• Dépend-t-il de nous d'être heureux ?

     Introduction

    Analyse de la question.

     « Dépend-il de nous … » : Le verbe dépendre a plusieurs sens très différents. Considérons plutôt l’expression « Dépendre de ». Les synonymes les plus proches de dépendre de sont : découler de, résulter de.  Cette expression « dépendre de » renferme l'idée dominante de causalité.

     « … d’être heureux… » : Le Larousse définit cet état « Qui jouit du bonheur, qui est durablement content de son sort. Qui manifeste le bonheur ou qui est marqué par le bonheur » Qu’est ce que le bonheur ?

    Le Bonheur 

     Le nom bonheur,  comme son contraire malheur, et l’adjectif « heur - eux » est composé à l’aide de « heur », issu du latin « augurium » chance. « Bon - heur » signifiait donc au départ « bonne chance ». Ce sens a encore cours aujourd’hui pour signifier que les circonstances ont été favorables, exprimer le fait d’aboutir à un dénouement bénéfique grâce à un concours de circonstances favorables ou simplement grâce à un heureux hasard. «  Par bonheur le lait n’a pas débordé ». D’autres expressions expriment cette notion de chance : « A la bonne heure », « Au petit bonheur la chance » etc..

    Aujourd’hui, le mot «  bonheur est plus généralement employé pour décrire un état de satisfaction complète, de complétion des désirs, caractérisé par sa plénitude et sa stabilité. Il est distinct du plaisir, très éphémère, et de la joie, plus dynamique que le bonheur.

     Introduction au débat

     La question « dépend-t-il de nous d’être heureux ? » nous invite à nous interroger sur les conditions de notre bonheur et sur la possibilité d’être heureux. Il est vrai que le bonheur dépend de facteurs extérieurs face auxquels nous sommes souvent impuissants, mais justement, cette impuissance est-elle totale ? N’a-t-on pas des moyens de « faire » notre bonheur ? Et ces moyens sont-ils des limites à leur tour ?

     Débat

     Madeleine : J’adhère à la définition du bonheur de Raoul Follereau  « Le bonheur c’est de vivre si haut en son âme que les misères de la terre ne puisse vous atteindre »

    Monique : On peut s’étonner de cette citation qui doit avoir deux degrés de compréhension. C’est étonnant que Madeleine qui est très sociable dise qu’en somme pour bien vivre c’est un peu faire abstraction des autres, à la limite c’est égoïste, mais je ne le crois ni d’elle, ni de Raoul Follereau. Peut-être faut-il penser que notre bonheur peut en apporter aux autres aussi, qu’il y a une certaine contagion du bonheur. En ayant ce sentiment égocentrique du bonheur, on peut faire du bien aux autres aussi.

    Jacques L. : Je pense quand même, qu’il est difficile de s’exonérer de l’amitié et de l’amour qu’on peut avoir pour nos proches ; même si on a une grande capacité de se détacher des choses extérieures, s’ils ont un accident de la route, voire une maladie grave, cela me semble difficile de ne pas éprouver une certaine souffrance vis-à-vis d’eux. J’entends bien que le moine qui vit tout seul dans son ermitage, qui n’a pas de famille, étranger à tout ce qui se passe dans le monde, puisse trouver le bonheur dans la méditation. Mais c’est un cas particulier, pour nous les malheurs de nos amis, de notre famille, ne peuvent pas ne pas nous toucher.

     Mireille : Pour répondre à Jacques, je dirais comme  Marie Portelance  (thérapeute en Relation d’Aide et pédagogue) que « Le bonheur n’est pas l’absence de souffrance. Le bonheur est inaccessible si nous croyons que l’atteindre signifie vivre dans un monde idéal sans imperfection, sans douleur, sans souffrances. Cette conception n’existe que dans les contes de fées. […] Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, le bonheur peut cohabiter avec l’imperfection, l’inconfort et la souffrance parce que le bonheur ne se trouve pas dans un monde idéal, dans le futur ou dans le passé. Il est inatteignable quand nous le cherchons dans l’absolu, mais tout proche quand nous arrivons à vivre le moment présent en pleine conscience. » On peut être triste du malheur des autres tout en restant nous-même dans la paix et la sérénité.

    Anne : Je suis un petit peu étonnée parce qu’il me semble qu’on parle là d’un état de bonheur constant, ce qui me paraît excessivement difficile. Je ne suis même pas sûre que le moine que tu évoques soit lui-même constamment heureux. Par contre, qu’on puisse être capable de vivre des moments de bonheur doit être possible. On peut constater que parmi les philosophes, il y a les pessimistes et les optimistes de nature ; et puis quand même, épicurisme, stoïcisme, hédonisme, eudémonisme,  sadisme (recherche du plaisir dans la douleur infligée à autrui), masochisme, les religions, tous nous propose une recherche du bonheur. L’être humain n’est sans doute pas heureux au départ. Quand à être heureux constamment j’ai des doutes. Etre capable de trouver des moments de bonheur c’est déjà une bonne chose.

    Monica : Je pense comme vous que le bonheur ne peut être que des moments. Je crois aussi qu’il y a des gens qui sont plus doués que d’autres pour le bonheur, pour ressentir un bien être, une plénitude à certains moments. Pour autant, ça ne les rend pas égoïstes, ça ne les coupe pas de l’empathie qu’ils peuvent avoir pour d’autres. Etre heureux en profondeur personnellement ne construit pas une barrière autour de soi, et au contraire permettre d’être plus à l’écoute des autres pour essayer de leur communiquer ce bonheur et les aider à être un peu mieux.

