• 5 à 7 Philo du dimanche 28 février 2016 : 20 participants

     D’où vient la peur ?

     Introduction  par Arielle

    Analyse des termes du sujet

    Dans le dictionnaire philosophique la peur est définie comme un «  Sentiment de grande inquiétude, éprouvé en présence d’un danger réel, supposé ou fictif. La peur est plus durable que la frayeur ou l’effroi (qui sont des émotions), moins violente que la terreur. » La peur est à différencier de l’angoisse et de l’anxiété : « L’angoisse se différencie de la peur par l’indétermination de son objet. La sexualité et la mort sont les deux grands motifs d’angoisse. De même nature que l’angoisse, l’anxiété s’en différencie par sa moindre intensité et par sa plus grande durée.

    Dans le Petit Robert, la peur est définie comme étant « un phénomène psychologique à caractère affectif marqué, qui accompagne la prise de conscience d’un danger réel ou imaginé ; l’angoisse est un malaise psychique et physique, né du sentiment de l’imminence d’un danger, caractérisé par une crainte diffuse pouvant aller de l’inquiétude à la panique et par des sensations pénibles de constriction épigastrique ou laryngée (gorge serrée) »

    D’où vient la peur ? Peur de quoi ? Peur de qui ?

    S’il est difficile de répondre simplement, c’est parce que la peur renvoie en réalité à plusieurs sentiments

    D'où Vient la peur ?

    De l'extérieur de soi ? D’un élément concret vu ? De quel élément vivant ? Un être ? Un animal ? Un phénomène ? Un élément naturel : l’eau, la montagne et ses hauteurs et son vide ?

    De l'intérieur de soi ? On dit bien : avoir la peur au ventre, cette expression nous fait tout de suite ressentir le mal que l’on peut avoir ainsi.

    Quand on demande : de quoi as tu peur? Les réponses sont: peur du noir, des araignées,.....

    On a peur mais y a t il un danger réel ? Non !

    Donc, je distingue 3 différentes provenances à la peur

    1/ La peur réelle face au danger, c’est la peur d’un mal présent : (qu’on pourra nommer frayeur ou même épouvante), la peur d’un mal futur (qui correspond plus précisément à la crainte). La peur vient du mal que nous pouvons avoir, a tort ou a raison, si on est présent à cette réalité.

    2/ la peur liée a l’angoisse de quelque chose : on a peur du vide, on a peur des escaliers… on a peur de la mort. Chacun peut en réfléchissant dire : j’ai peur de...

    3/ la peur suggérée donc imaginée, donc ressentie, et non réelle devant un danger décrit, représenté, par exemple à la lecture d’un livre, à la vision d’un film d’horreur, en regardant des toiles de grands maîtres : je vais en citer deux :

    Les demoiselles d’Avignon, fameuse toile de 1907, de Picasso, qui a révolutionné l’art pictural du début du XXème : un groupe de femmes nues, au regard d'épouvante. On est en 1907, le peintre revient sans cesse sur cette composition qui l'obsède, Le Bordel d'Avignon, qui illustre le désir, le danger du sexe, la peur de la mort.

    Et la peur, dans cette toile Le cri de Munch.

    En réfléchissant sur la peur, je me suis demandé si la peur était un sentiment dont il fallait se débarrasser, un sentiment qui nous encombre ? Faut-il lutter contre la peur ?

    Développement sur la peur :

    Comme chez l’animal la peur est reliée à notre instinct de survie. Mais chez l'être humain, la peur recouvre des significations différentes notamment influencées par la pensée, la raison et l'inconscient psychique (c'est-à-dire le monde des angoisses et de l'univers pulsionnel). La peur, pour la comprendre, doit être replacée dans son contexte psychologique, affectif et relationnel. La peur prend racine dans les tréfonds de notre inconscient et vient faire surface de manière brutale comme pour nous rappeler à quel point nous sommes vulnérables et mortels. La peur est intimement liée à l'angoisse de mort et à la violence, phénomènes susjacents à la condition humaine. Sur le plan inconscient, cette angoisse de mort nourrit nos peurs les plus primitives que nous avons héritées depuis notre toute petite enfance. A cette perte d'objet ou des êtres aimés viennent s'ajouter les angoisses d'abandon, de rupture, d´anéantissement.

    On peut notamment distinguer la peur d’un mal présent (qu’on pourra nommer frayeur ou même épouvante) de celle d’un mal futur (qui correspond plus précisément à la crainte). Dans tous les cas, nous avons peur de ce qui est susceptible de nous faire du mal de quelque manière que ce soit. Pourtant, l’étudiant convaincu qu’il n’aura pas son examen n’éprouve pas de peur, mais plutôt du désespoir. Car la peur est toujours plus ou moins peur de l’inconnu et est donc liée à l’ignorance. Il faut en outre remarquer que cette ignorance du mal dont on a peur laisse souvent place à l’espoir d’y échapper. On peut même aller jusqu’à dire que la crainte et l’espoir, loin d’être des sentiments opposés comme on le dit parfois, sont au fond les deux aspects d’un même sentiment : il n’y a pas de crainte sans espoir ni d’espoir sans crainte. Inversement, le désespoir total est incompatible avec la peur. Par là peut se comprendre la peur de la mort. À supposer qu’elle soit considérée comme un mal, la mort, étant une certitude pour chacun d’entre nous, devrait plutôt susciter le désespoir que la peur. Toutefois, à bien y réfléchir, ce n’est pas exactement la mort elle-même qui fait peur, mais ce qu’elle représente d’inconnu : quand vais-je mourir ? Que m’arrivera-t-il au moment de ma mort ? Celui qui connaîtrait la réponse à ces deux questions n’aurait plus peur de la mort. Si l’on n’a peur que de ce qu’on ne connaît pas, le savoir serait le remède contre les peurs. Ainsi la science nous libère-t-elle de certaines d’entre elles : la foudre cesse en grande partie d’être effrayante dès lors qu’on en a une connaissance scientifique. De même, l’avenir étant, par définition pourrait-on dire, inconnu dans une large mesure, il est pour certains l’une des grandes sources de nos peurs.

    Le désir de se libérer de ces peurs a pris des formes variées au cours de l’histoire. Pour ceux qui n’y adhèrent pas, la superstition n’est ainsi rien d’autre qu’un ensemble de tentatives naïves et illusoires pour se libérer de la peur de l’avenir en général (la divination sous toutes ses formes : astrologie, cartomancie…) et des mauvais coups qu’il nous prépare en particulier (les porte-bonheur et autres grigris).

