• 5 à 7 Philo du dimanche 25 septembre 2016 : 17 participants

     La morale n’est-elle qu’une convention sociale ?

     Introduction  par Mireille 

    Le mot principal de la question est « La morale » il dérive du latin « mos », employé surtout au pluriel « mores » et qui signifie «  manière de se comporter, façon d’agir, physique ou psychique déterminée non par la loi mais par l’usage. « Mores se traduit par mœurs. Par suite est qualifié de « moral » ce qui concerne les mœurs.

    Dans le langage commun « moral » est pris, par opposition à « immoral » (contre la morale) et « amoral » (sans morale), comme équivalent du qualificatif d’un acte ou d’une pensée jugés bons.

    Le CNRTL  définit la morale comme «  tout ensemble de règles concernant les actions permises et défendues dans une société, qu'elles soient ou non confirmées par le droit.

    Le Larousse précise que  c’est « un ensemble de règles de conduite, considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d'une certaine conception de la vie » 

    Le dictionnaire philosophique donne à peu près la même définition « Ensemble des règles et normes de comportement relatives au bien et au mal, au juste et à l'injuste, en usage dans un groupe humain. (Synonyme d’éthique).

    Les termes « éthique » et « morale » ont des sens proches et sont souvent confondus. L'éthique (du grec ethikos, moral, de éthos mœurs) est plutôt la science et l'étude de la morale. (Petit Robert). Dans la philosophie grecque c’est la doctrine du bonheur des hommes et des moyens d'accès à cette fin.

    Il y a un autre mot qu’on utilise, « déontologie » (gr. deon, -ontos, ce qu'il faut faire, et logos science), c'est la discipline qui traite des devoirs à remplir, sur un plan professionnel

    La morale n’est-elle qu’une convention sociale ?

    Le problème est de savoir si l’obligation morale n’est rien d’autre qu’une obligation sociale n’étant alors jamais qu’une obligation parmi d’autres, relative à une société donnée et donc jamais absolue ; ou si l’obligation morale est au contraire irréductible à l’obligation sociale, relevant alors d’un ordre absolu et universel, jamais identifiable à l’ordre des faits particuliers. Si la morale est un ensemble de principes de jugement, de règles de conduite relatives au bien et au mal, de devoirs, de valeurs, parfois érigés en doctrine, qu'une société se donne et qui s'imposent à la conscience collective, peut-elle être aussi strictement individuelle, c'est-à-dire ayant pour origine ma propre conscience ?

    Débat

    Philippe C. : Je dirais d’abord que le terme « moral » n’est apparu en français que vers 1200, sous la poussée des philosophes qui prônaient la raison dont Descartes en particulier. La deuxième chose que je remarque c’est que tu parles du « bien » et du « mal, Platon, lui, dit le « bien » et le « beau », le « mal » il n’en parle pas. Ça ouvre un peu plus le champ et donne la possibilité à chacun d’aller vers cette notion, cette recherche du « bien ». La morale c’est trouver la vertu absolue. C’est une voie un peu différente que l’opposition simple « bien/mal »

    Mireille : Oui, d’ailleurs on dit encore aujourd’hui d’une personne « c’est une belle personne » non pas pour son physique, elle peut être très laide, mais pour ce qui émane d’elle et de son comportement agréable pour tous.

    Jacques : Il y a plusieurs conceptions de la morale, plusieurs définitions. Comme tu l’as dit, chez les grecs c’était l’acquisition de la vertu, même si chez les stoïciens et les épicuriens il y avait une différence. Pour Aristote c’était la prudence, la tempérance, la sagesse dans la pratique de tous les jours. Je pense que pour le commun des mortels quand on parle de morale on l’associe plutôt à la notion de devoir c’est-à-dire : qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui est mal. Kant a développé ça. Il y a aussi une autre définition de la morale, c’est la morale des conséquences. C’est-à-dire que ce qui compte c’est les conséquences qu’on veut obtenir d’une action, peu importe que les moyens employés soient moraux ou pas. C’est la théorie des utilitaristes, elle s’oppose à celle de Kant pour qui il y a des impératifs absolus et qu’il faut faire le bien, ne pas mentir, être honnête. Pour ma part ce qu’on m’a appris à l’école c’est la morale du « bien et du « mal », qu’il faut faire son devoir. C’est plutôt ce qu’on retient en premier.

    Mireille : Cette notion de morale est en philosophie très vaste. Quand j’étais en terminale, le programme faisait l’objet de deux livres. « L’Action » et « La Connaissance ». « L’Action » comportait trois parties à peu près égales : La Psychologie,  L’Activité Créatrice de l’Homme et La Morale. La morale classée dans l’action humaine, et non dans la connaissance, comprenait 20 chapitres traitant de « la vie morale », des « sources de la vie morale », « du bien ou la valeur et le devoir », mais aussi des « aspects juridiques de la morale », des « Problèmes de la morale économique » etc. La Morale est un thème très vaste, je crois que dans la question qui nous est posée aujourd’hui c’est réfléchir sur l’origine de la Morale. Est-ce qu’elle nous est imposée par la société ? Ou ai-je la liberté de choisir ma propre morale ? La Morale est-elle un phénomène d’une communauté ou est-elle universelle ?

