ce que pourrait être le hasard pour moi. Je me dis « Holà ! Faisons attention ! », parce que sinon on va cesser d’être des êtres humains ou simplement des copies conformes de ce qu’on apprend. En ce qui concerne les croyances, il y a une chose à laquelle je crois très fort : dans les sciences humaines on parle de saut épistémologique, avant, il y a un saut, à un moment donné ; il y a un saut qui se produit comme si une vérité nouvelle apparaissait. Je me demande, dans ce qui se passe au travers de la recherche scientifique, si finalement la recherche scientifique n’est pas sous une forme de catharsis, c’est-à-dire que toute une humanité est en œuvre et se pose la même question et que quelque part un homme va dire « ça y est, j’ai trouvé, Eureka ! ». J’ai l’impression que les avancées de la connaissance sont portées par tous.
Nadine : On fait un tour de table ?
Anne : Non, mais je veux bien dire : je ne sais pas ce que je fais sur terre, je suis là tout à fait par hasard.
Silence
Michel : J’ai une petite histoire : C’est un monsieur qui regarde le loto. « Mon Dieu, mon Dieu, je voudrais gagner au loto ! » et Jésus arrive et lui dit « Oui, Mais joue ».
Pierre M. : Je vais vous raconter une autre histoire. C’est un monsieur qui est né le 11 novembre 1911, il est décédé aujourd’hui, mais il a existé. Toute sa vie il a été obnubilé par le chiffre 11. Il habitait 11 rue du 11 novembre, à ‘armée il était chambre n°11 etc., Enfin le 11 l’a poursuivit toute sa vie. Un collègue de travail qui lui dit « Marcel, j’ai un bon tuyau pour toi, tu ne joues pas aux courses ? j’ai appris que dans la 11ème il y avait le cheval n°11 a une cote du tonnerre, si tu joues dessus tu vas gagner le gros paquet. » Il mise alors toutes ses économies sur le cheval. Et, ce fameux cheval arrive 11ème. Alors, est-ce que c’était le hasard ?
Rires
Mireille : C’est Elsa Triolet qui disait «« Les hasards de notre vie nous ressemblent »
Françoise : Moi aussi j’ai une petite histoire. C’est un monsieur ; quand il était petit sa mère lui disait tout le temps « toi tu auras toujours de la chance ». Elle lui répétait sans arrêt, et bien il a gagné deux fois au loto.
Brouhaha
Anne : Mais, combien de personnes a qui la mère a dit « tu seras écrivain » et qui ne l’ont pas été ?
Francine : Ici, on a tous un certain âge et donc tous on est né par le fruit d’un heureux hasard. Et maintenant ? Maintenant, qu’est-ce qui va se passer ?
Jacques : Je ne vais pas faire avancer le schmilblick, je vais remplacer un mot par un autre. Le hasard c’est un mystère.
Anne : Il y a une assez jolie définition, qui est donnée par André Breton, justement à propos du surréalisme : « Le hasard fait l’objet des préoccupations les plus constantes du surréalisme. La méditation sur le hasard a commandé sur le plan plastique, la plus grande partie de l’activité de Marcel Duchamp, d’Arp. J’ai consacré moi-même trois ouvrages à l’élucidation de certains phénomènes de hasard. Le hasard, ai-je dit, demeure le voile à soulever et j’ai avancé qu’il pourrait être la forme de manifestation de la nécessité extérieure qui se fraie un chemin dans l’inconscient humain »
Catherine : Quand tu parles de Marcel Duchamp, chez lui ce n’est pas du tout comme ce que je disais tout à l’heure « danser avec le hasard », c’est la distanciation qu’il prend devant les choses. Quand il fait ses ready-mades, ces choix d’objets qu’il présente comme des œuvres d’art, il décide de les choisir à un moment donné, à une heure donnée, il tombe sur un truc et ce sera ça. Là, c’est une espèce de prise de distance complète, en quelque sorte un certain déterminisme.
Pierre M. : Je voudrais revenir sur ce que vous venez de dénoncer. Breton dit que le hasard est le résultat d’une nécessité extérieure. Qu’entend-il par nécessité extérieure ? C’est une jolie expression qui peut être traduite par une volonté supérieure ou la destinée, je ne sais pas.
Anne : Je ne sais pas ce que voulait dire André Breton, moi personnellement j’ai tendance à être plutôt dans l’idée de ces croisements de chemins.
Françoise : Le dernier mot qu’il dit est « inconscient », donc « nécessité extérieure » ça a à voir avec nous-mêmes, avec la connaissance de nous. Parce que la connaissance de nous elle ne se fait pas toujours dans la volonté, elle n’est pas toujours dans « le je veux ça », elle peut tout à fait se tromper comme ça. Et du coup, c’est le hasard qui va faire que, par exemple ; voilà, je vais avoir un incident de voiture, donc je ne vais pas pouvoir aller à tel endroit. C’est notre nécessité qui vient plus de notre profond désir et qui nous ressemble plus, qui vient du domaine de l’inconscient, qui veut dire pas conscient, et nous mène vers la connaissance de soi. Le hasard nous permet ça.