     Dans cette logique, la “connaissance” de la mort que nous proposent les religions (en particulier l’existence du paradis) est également considérée par certains penseurs athées comme une tentative mensongère et pathétique à laquelle se livrent les croyants pour se libérer de la peur de la mort.

    Sur le plan pathologique, la peur prend par exemple la forme de la phobie (claustrophobie, agoraphobie…) ou de l’angoisse (qu’on a pu définir comme une « peur sans objet ») ; certaines personnes sont sujettes à ces formes de peur qui sont heureusement, dans une certaine mesure, susceptibles d’être “guéries” (par psychothérapie et éventuellement médicaments, comme les anxiolytiques), sauf dans ses formes extrêmes, comme la paranoïa.

    Pour ce qui est de la peur dans les rapports entre les hommes, le mot “xénophobie” nous renseigne peut-être sur le sens profond du racisme : cette haine serait en réalité une peur ou une crainte (phobos), elle-même fondée sur une ignorance ou une méconnaissance des “étrangers” (xenos). Certains partis politiques exploitent manifestement cette peur, l’entretiennent, voire la fabriquent de toutes pièces, parfois avec la complicité des médias, comme on a pu le voir dans certains débats sur “l’insécurité”.

    Enfin, les plus anciennes tyrannies comme les dictatures modernes ont su asseoir leur pouvoir sur la peur.

    Toutes les remarques qui précèdent expriment ce qui est une évidence pour beaucoup de gens : la peur est mauvaise, nuisible, et doit être combattue ou au moins dépassée (le courage serait ainsi moins l’absence totale de peur que la résistance à la peur). Or sur la peur dans sa dimension instinctive, l’éthologie (l’étude scientifique du comportement animal en milieu naturel) nous livre un tout autre enseignement : la peur est non seulement utile, mais parfois vitale au point d’être un élément déterminant dans la sélection naturelle. Ainsi les animaux qui ont peur de leurs prédateurs fuiront plus tôt que les autres et auront donc plus de chances de survivre. La peur est donc à l’origine de certains comportements vitaux. A contrario, chez l’enfant, l’absence de peur du vide est parfois fatale… Dans un autre registre mais dans la même logique, craindre de rater un examen incitera peut-être l’étudiant à travailler. Craindre une amende poussera peut-être le conducteur pressé à respecter les limitations de vitesse. La peur de la mort elle-même m’obligera peut-être à donner un certain sens à ma vie.

    La peur n’est elle pas donc indissociable de la connaissance, du savoir ?

    Les deux dernières remarques qui peuvent vous interpeller pour essayer de donner des réponses a ce sujet, d’où vient la peur ?

    Si on dit « être rouge de colère » ou « avoir une peur bleue » c’est que la peur est une émotion. Elle peur est une des 6 émotions fondamentales : selon le psychologue américain Paul Ekman, né le 15 février 1934, qui est  l'un des pionniers dans l'étude des émotions ... La joie la tristesse la peur la colère la surprise le dégoût

    Actuellement en fait on en considère 4 essentielles, les 4 premières citées.

    D'où vient la peur ?

    Après réflexions, ne serait-il pas judicieux de faire le tri entre nos “ bonnes” et nos “mauvaises” peurs ? Mais alors une autre question se poserait, selon quels critères ? 

    Débat

    Philippe : Je voudrais qu’on sépare bien la peur, l’émotion, des phobies. Tu as parlé de la peur des araignées, beaucoup d’animaux sont générateurs de phobies.

    Et puis à propos de la peur on ne peut pas éviter de citer ce que dit le Jedi à son élève : « Tu auras peur. » La peur est nécessaire dans l’apprentissage de la vie, parce qu’elle nous permet d’éviter un certains nombre d’éléments néfaste ? C’est pour ça que je voulais citer Star Wars qui est à la mode actuellement.

    Michel : Dans Star Wars le maître du jeune lui dit effectivement « Tu auras peur » mais il rajoute « Fais bien attention, la peur t’amènera dans le côté sombre de la force ». Ce qui veut dire que, dès l’instant où se déclenche une peur, on se retrouve avec tout un enseignement de violence, de non respect de soi même. C’est-à-dire que là on se laisse aller vers la colère, pour se défendre on va aller vers tout ce qui peut être le côté guerrier de la force.

    Philippe : Je reviens à la démesure dans laquelle il ne faut pas tomber

    Mireille : Ce qui me semble important de noter, c’est que la peur a pour origine première l’inconnu ; tu as parlé de la mort, de la connaissance, c’est l’inconnu qui engendre la peur. La peur est un instinct de survie. On le voit très bien dans un détail fréquent : quand quelqu’un arrive derrière nous et que nous ne nous attendions pas, on réagit tout de suite par un sursaut et un cri. On ne réfléchit pas la réaction est immédiate. La question que je pose est « Pourquoi l’inconnu nous fait-il aussi peur ? »

    Arielle : Quand on a peur, sait-on que c’est à cause de l’inconnu ? Comme tu dis on réagit comme ça sans temps de réflexion. C’est complètement primitif.

    Pierre : Chacun d’entre nous, j’imagine, appréhende la peur de façon différente, est atteint par la peur de manière différente. Ça m’amène à penser que la peur est d’abord un rapport de soi à soi. C'est-à-dire qu’elle s’installe en nous et l’inconscient  est quelque chose à fouiller puisque c’est comme quelque chose qu’on a posé en nous même à travers les parents, par exemple, ou notre histoire de vie. On a déposé en soi un certain nombre de choses qui ont rapport avec la peur. Et donc la première réaction qu’on a est comme si on avait un rappel vers ces choses qu’on a posées en nous.

    Mireille : Qu’on a déposées en nous ou bien qu’on a posées nous même ?

    Pierre : Pour moi, qui ont été déposées en nous ou, peut être bien, dont on a hérià travers la généalogie. Quelque chose qui nous habite mais d’une manière première. Comme elle nous habite d’une manière première, et bien, finalement, tout ce qui touche à la peur est en rapport avec ce qui a été déposé en nous et ce qui va provoquer le retour vers cette première peur. C’est toujours un rapport singulier, ce sont mes peurs, elles m’appartiennent. Je ne pense pas qu’elles soient partageables ; certaines, peut être, mais elles sont d’abord à soi et définissent notre rapport avec la nature, les animaux, les autres.