    Anne : Je pense que ça vient dans la suite de ce que tu dis : quand j’ai réfléchi à la question telle qu’elle était posée, le singulier « la morale » m’a interpellé car je me suis demandé s’il n’y avait pas des morales ? Selon, effectivement, les catégories avec lesquelles on se trouve. Tu as évoqué à un moment donné le point de vue scientifique, par exemple, il y a des comités d’éthique qui ont été créés pour gérer ce qui pouvait arriver avec les découvertes scientifiques. N’y a-t-il pas des morales, des bons comportements, selon le type de société, selon l’endroit où on se trouve, selon si on est dans l’espace public où au sein de sa famille ? N’y a-t-il pas des changements de focale sur cette morale ? Et l’éthique que tu évoquais tout à l’heure, est-ce que ça ne serait pas quelque chose qui serait plutôt commun à l’humanité et donc qui serait plus personnel et qu’on pourrait retrouver à travers toutes les civilisations, toutes les sociétés, quelque chose qui serait vraiment universel ?

    Philippe C. : D’où le terme de « méta-morale » pour éthique. Méta-morale : au dessus de la morale.

    Jacques : Ce que j’ai lu sur l’éthique par rapport à la morale c’est que la morale c’est plutôt des commandements c'est-à-dire des obligations, que derrière la morale il y avait effectivement les lois de la société ; alors que l’éthique c’est plutôt des recommandations, ce sont des comités qui se réunissent pour faire des recommandations sur ce qui est bon dans la bioéthique, par exemple,  dans les manipulations génétiques etc. puisque la question a été posée de l’origine de la morale, je dirais que la morale a trois origines : elle est dans l’individu, dans les émotions de l’individu, dans les émotions qu’il peut ressentir vis-à-vis des autres êtres humains : c’est empathie, c’est l’altruisme, c’est la compassion, la pitié. Et dans l’individu, la morale c’est aussi ce qui vient de sa raison, c’est ce que dit Kant. On peut se demander si dans l’individu les émotions viennent avant la raison ou vice versa. A priori ce sont les émotions qui viennent au départ. La deuxième origine de la morale c’est la société, l’éducation et les lois, les lois érigées par la société, par ceux qui nous représentent. Et puis, la troisième origine de la morale c’est la religion et les commandements.

    Pierre : J’ai envie de rentrer dans le vif du sujet : à propos de l’avortement. Sous le régime du Maréchal Pétain,  une femme qui pratiquait l’avortement était condamnée à mort. Après il y a eu une évolution, relativement rapide, et aujourd’hui on reconnait à la femme le droit d’avorter. Ça, se sont des faits de société. Et d’un autre côté il y a cette rencontre avec l’universel c’est « Tu ne tueras point ». Un des arguments essentiels de ceux qui luttent contre l’avortement c’est qu’on n’a pas le droit de tuer un être vivant, le fœtus étant considéré comme un être vivant. Et je trouve que là on se trouve à la rencontre de deux moments. Je ne sais pas comment prolonger le débat, mais je dis qu’il y a là deux choses qui s’affrontent.

    Anne : Que veux-tu dire, Pierre, par universel ?

    Pierre : C’est une règle de vie tellement essentielle au développement des hommes et de l’humanité. Autrement je ne sais pas si la vie sociale et la vie humaine pourrait se développer sur la terre. Il y a quand même quelques règles, on a parlé une fois de l’inceste, qui font qu’on peut les considérer comme universelles. Et « Tu ne tueras point » jusqu’à peu de temps était considéré comme une règle assez générale. C’est ce que j’entends par universel.

    Anne : Tu parles de la société chrétienne ?

    Pierre : Non pas du tout.

    Thierry : On aborde deux sujets à travers ce que vous dites et ce que disait monsieur : ce sont l’éthique et la déontologie. Il me semble que dans une société la morale ne peut pas tout porter, il faut à un moment donné des lois ? Des lois qui peuvent être des lois sociétales ou universelles. Je ne veux pas citer Platon, Kant, Schopenhauer etc. Le débat il faut le recentrer sur aujourd’hui. J’ai quatre filles et c’est vrai que lorsque je parle avec elles de philo, ou en tout cas de la vie, pour elles, l’avortement est quelque chose qui va dans le sens de la vie sociale, qui va dans le sens de l’évolution sociale, qui va dans le sens de la société française, de toutes les sociétés. «  Tu ne tuera pas » : La peine de mort existait sous Pétain,  l’avortement considéré comme un crime. Je suis travailleur social et nous sommes souvent poussés vers des réflexions entre la déontologie et l’éthique. C'est-à-dire que, sur un plan éthique on a envie de faire des choses mais sur un plan déontologique on ne peut pas parce qu’il y a des lois.

    Anne : C’est un peu hors propos, mais il me semble que l’avortement n’est pas un bon sujet parce que le cas de l’avortement se pose sans doute parce que la contraception n’est pas suffisamment connue. Quand on ne donne pas les moyens, aux femmes, d’une contraception elles se retrouvent contraintes à l’avortement.

    Mireille : Pour en revenir au côté universel, j’ai fait une recherche en partant des Dix Commandements de la Bible chrétienne. On les retrouve dans la Torah juive, dans le Coran mais aussi dans la morale bouddhique notamment dans les « Cinq préceptes » de base :  on dit «  Ne pas supprimer la vie puisque tout être sensible apprécie la vie ». Tu as raison, Pierre, de dire que c’est une notion universelle. C’est bien sûr un idéal. Après l’application est de la responsabilité individuelle. De tout temps l’homme a tué l’homme.

