-
Par 5 à 7 philo Royan le 12 Novembre 2018 à 16:49
5 à 7 Philo du dimanche 29 Octobre 2018 : 18 participants
Qu’est-ce que la fraternité?
Introduction (par Mireille)
Fraternité :
Etymologie : Benveniste dans « Le Vocabulaire des Institutions Indo-européennes » étudie le mot frère à partir de sa racine indo-européenne, le mot bhrâther dénote une fraternité qui n'est pas nécessairement consanguine. Le mot grec phrater (frater) qui dérive du précédent, désigne pour les Grecs anciens un groupe d'hommes reliés par une parenté mystique. D'apparition postérieure est adelphos (adelfos) qui signifie: issue du même sein, introduisant la fraternité biologique. En latin, frater d'un côté, et frater germanus de l'autre distinguent fraternité de fratitude.
Définition : (CNRTL)
Lien de parenté entre les enfants issus de mêmes parents. P. ext. Lien affectif entre frères, ou entre frère et sœur
Lien étroit d'amitié qui unit deux personnes qui ne sont ni frères ni sœurs.
Au fig. Intelligence, entente, harmonie entre plusieurs personnes. Fraternité intellectuelle; fraternité d'opinions, de sentiments.
Communauté ou groupement, laïc ou religieux.
Rappel de la notion de fraternité dans l’histoire de France
La fraternité, comme idéal, est un terme clé de la Révolution française : « Salut et fraternité » est le salut des citoyens pendant la période révolutionnaire. Il sous-tend l'esprit de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, au cours de laquelle La Fayette y fait référence lorsqu'il prête serment : « Nous jurons de (...) demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité » Pour autant, elle est absente de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Le terme de « fraternité » apparaît pour la première fois dans les textes en novembre 1848 à l'article IV du préambule de cette constitution : « Elle (la République française) a pour principe : la liberté, l’égalité et la fraternité. » Dans l'article VIII du préambule de cette même constitution, la fraternité fonde le droit social: « Elle (la République) doit, par une assistance fraternelle, assurer l'existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d'état de travailler ». (Solidarité)
Sous l’Occupation, Fraternité est le titre d'un journal clandestin de la Résistance française.
Le terme de fraternité est consacré dans les Constitutions de 1946 et de 1958, où il apparaît dans la devise de la France « Liberté, Égalité, Fraternité » (article 2).
La notion de fraternité est citée dans le premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 1er) : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Ouverture des échanges
Aujourd’hui le débat sur l’origine de l’ajout de Fraternité dans notre devise reste encore entier. Certains historiens développent l’idée que c’est sous l’influence des députés catholiques, que le mot fraternité fût ajouté. D’autres historiens préfèrent la version de l’influence de la franc-maçonnerie. D’autres érudits pensent que l’origine de cette devise se trouve dans l’esprit des Lumières. Peu importe, je considère, comme l’écrit Frédéric Lenoir que « la principale critique que l’on peut adresser à l’Occident moderne, c’est d’avoir oublié l’idéal de fraternité en se concentrant aussi exclusivement tantôt sur les questions d’égalité, tantôt sur les libertés individuelles »
Cela veut-il dire que « la Liberté »et « l’Egalité » sont des droits législatifs et que « la Fraternité » ne serait qu’un devoir moral soumis au bon vouloir de chacun ?
Pourquoi le plus souvent remplace-t-on aujourd’hui le mot « fraternité » par « solidarité » ?
Quelle différence peut-on faire entre les notions de « fraternité », « solidarité » et « charité »
Echanges
Monique : Peut être emploie-t-on moins le mot fraternité en pensant à toutes les oppositions entre frères qui ont existées au cours des siècles. Il y a eu énormément d’exemples de conflits entre frères à commencer par Caïn et Abel. Aujourd’hui encore dans les fratries familiales il y a souvent des conflits. Ça peut être une des explications de la difficulté à utiliser ce mot « fraternité »
Christophe : Je serais assez d’accord, il ne faut pas oublier que ce sont les circonstances historiques, le mode de production et d’organisation d’une société qui va entrainer l’apparition d’un concept et l’emploi d’un mot. Il faudrait revenir un instant à l’apparition de ce mot. C’est l’histoire de Mirabeau qui, devant la volonté du roi de faire évacuer la salle de l’Assemblée, réplique « nous ne partirons que par la force des baïonnettes », à ce moment là les députés se regroupèrent et ont alors utilisé ce mot « fraternité ». La fraternité pour eux était vraiment un acte de résistance et de rébellion, c’est une fraternité citoyenne. Mais cette fraternité là n’avait pas l’universalisme que lui donnait l’Esprit des Lumières. C’est là qu’il y a un problème parce que si vous regardez le mot « fraternité » à chaque étage et dans tous les domaines ça pose un problème ; Au niveau déjà de la fratrie il y a à la fois l’amour et la jalousie, vous le regardez au niveau des mythes historiques c’est, comme vous le dites, le fratricide, qui a donné naissance aux mythes de toutes les grandes religions ; Prenez l’exemple de la prohibition de l’inceste c’est pareil entre le désir et l’interdit. Pratiquement partout on peut voir que cette idée de fraternité c’est forcément complètement ambigu parce que ça entraine la division. Un autre exemple : la fraternité idyllique, isotonique, parfaite de la gémellité, vous avez certainement lu Les Météores de Tournier, ils s’entendent tellement bien qu’ils s’appellent par un nom composé « Jean-Paul », et par la fin ils n’arrêtent pas de se poursuivre, de se chasser, Même dans la gémellité il y a un dominant et un dominé. Donc, sur le plan de l’Histoire, fraternité est un mot qui a un passif extrêmement lourd, image de division, d’équivoque et d’ambigüité. Les révolutionnaires dans la devise l’ont utilisé en tant que groupe par rapport aux autres. Donc vouloir l’étendre et en faire une universalité c’est peut être un danger, c’est peut être illusoire.
Monique : Je pensais aussi que la fraternité peut s’employer dans un petit groupe comme les Fraternités dans les universités américaines. L’étendre à un pays comme nous l’avons fait est difficile.
Anne : J’ai relevé aussi une espèce d’antinomie dans le sens qu’on peut donner à ce terme là : d’une part c’est comme un idéal universel, par exemple la définition qu’en donne le Grand Larousse « Lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine », d’un autre côté il me semble que c’est quelque chose qui peut exclure aussi, c’est ce dont tu parlais, la fraternité d’un groupe quel qu’il soit exclut ceux qui n’en font pas partie.