    Marie-Claude : Je crois que parfois on ne se rend pas compte du bonheur qu’on a, ce n’est qu’après qu’on le constate. On a vu un beau film, un beau paysage, sur le coup on pense à autre chose, ce n’est qu’après qu’on prend conscience que c’était un moment de bonheur. Quand on n’est pas de nature très optimiste on a au moins ça, pouvoir constater, une fois passé, un moment heureux.

    Anne : Par rapport à ce que tu dis, le fait de pouvoir retrouver le bonheur, c’est d’en prendre conscience. Le fait de se dire « ah, j’ai été heureuse à ce moment là », nous donne la capacité de le retrouver.

    Madeleine : Il est évident que le bonheur, d’une façon générale, est beaucoup plus une succession de bons petits moments. N’ayons pas peur de les vivre.

    Marie-Christine : Je vous ai déjà parlé, lors d’une rencontre ici, de ce roman de science fiction « Un bonheur Insoutenable » où tout le monde était tellement heureux que s’en était insupportable,  il montre aussi que ce qui rend la vie belle c’est qu’elle soit vulnérable. Je voulais aussi vous parler de ce délicieux petit livre «  Le bonheur, désespérément » d’André Comte-Sponville, il nous ramène juste à une posture : le bonheur sans espérance. On peut être désespéré et profondément heureux, c'est-à-dire en ayant pas à attendre quelque chose, être juste à accueillir ce qui vient, cette souffrance. L’espérance est de l’ordre de l’imposture.

     Pierre F. : Le premier questionnement, ce sont les mots. On aurait pu dire le bonheur c’est du contentement, c’est de la joie. Or, dans ta définition, tu plaçais plutôt le bonheur comme un état constant de plénitude durable. Là nous parlons plutôt de moments, d’instants. Si on pense plutôt stabilité, continuité, à ce moment là, je pense que c’est vraiment quelque chose d’intériorisé, tu parlais de posture, ce serait quelque chose qui transpire à l’intérieur de soi au fil des années. Pour ma part, par exemple, je dirais que c’est ma quête d’authenticité dans mes relations avec les uns, les autres et même envers moi-même. On pourrait appeler ça « bonheur » dans la mesure où ce serait quelque chose qui se serait accordé, se serait mis ensemble pour être durable. Ça veut dire en clair qu’on peut à la fois se trouver dans cette espèce d’état de plénitude, et, en même temps, recevoir tous les malheurs du monde ; ne pas être malheureux en soi et être extremement touché par ce qui peut arriver à nos amis. J’ai des copains qui meurent, ça fait drôle,  mais en même temps je fais du mieux que je peux avec moi-même. « Faire du mieux qu’on peut avec soi-même » serait une définition du bonheur.

    Philippe C. : Je poserais seulement une question : Qu’est-ce que ça veut dire être heureux ? Qu’est-ce que ça veut dire « le bonheur » ? J’ai du mal à répondre sans au moins donner une notion de plaisir ; et si on parle de plaisir, d’où vient-il ? Le plaisir n’est-il pas lié au manque ?

     Anne : Alexandre Lacroix donne une définition du bonheur : « Le bonheur se conçoit d’ailleurs de deux façons : dans sa forme la plus intense, il s’agit de jouissance, d’un assouvissement concret et actif de nos désirs ; dans une forme douce, moins exigeante, il se résume à un simple bien-être, c’est-à-dire à une espèce de santé, incluant l’absence de souffrances et la satisfaction des besoins élémentaires, comme la faim, la soif, la protection contre le froid, les intempéries…. »… « Le bonheur n’est ni seulement physique, ni seulement intellectuel : il est mélangé, il ressemble plutôt à ce qu’il conviendrait d’appeler, si une telle expression est pertinente, une sensation morale. Sensation, le bonheur l’est dans la mesure où il dépend des interactions avec le monde et les autres ; il ne s’agit pas d’un phénomène psychique autarcique, qu’on pourrait atteindre dans une absence complète de contacts avec ce qui nous entoure. Et pourtant, celui-ci n’a rien d’un orgasme ni d’une explosion gustative, il est en même temps moral, dans la mesure où il mobilise l’ensemble de nos représentations et semble même, mystérieusement, ramener celles-ci à l’unité, s’approchant ainsi d’une réconciliation. Le bonheur est la suppression momentanée de l’écart entre la pensée et la vie, la cessation provisoire des conflits qui nous agitent. »…

     Monica : J’en reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure, pour chacun le bonheur peut prendre des formes différentes. Il est important de tenir compte de nos désirs, nous avons chacun des désirs différents et je crois que le bonheur représente quelque chose de différent pour chacun d’entre nous. La notion de bonheur est vraiment très personnelle, très subjective.

    Jacques L. : Je suis tout à fait d’accord que le bonheur est un principe de sensation morale qui est toute relative parce que chacun va y trouver des sensations de façon différente en fonction de ses désirs et plaisirs. Le problème est dans les évènements malheureux, ce sont, à priori ceux qui vont le plus nous toucher. Un divorce va amener des manques, le manque des enfants et le manque affectif. Le mot manque me plait beaucoup. Le bonheur réside peut-être dans le fait que, moralement on n’éprouve pas de manque, on peut limiter nos désirs, on peut ne s’attacher qu’aux désirs nécessaires à une vie simple. Mais il faut aussi qu’il ne nous tombe pas des malheurs. Si on a du mal à définir le mot « bonheur », c’est peut être par son contraire, « le malheur », qu’on le reconnait.

     Jacques : Le bonheur est quelque chose d’essentiellement relatif à ce qu’on perçoit. On perçoit chacun des choses très différentes en fonction de notre corps mais aussi de notre mental, et des expériences psychiques qu’on a vécues les uns et les autres qui sont tout à fait différentes de celles de notre voisin.