    Philippe B. : J’ai entendu plusieurs fois le mot universel. Si j’entends bien ce que disait,  Pierre,  que l’on soit d’accord ou pas d’accord, c’est qu’il y a soixante ans les personnes qui avortaient risquaient la peine de mort, et de nos jours l’avortement est remboursé intégralement par la sécurité sociale. Ce qui veut dire qu’en très peu de temps on est passé d’un extrême à l’autre. Alors quand on parle d’universalité qu’est-ce qu’on entend par là ? Comment ça se fait que sur un sujet pareil on peut passer d’un extrême à l’autre ? Est-ce que ça n’interroge pas quelque part la notion de morale ?

    Thierry : Il me semble que la société française a des bases judéo-chrétiennes, les Dix Commandements, « Tu ne tuera point », mais qu’il y a un débat interne à la société qui fait qu’à un moment donné on va discuter de certaines choses. On a des élus, on vote, et ces élus vont légiférer sur des lois qui vont amener peut-être à l’abolition de la peine de mort, peut-être l’avortement etc. Ces élus-là on leur a donné un pouvoir qui est de construire  des lois. Qu’on soit d’accord ou pas d’accord, qu’on aille dans la rue manifester, il y a à un moment un débat sur ce qui est universel, ce qui est éthique et il en sort une loi.

    Huguette : A propos du remboursement de l’avortement, il faut voir que beaucoup de gens qui y ont recours sont souvent des personnes qui ont peu d’instruction et peu de moyens.

    Philippe B. : Ce que Pierre a soulevé c’est qu’en quelques années ça peut basculer d’un extrême à l’autre. Ça interroge sur la notion d’universel, et de relativité suivant les mœurs, suivant les peuples etc. Et puis il y a un mot que je n’ai pas entendu, tu as dis tout à l’heure « il y a des femmes qui sont contraintes d’avorter » je ne suis pas d’accord, il y a un mot que je n’ai pas entendu c’est « la responsabilité ».

    Thierry : A une époque la puissance religieuse était telle que justement l’avortement était quelque chose qui devait être interdit. On l’a bien vu quand la loi est passée avec Simone Weil, on a vu les gens qui était contre manifester parce que ça allait contre la religion. Ces êtres là méritaient la vie, hors les scientifiques quand ils se sont penchés sur la question se sont aperçu qu’effectivement le fœtus à un certain stade pouvait être considéré comme un être vivant. La morale a eu une grande place dans le débat.

    Anne : C’est difficile car on s’éloigne du sujet.

    Philippe C. : Je voudrais dire qu’à propos d’universalité  il y a une chose qui me parait importante, c’est que n’importe quel individu a une conscience. Ça me parait étrange que ce mot n’est pas encore été prononcé parce que tout individu a une conscience, cette conscience elle nous conduit vers des notions qu’on appelle philosophiquement la Morale.

    Sylvie : Concernant l’avortement, peut-on parler de meurtre ? Le fœtus n’est reconnu par la loi qu’à partir du sixième mois, avant il n’est pas viable. Une femme qui fait une fausse couche avant ces six mois c’est comme si elle n’avait jamais été enceinte il n’y a aucune trace. Ce n’est qu’à partir du sixième mois qu’il reste une trace, que l’enfant est reconnu au niveau de la mairie et peut figurer sur le livret de famille.

    Pierre : Si j’ai parlé de l’avortement ce n’était pas pour ouvrir un débat sur ce sujet, c’était pour illustrer le mouvement des conventions sociales. Comment elles bougent, comment elles sont dans un moment et également cette tentative, à partir de la conscience – effectivement-, d’avoir les uns et les autres quelque chose qui pourrait s’apparenter à l’universel et qui à ce moment là fonderait une morale mais particulière puisqu’elle serait séparée finalement des conventions sociales. Elle aurait un rapport avec les hommes mais pas avec le fait de société.

    Anne : Il me semble que certaines lois règlent effectivement la vie morale d’une société, mais pas toutes les lois.

    Jacques : En fait il n’y a pas d’universalité, on vient de dire que les lois évoluent sans arrêt dans un pays, les lois sont différentes d’un pays à l’autre. J’ai vaguement lu qu’il y a deux notions universelles qui étaient la liberté et la démocratie. La démocratie on ne la voit pas trop en Afrique, la liberté il y a ceux qui dans le cadre de leur liberté vont avorter et ceux qui ne le feront pas.

    Sylvie : C’est plus une question de moralité personnelle.

    Jacques : La conscience morale c’est la conscience du bien et du mal qu’on a en soi.

    Thierry : Le sujet qui préoccupe les gens aujourd’hui, j’en parlais avec mes filles, c’est le terrorisme.  Par rapport à la morale c’est important, parce qu’on parlait d’universalité, sur quelle base morale s’appuie le terrorisme ? C’est bien sur des bases religieuses.

    Anne : On part sur un sujet qui nous dépasse. Je voudrais recadrer un petit peu grâce à Albert Jacquard. Dans son livre « Petite philosophie à l’usage des non-philosophes », au chapitre qu’il a nommé « Ethique ou morale. » il écrit : « Étrangement le mot « éthique » est aujourd’hui bien accepté dans le discours, alors que le terme « morale » est rejeté au nom d’une connotation vaguement religieuse ou bien-pensante. Ce sont pourtant deux synonymes, dérivés l’un du grec, l’autre du latin, évoquant l’art de choisir un comportement, de distinguer le bien du mal. »

    Jacques : La morale est peut-être rejetée parce qu’effectivement il y a des lois et que depuis mai 68 « Il est interdit d’interdire ».