Jean Max : Est-ce qu’on pourrait imaginer un monde sans hasard ? C’est-à-dire que tout ce qui nous dirige : politique, religieux, scientifique, est basé sur un équilibre déséquilibré. C’est une chose qui nous étonne, on ne sait pas quoi dire. Qu’est-ce que le hasard, pour toi c’est un moment, pour toi autre chose, c’est très difficile à cerner.
Pierre M. : Il y a un phénomène qui, bien que les prévisions soient bien meilleures qu’avant, donne l’impression de relever pas mal du hasard, c’est la météo. Ils avaient annoncé des pluies très abondantes : il pleut ici, trois kilomètres plus loin il ne pleut pas. La météorologie a fait des progrès énormes notamment grâce à l’informatique ; il y a des modélisations du terrain, les phénomènes qui conduisent à la neige, au verglas sont parfaitement connus, on arrive à des cartes météo qui ont l’air bien ficelées, hors, il y a un impondérable qui n’est pas négligeable. Est-ce que ça ne pourrait pas expliquer le hasard en disant que les causes sont trop complexes pour qu’on arrive à maitriser les effets. Par exemple, dans le lancement du dé, on sait très bien les lois physiques du choc sur une table, de l’énergie dans la manière de le lancer. Hors, c’est relativement aléatoire parce qu’il roule mais on peut parfaitement, par des calculs mathématiques, savoir comment il va arriver. On fait bien atterrir une fusée sur la lune.
Pierre F. : Je voudrais rebondir sur cette question de la météorologie. Vous disiez qu’on n’arrive pas à maitriser pleinement les choses. C’est parce que la science a tendance à dématérialiser les choses. Pour quelqu’un qui travaille la terre, ou qui a l’habitude de marcher, d’être dans son paysage, il va dire « tiens, ça sent la pluie ». Au niveau de la météorologie française on passe son temps à supprimer des emplois, à se passer des gens de terrain pour complètement livrer ces choses là à la mécanique, à la science etc.
Françoise m’a aussi beaucoup interrogé. Il me semble que s’il y a quelque chose de puissant en nous c’est de chercher à se connaitre. Il me semble que si on est centré sur ce sujet là, il n’y a plus de hasard. Tout se déroule d’une manière naturelle parce qu’il y a en soi la question fondamentale « qui suis-je ? ».
Catherine : On n’a pas parlé de ces mathématiciens qui étudient ces données de chance, les probabilités. C’est en fait l’étude du hasard scientifique.
Philippe C : Un éminent professeur de mathématiques, qui étudie les probabilités, dit que les probabilités font partie des trois mensonges : il y a le mensonge ordinaire, le sacré mensonge et ensuite les probabilités. C’est un professeur de la faculté de médecine de Poitiers qui l’affirme parce qu’on peut tout faire dire aux probabilités, il suffit de bien poser la question.
Brouhaha
Anne : J’ai trouvé quelque chose d’intéressant à propos des probabilités, c’est un peu sur le plan politique : Au Canada, certains représentants politiques régionaux sont tirés au sort, le tirage au sort est une forme de hasard. Il en est de même chez nous des jurés. J’ai lu, qu’à l’époque des doges, dans la république vénitienne, il y a eu sur un assez long temps, une façon de désigner le doge qui était une alternance de votes et de tirages au sort, qui brouillait tellement les choses que finalement on peut dire que le doge avait été choisit absolument par hasard.
Monique : Sur un plan politique, j’ai aussi lu quelque chose là-dessus, il y a des gens qui seraient très séduits par un retour à ce système. Parce que finalement ce serait assez représentatif, tandis que nos élites sont formatées par la société et sont, quelque part tous un peu pareils. Il y a des gens raisonnables, qui disent qu’il faut quand même la connaissance du métier, mais qu’introduire des gens tirés au sort serait l’officialisation de la statistique, c’est avoir un échantillon représentatif de l’ensemble du groupe.
Jacques : Dans la question « Le hasard est-il le fait du hasard », ce qui m’interpelle c’est qu’il y a deux fois le mot hasard dans la même question. C’est une question qui amène une réponse qui est oui, non ou peut être. Selon comment on y répond, qu’est-ce que ça va changer en nous ? Ça va induire quel type de pensée ?
Brouhaha : … beaucoup de choses…
Monique : Je redis pour la troisième fois, c’est que si le hasard n’est pas du hasard c’est qu’on admet qu’il y a un déterminisme. C’est comme ça que j’entends la question.