     Marie-Christine : Je serais plus proche du point de vue de Pierre. Bien sûr vous avez raison, mais on s’approche d’une définition universelle ; tu parlais de « faire de son mieux », c’est un accord de paix ; ça parait très modeste alors qu’en réalité c’est très ambitieux d’être en accord, en harmonie avec soi, peu importe ce qui va arriver. Je ne dis pas que ça va t’empêcher d’avoir des malheurs, mais ça va te permettre de les accueillir différemment.

     Nathalie : C’est un état d’esprit, on est pessimiste ou optimiste. Un pessimiste ne sera jamais heureux. J’ai l’exemple d’une gamine de 16 ans qui est dans un état de santé absolument épouvantable, elle a une espérance de vie maximum de 30 ans, mais qu’est-ce qu’elle est heureuse de vivre. Quand vous passez ne serait-ce qu’une heure avec elle vous en ressortez avec une pêche phénoménale. Quand on la voit, le bonheur semble si simple.

     Mireille : Etre pessimiste ou optimiste ne dépend pas que de nous. Devant les malheurs on a des réactions différentes qu’expliquent les neurosciences. Une grande étude sur les liens entre les gènes et les comportements humains a été menée par 190 chercheurs de quatorze pays. Ils ont réussi à identifier trois variations génétiques liées au bien-être, deux liées à la dépression et onze au névrosisme. La publication scientifique rappelle que nos gènes conditionnent certes de manière importante notre disposition au bonheur, mais ils ne la déterminent pas. Ils fondent en grande partie notre structure émotionnelle, mais, comme le dit Spinoza, nous pouvons agir sur nos émotions et nos états d’âme. Il y a des pessimistes maladif mais il y a aussi des optimistes pathologiques, une joie de vivre excessive peut mener à l’hystérie. Comme le disaient Jacques et Madeleine, nous dépendons de misères extérieures à nous mais nous dépendons aussi de nos réactions physiologiques et neurologiques qui sont involontaires. Mais, est-ce pour autant que nous n’ayons pas la possibilité d’intervenir sur nos comportements qui en découlent par un travail sur nous ?

     Madeleine : Je pense que quand même que le bonheur ne nous tombe pas systématiquement dessus. Je pense que c’est quelque chose qui s’élabore, qui se trouve. Quand sortez heureux d’un évènement festif c’est bien vous qui avez fait l’effort d’y aller. Le bonheur ça se construit, ça se fabrique. C’est fait de petits riens, ça peut aider d’aller toujours de l’avant, d’être curieux.

     Anne : Pour aller dans le sens de ce que disait Nathalie, le philosophe Alain est un homme particulièrement optimiste et doué pour le bonheur. Je vais vous lire une citation peut être un petit peu longue excusez moi. « La vie est bonne par-dessus tout ; elle est bonne par elle-même ; le raisonnement n’y fait rien. On n’est pas heureux par voyage, richesse, succès, plaisir. On est heureux parce qu’on est heureux. Le bonheur, c’est la saveur même de la vie. Comme la fraise a goût de fraise, ainsi la vie a goût de bonheur. Le soleil est bon ; la pluie est bonne ; tout bruit est musique. Voir, entendre, flairer, goûter, toucher, ce n’est qu’une suite de bonheurs. Même les peines, même les douleurs, même la fatigue, tout cela a une saveur de vie. Exister est bon ; non pas meilleur qu’autre chose ; car exister est tout, et ne pas exister n’est rien. […] Nous voulons voir, toucher, juger ; nous voulons déplier le monde. Tout vivant est comme un promeneur du matin. […] Toute vie est un chant d’allégresse. »

     Monica : Là je parlerais plutôt la joie de vivre, la joie d’exister. Il y a des notions un peu différentes entre le bonheur et la joie. Voir une fleur éclore est, pour moi, un moment de joie, ce n’est pas le bonheur.

     Anne : Je me demande s’il n’a pas pris le parti de gommer tout ce qui pouvait le rendre malheureux. Je pense quand même, comme je le disais tout à l’heure, que quand on prend conscience de ça, de ces choses toutes simples, qu’on y réfléchit, qu’on fait un travail là-dessus, il me semble que c’est un chemin qui permet d’aller vers ce bonheur et cette faculté de donner un peu de bonheur aux autres aussi.

     Philippe C. : Le problème de l’origine du bonheur, d’être heureux, du plaisir, c’est que s’il y avait une réponse, à mon avis, on n’en parlerait plus. Ça fait quand même très longtemps que les gens se posent cette question. Depuis la nuit des temps on se pose cette question « qu’est-ce que c’est le bonheur, qu’est-ce que c’est qu’être heureux ? ». Tous les philosophes depuis l’antiquité jusqu’à nos jours continuent de se poser la question et donnent des méthodes pour arriver au bonheur. Vous avez parlé d’harmonie, le mot renvoie à un thème qu’on connait bien en philosophie, en particulier en philosophie ancienne, qui est d’obtenir l’ataraxie, cet état neutre, sans excès, entre les vertus, chercher la vérité. C’est intéressant mais je constate que tous ces philosophes de l’antiquité en passant par Voltaire, par Montaigne, et en arrivant aux dernier, Deleuze, Sponville ils n’ont toujours pas trouvé la bonne méthode.

     Mireille : Je voulais justement parler de l’ataraxie dont tu as déjà parlé quand on a débattu sur la quête de soi. Je vais parler d’un petit vécu personnel : Nous étions en vacances avec mon beau-fils alors âgé d’une dizaine d’année et j’avais été choquée par la maxime imprimée sur une carte que lui avait envoyée sa mère. La citation de Mozart inscrite sur la carte est « ni heureux, ni malheureux, mais bien vivant » à l’époque je ne l’avais pas comprise. C’est quand tu as parlé d’ataraxie que le souvenir est revenu. Je ne pense pas que le bonheur se trouve là entre ces deux états qui sont très physiques, très terrestres. J’ai envie de dire que le bonheur se situe au niveau de l’esprit, de la spiritualité (sans aucune connotation dogmatique religieuse). C’est pour ça qu’il est si difficile à cerner, à définir.