    Marie Christine : Je suis d’accord avec toi Pierre, la peur est inhérente à la condition humaine. Tu parlais, Mireille, de l’inconnu,  à partir du moment où le bébé arrive, et peut être bien, déjà, avant la naissance, dans l’utérus, il est plongé dans l’inconnu, c’est violent quand même la naissance. La peur est inscrite en nous et toutes les peurs qu’on va avoir dans notre vie vont raviver cette perte du confort utérin. Après, chacun a une histoire de vie différente, mais par rapport à l’existence, le fait d’être jetés de façon violente dans la vie c’est l’origine de nos peurs, c’est notre socle qui suivant ce que nous vivons sera ravivé.

    Anne : Oui, pour confirmer ce que tu   viens de dire, André Comte-Sponville dit que la peur est le premier sentiment, sans doute, au moins ex-utéro. Il dit : « Nous naissons dans l’angoisse, nous mourons dans l’angoisse. Entre les deux, la peur ne nous quitte guère. Quoi de plus angoissant que de vivre ? C’est que la mort est toujours possible, et c’est ce qu’on appelle un vivant : un peu de chair offerte à la morsure du réel. »

    Pour revenir à ce qui a été dit avant, beaucoup de psychologues pensent que la peur qui vient de nous, qui n’est pas une peur qui vient de l’extérieur, elle est inscrite dans les profondeurs du cerveau reptilien.

    Nadine : De toute façon on apprend la peur aux enfants quand ils sont petits : « si tu n’es pas sage le loup va te manger… Comme dans toutes les maisons de campagnes il y avait des pendules et on me disait : «Cette pendule c’est Rampenot, si tu n’es pas sage il va t’emporter ». La peur est un sentiment que j’ignore, alors quand les gens me disaient ça je disais « Au revoir Rampenot. ». Ça ne me faisait pas peur car je n’ai peur de rien.

    Anne : Et si une porte claque brutalement, vous ne sursautez pas ?

    Nadine : Si, mais ce n’est pas ça la peur. C’est de la surprise.

    Michel : Le flegme britannique est, à la limite, une manière de contenir ses peurs en ayant un stoïcisme très appuyé ; à savoir que devant quelque chose qui fait mal, qui est dangereuse, ces gens restent parfaitement de marbre pour supporter ce que d’autres diraient très porteur de peurs.

    Monsieur X : C’est naturel ou pas ?

    Michel : C’est de l’acquis. Depuis leur jeune âge ces gens sont habitués à fonctionner d’une certaine manière. Arrivés à 18/20 ans ils savent passer au-dessus de toutes les contingences et quand ils se trouvent dans une situation pouvant créer la peur, ils restent pragmatiques et à la limite, ils essayent de savoir ce qui se passe en étant tout ce qu’il y a de plus flegmatique. Est-ce que le flegme est une façon de nier la peur ou, éventuellement une éducation qui fait qu’on apprend aux jeunes à être tout ce qu’il y a de plus calme vis-à-vis de ces choses là.

    Il ne faut pas oublier que la peur amène à l’intérieur du corps humain des changements énormes avec les surrénales qui se mettent en marche, le système du battement du cœur qui s’accélère. On vous dira tranquillement que si un jour vous êtes poursuivi par un taureau, comme dans la course des vachettes de Guy Lux, je l’ai expérimenté, alors qu’en temps normal vous êtes capable de sauter une barrière de 1m50 quand vous avez la bête derrière vous vous multipliez par 3, voire 4, vos possibilités. La peur apporte au niveau du corps humain une multiplication des possibilités.

    Philippe : Ou ça les inhibe aussi.

    Françoise : Je voudrais rebondir sur ce que tu dis, Michel, sur l’éducation anglaise ; Oui, c’est en effet une éducation, mais je ne pense pas du tout que ces personnes n’ont pas de peurs. Je pense qu’en effet elles en sont séparées. Il y a une négation de la peur, ce qui peut être très dangereux dans la vie d’être séparé de ses peurs, parce qu’à ce moment là le danger on ne le sent plus. Je ne pense pas que ce soit des gens qui soient très heureux ; on sait que la Grande Bretagne est le pays où il y a le plus de problème d’alcool, parce que, justement ils sont séparés de toutes leurs émotions. Parce que lorsqu’on arrive à se séparer de ses peurs c’est aussi de toutes les émotions dont on se sépare.

    Janine : Pour cette histoire de fonctionnement des anglais, j’ai lu une histoire : c’était pendant la guerre, la dernière, un chauffeur de taxi amenait un militaire français dans un déplacement dans Londres. Il y avait des bombes qui tombaient par-ci, par-là. A la fin du déplacement, le militaire français dit au chauffeur « Nous avons eu beaucoup de chance » et le chauffeur lui répond « Ah, oui, monsieur, rien que des feux verts. »

    Véronique : Je ne sais pas si le flegme anglais vient d’une négation ou d’une coupure de la peur. N’est-ce pas juste un comportement social où il est bon de contrôler l’expression ? Un anglais peut avoir terriblement peur mais ne lui a-t-on pas tout simplement appris à ne pas le montrer, à ne pas extérioriser, l’expression de ces émotions ? Je pense que c’est plutôt ça car si elle peut être inhibante, la peur est utile.

    Marie Christine : Je trouve intéressant le regard bouddhiste qui travaille sur les émotions sans s’en séparer, mais qui permet d’arrêter les représentations, parce que la peur c’est beaucoup de représentations, de scenario, il se concentre beaucoup plus sur le présent. Je ne dis pas que ça supprime toutes les peurs, mais de travailler à maitriser le mental et d’être plus dans ses perceptions présentes, ça peut les calmer. J’entendais Matthieu Ricard parler l’autre jour, il dit qu’il a encore peur mais qu’il a fait un travail qui lui permet d’être apaisé et surtout de ne pas partir dans des scénarios qui arriveront peut-être ou pas. Il ne faut pas supprimer toutes peurs mais travailler pour que cela soit acceptable.

    Arielle : Cela veut dire qu’il est bon de la contrôler.

    Pierre : Ça me fait penser à la peur qui fait peur, aux représentations multiples qu’on se donne. On s’est déplacés vers le domaine de l’éducation et j’aimerais y revenir : comment l’éducation peut aider à faire un tri ou non. Quand vous parliez de votre horloge, ça me faisait penser au Père Noël. Quels sont les outils que se donnent les parents pour quand même assagir ou protéger l’enfant d’un certain nombre de dangers. L’éducation, comme le savoir, la connaissance ont un rôle fondamental. Il faudrait savoir faire le tri dans l’éducation de ce qui est bon pour soi et ce qui ne l’est pas. Mais là ça devient compliqué.

    Arielle : L’éducation est donnée par les parents qui essayent de faire ce qui est bon pour leur enfant, mais l’enfant devient un adulte et on se rend compte après que tout n’était pas forcement bon.