    Mireille : Pour moi la morale n’a jamais été une question de lois même si elle peut les inspirer. La morale c’est avant tout la recherche d’évolution individuelle et collective vers une valeur supérieure, vers un bien être, vers « le Bon » « le Beau » des grecs. La question des lois est du domaine du Droit qui n’a rien à voir avec l’évolution personnelle.

    Thierry : En tout cas l’expression qui revient à la mode est « c’est une belle personne ». On a vécu dans les années 70-80 le culte de la beauté physique et on revient à quelque chose qui me parait fondamental : c’est la beauté morale.

    Mireille : C’est vrai qu’on est beaucoup influencé par la religion…

    Anne : Pas tout le monde

    Thierry : On est dans une culture judéo-chrétienne, Madame, vous ne pouvez pas le nier.

    Mireille : Justement, Jankélévitch dans la première partie de son cours de philosophie morale met en évidence ce qui est du ressort de la morale religieuse et ce qui est de la morale personnelle. Il souligne que la morale religieuse n’est pas désintéressée, comme trouver sa place au paradis. Alors que la morale doit être un acte libre et complètement désintéressé. Il dit que les religions sont intéressantes parce qu’elles concrétisent  une morale absolue et universelle pour ceux qui n’ont pas la conscience et la connaissance.

    Philippe C. : En pratique, si vous prenez la phrase classique «  L’œil était dans la tombe et regardait Caïn », si vous sortez cette phrase de son contexte religieux, on arrive à quelque chose de purement humain. Tout acte que nous accomplissons passe par le jugement que notre conscience en fait et on s’interroge sur notre acte lui-même.

    Mireille : C’est ce qui nous différencie de notre partie animale et du monde animal.

    Thierry : Puisqu’on parle de la religion, il y a eu des guerres célèbres dans l’histoire de France entre protestants et catholiques. Il y a eu avant des guerres au nom d’une certaine morale religieuse que chacun défendait ; on pourrait faire un débat sur les croyances. Professionnellement je dis que la morale est une convention sociale et sur un plan personnel ; en dehors du boulot je dirais effectivement que chacun a sa morale. Je ne suis pas religieux  on ne peut pas nier qu’on vit sur des bases judéo-chrétiennes.

    Pierre : Je suis un peu entêté parce que je continue à penser qu’il faut faire un distinguo entre morale universelle acceptée par tout le monde et qui est vitale au sens où si on ne dispose pas de ces règles universelles de morale il n’y a pas de vie possible. La conscience est déjà une question beaucoup plus délicate, parce qu’il me semble bien que la conscience a quelque chose à voir avec la relativité. C’est comme si on était en capacité aujourd’hui d’affiner ce qu’on a eu au fil des siècles, d’affiner cette question de conscience. On parle de bonne conscience, de mauvaise conscience mais il y a toujours eu des règles, des attitudes qui étaient fonction de la prise de conscience de quelque chose. Je ne sais pas bien comment expliquer mais il y a la conscience, la partie de conscience, je pense que la conscience est quelque chose de mouvant, en mouvement. On ne peut pas considérer la conscience comme quelque chose d’établi et qui serait intangible. Tu parlais tout à l’heure de liberté, quand on dit « la liberté s’arrête quand commence celle d’autrui », c’est pour moi une règle de morale universelle. Et à côté de cela s’il y a tout ce mouvement qui est lié à l’évolution des mœurs à l’évolution d’une société dans toutes ses acceptions, y compris économiques, juridiques etc. Parce que quand dans Victor Hugo l’enfant qui vole le pain est condamné aux galères ça pose la question de la propriété. Alors où est la morale là dedans : celui qui va voler du pain pour survivre ou le boulanger qui se croit dépossédé. Ce que je veux dire c’est que ça touche tous les champs de la vie sociale.

    Thierry : Ça me fait penser au jugement récent de la cours de Poitiers, l’histoire de cette femme qui pour nourrir ses enfants avait volé de la viande, son procès a été une confrontation entre le droit et la morale.

    Mireille : La morale est-elle innée ou acquise ? Je pose la question parce que j’ai lu que dans « La morale anarchiste » Piotr Kropotkine dit : "Le sens moral est en nous une faculté naturelle, tout comme le sens de l'odorat et le sens du toucher.
    Quant à la Loi et à la Religion, qui elles aussi ont prêché ce principe [de solidarité], nous savons qu'elles l'ont simplement escamoté pour en couvrir leur marchandise - leur prescription à l'avantage du conquérant, de l'exploiteur et du prêtre."

    Sylvie : C’est peut être une chose d’inné au départ mais qu’on développe au cours du temps.

    Anne : Il y a cette phrase de Kant que j’aime particulièrement : « La loi morale en nous et le ciel étoilé au-dessus de nos têtes ». Je me suis demandé comment peut se manifester la loi morale en nous ? En ne se référant pas  aux lois, aux codes de la société, en allant vers quelque chose de plus profond et de plus personnel. Je pense que le sentiment de culpabilité a peut-être à voir avec une certaine loi morale qui serait inhérente.  J’ai essayé de lire « Le concept de l’angoisse » de Kierkegaard, j’ai fini par jeter l’éponge, mais je crois quand même lorsqu'il parle de l’angoisse ça a aussi trait à ce sentiment de culpabilité. Alors, il utilise souvent un mot : « la peccabilité », c’était un mot nouveau pour moi, je me suis dit : effectivement si on n’est pas impeccable on est peccable. La peccabilité c’est le fait d’être un pécheur.  Et donc, je pense que c’est peut-être ce que veut dire Kierkegaard dans son concept de l’angoisse. Cette angoisse qui est au fond de nous, que lui fait remonter à Adam et au péché originel qui est de l’ordre du mythe, représente peut-être cette loi morale qui est en nous.