    Pierre : Dans ce livre « Du Bonheur » de Frédéric Lenoir j’ai noté les recettes pour être heureux de deux philosophes. La première est de Flaubert: «  Etre bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. Si la première vous manque tout est perdu » c’est un peu provocateur mais vu l’auteur ça mérite réflexion. C’est vrai qu’en ne se posant pas trop de question on est tranquille ; on parle souvent des imbéciles heureux. Deuxième méthode celle de Voltaire : « Je me suis dit cent fois que je serais heureux si j'étais aussi sot que ma voisine, et cependant je ne voudrais pas d'un tel bonheur ». Là encore on entend qu’une certaine simplicité d’esprit contribuerait au bonheur. Bien sûr je prends ça comme une boutade ce n’est certainement pas la recette pour être heureux.

     Brouhaha

     Monique : Je crois que j’ai une réponse qui est bête. Etre heureux c’est être vivant. C’est un instinct de la vie. Il y a une exception c’est le suicide, quand on n’est plus heureux, on se suicide. Je pense que si on accepte de vivre quelques soient les circonstances, c’est qu’on a un bilan positif, on a du bonheur malgré les malheurs. On dit que dans les camps de concentration il y a eu des amitiés, des moments très chaleureux qui ont apporté quelque chose de positif. On a parlé tout à l’heure de soins palliatifs. J’ai côtoyé des malades cancéreux, en fin de vie, et j’ai mis plusieurs années à comprendre qu’un de leurs besoins était de rigoler. Je pense que le bonheur est très lié à l’instinct de vie, c’est animal.

     Jacques L. : Je veux bien que, parce qu’on est en vie on trouve un minimum de bonheur, mais ça me semble un peu réducteur. Je ne sais plus quel philosophe a dit que « Tous les hommes cherchent le bonheur, même ceux qui vont se pendre. » Je pense qu’il y a une différence entre l’instinct de vie quand on est sur un lit d’hôpital ou en camp de concentration et le bonheur. La vie c’est peut être mieux que ce qui nous attend après même si les religions nous parlent du paradis et des 72 vierges.

     Pierre F. : Je voudrais revenir sur la citation d’Alain qui, pour moi, n’est pas à dédaigner dans la mesure où elle parle de nos capacités à  être des êtres sensibles. Le contact avec la nature peut être en lui-même bon et crée cette joie de vivre. Le bonheur c’est la joie de vivre. On est nombreux à en disposer, peut être pas tous. La deuxième chose, tu parlais de méthodes, mais pourquoi on en parle tant ? Si on parle tant du bonheur c’est que rien n’est jamais acquis c’est toujours à construire et pour chacun.  C’est un problème éternel parce que chacun à un moment de sa vie se posera la question. Cette question du bonheur est en rapport avec le sens que je donne à ma vie, pour moi c’est la question ultime « quel sens je donne à ma vie ? ». Pour terminer, quand on parle de méthode, chacun trouve la sienne. Par exemple, pour moi, la méthode est de ne jamais négliger un désir. Quand un désir se présente je le fortifie et je n’ai qu’une idée en tête c’est de pouvoir aller jusqu’au bout de ce désir. C’est vrai que ce chemin vers le bonheur est tout à fait individuel, personnel.

     Anne : Je me pose une question sur ce que tu as dit : depuis les temps les plus anciens les philosophes se questionnent sur le fait de pouvoir être heureux, trouver le bonheur, ou en tous cas trouver une certaine sérénité ; et aussi à ce que proposent les religions. Est-ce que ça ne nous dit pas justement que la vie est un gouffre de souffrances et qu’on se questionne pour essayer de sortir de là ? Est-ce qu’au départ, au contraire de ce que tu dis Monique, la vie n’est pas douloureuse, ce qui fait que l’homme cherche un chemin pour en sortir ?

     Mireille : Pour aller dans ce sens, j’ai l’image de l’escargot ; La vie n’est pas à l’extérieur de moi mais à l’intérieur de moi, mon bonheur il n’est pas à l’extérieur de moi il est en moi, dans ma coquille qui est mon apparence physique ; comme l’escargot quand je sors mes antennes je perçoit le monde, il est beau et laid, il est doux et agressif ; comme le dis Madeleine je vois toutes les misères du monde ; comme l’escargot je rentre dans ma coquille mais je suis chargée de toutes ses perceptions, de toutes ces sensations. Ma liberté est alors soit de me laisser empoisonner par elles, soit de les transformer, de les digérer. Dans le premier choix nait le chaos intérieur qui me rend malheureuse ; dans le deuxième choix  c’est la paix, la sérénité et le bonheur. On n’a pas besoin de le donner il transpire par tous les pores de la coquille. En lisant le livre de Fréderic Lenoir dont a parlé Pierre, j’ai cette image qui m’est venue. On nait avec le bonheur en nous, notre problème c’est de ne pas en être conscient et de le chercher à l’extérieur de nous et de souvent l’attendre des autres.

     Jacques L. : Le bonheur, il n’est pas évident, on a tellement d’occasion d’avoir des malheurs. La religion catholique part du principe que le bonheur, on ne va pas l’atteindre sur cette terre, parce qu’on est tous des pêcheurs, on se fait du mal les uns les autres. Pour la religion catholique ce n’est que si on se comporte bien sur terre que le paradis on l’obtiendra après notre mort.