    Anne : A propos d’intervention, comme vous le disiez, d’un moyen sur des enfants plus ou moins turbulents, quand on ne sait pas comment faire, on leur fait peur. C’est aussi un moyen utilisé à d’autres niveaux par des dictateurs, c’est quand même quelque chose de très puissant.

    Jacques : A ce sujet, quand monsieur Vals dit à la télévision qu’il y aura s’autres attentats en France, est-ce que c’est de l’éducation. Et si ce n’en est pas qu’est-ce que c’est ?

    Arielle : De la politique.

    Anne : C’est peut-être de l’information mais on ne va pas rentrer dans un débat politique.

    Jacques : Ce que je voulais dire c’est que : est-ce que son message apporte de la peur ou n’en apporte pas.

    Arielle : On n’a pas besoin de lui pour avoir peur.

    Marie Christine : Quelque soit le moyen éducatif, les parents n’ont eux même pas réglé leur propre peur. Quand Flaubert disait « Aussitôt que je vois un berceau, je vois une tombe »… J’ai une fille qui vient d’avoir son premier enfant, elle se lève 5 fois la nuit parce qu’elle a lu qu’il y avait qu’il y avait des morts subites du nourrisson. Je pense que dans le non-dit on transmet énormément nos propres peurs. Pour être un parent acceptable il faudrait avoir réglé le problème de nos propres peurs et en dehors du discours. Mais on fait de son mieux. Moi, j’ai peur des chiens, parce que ma mère était terrorisée par les chiens, elle essayait de ne pas le dire, mais en fait je la voyais, elle suait quand elle rencontrait un chien.

    Marie : Pour continuer la conversation sur la politique : « est-ce un message de peur ? », je dis oui, parce qu’il y a des régimes totalitaires qui font peur aux hommes pour contenir,  pour les amener là où les dirigeants veulent.

    Philippe: Pour abonder dans ce sens, toutes les religions utilisaient les menaces et la peur pour maîtriser et gouverner. « Tu enfanteras dans la douleur » est une parole qui a marqué des générations et des générations de femmes. Or l’enfantement n’est pas forcément dans la douleur. La femme africaine qui ignore la religion accouche quelque fois douloureusement, d’autre fois pas du tout.

    Marie Christine : Surtout aujourd’hui avec la péridurale qui n’était pas prévue dans les textes.

    Philippe : Justement, tous les organismes de pouvoir utilisent cette peur, or les religions sont des organismes de pouvoir.

    Marie : Comme la superstition dont on a parlé tout à l’heure. On croit connaitre quelque chose mais en fait c’est le cerveau, l’imagination qui construit le drame.

    Nadine : Pour reprendre ce que vient de dire Philippe à propos des religions, pour ma part, quand j’étais au catéchisme, on a voulu aussi me faire peur. Mais ça n’a pas davantage marché.

    Michel : Il y a quelque chose de très important : depuis 1950, on peut dire même depuis Nagasaki, les pays dits civilisés et à hauts pouvoirs technologiques ont inventé la bombe atomique. Les américains quand ils ont eu la bombe atomique ont dit à Staline « Tu as vu avec la bombe atomique on est capable de te nettoyer la ville de Moscou ». Quelques temps plus tard, les russes ont dit « Tu as vu on a fait la même chose que vous ». Et là, on est rentré dans une politique de la peur, qu’on a appelé la dissuasion. La dissuasion c’est : l’un dit « Si tu me touches, je te fais des millions de morts » et l’autre répond «  Je te fais la même chose ». On s’est donc retrouvé avec un équilibre de la peur. J’ai récupéré des notices des années 1955-60 qui étaient distribuées aux pompiers français où était écrit tout ce qu’il fallait savoir pour déblayer les gravats, avec des petits tableaux qui disent si la bombe est tombée à tant de mètres vous avez ceci à protéger etc. Cela montre bien qu’on était dans une logique de peur. Et dans le même temps on disait aux gens « si vous voyez un fort éclair, cachez vous les yeux » ce qui a semé la panique notamment parmi le peuple américain.

    Pierre : J’ai envie de revenir à moi et je dirais : voilà, la peur est à différents étages, le premier étant aux origines de la vie où on a, en soi, un certain nombre de peurs installées. Alors, vient la naissance, vient l’éducation, vient la vie en société, et on a bien vu que le pouvoir est fondé sur la peur, je ne veux pas revenir à la religion mais le confessionnal ce n’était pas mal… Donc qu’est-ce qu’on fait avec ça ? C’est-à-dire comment peut-on arriver à se sentir dans une forme de liberté d’être quand déjà on a toutes ces étapes à franchir ? Est-on en mesure de reconnaitre en soi la peur qui nous habite, ensuite, qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Dans un premier temps aller chercher en soi ces foyers pernicieux dont on a hérité. Puis, à propos d’éducation, qu’est-ce qu’on va prendre ou laisser ? C’est-à-dire trouver ce qui va nous amener à un surcroit de liberté mais aussi de sécurité. Et enfin, dans le rapport qu’on a avec notre société et plus précisément le pouvoir, comment va-t-on faire avec ces dispositions fantastiques qu’a l’état de nous faire peur. Voilà, moi je suis plutôt à me dire : «  qu’est-ce que j’ai fait dans mon existence pour affronter, dépasser tous ces foyers de peurs que j’avais en moi ou qui se sont présentés à moi ? »

    Anne : J’avais noté une différence entre une peur présente qui est une frayeur, une épouvante, quelque chose qui survient instantanément, avec les manifestations physiologiques et physiques qui peuvent l’accompagner, et puis, une peur qui est générée par quelque chose qui est dans le futur et sur laquelle on peut réfléchir et avoir une action, une possibilité d’agir d’une façon ou d’une autre et qui peut être une peur positive. Alors qu’avec la peur instantanée, on est vraiment dans l’épouvante, dans la perte de moyens.

    Mireille : La peur dont parlait Michel, ou les peurs sociales sont plutôt des appréhensions, des angoisses, pour moi la peur véritable implique vraiment une réaction physiologique. Si j’avais été au Bataclan j’aurais eu réellement peur parce que j’aurais été vraiment en danger. Alors quand on me dit « il va y avoir d’autres attentats, faites attention, ou quand j’ai vu dans Paris des militaires partout, ou d’être fouillée dans certains lieus, ça ne provoque en moi aucune réaction de peur, ça éveille en moi de l’appréhension, de l’angoisse. Je crois qu’il faut bien différencier ces deux notions.