Monique : Dans tous les exemples de groupes où l’on s’appelle « frère », comme chez les francs-maçons, c’est pareil c’est un mythe, les autres sont exclus, ils n’appellent « frère » que les leurs.
Anne : Ce qui peut, effectivement, poser problème c’est la devise de notre république. Cette fraternité, qui inclut-elle ?
Pierre : Je dirais qu’à la première évocation on se dit « oh la la quel mot ! ». Quand on parle d’idéal, ça relève quand même d’une exigence au regard de ce que nous vivons aujourd’hui. Même si les petits groupes peuvent être fraternels, on peut dire qu’il y a toujours, comme tu le dis, division, opposition, querelle. Je me dis cependant que même si c’est une tension, c’est pour moi un mot exceptionnel, vivant, puissant, puisque c’est un rappel à l’ordre aux hommes pour avoir d’autres liens que ceux qu’ils ont aujourd’hui. En clair, ça veut dire qu’on ne peut être fraternel que si on a fait le ménage en soi. Si on n’a pas fait le ménage en soi on ne peut pas être fraternel. C’est là qu’est l’exigence, c’est-à-dire revenir vers soi pour vraiment se donner à vivre en soi la fraternité et l’étendre ensuite à l’universel.
Françoise : Je voudrais revenir sur ce que dit Pierre avec qui je suis tout à fait d’accord. Il me semble que pour être fraternel il faut aussi accepter nos différences et ça peut être compliqué pour beaucoup de personnes. C’est-à-dire qu’on fonctionne en se disant « là je suis ton ami, là je ne suis pas ton ami » peut être a-t-on les mêmes valeurs derrière. Il nous faut aller voir quelles valeurs on a, quelle valeur d’humanité et à ce moment là les valeurs prennent le dessus sur nos différences.
Anne : Si je peux me permettre tu rejoins Levinas, une pensée que j’ai trouvé dans un très bel appel à la fraternité de Bernard-Henri Levy: « Et je pense, bien sûr, à Levinas qui est le grand penseur d’une fraternité : le frère, chez Levinas, ce n’est pas le même mais l’autre ; ce n’est pas l’identique, c’est le singulier ; c’est celui qui a compris que les droits de l’homme, par exemple, ne sont pas d’abord les miens mais ceux de cet « autrement qu’être » qu’est autrui. »
Christophe : Je crois qu’il faut distinguer le christianisme où la fraternité est le prochain, qui est l’autre, qui est première, avec la fraternité de l’agnosticisme qui est républicaine et qui est citoyenne. Et ce n’est pas un hasard si Levinas qui est d’inspiration chrétienne parle de ce respect de l’autre. Je crois que la fraternité au sens chrétien du terme est à priori : « en tant qu’humain, l’autre étant humain je dois l’accepter complètement ». Il faut quand même distinguer dans la réalité des choses différentes comme le voisin, le prochain et le frère. Le voisin il vit séparé de moi par un mur, une frontière. Le voisin vous ne vous entendez pas forcément avec lui, vous devez le supporter. Ensuite, le prochain, c’est là qu’il y a des différences : pour Sœur Emmanuelle c’est le chiffonnier du Caire, il est à des kilomètres de moi. Pour qu’il y ait fraternité, je crois que c’est à chacun à examiner les liens qu’il a avec ça, s’en tenir à la générosité générale c’est bien mais il faut voir ce que dans notre vie ça peut donner. Moi personnellement pour que je considère quelqu’un comme mon frère, il faut que j’aie vécu avec lui quelque chose. Il faut qu’il y ait eu une épreuve commune et c’est là que concrètement je le reconnais comme frère. Rester dans une entité générale, à mon avis, c’est parfois très illusoire et très hypocrite.
Philippe C. : Hypocrite ou utopique ?
Christophe : On peut dire que l’utopie on peut la pardonner, « Quand les hommes demain vivrons d’amour il n’y aura plus de misère… Mais nous nous serons morts mon frère » chante le troubadour. Mais l’hypocrisie c’est pire parce que bien souvent les républicains c’est une fraternité très souvent hypocrite.
Mireille : Chez les grecs, la parenté s’étend au cosmos, à l’ensemble de la nature plus qu’à l’humanité. La fraternité cherche à correspondre à l’ordre immuable et beau de l’univers. C’est un tout, on fait partie d’un tout. Dans ce sens là on peut comprendre la fraternité dans la mesure où on est un point dans quelque chose de beaucoup plus grand, sans parler de Dieu. D’après ce que tu viens de dire, je vois la différence entre fraternité et solidarité. Je peux être solidaire de quelqu’un qui m’est complètement étranger, voire indifférent, je suis solidaire de sa situation pas de lui. La solidarité est impersonnelle. Dans la fraternité, le sentiment rentre en jeu, elle s’adresse à la personne et non pas à sa condition. Je peux être solidaire sans être fraternel, la solidarité est sociale, la fraternité est individuelle, elle touche l’humain en nous ; je me sens frère c’est-à-dire que malgré les différences je me reconnais dans l’autre, lié à lui.
Christophe : Mais ça on ne peut pas l’imposer. Ce n’est pas non plus une obligation morale, c’est un ressenti, un vécu. Alors que dans la solidarité il n’y a pas que le cœur, il y a aussi l’intérêt. Je peux être solidaire des immigrés, je peux être solidaire chômeurs, parce que peut être qu’un jour moi aussi je peux être chômeur. Alors qu’une fraternité comme ça qui est pure générosité, pour moi, cette idée est une utopie complète. C’est ce que reprochait Voltaire à Rousseau, à l’époque tous les gens abandonnaient leurs enfants. Quand Rousseau écrivit « l’Emile ou de l’éducation » ses propres enfants étaient à l’assistance publique. Il est facile de se dire philanthrope alors qu’on ne peut pas voir son voisin. Il y a quand même un monde entre l’idée et son application. Je trouve que pour qu’il y ait fraternité, il faut qu’il y ait quelque part une expérience commune. Il y a solidarité mais aussi amitié, on peut peut-être différencier les deux. Je crains cet universalisme qui est issu de Kant, du Siècle des Lumière, c’est-à-dire qu’au-delà des cultures, des conflits, des situations historiques, il y a des valeurs communes à tous les hommes parce qu’ils sont humains et qu’ils les ont toutes. Malheureusement si l’égalité, la liberté sont des mots, l’inégalité, le conflit sont des réalités.