     Brouhaha

     Jacques : Le bonheur fait partie de la pleine conscience de nous même et de toute la nature qui nous entoure, mais surtout de notre état de finitude et d’assumer notre état de finitude. Alors, selon certaines croyances là haut il se passe quelque chose avec des vierges ou non, mais il y en a d’autres qui pense que tout simplement c’est la nature ; d’ailleurs, si on se réfère à Spinoza, lui pensait à cet état de nature et, cette pleine conscience que l’on a de tout ce qui nous entoure permet d’assumer notre état de finitude. C’est là une parcelle de bonheur.

     Pierre : Il y a un terme qui a été employé souvent : pleine conscience. Dans ce terme il y a le mot conscience ; la sensation du bonheur ne va pas sans une prise de conscience qu’on est heureux. J’ai pensé, à un moment donné, que le mot qui conviendrait le mieux est « célébration ». C'est-à-dire que, c’est vrai qu’on est beaucoup plus touchés par les malheurs, par les choses négatives,  ça nous impacte plus, on fait le buzz autour de ça, mais lorsque quelque chose de positif, de faste, d’heureux nous arrive ça fait un peu mièvre d’en parler si bien qu’on n’en a pas toujours conscience. Le bonheur ne va pas sans cette prise de conscience, cette célébration de ce moment heureux. Je ne parle pas d’un moment de plaisir qui souvent est fugace, mais du bonheur qui a une certaine durée dans le temps. La question d’aujourd’hui est « Dépend-t-il de nous d’être heureux ? », c’est dans cette prise de conscience des moments heureux qu’on a un grand rôle à jouer.

     Anne : J’en profite pour revenir sur ce que tu dis. Le fait d’être conscient qu’on est heureux permet de mieux le savourer mais aussi de se poser des questions dessus. Je vais vous donner un truc à moi que je pratique : par exemple, j’aime la musique et je sais que certaines musiques, quand je les écoute vraiment, vont me mettre dans un état de profond bonheur ; quand je n’ai pas le moral, que je me sens mal, je m’oblige à en écouter parce que je sais qu’au bout d’un moment le marasme va s’effacer, je vais retrouver ce moment de bonheur qui ne durera pas mais qui va me remettre en selle. Je crois qu’être conscient de ces moments de bonheur, mais aussi de les analyser, de méditer dessus, nous permet de les retrouver artificiellement si on en a besoin. Je pense donc qu’il dépend de nous d’être heureux.

     Jacques L. : On peut effectivement, comme tu le dis Anne, faire des efforts pour retrouver du bonheur. Je vais prendre un autre exemple, celui du couple. Si vous avez une première femme et que ça se passe mal, au bout de 10 ans vous divorcez ; Vous vous mettez en ménage avec une seconde femme avec qui ça se passe bien ; si on raisonne un peu comme tu l’as dit, parce qu’on n’est pas des animaux, on a une conscience mentale, on va se dire « oui, avec cette seconde femme je suis heureux ». Je pose la question est-ce que ça ne dépend que de nous ? Ça dépend peut être aussi de la compagne qu’on a choisie. Tout ça pour dire que le bonheur ne dépend pas que de nous. Il dépend des évènements extérieurs, il dépend des autres.

     Nathalie : Le bonheur dépend de la conscience, mais aussi de nos attentes. J’en connais qui le 31 décembre ont été réveillés en sursauts, ils venaient d’être cambriolés, ils ont dit «  Ce n’est pas grave, on va tout nettoyer, rien ne nous empêchera de faire la fête » et ils ont passé une heureuse soirée. Ce ne sont pas des gens de l’extérieur qui les en ont empêché. Le bonheur dépend de nous, de nos réactions face aux agressions extérieures. C’est leur propre volonté qui a fait qu’ils ont passé un moment heureux.

     Marie-Christine : Pour aller dans le sens de Nathalie, je pense à ces migrants qui ont tout perdu et se refont rapidement une vie, qui ont le sourire et qui arrivent comme le dit Alain « à voir se déployer le monde » malgré tout. Ça veut dire que, bien que les circonstances les ont écrasés, ils trouvent un mode de survie, ils font avec ça et gardent le sourire parce qu’ils font confiance.

    Pierre F. : Ce qui m’apparait du bonheur, c’est qu’on dirait qu’il ne tient qu’à un fil. Par exemple, quand tu parles de finitude, ou quand tu dis que lorsque ça ne va pas très bien tu t’installes et écoutes de la musique. Je me demande : est-ce là le retour du bonheur ou au contraire est-ce qu’on atteint un autre état qui me parait beaucoup plus proche de la sérénité que du bonheur ? Je constate qu’on faillit souvent, on parle du bonheur mais ce n’est pas tout à fait cet état qu’on décrit. C’est très difficile de rester sur cette de notion de bonheur.

     Mireille : Plusieurs personnes ont dit que le bonheur c’était de petits moments heureux, qu’il n’a pas de longévité. Dans ma jeunesse j’ai beaucoup appris de « La Divine Comédie » de Dante. Dans « L’Enfer (chant 5) » il dit « Il n'est pas de plus grande douleur que de se souvenir des temps heureux dans la misère. » ce à quoi lui répond Musset « Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur ? […] Un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le bonheur. ». Je suis d’accord avec Musset, il n’y a pas de bonheur qui ne se prolonge pas dans le souvenir. Quand on parle de conscience du bonheur ce n’est pas forcément au moment où on le vit, on le touche, mais bien souvent dans nos souvenirs, où il redevient vivant. C’est pour moi ce qui fait la différence entre plaisir et bonheur. Les moments de plaisir, comme ceux de joie doivent être physiquement vécus pour exister, être ressentis, pas le bonheur car il n’est ni une sensation comme le plaisir, ni une émotion comme la joie. Il n’est ni inscrit dans nos sens physiques, ni dans notre affect, mais au plus profond de nous-mêmes dans notre âme comme le dit Raoul Follereau  qu’a cité Madeleine.