    Arielle : Je trouve que ça rejoint la peur, c’est une peur mentale, intellectuelle mais réelle. Et pour revenir à ce qu’on disait du pouvoir de la société,  ceux qui l’ont, créent la peur par leurs stratégies machiavéliques.

    Anne ; J’ai noté justement ce que dit Machiavel : il enseigne que « le Prince doit être craint, mais cependant ne pas être haï. S’il est haï, il retourne le peuple contre lui, s'il est seulement craint, il maintient son autorité et son pouvoir. »

    Arielle : C’est de la stratégie politique. Pour revenir à notre question « D’où vient la peur ? », elle peut venir du ventre, de la naissance etc. Mais elle peut venir aussi de ce pouvoir sociétal qui crée d’autres peurs.

    Nathalie. : Surtout la peur de la liberté. Ce n’est pas une peur physique, on est conscient.

    Jacques : Il y a la peur de perdre sa liberté, oui mais, moi je me mets à la place du chômeur qui est libre toute la journée et qui ne trouve pas de travail. Je pense que lui voudrait être moins libre et être occupé. On en revient au problème de société et c’est vrai que ce n’est pas réjouissant.

    Françoise : Je voudrais revenir sur les différentes peurs et sur les différentes appellations de la peur. Il y a celle qu’on ressent pour éviter le danger : une porte claque et on pense que ça peut être autre chose, cette peur est physique. Ensuite Philippe a parlé des phobies, nous en avons tous même si ne sont que des petites. Le problème des ces peurs c’est qu’elles sont inconscientes, on ne peut avancer sur ces peurs que si on les rend conscientes, c’est tout un travail sur soi qui est très long mais qui nous permet d’avancer dans la vie. Ça nous permet à la fois d’aller vers les autres et à la fois d’améliorer notre  vie, peut-être faire un métier qui nous plait, rencontrer des personnes qui nous plaisent… de s’ouvrir beaucoup à la vie. Et enfin il y a l’angoisse c’est aussi des peurs mais sur lesquelles on n’a pas mit de mot. On ne sait pas de quoi on a peur mais on la ressent.

    Anne : Kierkegaard,  qui s’est beaucoup penché sur l’angoisse, fait une distinction entre ces deux émotions que l’on peut ressentir : « la peur vis des autres êtres du monde et l’angoisse vis-à-vis de soi-même ».

    Marie Christine : Je suis d’accord, Anne, avec ce que tu disais tout à l’heure : la distinction entre la peur face à un tsunami par exemple, là personne ne peut dire qu’il n’a pas peur, et toutes les autres peurs sur lesquelles on peut travailler. La peur devant un pouvoir totalitaire, ça va être dur mais il y a eu des résistants pendant la guerre. Ce sont deux peurs qui n’ont rien à voir. Il y a la peur vitale et puis la peur qu’on peut travailler, il y a une posture vis-à-vis de soi, et un travail de citoyen aussi avec l’engagement : aller voter, enfin, toutes ces choses qui permettent aussi d’avoir un petit peu de prise. Tant qu’on n’est pas dans l’urgence il y a moyen de travailler et sur soi et avec les autres.

    Véronique : Je voudrais faire un petit peu le lien entre ce que disais Philippe et ce que disait Michel. Il y a la peur qui développe nos capacités, qui peut les démultiplier, mais il y a aussi celle qui paralyse. Devant un tsunami on se met à courir très vite, il y a un côté instinctif, mais dans des domaines plus conscients, mieux on sait d’où vient la peur qui tout d’un coup nous habite, mieux on réagit. Si on ne la connait pas, si on ne sait pas d’où elle vient, elle peut assez vite se transformer en angoisse, surtout si elle est très forte, surtout si elle n’est pas seule, qu’ ’il y a plusieurs peurs, et là ça peut devenir paralysant. En revanche une peur dont l’origine est à peu près cernée, comprise, qu’on puisse se dire «  ok j’ai peur de ça parce que il y a mon histoire, ma culture, mon éducation, mon environnement etc. », cette peur existe et malgré ça je peux faire quelque chose pour lui donner moins d’ampleur, l’apprivoiser et avancer. Et ainsi, on va probablement plus vite et plus loin. C’est un peu comme la différence entre le courage et la témérité. La téméraire c’est quelqu’un qui fonce qui n’a pas peur, le courageux il sait qu’il y a un danger, il l’a quantifié, il sait que le danger justifie le sentiment de peur et il trouve les moyen de donner à cette peur la dimension qu’elle doit avoir mais pas plus. La question « d’où vient la peur ? » est une question hyper importante à se poser quand elle est là justement pour la dominer. Je ne sais pas si on peut dominer ou contrôler une peur, si on n’a pas vraiment pas comprit d’où elle vient.

    Michel : A propos de la témérité et du courage, j’ai en mémoire un jeune de 18 ans qui avait beaucoup de petits morceaux, il en avait 14, il était tombé plusieurs fois ; mais à chaque fois il a remit sur le papier ce qu’il avait loupé le coup d’avant, il avait raté son saut mais il recommençait. Il y a certaines personnes qui cultivent cette peur. A 18 ans j’aurais fait le saut à l’élastique mais 30 ans plus tard non. Au niveau de l’armée, on prend des jeunes et on leur amène des peurs mais il y a derrière un entrainement, on en revient à l’éducation, qui fait que dans tel cas on va pouvoir avoir des réflexes qui sont complètement fabriqués. Les gens ont peur, ils se trouvent dans un état de peur, mais on leur a dit dans un coup de temps comme ça vous faite ça, ça et ça. Si on prend l’exemple du non-entrainement, vous avez 36 morts dans le Concordia parce que la panique s’est installée, la panique c’est la peur. On dit « les femmes et les enfants d’abord », mais dès que ça ne marche plus le commandant fout le camp. L’équipage n’avait aucun entrainement pour lutter contre la panique qu’il y a eu. L’entrainement c’est un conditionnement pour lutter contre la peur.

    Philippe. : Pour aller dans ce sens là, j’ai l’expérience vécue des conseils donnés par l’armée française en matière de radioactivité : « première chose : fermez les yeux avant de voir l’éclair ».

    (Rires) C’est dans le livret de préparation élémentaire.

    Gino : pour information, dans le nouveau code maritime, ce n’est plus «  les femmes et les enfants d’abord », on doit conserver les familles ensembles, parce qu’on a observé que le taux de survie est bien supérieur quand on laisse les membres d’une famille ensemble.