Pierre : Je relève votre mot « c’est une expérience commune ». Mais n’y a-t-il pas une expérience commune superbe : « je vis, tu vis, et nous sommes sur cette terre » ? N’est-ce pas l’expérience commune la plus forte et la plus puissante ? D’un autre côté, c’est vrai que ce mot « fraternité » est utilisé facilement, il est en déclin d’ailleurs, on commence par le remplacer par solidarité, ensuite on va parler d’assistanat, et on finira par la démagogie. On emploi des mots qui n’ont plus de sens, sauf celui de conquérir le pouvoir. Mais, il faut quand même, puisque c’est le sujet d’aujourd’hui, essayer d’accepter de se maintenir sur la corde raide, c’est-à-dire à l’endroit où on va essayer de comprendre qui on est vraiment, en quoi ce mot « fraternité » me touche, et en quoi il est essentiel aux hommes.
Anne : Anne Marie Pourhiet qui est professeur de droit public dit « La Fraternité n’est qu’une devise, dans la devise de la république. Elle n’est pas la norme. La norme est dans la Constitution. » Elle ajoute « Bienveillance et sollicitude envers tout ce qui souffre, ce n’est pas la fraternité. »
Françoise : Par rapport à ce que tu disais, c’est vrai que ce n’est pas simple d’accepter les différences de l’autre, de le comprendre et de voir ses valeurs. Car ce qu’on voit en premier ce sont les différences qui vont nous choquer, nous remettre en question, et alors on va à la simplicité « non, il est trop différent de moi, ce n’est pas possible que je sois frère avec lui », on va être dans le rejet. C’est compliqué d’accepter la différence de l’autre, ça veut dire s’accepter soi même avec ses différences. Je comprends que ça freine beaucoup de personnes.
Christophe : Je crois que chacun doit examiner les liens qu’il a et ce qui fait la fraternité, mais c’est aussi une question sociale et politique. Ça a un rapport avec la tolérance, pour qu’il y ait tolérance, des choses qui soient tolérées et d’autres qui ne le soient pas, il faut un accord sur ces choses. Sinon une tolérance qui accepte, qui accepte tout, est une lettre morte ; cette solidarité crée un certain nombre de problèmes politiques et économiques qui n’ont rien à voir avec les attitudes individuelles qu’on peut avoir. Je vous prendrai un exemple : personnellement, je ne suis pas partisan de l’immigration clandestine, c’est à l’état en tant qu’état de s’en protéger d’une façon ou d’une autre. Par contre, en tant qu’individu, si quelqu’un frappe à ma porte je ne vais pas lui demander sa couleur ni d’où il vient. Je ne sais pas si c’est de la charité ou de la justice, je lui ouvre, parce qu’il est là devant moi et me sollicite. Par contre le reste ça pose beaucoup de problèmes politiques et il faut être très clair sur la tolérance. Si la solidarité me semble un devoir, la fraternité est un idéal, ce n’est pas une obligation morale, chacun peut en faire l’idée qu’il veut en fonction de son engagement. Parce que, si vous êtes fraternel vous êtes obligés de vous engager auprès des personnes et bien souvent je constate que les gens prônent la fraternité mais n’agissent pas du tout dans ce sens. Il y a une contradiction en chacun de nous, est-ce le travail dont vous parlez, je ne sais pas ?
Jean Max : Il est impossible de séparer ces trois mots « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ces trois mots dont on s’est servit au moment de la Révolution existaient bien avant au niveau des sociétés maçonniques, rosicruciennes, elles tendaient à essayer d’instaurer une politique pour pouvoir vivre ensemble. La Liberté était pour les arts, l’éducation ou la politique, l’Egalité était pour l’économique et la Fraternité pour le social, le vivre ensemble. Les trois étaient intimement liés, ce n’était pas que des mots. Fraternité est un mot qui est beau, poétique, généreux, mais sans les autres ça ne peut pas fonctionner. Cette notion de tripartition est très importante ; ce qui se passe en ce moment : on ne sépare plus ces choses-là c’est impossible. C’est-à-dire que l’économie est tellement impliquée partout, on la mélange à la fraternité, on la mélange à la liberté parce que le politique n’a rien à voir avec l’économique. On n’arrive pas à trouver une forme pour établir ces choses-là. A l’heure actuelle il existe des choses dans notre monde, par exemple : des systèmes économiques qui se référent à cette formule-là, les banques qui concèdent cette notion comme beaucoup plus importante. Tous les systèmes politiques ont essayé d’équilibrer ces trois notions, c’est très difficile.
Mireille : Je ne sais plus quel philosophe contemporain disait, lors d’un débat télévisé ou radiophonique, que la Liberté et l’Egalité sont des droits et la Fraternité un devoir, mais que la Fraternité harmonise la Liberté et l’Egalité. La liberté permet, l’égalité protège, la fraternité harmonise.
Jean Max : Souvent on sépare les trois, pourtant elles doivent se servir l’une de l’autre. Si on regarde bien il y a des différences énormes entre le mot Liberté, le mot Egalité et le mot Fraternité. Seule la Fraternité est dans l’émotion, mais dans le concret c’est une autre dimension.
Anne : Tu parles d’un philosophe, Mireille, il y en a plusieurs qui se rejoignent pour redorer le blason de la Fraternité. Il y a Marcel Gauchet qui dit : « Liberté et Egalité font tenir ensemble les personnes, mais cela ne suffit pas, car c’est aussi un monde de concurrence, d’expression de la dissension. La fraternité c’est au fond l’horizon qui permet de faire bien jouer la liberté et l’égalité en permettant de dépasser la concurrence, la contradiction, l’opposition qui vont inévitablement travailler ce monde de la liberté et de l’égalité sans les annuler…on peut penser qu’on aura la forme de société la meilleure qu’on puisse rêver. » Il faut reconnaitre qu’on est un petit peu dans l’utopie.