Anne : Ça rejoint la croyance. Jean Michel Maldamé que j’ai déjà cité, dit que la notion de hasard est complexe et qu’ « il y a lieu de distinguer entre : 1) le hasard empirique (la chance ou la malchance dans le jeu ou l’inconnu du futur) ; 2) le hasard mathématique (ce qui échappe au calcul ou à la prévision, l’imprévisible ou l’irrationnel) ; 3) le hasard physique (ce qui est le fruit de l’interaction de chaînes causales indépendantes, ou encore ce qui est fortuit, en particulier, pour les modernes, ce qui est sans finalité) ; 4) le hasard métaphysique (ce qui n’est pas nécessaire ou le contingent) ; 5) enfin, le hasard en théologie (où la notion a été référée à l’action imprévisible des dieux ou à l’arbitraire de la conduite divine, position récusée par la pensée monothéiste). » C’est vraiment une notion diverse et complexe, le hasard.
Brouhaha
Anne : A propos du séquençage du génome, j’ai relevé aussi les propos de Ségolène Aymé, généticienne directrice de recherche à l’INSERM. Elle dit : « Même dans le cas d’une maladie entièrement déterminée par la génétique, on ne peut prédire qu’une seule chose : que la maladie surviendra un jour ou l’autre. A quel âge ? Et quelle en sera la gravité ? Cela reste imprévisible. »
Monique : Pour la génétique j’aurais à dire parce que je m’y connais un petit peu. Ce n’est plus du tout déterminé par la génétique. Ce qui est maintenant avéré c’est que le milieu extérieur influence la génétique. C’est complexe mais ça s’explique.
Brouhaha
Agnès : Je crois tout à fait au hasard. Pierre a parlé des rencontres avec des personnes à qui on pense, pour moi c’est plutôt de la transmission de pensée. Il m’est arrivé une histoire, il y a des années de ça : j’habitais à 30km de Paris où j’allais une fois par semaine. Ce jour là, je rentre dans un magasin de chaussures, j’en fais le tour, et en sortant, je me trouve devant une amie que j’avais perdue de vue depuis plus de quinze ans qui, elle, rentrait. On se regarde et elle me dit « Agnès ». Cette amie demeurait à l’Ile de la Réunion. On s’est retrouvées dans un magasin de chaussures, par hasard. On s’est retrouvées à la porte, je sortais, elle entrait. Dans un autre lieu on ne se serait pas forcement vues. Pour moi ça n’a aucun sens sauf le plaisir que nous avons eu de nous retrouver, pour moi c’est du pur hasard, ou des circonstances extraordinaires, pour moi c’est la même chose.
Pierre M. : Vous avez vécu cet évènement, est-ce que ça a changé quelque chose dans le cours de votre vie ou dans celui de votre amie ?
Agnès : Non, même pas, c’est totalement gratuit. Il s’était passé des choses avant dans notre jeunesse, j’avais manqué me noyer dans le lac de Biscarosse et elle m’avait repêchée. On s’est retrouvée là, on s’est un peu revues, on n’a pas du tout les mêmes vies, mais après il n’y a pas eu de suite.
Brouhaha
Madeleine : Avec tout ce que j’ai entendu, je pense qu’il faut un petit peu de surprise, il faut laisser les choses se faire naturellement. Il y a du hasard heureux, il y a du hasard malheureux, mais delà à aller se triturer la tête sur plusieurs générations pour comprendre le pourquoi du comment, laissons faire les choses. Je trouve que c’est formidable de vivre des trucs comme Agnès. Et je voulais revenir aussi sur la tarte tatin, c’est beaucoup plus le fruit d’un geste malheureux que du hasard. C’est comme notre Pineau, ce n’est pas un hasard non plus.
Françoise : Le hasard est puissant, il n’est pas là pour nous embêter mais pour nous apporter quelque chose.
Annie : Ce que dit Françoise est important. La vie met sur notre route des clignotants et c’est à nous de les interpréter ou pas.
Francine : C’est le fil rouge de notre vie. Ce fil, je trouve ça extraordinaire, avec tous les hasards.
Monique : Comme Madeleine le disait se confier au hasard est parfois un meilleur maitre que notre volonté, parce qu’il est plus complexe, il brasse les dés.
Mireille : Avant qu’Anne ne conclue, je voudrais vous lire cette phrase de Pasteur : « Le hasard ne favorise que ceux qui y sont préparés. », donc qui le saisissent.
Fermeture des l’échanges (par Anne)
Le hasard peut avoir une connotation négative, ce sont les aléas, ou positive, c’est la chance. Quoi qu’il en soit, à ceux qui disent « il n’y a pas de hasard », j’ai envie de répondre que le hasard est partout à ceux qui ne veulent pas être manipulés ; qu’il nous rend intelligents, imaginatifs, créatifs, réactifs, poètes, bref, humains.
Poème (lu par Anne)
Poème tiré de « Paroles », de Jacques Prévert, évoqué au début :
LA BROUETTE
OU LES GRANDES INVENTIONS
Le paon fait la roue
Le hasard fait le reste
Dieu s’assoit dedans
Et l’homme le pousse.
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La question choisie à mains levées, sera: « Sur quoi repose mon identité»
Le thème choisi pour octobre est « La confiance ». Préparez vos questions.
Mireille PL
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