    Anne : Il y a un point qui a été évoqué dont on n’a pas parlé : c’est le côté contagieux de la peur. Il y a une petite nouvelle de Maupassant qui, justement, s’appelle « la peur » qui évoque ça d’une façon assez terrifiante.

    Nadine : Aujourd’hui les marins ne sont plus formés dans des écoles maritimes. On prend des gens n’importe où, ils sont surtout formés pour le travail, pour le matériel, et pas pour les passagers.

    Marie Christine : Je suis d’accord avec vous,  certaines réponses devant certains dangers, évidemment ça fait partie de l’éducation. Bien sûr pour lutter contre la peur il y a la psychanalyse mais aussi la créativité. Il y a des ateliers d’art thérapie, notamment en gérontologie, en faisant du dessin, de l’écriture, des poèmes, en chantant… ça amène une aide, un moyen, pour exprimer et poser ses peurs.

    Arielle : On peut donc surmonter sa peur grâce à une volonté personnelle, grâce à la connaissance. Mais ce qui est apparu aussi comme un autre élément c’est ceux qui cultivent la peur chez l’autre pour dominer. C’est une autre facette de la peur qui est crée.

    Martine : Je suis arrivée très tard, vous avez peut-être traité la question. Je me souviens étant jeune avoir lu, dans un livre de Sartre dont j’ai oublié le titre : « Le raciste est un homme qui a peur ». Quand j’ai vu le thème d’aujourd’hui, je me suis demandé de quelle peur il s’agissait sinon celle due à l’ignorance. J’ai toujours eu beaucoup d’adolescents qui m’environnaient et souvent ils me disaient « J’ai peur », et je me disais « pourquoi ont-ils peurs ? » et en fait c’était dû à cette mutation entre l’adolescence et l’âge adulte. Ils se trouvaient dans une espèce de no man’s land et pour être mieux il fallait qu’ils franchissent quelque chose qui pouvait faire peur.

    Arielle : Oui, c’est ce qu’on a dit, on a souvent peur de ce que l’on ne connait pas, donc le savoir, la connaissance peuvent nous apprendre à dominer cette peur.

    Véronique : C’est intéressant cette réflexion « le raciste est un homme qui a peur ». Alors il peut avoir peur de l’étranger, peur de l’inconnu,  mais c’est peut être aussi pour donner un visage à sa peur et c’est peut-être plus facile de choisir un visage noir ; donc peur parce qu’il est inconnu, peur parce qu’il n’a pas la même religion, peur parce qu’il va me piquer mon boulot, et en fait c’est la peur du chômage, de l’avenir, peur de perdre sa sécurité, son confort et à défaut d’avoir compris d’où venait la peur on choisit un objet à qui on attribue la cause de cette peur. C’est très choquant et facile de se dire « ce n’est pas bien », mais il y a certainement des tas de situations où on se trompe d’objet. Simplement quand on entend ce que vous disiez des propos de Vals, est-ce qu’il faut avoir peur du machiavélisme de Vals qui parle de la probabilité qu’il y ait des attentats en France ou est-ce qu’on a peur des attentats eux-mêmes et on lui en veut de nous rappeler cette peur là ? Est-ce que c’est lui qui est responsable de la peur qu’on a des attentats ? Et à l’inverse, les marins du Concordia, dont vous parliez, si on les avait forcés à faire une formation aux gestes de survie, de sécurité en cas de naufrage, n’auraient-ils pas pu dire aussi «  les patrons nous font peur avec cette formation ». Donc, est-ce que la peur ne dépend pas de la façon dont on réagit à chacun des éléments qui peuvent nous arriver, ou pas nous arriver, qu’on peut redouter et imaginer qu’un jour… ? On en veut à un politique, un armateur, ou à un homme qui n’a pas la même couleur au lieu d’aller chercher la cause peut-être dans l’éducation, peut-être dans l’héritage, dans ce qu’on a en soi tout petit, ou encore dans un évènement mal digéré de notre histoire.

    Marie Christine : Est-ce que les médias ne sont pas un robinet de sinistrose et de peur : entre les vols, les crimes, les attentats… Et pour ceux, les personnes âgées par exemple, qui regardent ça du matin au soir, n’est-ce pas le meilleur vecteur de la peur ? Parce qu’enfin, au Moyen Age c’était terrifiant ce qui se passait, sauf qu’aujourd’hui on a l’impression qu’on est à la fin du monde et au bout de tout ; entre ce qu’on mange, qu’on respire, ce qui va ce passer c’est une espèce de sinistrose et qui en plus fidélise les gens. C’est terrible parce qu’on est prit dans une espèce d’engrenage.

    Mireille : Oui, mais ça a aussi l’effet contraire, trop rend incrédible, ou du moins habituel, indifférent.

    Françoise : Je voudrais revenir sur ce que disait Véronique qui me semble très juste : la focalisation de toutes nos peurs sur une cible, on l’a vu hélas avec les juifs. C’est en fait la concentration de toutes nos propres peurs dont on n’a pas pris conscience et qu’on ramène sur les autres.

    Quand au rôle des médias c’est comme un lavage de cerveau et, du coup, on n’est plus dans la réalité, on ne la voit plus. On ne voit plus que ce qu’on nous transmet, que ce qu’on nous dit. C’est pour ça que ce travail sur soi est important parce qu’il nous permet d’en sortir. Sinon il me semble que ça devient presque une façon de vivre, on ne vit plus que dans l’angoisse.

    Pierre : Je me demandais ce qu’on oublie en soi-même pour aller à l’encontre de ce qui nous assaille ? C’est vrai que la parole est fondamentale pour faire ce travail, la parole dans l’échange est une manière d’atténuer les peurs ou même à un moment les faire disparaitre. Mais ça mobilise aussi des vertus. Quand tu as parlé du courage, dans certaines circonstances de mon existence je me demande quelle force de caractère j’ai mobilisée pour justement aller à l’encontre de cette angoisse, de cette peur qui m’animait ? Je me souviens quand j’étais jeune animateur, j’avais peur de parler aux autres, de parler en public. Dans les premières rencontres que j’ai eues j’étais dans une trouille pas possible, et pourtant il fallait bien parler, il fallait bien dire quelque chose. Donc, je crois qu’à un moment donné mon caractère m’a permit de dépasser cette peur et de faire face. Je dirais que, d’une part, on mobilise des vertus. Quelles sont-elles ? On évite de regarder ailleurs, comme tu disais, de trouver des boucs-émissaires, et je dirais aussi qu’on apprend. Parce que, comme tu disais au travers de l’entrainement militaire, apprendre à se protéger, à se défendre de quelque chose, pourquoi pas l’étendre à autre chose, à d’autres circonstances de la vie. Je suis toujours dans l’idée que, certes, il ne faut pas aller chercher de tous les côtés mais en soi, et en même temps essayer de se frayer un passage libérateur entre tout se qui nous assaille autant de l’intérieur que de l’extérieur.