Et puis Bernard-Henri Levy, dans son « Appel à la Fraternité » de février 2014, va dans ce sens : « Or c’est l’un des beaux mots de la langue politique moderne : périlleux, sans doute ; piégé, évidemment ; mais plutôt moins, tout compte fait, que les deux autres mots de la devise républicaine, et opérant même comme un contre-feu à ce que leur face-à-face aurait, sinon, de mortifère – sans fraternité, la liberté n’est-elle pas condamnée à engendrer cette sombre mêlée des vouloir-vivre et des faire-mourir que pointent, à juste raison, les critiques du libéralisme sans limite ? La fraternité n’est-elle pas l’antidote à ce risque totalitaire que les tocquevilliens détectent, non sans raison aussi, au cœur de l’idéal d’égalité et de sa passion du nivellement ?... Je pense à Camus montrant comment la fraternité est la condition de la révolte… ». En tout cas quand on parle de la devise de la république française, il semble qu’il soit bon de ne pas isoler un de ses éléments des autres.
Jean Max : A l’ origine on parle de liberté en art, dans la littérature, la peinture, la musique, généralement on n’associe art et liberté. La liberté est une chose qui fait quoi ? Et bien, c’est la liberté de penser, on ne dit pas la fraternité de penser. Ça c’est le côté politique de la notion de liberté. L’égalité elle est économique, elle doit l’être et le sera dans les temps qui viendront. On parle de façon encore utopique de revenus universels etc. Mais l’économie séparée de l’art, de l’éducation, peut être quelque chose de très différent et même dangereuse. Et puis la fraternité, qui est le social qui nous réunit tous les uns les autres, est une notion très forte.
Mireille : L’égalité n’est pas qu’économique, elle est avant tout juridique. La Déclaration des Droits de l’Homme dit : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »
Jean Max : Oui malheureusement on les mélange et c’est là que ça prend des proportions qui sont fausses.
Anne : Puisque tu parles d’égalité dans la fraternité et les femmes dans tout ça ?
Mireille : C’est en discussion. Le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, a publié le 8 avril 2018 un avis en faveur d'une révision de la Constitution pour « Une Constitution garante de l’égalité Femmes-Hommes ».Il est notamment recommandé de « remplacer les termes « droits de l'homme » par « droits humains », ainsi que « fraternité" par « adelphité » ou « solidarité ». Ces modifications ont pour objectif de recourir à une écriture égalitaire, et propose de réfléchir à l'usage du terme « fraternité » dans la République. »
Brouhaha : … c’est quoi adelphité ?...
Mireille : Ça vient du grec « adelphos » qui lui-même vient de « a » (qui marque le lien) et de « delphus » (la matrice). Adelphité « désigne un sentiment entre fraternité et sororité. »
Anne : Je voudrais revenir sur la constitution de 48 dont tu as lu le début tout à l’heure mais que je voudrais lire en entier. « Article 4 de la Constitution de 1948: La République Française «… A pour principe la Liberté, l’Egalité, la Fraternité. Elle a pour base la Famille, le Travail, la Propriété, l’Ordre public. » En général on oublie cette deuxième partie. « La Famille » qu’est-ce que ça veut dire ? Bérengère Kolly montre que, de 1789 à l’interdiction des clubs féminins en 1793, les femmes se sont emparées de cette question de la fraternité politique : « La Révolution française n’a pas pensé les sœurs politiques. Par contre elle a pensé les mères républicaines qui, de mon point de vue, entravent la venue des sœurs politiques. L’exclusion des sœurs de la fraternité n’est donc pas fortuite, elle est le signe d’une division des sphères domestiques et politique, elle-même guidée par une différenciation des rôles entre hommes et femmes ». On a fait du travail depuis mais il en reste encore à faire.
Christophe : Je voudrais revenir quand même, dans la Déclaration des Droits de l’Homme, il y a des citoyens et des citoyennes, c’est dénoter une égalité de droits. D’autre part dans cette fameuse Déclaration, il y avait bien le mot de « propriété », pour Marx du moment qu’elle est dans un système elle exclut toute égalité. Mais évidemment les Thermidoriens acceptaient les différences sociales fondées « sur l'utilité commune. » Cela explique qu’on va payer plus untel qu’un tel. C’est bien écrit dans la Constitution : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Ça ouvre la porte à tout ce que l’on veut. Moi, je pense que ce mot fraternité, certes c’est beau, c’est un idéal, mais il est plutôt d’inspiration chrétienne. Quand vous regardez l’Evangile il est bien dit que l’autre est mon semblable, mon frère, et que tout ce que je fais à mon frère finalement je le fais à Dieu. Alors que, si vous êtes dans la logique démocratique et citoyenne, vous vous rendez compte que tous ces gens, qui ont été au début de cette révolution, étaient confrères, qu’ils soient francs-maçons, qu’ils soient révolutionnaires, cette fraternité citoyenne excluaient les autres. Mais au fond, on ne peut pas être le frère de n’importe qui, il faut qu’il accepte aussi certaines règles du vivre ensemble, ou alors, c’est extrêmement général : « oui, moi je peux être le frère de qui vous voulez ». Par exemple, Finkielkraut dans « L’identité malheureuse » explique bien que, quand même, cette fraternité doit exister, mais qu’il faut qu’il y ait aussi une idée claire de ce que un état, de ce que la république peut tolérer et de ce qu’il ne peut pas tolérer. Ça commence là, sinon la fraternité est un mot complètement creux. Je m’obstine à dire, quand même, que les vraies fraternités sont les fraternités d’épreuves ou fraternités d’armes. Il y a un passage de Malraux dans les « Antimémoires » qui est intéressant où il se rappelle quand pendant la guerre il s’est retrouvé devant un gus casqué, il va pour tirer quand l’autre en face quitte son casque, il voit alors qu’il a à faire à un humain et là il dit « je ne l’ai pas tué car j’ai senti que quelque part c’était mon frère ». Mais, il y a eu un contact. Donc je pense qu’une fraternité est une fraternité vécue. En faire un concept purement abstrait c’est totalement hypocrite. (J’asticote un peu pour ce débat mais je le pense)
Pierre : L’état ne peut pas tout régir. C’est vrai tout ce qu’on dit autour de la fraternité, encore que ce que je préfère, c’est quand on dit que dans notre devise il y a deux termes premiers, le troisième les unis. Mais quand même, réduire ce mot-là à quelque chose qui n’aurait pas de sens, qui ne conviendrait pas, qui serait discrédité me semble injustifiable. J’ai participé à une réunion des Droits de l’Homme à Paris, en 2080, il y aura 250 millions de réfugiés climatiques. Qu’est-ce qu’on en fait de ça ? Qu’est ce que l’état peut en faire ? Qu’allons-nous en faire ? 250 millions de personnes vont prendre la route pour essayer de se réfugier et vivre quelque part. Qu’est ce qu’on en fait nous, les hommes ? Si on rejette, si on met de côté ce mot parce qu’il y a tellement de mots qui peuvent se substituer à lui qui eux ont du poids, du sens, de l’expérience etc., qu’est ce qu’on va faire ? Et je ne suis pas du tout dans une vision chrétienne. Je dis qu’il y a 250 millions de personnes prévisibles qui vont se trouver chassées par la faim, par la soif, par la montée des eaux etc.