     Monique : Quand Jacques explique le bonheur dépend de la partenaire, je me demande si on reste le même vis à vis de partenaires différentes. A-t-on une preuve que ça vienne de l’autre ? Est-ce que dix ans après on n’a pas changé…

    (Parasites rendant inaudible la suite de l’intervention)

    Pierre F : Je reviens sur la question « le bonheur dépend-t-il de soi ou des autres ? ». Je pense que ça dépend vraiment de nous, c’est comme si on était en capacité de se mettre dans un état fertile. C'est-à-dire de recevoir les évènements, de recevoir les êtres d’une manière qui nous emplissent de joie ou de bonheur. Je crois vraiment que c’est en nous qu’il se niche.

    Jacques : je me demande quelle est la relation qui existe entre le bonheur et l’espérance. Il y en a qui espèrent beaucoup de choses, que ce soit là haut ou ailleurs. Mais, justement, là haut pose question par rapport à notre finitude. Ceux qui n’espèrent pas et qui se font une autre image de ce qui peut se passer après, ils ont une notion du bonheur tout à fait différente.

    Jacques L. : Je pense que le bonheur on peut l’éprouver, comme l’a dit Mireille, si on analyse ce qui nous est arrivé dans le passé, par le souvenir. On peut aussi dans le moment présent se dire «  oui, je suis bien, je n’ai pas de souci ». On peut aussi songer à ce qui peut se passer dans l’avenir et se dire «  comment vais-je trouver mon bonheur, celui des autres, celui du monde ? ». A mon avis, le bonheur s’analyse dans le temps qui est le passé, le présent et l’avenir.

    Pierre : Dans les exégèses sur le bonheur, il y a une chose qui est souvent dite dans les préambules,  encore sous forme de boutade qui méritent réflexion. C'est que bien souvent on est attaché à ce qu’on n’a pas, comme par exemple : pour le malade le bonheur serait de retrouver la santé, pour certains célibataires, le bonheur serait de trouver l’âme sœur etc. L’idée de dire que le bonheur c’est en fait la quête de ce qu’on n’a pas, bien que très réducteur, est en partie vrai. Moi, je reste sur l’idée que le bonheur est une prise de conscience qu’il nous arrive une chose agréable, de bien, de durable.

     Mireille : Pour faire suite à ce que tu dis « le bonheur c’est ce qu’on n’a pas », j’ai une citation d’un inconnu  que je trouve très poétique et très belle : « Le bonheur, c'est la pluie là où il ne pleut pas... Le bonheur, c'est le soleil là où il ne brille pas... Le bonheur, c'est le bien qui te comblera quand tu l'auras, c'est l'être qui attisera ton cœur quand il sera près de toi... Le bonheur, c'est l'enfant aussi qu'il te donnera... Le bonheur, c'est la vie quoi... »

    Jacques L. : Il y a un philosophe qui était pessimiste, je crois que c’est Schopenhauer, qui disait que du moment qu’il y avait un manque, le bonheur ne pouvait pas exister.

    Jacques : Schopenhauer, il s’est suicidé.

     Monique : J’ai déjà parlé du suicide, je crois vraiment que lorsqu’on n’est pas heureux on se suicide. La grande torture c’est d’empêcher les gens de se suicider ou de les ramener à la vie. Je me suis parfois demandé si on n’était pas très prétentieux de vouloir sauver contre eux- mêmes les grands déprimés. Ça rejoint le problème de la liberté. Mon professeur de philo nous disait « on est libre tant qu’on peut se suicider ».

     Anne : Une citation d’Albert Jacquard qui évoque un peu le rôle de la société : « Si le plaisir nous est procuré par notre corps, le bonheur, lui, est une harmonie de toute notre personne. […] Chacun a droit, non au bonheur, mais à une organisation collective qui ne mette pas d’obstacle à sa poursuite […] Mais la société ne peut assurer le bonheur de chacun… »

     Brouhaha : A propos d’Albert Jacquard biologiste

     Mireille : Le rapport de notre bonheur et de la société était le thème de l’émission « Grand bien vous fasse », vendredi dernier (le 26)  sur France Inter à 10h. Les questions débattues étaient : Est-on heureux de la même manière à travers le monde ? Quelles sont les facteurs de bonheur qui restent invariables quelque soient les cultures ? Comment mesure-t-on le bonheur et peut-on comparer des pays économiquement et socialement différents ? Il y avait trois intervenants : Meik Wiking fondateur de l'Institut de recherche sur le bonheur de Copenhague, Malene Rydahl spécialiste du bonheur, auteur de « Le bonheur sans illusions » et Alexandre Jost président fondateur de la Fabrique Spinoza. Ils font tous des recherches sur le fait social qui aide au bonheur. Pendant 1h ils exposent quelques résultats de leurs travaux. C’est très intéressant, je vous conseille de l’écouter en replay et d’aller sur le site de La Fabrique Spinoza. J’ai noté entre autre que les Français se révélaient comme un peuple malheureux ; une des hypothèses est que ça vient du fait, non pas qu’il a un caractère de râleur, mais que dès le plus jeune âge on inculque aux enfants l’esprit de comparaison et de compétition. Ils parlent aussi de l’empire du Bhoutan, petit royaume bouddhiste, coincé entre l’Inde et la chaîne de l’Himalaya,  qui venant de sortir de son isolement, cherchait à préserver son identité. Le jeune roi a voyagé dans tout le pays pour voir comment les gens vivaient, il leur a demandé quels étaient leurs espoirs et aspirations et la réponse était toujours la même «  nous voulons le bonheur ». Le roi a alors consulté et  cherché quelle était la meilleure manière d’atteindre cet objectif.  Il a constaté que de nombreux pays en particulier les pays en voie de développement avaient sacrifié  leur souveraineté, leur culture, leur environnement, leurs valeurs au nom de la croissance économique.  C’est ainsi que lui est venu cette idée du BNB (bonheur national brut)  fondé sur quatre principes : la croissance et le développement économiques ; la conservation et la promotion de la culture ; la sauvegarde de l’environnement et l'utilisation durable des ressources ; et enfin la "bonne gouvernance responsable".  Chaque loi est étudiée en fonction de son impact sur le bonheur du citoyen. De grands patrons occidentaux essayent aussi d’aller dans ce sens.