    Anne : Je pense que tu seras assez d’accord avec ce que dit Spinoza : « C’est la connaissance qui constitue le seul remède contre la peur »

    Françoise Marie : Je suis bien contente, Pierre, que tu apportes enfin un éclairage positif sur cette peur. Pour l’instant on en a parlé comme un démon presque. J’irai peut-être plus loin que toi : la peur est-ce que ça ne peut pas être pour nous comme un moteur pour développer la volonté et des qualités, tout autant que les épreuves qu’on peut rencontrer dans la vie ?

    Michel : Il y a eu deux grandes peurs : la peur de l’an 1000 où là, c’est surtout le côté spirituel qui a été mis en jeu, à savoir l’apocalypse, et puis il y en a eu une deuxième celle du passage à l’an 2000 où là les sciences, les technologies, tout le monde disait « l’an 2000 sera le chaos, nos ordinateurs ne sauront pas mettre un 2 à la place du 1, tout va se dérégler ». On a donc eu cette phobie de l’an 2000 et quand on regarde bien les fondements de cette peur sont strictement les mêmes que ceux de l’an 1000, à savoir : d’un côté l’apocalypse telle qu’elle était vue dans les écritures, et de l’autre côté l’apocalypse telle qu’elle était vue par la science.

    Jacques : Pour en revenir à ce qui a été dit, qu’on pouvait se créer des peurs, désigner des objets qui nous feraient peur, que le raciste choisit un étranger qui va lui faire peur, je pense qu’on n’a pas besoin de ça. Les dangers existent, je ne me désigne pas d’élément qui me font peur, ils sont là tous les jours : il y les accidents de la route, il y a le chômage, on a parlé de l’environnement, de la COP21 ; on nous dit que dans 60 ans Le Gua sera envahi par les eaux… Peut- être que certains se créent des peurs mais elles sont là, sans doute que les medias en rajoutent une couche mais le danger est bien là.

    Anne : C’est ce que dit André Comte-Sponville : « Nous naissons dans l’angoisse, nous mourons dans l’angoisse. Entre les deux, la peur ne nous quitte guère. Quoi de plus angoissant que de vivre ? C’est que la mort est toujours possible, et c’est ce qu’on appelle un vivant : un peu de chair offerte à la morsure du réel. » Est-ce que l’angoisse n’est pas inhérente à la vie humaine ?

    Marie : Je me demande si le Sage a peur.

    Anne : Je citerai une phrase d’une philosophie indienne qui dit « Nul n’échappe à l’angoisse, même les plus sages »

    Véronique : Comme le disait Françoise-Marie, c’est vrai que la peur peut-être aussi génératrice de progrès et d’évolution. Mais c’est vrai aussi que lorsqu’on allume son poste de télévision on a 95% de mauvaises nouvelles susceptibles de faire peur. Il ne faut pas se leurrer on ne nous impose pas quelque chose que nous n’acceptons pas de recevoir, sinon on éteint le poste. Si on a ça, avec de la pub avant et de la pub après, c’est qu’économiquement on sait qu’il y a beaucoup plus de gens qui regardent ce type d’informations, sinon on aurait an journal télévisé que de bonnes nouvelles. Pourquoi est-on à ce point là fascinés par la peur ?

    Brouhaha

    Marie : Juste un propos personnel je suis berrichonne et j’ai été baignée dans les histoires de sorcier. Quand on a l’explication scientifique on n’a plus peur.

    Nadine : Si on fait des films d’horreur ou qui font peur c’est aussi que ça plaît.

    Mireille : Je voudrais dire plusieurs choses. La première c’est quand on voit les enfants sur des manèges ou des chenilles dans les fêtes foraines, ils ont peur mais aiment avoir peur. Pourquoi ? Parce que cette émotion-là réveille l’adrénaline entre autres, avec tous ces effets plutôt agréables. La peur agit un peu comme une drogue que l’enfant sait très bien utiliser à travers les histoires de sorciers comme nous savons l’utiliser à travers le cinéma ou la télévision.

    Ce matin sur France Inter, Philippe Torreton disait  à peu près ceci «J’aime avoir peur parce que je me sent vivant »

    Arielle : Ressentir des émotions c’est terriblement vivant.

    Anne : Dans la peur des enfants sur le manège, que tu évoquais, il y a quelque chose de physique, un ressenti physique qui peut être plaisant.

    Martine : Dans les exemples que tu viens de donner ce sont quand même des peurs maitrisées. L’acteur, le comédien il a travaillé pour maitriser sa peur. Au fond il a peur de ne pas être parfait.

    Pierre : Je trouve que le mot que tu as utilisé, Véronique, «  fascination » est un mot tellement puissant. Si j’ai compris ce que tu disais, qu’est-ce ce qui fait qu’on a cette attirance presque morbide ?

    Véronique : Je ne sais pas d’où ça vient. Je sais que le 13 novembre, le jour du Bataclan, j’étais au cinéma ; en rentrant je reçois un SMS de mon fils qui habite à Paris qui me dit « tout va bien je suis à Marseille ». Je me suis dis il c’est passé quelque chose, j’ai allumé mon poste et moi, qui ne regarde jamais les informations parce que je bloque sur les mauvaises nouvelles qui font peur, je suis restée devant ma télé jusqu’à environ 2h du matin. C’est de l’hypnose ou de la fascination. Là ce n’est pas vraiment la peur mais l’horreur. En 10mn j’avais l’essentiel de l’information, 4h plus tard je n’avais rien de plus. Là ce n’est pas la peur, c’est le choc de l’horreur, mais tout de même je trouve que les programmes télévisés surfent beaucoup sur la peur. Les programmateurs des la chaines le font parce que le public choisit de regarder ça.

    Arielle : C’est peut-être que l’horreur c’est plus vendeur.

    Véronique : Oui, et on se demande pourquoi ?

    Mireille : Je ne suis pas trop d’accord avec ça. Dans un autre domaine qui est entre le beau et le laid, quand je travaillais comme styliste dans l’industrie les commerciaux me disait « il faut faire ça parce que les clients achètent ça », je répondais «  ils achètent ça parce que vous leur présentez ça, présentez leur quelque chose de beau ils achèteront du beau ». C’est pour moi exactement la même chose pour les programmes télé.