Brouhaha
Christophe : C’est une réalité qui sera très certainement un rejet massif des réfugiés climatiques et une montée des populismes qui eux seront contre la notion…
Brouhaha
Françoise : Je pense que ce qu’on oublie, par rapport à la liberté et à l’égalité, c’est que la fraternité est un sentiment. Ça se passe au niveau du cœur.
Anne : On est parti sur la devise de la république, mais enfin, je reviens à la définition du Larousse : « Lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine ». Le « devrait » implique un travail collectif ou sur soi même comme il a été dit. Il me semble que si on n’accepte pas cette définition, toute autre définition de la fraternité sur un plan plus restreint, ça exclut les autres. Il n’y a que cette fraternité là qui, à mon avis, puisse être valable.
Brouhaha : … ça c’est une vision chrétienne…
Anne : Il n’y a pas que la famille chrétienne, il y a surtout la famille humaine.
Mireille : Et les chrétiens ont repris des valeurs qui existaient bien avant eux.
Christophe : Dans le cadre de 1780 et de la devise républicaine, c’est plutôt à eux qu’à été emprunté cette notion de fraternité. Il y a la notion citoyenne de « Frère » qui était utilisée par les Loges Maçonniques, dont faisait partie Mirabeau et qui sont à l’origine des Thermidoriens de la Révolution.
Anne : Il me semble que, heureusement, on peut évoluer par rapport à ça et se sortir de ces rails là.
Jean Max : Lorsqu’on parle de « Liberté, Egalité, Fraternité » ce sont trois mots féminins. C’est étonnant, exactement comme on a donné à cette révolution française des mots formidables, à un moment d’explosion totale, complètement folle, il fallait bien des mots d’ordre. Le problème quand on parle de ce qui se passe en ce moment, c’est qu’il n’y a plus de mots d’ordre. Parce que la pensée est tellement diluée dans nos petites fenêtres, dans nos technologies qu’il n’y a plus de mots d’ordre. Quand on parle de réfugiés, de choses terribles, la Fraternité où est-elle ? C’est encore un mot comme les trois mots de la Révolution qui ont caché des horreurs. Alors c’est vrai que lorsqu’on parle de fraternité et de religion c’est la chose qui peut freiner. Moi j’aime beaucoup la notion « art », on en parle pas beaucoup mais c’est un lien terrible entre les hommes, le côté artistique ; On ne fabrique pas de la fraternité tandis que l’art on peut en fabriquer avec ses mains. Dans le rapport entre ces trois notions « liberté, égalité, fraternité » il me manque le côté manuel, le côté les pieds dans la boue et on fait quelque chose ensemble. Il n’y a pas plus beau quand on parle de fraternité que les villages qui vont monter une maison, où les gens s’entraident, c’est le côté le plus simple de la vie. Mais dès qu’on atteint un autre niveau, c'est-à-dire quand on a fait la maison et qu’on se retrouve tous ensembles et qu’on se demande « le côté économique c’est quoi ? On va faire quoi ?» c’est plus dur. Allons dans nos campagnes voir ce qui se passe : les jeunes s’en vont, il y a vraiment des déserts terribles qui sont entrain de se créer. Alors, pour moi, le côté égalité ne peut être qu’économique.
Anne : On sort un peu du sujet.
Brouhaha :
Anne : Alors, puisque nous sommes sur le plan économique, puis-je faire une petite citation de Krishnamurti ? « Dans une société établie sur l'esprit de compétition, il ne peut y avoir de fraternité ; et aucune réforme, aucune dictature, aucune méthode éducative ne l'engendrera. »
Françoise : Je suis tout à fait d’accord avec ça. Il me semble que lorsqu’on peut aider l’autre ça nous apporte beaucoup, autant à celui qui donne qu’à celui qui reçoit, il y a quelque chose qui se passe dans cet échange qui est du niveau de l’humain. J’ai beaucoup aimé ton exemple tout à l’heure, quand tu as dis que tout à coup il y avait devant toi un humain qui existait. C’est comme ça que peut s’exprimer la fraternité qui n’exclut pas.
Mireille : D’ailleurs quand on dit de quelqu’un qu’il a beaucoup d’humanité c’est quelqu’un qui est complètement ouvert aux autres.
Christophe : Je ne voudrais pas toujours jouer le grand méchant loup, mais je pense que pour qu’il y ait fraternité il faut qu’il y ait rencontre, que ce soit dans le travail, que ce soit artistique, que ce soit tout ce qu’on veut, il faut qu’il y ait une vraie rencontre et un vécu, sinon il y a une formidable hypocrisie à parler de ça. Et puis je crois que, je ne sais pas si c’est dans le sujet, mais pour un petit peu plumer l’utopie, la rendre la plus pure possible, il faut revenir sur la notion de famille elle-même, sur l’aspect psychologique, psychanalytique de la chose. C’est vrai que, si on examine Freud, il a plutôt parlé des relations verticales parentales et moins des relations horizontale de la fratrie etc. On a sans doute des frères, des sœurs nous même tous ici, ce qui fait que Voltaire n’a pas complètement tort en disant qu’on peut réclamer la fraternité et être dans des situations des plus bizarres dans sa propre famille. Je ne veux pas lancer de polémique mais ça peut exister aussi ; Ce que je veux dire par là c’est que dans la fratrie, lorsque vous avez un frère ou une sœur, le partage est une dépossession ; et concrètement, puisqu’on voit l’enfant régresser si celui qui suit est trop proche, il peut y avoir jalousie etc. Il faut voir à quoi ça renvoie…
Mireille : Il peu y avoir surtout amour.