    Philippe B. : Kierkegaard c’est quand même un philosophe protestant, chrétien par excellence, qui disait qu’il n’était même pas digne d’être un bon chrétien. Il avait une obsession du péché qui amène à une extrême limite.

    Thierry : Il me semble qu’on est dans une société bouffée par la religion. J’ai eu affaire dans la rue à des jeunes qui n’avaient pas d’éducation, et qui donc n’ont pas pu arroser leur côté moral pour le développer, comme vous le disiez. Et ces jeunes-là, à un moment, sont pris par la culpabilité  entre la morale sociale et leur morale à eux. Quand on les écoute ces jeunes-là, la mère est tout pour eux, alors que le père on en entend pas parler, alors que dans la société il y a le père et la mère. Ces jeunes-là qui sont sans éducation, dans la rue, qui pour certain deviennent des sans domicile fixe, il faut les entendre. Pour eux ce n’est pas la philo telle qu’on a tendance à la comprendre ; ça nous renvoie forcement à des thèmes comme la morale, les conventions sociales, les lois etc. Et c’est intéressant au niveau des différentes définitions de la morale.

    Mireille : Dans ce que tu dis, en fait la morale qu’elle soit sociale, communautaire ou personnelle, est l’établissement de règles qu’on se pose ou qu’on nous impose, ou qu’on accepte de prendre, mais dans quel but ? Dans le but de vivre bien. Ce qui nous permet de nous lever le matin c’est de se dire « je vais passer une belle journée ». Ces règles sont là pour notre bien-être et pour celui de ceux qui nous entourent. Ces jeunes dont tu parles on ne leur a pas donné de règles donc ils se font leurs règles. La règle c’est le repère pour tenir droit,  ils ont besoin de ça.

    Philippe B. : Par rapport aux jeunes on parle de morale, mais dans le monde dans lequel on vit, quand tu dis est-ce que morale fait référence à valeur ? Les valeurs transmises par les parents : le père, la mère ; mais dans le monde dans lequel on vit ; là on est le 25 octobre 2016, quelles sont ces valeurs, quelle est l’évolution, quel est le sens de l’histoire ? Tu parlais du poids des religions, elles sont de plus en plus explosées sauf par le biais de certaines radicalisations qu’on observe. Mais le poids c’est le monde dans lequel on vit qui est de plus en plus régi une sorte de liberté économique et de liberté des mœurs qui s’allient toutes les deux, ce qui fait que c’est la primauté de l’argent. Quand on voit l’évolution au niveaux des gamins, effectivement c’est l’argent qui domine dans notre société, et pas seulement pour les gamins.  C'est-à-dire que tout ce qui est moral ils n’en veulent plus, c’est du temps ancien et de plus en plus balayé.

    Jacques : Je suis tout à fait d’accord avec ce que tu dis, la morale maintenant c’est la morale de son intérêt personnel. Kant disait, c’est la morale du devoir, on ne doit pas mentir, on doit toujours être droit dans ses bottes. C’est vrai que, quand on veut se regarder dans la glace, se dire qu’on a été impeccable au niveau moral dans la journée c’est formidable. Mais il y a quand même Benjamin Constant qui a critiqué un peu la théorie de Kant. Il a dit «  Un assassin frappe à votre porte pour vous demander où est passé la personne qu’il veut tuer et qui était là cinq minutes avant. Si vous voulez respecter l’impératif catégorique de Kant vous allez lui dire elle est partie dans la rue d’à côté vous pouvez la rattraper. Ou bien vous mentirez ». Je pense que dans ce cas là on peut mentir. Ça veut dire que les règles on n’est pas obligés à chaque fois de les respecter.

    Anne : Je me suis dit aussi que les règles morales, on le voit dans la société, c’est quelque chose qui évolue et ça devient dangereux quand ça se transforme en dogme. J’ai vu sur Arte un documentaire sur Confucius. « Les pensées » de Confucius est vraiment un petit traité de moralité, de règles morales tout à fait universelles. Il se trouve qu’en Chine à l’heure actuelle ça devient très, très dogmatique et ça sort un peu de l’esprit de Confucius. D’après le documentaire, si j’ai bien compris, ça devient un peu comme le « Petit livre rouge » de Mao. Je pense que la morale et les règles morales ne doivent pas devenir des dogmes. C’est quelque chose qui doit être éclairé par la conscience individuelle de chacun.

    Thierry : Ce qui est clair que ce soit Confucius ou Kant, l’époque dans laquelle ils ont vécu n’est pas comme l’époque actuelle. Moi, je suis des fois un peu gêné parce que j’ai cette culture philosophique depuis ma terminale, j’ai lu quelques ouvrages, et quand j’en parle aux jeunes ils me disent «  Qu’est ce que tu me racontes ? Tu me parles d’un mec qui a existé il y a très longtemps ». Aujourd’hui  ils ont leur philosophie à eux. On ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir été en terminale mais ils sont là et forment une partie de notre société.