    Michel : J’ai eu l’occasion de travailler avec des gens comme Canal+, TPS et aussi avec M6, M6 qui à l’époque était un succédané de RTL dans l’Est. La directive au niveau de l’éditorial des journaux disait : « quand vous interviewer quelqu’un ça doit être quelqu’un de jeune, si c’est une dame elle doit être blonde, et éventuellement il faut que vous fassiez la parité, en conséquence de quoi si vous trouvez quelqu’un de typé vous le retenez et n’oubliez pas de mettre son nom dessus. ». Donc tout ce que vous voyez sur TF1 et les autres chaines, c’est entièrement mixé, c’est-à-dire qu’on ne va vous présenter que des choses qui vont vous interpeller et c’est le plus souvent la peur…

    Anne : Là on sort du sujet.

    Marie Christine : Je pensais deux choses : La première c’est les enfants qui jouent au foulard, ils jouent à « presque mort » qui pour eux est « pas mort du tout ». Les jeunes, quand ils jouent à ça ou après, au saut à l’élastique ou autres, c’est pour aller au plus près de la mort sans vraiment y aller. Je pense que c’est dans cet espace là qu’est la fascination.

    Et l’autre chose que je voulais dire, l’année dernière quand on avait eu un sujet sur la peur, j’avais parlé d’un livre de sciences fiction : « Un bonheur insoutenable », sorti dans les années 75, je crois. Il décrivait un monde où il n’y avait plus de peur, une vie éternelle et c’était absolument insupportable. Donc, effectivement la peur rend vivant.

    Anne : Je glisse cette citation de Kierkegaard : «  Dans le vertige physique on est attiré par le vide qui pourtant nous effraye. Tandis que dans le vertige métaphysique on est fasciné par le néant qui est en même temps source d’effroi. » Mais cette épreuve de l’angoisse est précisément pour Kierkegaard  « ce qui forme l’humain à l’authenticité de la liberté »

    Martine : Je voudrais revenir à l’idée de fascination devant la peur et de la maitrise. Je me suis toujours  demandé ça en voyant les peintures préhistoriques, de Lascaux ou autres, qui représentent des scènes avec des animaux fantastiques de réalisme mais à la fois qui sont dans une espèce d’incompassion , on sent qu’il y a à la fois une peur et une fascination pour l’animal qui peut apporter la mort, on voit que la vie était le pendant de la chasse. Finalement ce n’est pas contradictoire cette fascination et la maitrise de la peur. Au fond, on a imaginé que ces peintures étaient de l’incompassion,  c’était le début de la religion, c’était aussi le début de la maitrise puisque le fait d’avoir dessiné, un bison mort par exemple, c’était aussi pour dire que ça allait se réaliser.

    Françoise : Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. Je pensais, moi, au Petit Chaperon Rouge c’est une histoire qui fait très peur et pourtant c’est ce qu’on lit à nos enfants. Et puis, pour revenir à la fascination, je crois qu’en effet, quand on est dans cette émotion là, on la ressent, on est dans son corps, on ne peut pas faire autrement que de la ressentir ; alors que dans la vie, tu parlais, Michel des Anglais, nous aussi, souvent on se sépare de nos émotions. Et là, du coup, dans la fascination, comme on est obligé de ressentir, on se sent complètement vivant. C’est un petit peu aussi ce qu’on disait des adolescents qui vont à la limite, je crois que c’est pour ressentir encore plus la vie que la mort.

    Jacques : Je reviens au mot fascination parce que c’était théorique pour moi dans un premier temps, je trouvais que c’était un mot qui n’était pas adapté. Et puis à la réflexion, la fascination de l’animal ou celle de quelqu’un qui va regarder la télévision jusqu’à 2h du matin, si, c’est la fascination du danger, du néant, de la mort. Moi aussi je suis resté longtemps devant les infos le jour de l’attentat de l’Hyper Casher, j’ai un fils qui habite Vincennes,  et au départ je voulais savoir si c’était loin de chez lui, mais au final cette fascination de la mort m’a tenu, mais cependant ça c’est transformé en un soulagement quand j’ai su que mon fils n’avait rien. Cela veut dire qu’on a peur de la mort, on regarde les informations parce que c’est la vie, malheureusement, je suis un peu d’accord avec toi, Véronique, tu ne regardes pas les infos mais en même temps tu es déconnectée du monde. Oui, on s’intéresse à la mort parce que on sait qu’on va tous y passer, mais aussi parce qu’on aime la vie et qu’on veut continuer à vivre.

    Clôture du débat par Arielle

    Pour terminer je voudrais reprendre, comme tu l’as évoqué Françoise, toutes ces manifestations physiologiques de la peur. J’ai noté des expressions qui montrent que justement on est en vie. C’est peut être cette recherche de ces manifestations de la peur qui nous en font prendre conscience :

    Quand j’ai peur, je tremble, j’ai les jambes comme du coton, mes cheveux se hérissent, j’ai la chair de poule, mon sang se glace dans mes veines, ma gorge se noue, mon corps se raidit, et puis je peux perdre connaissance de peur. Toutes ces manifestations physiologiques sont très fortes mais elles expriment peut être aussi la vie. C’est le ressenti des émotions.

    On a parlé du pouvoir qui utilise la peur, le sculpteur César a dit : « Quand on a peur de quelqu’un, on croit facilement le mal qu’on dit de lui »

    Philippe. : Je pense que dans cette histoire de peur à cet attrait qu’on a vers tout ce qui nous fait peur. Toute la littérature enfantine contient des peurs. Pourquoi ? Parce que, effectivement, la peur génère un certain nombre de phénomène physiologiques organiques, des sécrétions neuro-hormonales qui sont extrêmement stimulantes. Ça nous donne des sensations qui à la fois sont désagréables  (la gorge nouée etc.), mais en même temps le fait de les ressentir nous fait du bien, et on les recherche, c’est une drogue ni plus ni moins. On a donc ce besoin de la peur.

    Anne : On va s’arrêter là, j’ai juste envie de vous lire une chose souriante dans tout cet océan de peur.

    « Il est étrange », nous disait Courteline, « qu’un seul terme désigne : la peur de la mort, la peur de la souffrance, la peur du ridicule, la peur d’être cocu et la peur des souris, ces divers sentiments de l’âme n’ayant aucun rapport entre eux ».

     

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez vous Dimanche 20 mars 2016 (même heure, même lieu)

    La question choisie à mains levées, sera: « L’inégalité est-elle naturelle ? »

    Le thème choisi pour  Mars : « Le destin ». Préparez vos questions.

     

    Mireille PL

     


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