Christophe : Oui, mais il y a toujours les deux. Il y a toujours une contradiction, ce n’est pas une complémentarité.
Nathalie : Le mot hypocrisie me révolte. Je crois que vous ne pourriez pas employer ce mot si au lieu d’en parler vous étiez dans l’action.
Christophe : C’est précisément ce que je viens de dire…
Nathalie : Non, vous dites que la fraternité doit être en fait régie par l’état, que l’état doit décider ce qu’on doit faire des réfugiés, et que s’il y en a un qui malencontreusement arrivait devant votre porte vous n’allez pas le jeter parce que gnagnagna. Et vous parlez sans arrêt d’hypocrisie dans l’acte de fraternité. La fraternité est aussi un acte.
Christophe : Vous m’avez mal compris : j’ai dis que c’était le rôle de chacun d’entre nous dans l’action de se montrer solidaire et d’éprouver cette fraternité.
Nathalie : A chaque fois vous avez utilisé ce terme d’hypocrisie.
Christophe : Oui, parce que la plupart des gens défendent une idée globale de fraternité mais dans les faits et leurs actes ils ne sont pas prêts du tout à s’engager.
Nathalie : C’est ce que, vous, vous pensez. Quand vous êtes dans les actes ce terme là est complètement inacceptable.
Brouhaha
Jacques : Sont dans les actes les organisations non gouvernementales, les ONG qui sont subventionnés par les impôts que les français paient. Prenons l’exemple de SOS Méditerranée, tu parlais du côté manuel, il intervient : c'est-à-dire on sort du bateau la personne et puis, hop, direction la France, effectivement le travail manuel y est assez extraordinaire.
Jean Max : Elles ne se reconnaissent pas dans la fraternité mais dans la solidarité. Je voudrais poser une question : Est-ce qu’il y a un mot contraire à Fraternité ? Est-ce que je suis plus frère que toi ?
Anne : C’est là que ça devient plus difficile à cerner : est-ce qu’on est dans la fraternité, est-ce qu’on est dans la solidarité ? Il me semble que le terme fraternité implique quelque chose de l’ordre de l’émotion, du sentiment. Comment se sentir frère avec tout le reste de l’humanité ? Je pense que c’est une question de sensibilité personnelle, alors que dans la solidarité, peut être, est-ce ce que tu évoques toi Nathalie.
Nathalie : La fraternité, moi, c’est quelque chose que je vis au quotidien : c’est quelqu’un qui va arriver là le matin, je vois qu’il n’est pas bien, simplement de parler avec lui et d’essayer de trouver des ficelles pour l’aider à résoudre ses problèmes ; voilà, c’est ça la fraternité. C’est de faire que la personne qui rentre, que je ne connais pas, reparte d’ici avec le sentiment de ne plus être seul et sente des humain autour d’elle. Il n’y a aucune hypocrisie là dedans.
Brouhaha : … de la pitié… non… il faut établir des règles…
Annie : Moi, je n’ai pas entendu les mots amour, tolérance, empathie, toutes ces valeurs sur lesquelles l’humain doit s’appuyer pour avancer, c’est avec ça qu’il fonctionne en bonne intelligence, et le cœur est là. Je n’ai entendu que des petits mots christiques, philosophiques, et ça me dérange. Je pense que l’émotionnel a quand même une grosse part dans la fraternité.
Mireille : Je suis tout à fait d’accord avec toi, c’est pour ça que je fais la différence entre solidarité où l’émotionnel est impersonnel, social et fraternité emplie de bienveillance à l’égard de l’autre et d’amour.
Annie : S’il y a de l’amour ça génère du positif et il y a une certaine émulation à renforcer le bon.
Jacques : Quand Nathalie parle de l’accueil qu’elle réserve aux gens de passage je ne dirais pas que c’est de la fraternité, je dirais que c’est de la bienveillance, que si on voit quelqu’un de fatigué, d’un peu désemparé, de par le métier qu’elle a choisit, c'est-à-dire recevoir les autres, elle est dans la bienveillance. La bienveillance, c'est-à-dire elle cherche le bonheur et le bien des autres, mais ce n’est pas non plus de la solidarité. La solidarité, elle est plutôt économique, quelque part c’est l’impôt qui va faire en sorte qu’on a en France un régime social qui, même s’il prend un peu l’eau, est toujours là.
Nathalie : C’est la solidarité pas la fraternité.
Jacques : Il a été dit que derrière la fraternité c’était la solidarité.
Anne : Non, il y a le côté institutionnel et puis il y a le côté individuel.
Francine : On ne peut pas se retrancher derrière l’impôt, il y a l’individu, le cœur, vous parliez d’amour mais c’est ça ; si on laisse passer l’amour, à ce moment là, comme le disait madame, les choses sont naturelles. Là on va vers l’autre et c’est un frère ou une sœur. Pourquoi parler de l’impôt ? Bien sûr qu’on paie des impôts et, moi j’en paie beaucoup, je trouve ça très bien, et si ça peut aider les autres tant mieux. Et tous les appels au don qu’on reçoit, il faut aider, on ne peut pas laisser tous ces gens dans la misère. Quand on entend qu’un enfant meurt toutes les dix minutes au Yémen, comment ne pas être touché par ça. Moi, ça m’empêche de vivre, ça m’empêche de respirer, d’être heureuse.
Brouhaha
Agnès : Est-ce qu’il n’y a pas une grande différence de vision de cette perception de la fraternité entre les hommes et les femmes ? D’après ce qui ressort ici ça me parait évident. J’ai relevé aussi ce que disait monsieur, qu’il se sentait frère avec quelqu’un avec qui il avait partagé des épreuves, n’oublions pas qu’il y a des hommes qui ont partagé des épreuves avec leur femme et qui leur tape dessus, ce n’est donc pas une preuve d’avoir partagé des épreuves. Et pourquoi faire du bien serait réservé à des proches ?
Christophe : Je n’ai pas dis des proches, j’ai dis des gens avec qui on partage quelque chose, des épreuves ou des bons moments, du temps.
Jean Max : Est-ce qu’on ne peut pas accoler au mot fraternité le mot amitié ? Parce qu’on parle de l’amitié des peuples. L’amitié c’est une individualité alors que la fraternité ça peut être une généralité.