    Mireille : Oui, mais avec d’autres mots, en verlan,  ils disent peut-être la même chose que ce que disait Confucius à son époque. On voit bien qu’il y a des lois humaines qui traversent le temps.

    Jacques : Excuse moi, quand tu dis ils sont dans les même règles que Confucius, tu veux dire qu’ils sont aussi dogmatiques ?

    Mireille : Non ! Confucius n’a jamais été dogmatique. Anne n’a pas dit que  la pensée de Confucius était dogmatique c’est ce qu’en fait la Chine aujourd’hui qui l’est. Sa pensée à lui est universelle et encore vraie aujourd’hui même si elle s’exprime différemment.

    Évelyne : Il y a prendre et à laisser, on en revient à la conscience.  Je pense que la morale est un cadre et qu’on peut aussi construire son propre cadre. Ce cadre rassure surtout à l’époque dans laquelle on vit. On a besoin de se construire des choses qui vont nous rassurer. La morale qui peut être une morale personnelle ou une convention sociale c’est rassurant. Mais, effectivement, il ne faut pas que ça devienne quelque chose de trop rigide même pour soi-même. Il faut quand même avoir conscience de son imperfection et effectivement la morale se cultive au jour le jour.

    Michel : Est-ce que la surpopulation n’affecte pas la morale ? C'est-à-dire : actuellement, nous dit la morale «  Tu ne mangeras pas ton prochain ». Et pourtant, à Stalingrad, sur le Radeau de la Méduse, dans un avion en Amérique du Sud, on a mangé son prochain. C’est la question que je me pose : « Morale : oui ! Nécessité ! Oui » Qu’est-ce qu’on fait ?

    Philippe B. : D’après ce que je viens d’entendre, j’ai l’impression qu’il y a deux objectif dans la morale. Il y a la cohésion d’une société dans les conditions dans laquelle elle vit : géographiques, démographiques etc. et il y a l’épanouissement personnel pour que l’individu puisse adhérer à cette morale pour que la société survive. Au final c’est bien la pérennisation de cette société qui est le premier objectif pour qu’elle fonctionne. Mais chaque individu doit pouvoir y adhérer, doit y trouver son compte. Et effectivement, il peut y avoir conflit selon l’évolution de la personne, selon les circonstances, en cas de guerre etc. On dit que normalement c’est le droit qui découle de la morale, mais si le droit dit qu’il faut dénoncer son voisin, à ce moment-là il y a des conflits et c’est ce genre d’épreuve qui, à mon avis, révèle notre morale personnelle.

    Pierre : Je partage en partie ton point de vue, mais quand même, plus j’y réfléchis plus je pense que la morale c’est simplement, à un moment, la mise en œuvre d’une pensée dominante. La pensée dominante, aujourd’hui le libéralisme économique, l’ultra-libéralisme va développer une morale qui va dans le sens de ses intérêts. C’est vrai, enfin pour moi. Je pense à la valeur morale à l’école par exemple, à un moment donné on pensait à une forme de socialisme, juste après la dernière guerre. Cette mise en œuvre morale, pour qu’elle perdure, le pouvoir dominant entre en conflit, comme tu le dis, avec une conscience personnelle, Philippe en parlait, qui va essayer pour la personne elle-même de développer des règles qui la pousse à l’épanouissement, au  développement du bon, du beau. Finalement, il y aura donc un conflit latent qui peut être exacerbé et peut devenir très violent entre ce qu’on voudrait pour soi-même et la morale qui est développée par la société dominante.

    Thierry : Tu parlais de l’ultra-libéralisme, il y a eu les affaires Kerviel et Clearstream, effectivement une société a une dominante qui va faire évoluer la morale, qui va faire évoluer les lois. Comme dans chaque personne il y a du bon et du mauvais, il y a toujours des faits qui font qu’à un moment donné, le système va imploser ou il va révéler des failles. Ces failles là c’est ce qui va faire évoluer la conscience humaine, la conscience sociale parmi la population, c’est ça qui est riche. Le social il bouge, il change, ce sont les conflits qui font avancer la société. Et, quand on demande «  la morale est-elle qu’une convention sociale ? » C’est un débat qu’il y aura toujours puisque le social change, le social évolue. Aujourd’hui on parle d’économie mondiale, on parle d’économie alternative. Je travaille sur un projet d’économie alternative, c’est riche parce qu’on s’aperçoit que l’argent ne fait pas tout, il y a l’humain et dans la morale il y a l’humain et le côté matériel. Si je sors d’ici et que je trouve mes quatre pneus crevés je vais dire « P… je vais tuer le mec qui a fait ça » puis avec un peu de recul je vais me dire « Thierry calme toi ». C’est vrai  qu’on peut très vite être dépassé par la morale.

    Jacques : Je rebondis sur ce que dit Pierre qui parle de morale dominante. Quand tu parles de morale dominante tu parles de la morale du capitalisme ?

    Pierre : Oui

    Jacques : Mais il y a quand même des lois pour protéger les plus faibles.

    Philippe C. : Vous n’allez pas dire que le capitalisme représente une morale. Il est totalement immoral.

    Jacques : Ce que je dis c’est qu’il y a quand même des lois qui défendent les gens qui se font agresser, défendent la femme vis-à-vis de l’homme. Il y a eu le jugement de cette femme qui a tué son mari qui en fait la battait depuis très longtemps, il y a des pétitions en faveur de cette dame, la majorité des gens éprouve de l’indulgence vis à vis d’elle.

    Philippe B. : Il y a une chose qui s’appelle la loi et les avocats de cette femme ont tenté le passage en force en plaidant la légitime défense. Tirer dans le dos de quelqu’un, ce n’est pas de la légitime défense. Il y a la loi, on est d’accord ou on n’est pas d’accord, mais c’est ainsi. Après il y l’esprit de la loi, ils auraient plaidé qu’elle était coupable avec des circonstances atténuantes, je pense que ça ne ce serait pas passé ainsi. C’est pour ça que dans la société les lois qui découlent de la morale demandent à être respectées, sinon on part dans tous les sens. C’est le danger de la société actuelle de vouloir jouer sur l’émotionnel plutôt que sur la morale et de simplifier les choses en jouant avec  l’émotion, l’impulsion, la réaction.

    Anne : Le conflit est peut-être qu’on est dans une société qui est de plus en plus individualiste. En tous cas qui met en exergue l’individu, la liberté, l’épanouissement personnel. Ça vient peu être en conflit, justement, avec les lois sociales.

    Philippe B. : C’est l’excès qui est mauvais. Il faut trouver un équilibre entre la réflexion et l’émotion. On vit dans un monde de plus en plus émotionnel, qui va de plus en plus vite, de plus en plus dans la réaction où personne ne prend vraiment la peine d’analyser les choses, on en arrive à des fonctionnements purement réactifs, je dirais presque hystérique.

    Mireille : On en revient à ce que disait Philippe, à la conscience.

    Brouhaha : (conversation inaudible)

    Arielle : En tout cas, je voudrais dire que la morale, la bonne morale, ne va pas sans le jugement des autres. Une personne est jugée comme étant une belle personne qui a une bonne morale, mais cela ne peut se dire qu’en société, il faut faire partie d’un groupe. Il y a une différence entre la morale individuelle et la morale sociétale. Un individu qui estime avoir une bonne morale va être considéré à une autre époque, une autre société, comme mauvaise. Par exemple parlons de l’homosexualité : la personne qui était homosexuelle était à une époque bannie de la société, mais pourtant elle était en accord avec sa conscience. On parlait de l’évolution de la morale sociétale, maintenant l’homosexuel n’est pas banni. J’ai remarqué aussi, quand il y a des lois nouvelles, qu’il y a dans la société une distance entre  l’établissement des lois et l’acceptation de ces lois par une partie du peuple.

    Mireille : Maintenant il y a des lois qui sont faites. Vous parlez de l’avortement, vous parlez de l’homosexualité, on n’est plus dans l’illégalité si on les applique maintenant, je peux à titre individuel y adhérer ou non. Si ce n’est pas en accord avec sa conscience, personne ne peut obliger une femme à avorter. Dans la mesure où on respecte la loi et la liberté de l’autre, on a la liberté pour soi-même de l’accepter ou pas.

    Jacques : Pour continuer sur l’avortement, là où je travaille il y a eu une pétition qui circulait « êtes vous favorable au remboursement par la sécurité sociale de l’avortement ? ». C’est vrai que je me suis interrogé parce que, il y avait une dame yougoslave qui se faisait avorter pour la cinquième fois. Je me suis dit « bon, si c’est remboursé par la sécurité sociale elle va se faire avorter une sixième, une septième fois etc. »

    Mireille : Là c’est ton choix et ta liberté, c’est là où je dis qu’il y a des règles morales dont découlent des lois, après c’est à moi de choisir ce que j’en fais dans la mesure où ça ne dérange personne.

    Philippe B. : Il y a la question de choix mais aussi de priorité. Dans ce cas-là est-ce que la loi ne déresponsabilise pas ? J’en reviens à la question de responsabilité morale.

    Mireille : Oui, c’est ton raisonnement, ce que je voulais dire c’est que, à ce qu’on demandait à Jacques, il était libre de répondre oui ou non, ou encore de s’abstenir. Ça touche à la conscience individuelle. Par contre quand il y a eu un choix de fait par un ensemble d’individualités majoritaire, je me dois de le respecter.

    Philippe C. : Je vais mettre un petit pavé dans la marre : vous parlez d’avortement mais qui fait, qui pratique l’avortement ? Le médecin est-il d’accord ou pas d’accord ? Est-il obligé ? Le problème n’est pas réglé.

    Jacques : Pierre pourquoi le citoyen devrait respecter la loi et le médecin non ?

    Philippe C. : Quelle loi ?

    Jacques : A partir du moment où l’avortement est permis …

    Philippe C. : Quel type d’avortement ? Il y a plusieurs façons d’avorter. L’avortée choisit toujours la pire.

    Jacques : (Il critique les médecins qui aujourd’hui dit-il « s’assoient sur le serment d’Hippocrate »)

    Thierry : Par le serment d’Hippocrate, si j’ai bien compris, on demande au médecin d’avoir une conscience morale vis-à-vis d’un individu à soigner, on ne parle pas de loi.

    Philippe C. : Ce n’est pas une loi, c’est un serment.