     (Parasites rendant inaudible la suite de l’intervention)

     Madeleine : C’est vrai que le fait social n’est pas à ignorer, mais il faut être réaliste aussi. C’est beaucoup plus facile d’être heureux quand on a tout autour de soi. Ça me fait penser à Saint-Just quand il disait « Le bonheur est une idée neuve en Europe » ; on osait parler de bonheur en  1794, alors qu’aujourd’hui si on parle de bonheur ou si on dit qu’on est heureux, on passe pour quelqu’un un petit peu à part ?

     Pierre : Dans l’introduction, Mireille, tu as énuméré les différentes sciences qui s’occupent du bonheur : sociologie, psychologie etc. et je crois que tu as cité également les investigations physiologiques c'est-à-dire l’analyse froide de l’action d’un organe comme le cerveau. Il apparaitrait, qu’effectivement, les individus n’ont pas tous les mêmes capacités à percevoir le bonheur. Pour revenir à la question de base à savoir si le bonheur dépend de nous ou pas, il y en a qui sont plus favorisés que d’autres dans cette quête du bonheur. Comme on parle un peu d’espaces personnels, dans ce bouquin « Du Bonheur » de Fréderic Lenoir, il dit qu’on peut parler de certains sujets philosophiques parce qu’il y a une certaine distanciation.  Quand on parle du respect on n’est pas obligé de s’impliquer, alors que parler du bonheur on est quelque part partie prenante et on s’implique d’avantage. J’irai donc de ma petite expérience personnelle. J’ai pas mal vécu dans des pays sahéliens, pour bien se reposer il faut la climatisation parce que le thermomètre monte à 45° le jour et la nuit ça descend à 37/38. On souffre beaucoup de la chaleur, on transpire, on essaye de trouver un peu d’ombre, et alors vous avez ce moment de bonheur intense quand il y a un léger souffle de vent, cette petite brise qui rafraichi le visage. Il ne faut pas grand-chose pour se sentir heureux, ça fait du bien d’en être conscient.

    Jacques : C’est fou le nombre d’ouvrages sur le bonheur qui ont été écrits. Je suis étonné qu’il n’y ait pas « Le Bonheur pour les Nuls »

    Mireille : Si ça existe, il y en a même trois sur ce thème.

    Marie Christine : Il y a une quinzaine d’années est paru un livre de Pascal Bruckner « L’Euphorie perpétuelle ». Il dénonce cette injonction d’être heureux à tout prix, ce culte du bonheur qui peut rendre malheureux. Peut être a-t-on le droit de faire autre chose. Tous ces bouquins sur le bonheur, le bien-être, répondent à une véritable stratégie sociale.

    Anne : Oui, j’allais justement en parler parce qu’effectivement on a cette espèce de fait de société, qui est peut être spécifique à nous, français. Je ne sais pas si vous avez remarqué quand on rencontre quelqu’un on parle de la météo « qu’est ce qu’il pleut, quand reverra-t-on le soleil » ou « j’ai mal ici, j’ai mal là » ; on est souvent dans des relations aussi superficielles qui soient ; on est très négatifs, très pessimistes. D’un autre côté on croule sous les injonctions au bonheur. Je dirais heureusement qu’à côté il y a Pascal Bruckner qui remet un petit peu les choses en place. Il dit « Soyez heureux ! Sous son air aimable, y a-t-il injonction plus paradoxale, plus terrible ? Elle formule un commandement auquel il est d’autant plus difficile de se soustraire qu’il est sans objet. Comment savoir si l’on est heureux ? Qui fixe la norme ? Pourquoi faut-il l’être, pourquoi cette recommandation prend-elle la forme de l’impératif ? Et que répondre à ceux qui avouent piteusement : je n’y arrive pas ? »

    Madeleine : Parmi tous ces bouquins sur le bonheur, il y en a un qu’il faut lire c’est celui de Madame de Rothschild  qui s’appelle « Tout m’est Bonheur ». Il est évident que la lecture du bonheur vu par Madame de Rothschild,  c’est assez cocasse.

    Pierre : En parlant de cette injonction « soyez heureux », dans la préface du livre de Fréderic Lenoir il est mentionné l’évolution de cette notion du bonheur à travers les âges. C'est-à-dire que pour les grands philosophes grecs, notamment Aristote et Epicure, la quête du bonheur allait de soi, à cette époque on vivait en essayant d’être le plus heureux possible. Je ne vais pas faire tout l’historique, j’en suis incapable, il est certain que maintenant on fait de la philosophie à bon marché sur le bonheur. Cependant il faut remarquer qu’au début du XXème siècle il y a eu toute une période où ce n’était pas le bonheur qui était mis en exergue mais plutôt ce qu’on appelle le spleen, c’est-à dire cet espèce d’état d’âme un peu mélancolique. Cette quête du bonheur n’a pas été une permanence dans les recherches des penseurs.

    Philippe C. : C’était la période de l’après guerre où les gens venaient de souffrir de la privation etc., il y avait cette mélancolie de la période précédente celle d’avant guerre. Le spleen existait avant, c’est Baudelaire etc.

    Pierre : Fréderic Lenoir dit que cet état d’esprit était beaucoup plus productif par la musique, par la poésie, par la littérature. Le spleen, la douleur sont beaucoup plus productifs que le bonheur béat. Je pense qu’effectivement la douleur est un aiguillon très fort de la créativité.

    Jade (adolescente): Le bonheur ça dépend de nous oui et non. Oui, parce qu’on peut voir le verre à moitié vide ou le voir à moitié plein. Et non, ça ne dépend pas de nous parce qu’il y a des choses dans la vie qu’on ne peut pas gérer.

    Marie-Christine : J’ai remarqué, par expérience personnelle, mais je l’ai lu souvent aussi, qu’un des premier remèdes à une souffrance ou une mélancolie, est d’aller marcher dans la nature parce que la nature ne porte pas de jugement sur nous. Tu parlais de finitude, la nature nous ramène aux cycles de vie. Quand on marche dans les bois en automne ou au bord de la mer avec une façon d’être en lien au monde, on ne ressent pas la solitude mais un bien être profond. Je trouve que c’est quelque chose de très fort.

    Monique : J’ai envie de faire une boutade sur la souffrance des romantiques qui est créative. En biologie dans la souffrance on fabrique des endorphines, on se drogue. Il y a donc peut-être un côté paradis artificiel. Dans l’effort physique aussi on fabrique des endorphines, c'est-à-dire des hormones de plaisir. Je reviens sur l’idée que le bonheur est très lié au corps et à la santé. Il est inhérent à la vie.

    Jacques : Comme le disait Marie-Christine, la nature, on ne peut pas s’en séparer c’est une chaine qui nous tient, qui nous lie au sublime, par exemple un coucher de soleil c’est sublime, c’est la partie supérieure du beau. Là on peut effectivement acquérir une petite parcelle du bonheur.

    Marie-Christine : La mélancolie, oui, booste la créativité. Je ne suis pas sûre que la douleur le fasse.

    Monica : La douleur empêche de se concentrer sur quoi que ce soit.

    Fermeture du débat

    Je terminerai par ce conte soufi qui exprime à merveille que le bonheur comme le malheur sont en nous

    « Il était une fois un vieil homme assis à l’entrée d’une ville. Un étranger s’approche et lui demande

        - Je ne suis jamais venu dans cette cité ; comment sont les gens qui vivent ici ?

    Le vieil homme lui répond par une question :

    -          Comment étaient les gens dans la ville d’où tu viens ?

    -          Egoïstes et méchants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis parti ; dit l’étranger

    Le vieil homme reprend :

    -          Tu trouveras les mêmes ici

    Un peu plus tard, un autre étranger s’approche et demande au vieil homme : « je viens d’arriver, dis-moi comment sont les gens qui vivent dans cette ville

     Le vieil homme répond

     -          Dis-moi, mon ami, comment étaient les gens dans la cité d’où tu viens ?

     -          Ils étaient bons et accueillants. J’y avais de nombreux amis. J’ai eu de la peine à les quitter

     -          Tu trouveras les même ici répond le vieil homme

     Un marchand qui faisait boire ses chameaux non loin de là a entendu les deux conversations. A peine le deuxième étranger s’était-il éloigné qu’il s’adresse au vieillard sur un ton de reproche

    -          Comment peux-tu donner deux réponses complètement différentes à la même question ?

    -          Parce que chacun porte son univers dans son cœur répondit le vieillard

    « Un homme malheureux sera malheureux partout, un homme qui a trouvé le bonheur en lui sera heureux partout quel que soit son environnement […] Ne confondons pas la souffrance avec le malheur […] la souffrance est inéluctable, pas le malheur »

    Ainsi Frédéric Lenoir termine-t-il son livre « Du Bonheur (un voyage Philosophique) » un petit traité philosophique très accessible, qui a le mérite de nous faire voyager dans le temps, à  travers  différentes sagesses du monde : ainsi Epicure, les Stoïciens, Schopenhauer, Montaigne, Spinoza, Bouddha, Tchouang-Tseu, Mâ Anandamayi, etc

     

    Poésie (lue par Anne)

     Poème de Makoto ÔOKA

     Au printemps

    Réveillant en creusant le printemps endormi sur la plage

    Tu le mets dans tes cheveux et tu ris

    Ton rire fait des ronds dans le ciel, éclate comme l’écume

    Et la mer doucement réchauffe un soleil vert

    Ah ! Ta main dans la mienne !

    Ton caillou jeté dans mon ciel !

    Aujourd’hui, pétales filant au fond du ciel

    Entre nos bras poussent des bourgeons

    Au centre de nos regards

    Un soleil d’or tourne et laisse ses embruns

    Oui ! Nous sommes un lac les arbres

    La lumière filtrant sur l’herbe

    Les collines de tes cheveux où danse la lumière

    Nous, nous !

    Dans le vent nouveau une porte s’ouvre

    D’innombrables mains nous appellent avec les ombres de

    La verdure

    Un chemin vient de s’ouvrir sur la peau douce de la terre

    Au milieu de la source resplendissent tes bras

    Et sous nos cils, baignant dans le  soleil

    Commencent silencieusement à mûrir

    La mer, les fruits

     

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 25 février (même heure, même lieu)

    La question choisie à mains levées, sera: « La paix est-elle un idéal ?» 

    Le thème choisi pour mars est  « La lucidité ». Préparez vos questions.

    Mireille PL

     

     

     

     

     


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