Pierre : Ce que je sens ici, c’est que nous marchons sur les ruines de quelque chose, sur un effondrement généralisé de la conscience humaine. Tout ce que j’entends le dit et ma préoccupation c’est « mais, l’humanité dans son devenir où va-t-elle ? ». Pour moi c’est une question essentielle. J’entends des témoignages, celui de Nathalie et d’autres, qui diraient « comment pourrait-on s’y prendre pour rebâtir quelque chose de vivable entre nous ?». Ce mot fraternité, pour moi, il a un plein sens, vous parliez de famille, oui une famille humaine, on est sur cette terre. Mais comment pourrait-on faire chacun ou les uns avec les autres pour tenter de nous relever ? Je suis entrain de lire des livres sur Berlin qui, juste à la fin de la guerre, était un champ de ruines. J’ai le sentiment que les hommes se sont organisés pour s’entretuer. Et je me dis « comment pouvons nous faire aujourd’hui pour relever cet immense défi d’offrir à nos enfants un monde vivable ? ».
Jean Max : Ce que vous dites est extraordinaire, quand on a parlé de fraternité et de religion, il faut quand même savoir que notre bon Saint Jean de Patmos a dit dans l’Apocalypse « La guerre de tous contre tous ». Et en fin de compte, ce que vous venez de dire est assez joli parce que en fait c’est « la fraternité de tous avec tous ».Parce que d’après Jean de Patmos « la guerre de tous contre tous » est prévue depuis très longtemps, il le savait et c’est en route. Transformer ces mots de « guerre de tous contre tout » en « fraternité de tous contre tous », c’est très joli. Bravo !
Jacques : Je vais peut être casser le moral de certains, effectivement « la guerre de tous contre tous » ou « l’homme est un loup pour l’homme ». Hobbes a reprit ça, alors, quand tu poses la question de savoir, au niveau individuel, ce qu’on peut faire pour se relever, moi, je ne me sens pas tellement coupable. Je me pose la question mais je me dis : « je vais en vacances chaque année à 60km de chez moi, je ne pollue pas en prenant l’avion, j’ai un composteur chez moi, je mange peu de viande ». Je pense quand même au frère africain qui dans sa tribu, il faut le dire, pour se valoriser va faire 12 enfants et il sera applaudi, il sera un des meilleurs de la tribu par rapport aux autres ; est-ce que celui là il se pose la question de l’avenir de l’humanité si ce n’est que le plus vite possible il va essayer de les envoyer vers l’Europe parce que c’est quand même plus facile de les envoyer vers l’Europe que de leur assurer une éducation …
Anne : On sort un petit peu du sujet et je vais revenir sur la fraternité. Tu as parlé d’avion, Je vais citer Saint Exupéry : « On est frère en quelque chose et non frère tout court. Le partage n'assure pas la fraternité. Elle se noue dans le seul sacrifice. Elle se noue dans le don commun à plus vaste que soi. » Il dit aussi « Une démocratie doit être une fraternité. Sinon, c'est une imposture. » Je me pose alors la question « Peut-on imposer la fraternité ? »
Christophe : Non, comme on l’a dit, je crois que c’est un sentiment qui est variable selon la sensibilité et l’éducation des gens, ce n’est même pas une obligation morale. C’est pour ça que c’est un mot qui me défrise quand je le vois inscrit dans la constitution, faire même l’objet d’un avis favorable du Conseil Constitutionnel qui a donné cet avis pour protéger les gens qui, à titre individuel, accueillaient des migrants chez eux. Moi, je serais prêt à le faire, mais j’estime que l’état doit aussi jouer son rôle avec des règles, c’est pour ça que je préfère le mot solidarité.
Anne : Je pense que dans le cas présent, ça aurait été solidarité, le résultat serait le même. Mais, bon, on n’est pas là pour parler de politique mais pour essayer de comprendre la notion de fraternité.
Christophe : Justement, Saint Exupéry dans la fraternité …
Anne : Non, je parle de l’arrêté qui vient d’être pris cet été, on aurait utilisé le terme solidarité c’aurait été à peu prés pareil. Mais on est là vraiment entrain de polémiquer sur un fait politique récent qui déborde un petit peu du sujet.
Françoise : Je voudrais dire que comme la fraternité est un sentiment, c’est ce qu’on disait avec Pierre tout à l’heure, ce travail est très long, très difficile, qui va nous mener vers plus de cœur, et il va nous amener dans nos faiblesses et ça c’est très dur. Et quand j’entends les hommes autour de moi je me dis « Ou, là, là ! Il y a du travail à faire ».
Brouhaha
Marie Claude : Je ne vais pas philosopher, je ne sais pas, mais je vais vous dire quelque chose de plus joli parce que, en dehors des impôts, il y a quand même des milliers de personnes qui sont fraternelles, qui font du bénévolat qui ne leur rapporte rien du tout si ce n’est une satisfaction humaine. Et je voudrais rectifier, ce n’est ni les impôts, ni l’état. Il y a beaucoup de vilaines choses qui se passent actuellement mais au niveau de centaines de personnes il y a beaucoup de fraternité même si certains disent que c’est hypocrite parce que des gens en parlent et agissent en contradiction, il y en a beaucoup qui agissent dans la vraie fraternité, et heureusement.
Christophe : On voit là le conflit traditionnel entre les idéalistes et les réalistes.
Marie Claude : Ce n’est quand même pas de l’utopisme c’est une réalité. On ne sert pas à grand-chose mais un tout petit peu quand même. Chaque fois qu’on a un contact avec un humain, c’est très souvent positif. C’est vrai que ça ne fait pas avancer le schmilblick, ça fait pas avancer l’état, ça ne rapporte pas d’argent, mais c’est de la fraternité.
Madeleine : Je trouve qu’on parle beaucoup plus souvent de la solidarité que de la fraternité. Je trouve que se sont deux choses assez différentes, qui peuvent se rencontrer, c’est un fait, mais je pense qu’on devrait parler plus souvent de fraternité car dans solidarité il y a quand même, peut être pas de la soumission, mais une certaine hiérarchie, ce qui fait que c’est plus facile à avaler que la fraternité égalitaire. La fraternité ça ne s’explique pas, c’est la conscience de l’autre. Je ne suis pas obligée d’être solidaire de faits ou de personnes qui ne me plaisent pas, alors la fraternité va de soi puisque je suis un humain parmi les humains.