    Thierry : Je vais vous citer un autre exemple. A une époque j’ai travaillé sur Le Clos Boucher à Niort, c’est un quartier très populaire. Un jeune avait été tabassé par la police en bas de son immeuble et il était en droit d’avoir un avocat pour être défendu devant le tribunal parce qu’il voulait se plaindre de ce passage à tabac. Aucun avocat de Niort n’a voulu le défendre face à la police de Niort. Je lui ai trouvé un avocat de la Rochelle qui défendait les Droits de l’Homme dans le monde entier, il a accepté de le défendre et a gagné le procès. Ce jeune là s’est senti retrouver une certaine dignité. Et par rapport à la morale, à la conscience populaire, ça a fait énormément de bruit.  Et ça a fait jurisprudence. Au niveau de la morale des gens de ce quartier, des habitants et des avocats de Niort, tous se sont posé des questions.

    (D’autres exemples ont été donnés, mais j’ai coupé jugeant les propos trop éloignés du sujet ou répétitifs)

    Mireille : Pour revenir à la morale avec un petit sourire, je citerais cette phrase de Léo Ferré  qui correspond à ce qui vient d’être dit : « N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres. ».

    Il y aussi Aristote qui parlant de la morale du sentiment  et de la justice dans  l’Éthique à Nicomaque explique : « L'injustice acquiert un surcroît de gravité quand elle s'adresse davantage à des amis : par exemple, il est plus choquant de dépouiller de son argent un camarade qu'un concitoyen, plus choquant de refuser son assistance à un frère qu'à un étranger, plus choquant enfin de frapper son père qu'une autre personne quelconque. La nature veut, en effet, que l'obligation d'être juste croisse avec l'amitié, puisque justice et amitié ont des caractères communs et une égale extension. »

    Philippe B. : Oui, c’est la question de la priorité de nos valeurs personnelles.  Si, par exemple, l’amitié est supérieure à tout, elle est un sentiment sacré. Ça veut dire qu’effectivement, un ami qui appelle en pleine nuit  et dit « je viens de tuer quelqu’un » son ami dira du tac au tac « où est le corps ? » il n’ira pas dans le sens de la justice. C’est vrai qu’il y a plusieurs valeurs qui peuvent s’entrechoquer. Quelle est la plus importante pour chaque individu ? Et ça, ce sont les épreuves qui nous révèlent notre propre morale individuelle et comment elle se situe par rapport à la morale de la société.

    Mireille : Il peut aussi y avoir conflit entre la morale que je pense et la morale que je mets dans mon action.

    Philippe B. : La morale que je crois avoir, ce sont les épreuves les faits qui la révèle. Est-ce qu’on peut dissocier les discours des philosophes et la façon dont ils les appliquent ? Est-ce que la parole doit rester quelque chose de purement théorique où quelque chose qu’on applique dans l’action ?

    Mireille : Dans mon programme de terminale La Morale était dans le chapitre « L’Action » et non dans celui de « La Connaissance ».

    Philippe B. : Oui, sinon on entre dans le cadre « Faites ce que je dis et pas ce que je fais »

        

    Fermeture du débat

    Anne : Je propose de vous lire un extrait de ce qu’a écrit Charles Pépin, dans Philomag n°101,  en réponse à la question : « qu’est-ce que bien se comporter ? » :

    « … L’enfer est pavé de bonnes intentions. Un bon comportement n’est-il pas plutôt un comportement effectivement juste, approprié à la situation, même s’il faut pour cela savoir prendre une distance avec l’intention initiale? Bien se comporter, pour Kant, c’était « vouloir »  bien se comporter, être capable de ce que Max Weber nommera une pure « éthique de conviction ». Mais le même Max Weber dira aussi qu’une telle éthique doit être tempérée par une « éthique de responsabilité », la capacité de savoir rectifier sa conviction au contact du réel et anticiper les conséquences négatives de ses actions, même lorsqu’elles partent des meilleures intentions. Le bon comportement serait alors celui qui allie conviction et responsabilité…Le problème, poursuit Weber, est que la synthèse parfaite entre « éthique de conviction » et « éthique de responsabilité » n’existe pas, c’est même ce qui fait le tragique de l’existence. Alors, pourquoi ne pas tenter une tout autre réponse, située sur un terrain ouvertement métaphysique ?

    Bien se comporter, pour le poète allemand Friedrich Hölderlin, c’est « habiter poétiquement le monde », savoir accueillir son mystère sans chercher à le réduire, à le posséder, ni à le maîtriser…Habiter poétiquement le monde, c’est se sentir une solidarité ontologique avec tous les vivants. Et c’est se sentir responsable du monde lui-même. Albert Camus ne dit rien d’autre dans son beau discours de Suède :

    « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

    Mireille : Pour conclure je vous propose trois citations qui résument en partie notre échange

    Vladimir Jankélévitch (cours de philosophie morale)

    « La morale … tend à envahir l’existence entière … Il n’est rien d’humain qui ne soit moral »

    Kant

    «  La morale n’est donc pas à proprement parlé la doctrine qui nous enseigne comment nous devons nous rendre heureux, mais comment nous devons nous rendre digne du bonheur »

    Rousseau

    « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté »

    Et ma propre réponse à la question que j’ai posée en introduction pour lancer le débat: « A la fois personnelle et universelle la morale est l’ensemble de règles que je m’impose à moi-même parce qu’elles me semblent devoir s’imposer universellement »

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez vous Dimanche 30 octobre 2016 (même heure, même lieu)

    La question choisie à mains levées, sera: « Peut-on échapper à la solitude ? »

    Le thème choisi pour  novembre : « Le respect ». Préparez vos questions.

     

    Mireille PL


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