Marie Claude : Dans la solidarité il y a les gens qui donnent, les gens qui reçoivent, ils n’ont pas le même rôle, tandis que dans la fraternité on est tous égaux.
Mireille : Je reviens sur ce que tu disais qui est joli, Victor Hugo dit : « L’homme fait peuple, c’est la liberté ; le peuple fait homme, c’est la fraternité. Liberté et fraternité amalgamées, c’est l’harmonie, l’harmonie, plus que la paix. Les hommes en paix, c’est l’état passif ; les hommes en harmonie, c’est l’état actif. » Dans fraternité il y a une notion d’action, Vivre dans la fraternité n’est pas seulement vivre en paix.
Anne : Victor Hugo dit aussi : « La fraternité n'est qu'une idée humaine, la solidarité est une idée universelle. »
Mireille : Ça je l’ai lu, mais ça ne contredit pas le fait que « Liberté et fraternité amalgamées, c’est l’harmonie plus que la paix. » et que l’un est « l’état actif. » l’autre « l’état passif »
Annie : Je trouve que ce débat a eu deux temps : Ce premier temps qui a été très matériel, très économique, politique et maintenant on est arrivé dans le sentiment qui gouverne l’homme. L’homme se différencie du reste parce qu’il a du sentiment, parce qu’il a du cœur, normalement il devrait avoir beaucoup d’empathie. Au Danemark, les enfants ont des cours d’empathie pendant tout le temps du primaire et du collège. C’est une société qui n’a pas tous les problèmes que nous rencontrons, ça veut bien dire quelque chose.
Christophe : La distinction entre solidarité et fraternité, je pense que c’est essentiel, parce que justement dans la solidarité j’ai aussi un choix, je peux ne pas être solidaire de certaines causes, ni de certaines personnes, j’ai une liberté de choix. La fraternité, à partir du moment où je pose ça comme une espèce d’objectif transcendantal, universel, etc., c’est presque obligatoire, je suis coincé à un moment dans un sentiment que je peux ne pas éprouver pour quelqu’un. Je crois que les exemples qui ont été pris montrent quand même qu’il y a fraternité à partir du moment où je suis avec la personne, où il y a une rencontre. Puisque vous parliez de l’écroulement de l’universalisme, je pense que c’est par notre propre examen de ce qu’on peut faire pour les autres, c’est dans des actions communes qu’on peut être fraternel.
Françoise : Il me semble que c’est plus du domaine du ressenti, et que le reste c’est plus intellectuel pour moi. Il me semble que lorsqu’on a conscience de ses souffrances on peut avoir conscience de celles des autres. Et c’est ça qui nous lie dans l’humain malgré toutes nos différences, dans le fond l’autre il est comme moi.
Brouhaha : … conscience de la joie… c’est souvent compliqué…
Christophe : C’est Nietzsche qui dit, je ne sais pas où, que pour mettre d’accord sur le même pied d’égalité et de solidarité un sage et un manœuvre, il faut qu’ils connaissent la fatigue, qu’il ait fait une ascension, ensemble, d’une montagne. Je pense comme vous il faut qu’il y ait eu une expérience commune.
Françoise : Non, je ne suis pas dans l’expérience avec l’autre, je suis dans la conscience de l’autre, de ses souffrances, ce qui fait que je vais me voir chez l’autre, et là il va y avoir quelque chose d’humain qui va se faire. Ce n’est pas obligatoirement par une expérience commune, ça peut l’être mais pas forcement.
Jean Max : Un mot, le contraire d’amitié c’est inimitié, le contraire de fraternité c’est quoi ?
Brouhaha : … frère ou ennemi … il n’y en a pas…
Anne : Madeleine a dit le mot de la fin « il n’y en a pas, c’est la perfection de la fraternité »
Fermeture des échanges (par Mireille)
Il y a quand même des moments où il se passe un élan de fraternité nationale. J’ai pensé à ceux, relativement récents, où on s’est sentis, nous français, en union fraternelle les uns avec les autres ; C’est dans la joie, c’est nos étoiles aux championnats de foot, tout le monde se parlaient, souriait, chantaient dans une joie commune. C’est dans la contestation : Etant étudiante à Paris en Mai 68, il y eu des gestes de fraternité extraordinaires, il n’y avait pas de métro, pas de bus, tout le monde marchait dans les rues, tout le monde se parlait, on se sentait faire partie d’un tout ; Mais c’est également dans la tristesse, c’est la grande marche républicaine du 11 janvier 2015 qui a suivit les attentats de Charlie Hebdo et de la prise d’otages à l’Hyper Cacher.
Ces évènements des 7 et 8 janvier 2015 en France ont suscité le 11 janvier un élan de Fraternité, à l'origine de nombreuses prises de positions, appels, initiatives. C’est un peu retombé, mais il y a encore des mouvements qui perdurent et notamment celui lancé par
Abdennour Bidar, (Philosophe Soufi membre de l’Observatoire de la laïcité et du Comité consultatif national d’éthique) qui écrit dans « Plaidoyer pour la fraternité » en février 2015 : « ... je marche avec tous ceux qui veulent aujourd'hui s'engager pour faire exister concrètement, réellement, quotidiennement, la fraternité la plus large. Du côté de tous ceux qui ont compris que la fraternité universelle est la valeur qui a le plus de valeur ».
Et il a lancé le mouvement de La Fraternité Générale qui regroupe énormément d’intellectuels et d’artistes mais aussi de simples citoyens, vous pouvez aller sur le site www.fraternite-generale.fr . C’est intéressant de voir qu’il y a eu de nombreuses initiatives en 2015, un peu partout en France, mais aussi en 2016, 2017, et encore aujourd’hui. J’ai toujours entendu dire que c’était les minorités qui font les grandes révolutions...
Poème (lu par Anne)
Ode à la joie. Paroles françaises du 1er couplet de Jean Ruault, d’après Schiller
« Que la joie qui nous appelle
Nous accueille en sa clarté
Que s’éveille sous son aile
L’allégresse et la beauté !
Plus de haine sur la terre
Que renaisse le bonheur !
Tous les hommes sont des frères
Quand la joie unit nos cœurs. »
Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous. Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 25 novembre (même heure, même lieu)
La question choisie à mains levées, sera: « Le hasard est-il le fait du hasard ?»
Le thème choisi pour octobre est « L’Identité ». Préparez vos questions.
Mireille PL
8 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique