• 5 à 7 Philo du dimanche 26 mars 2017 : 13 participants 

    Le langage n’est-il qu’un outil de communication ?

    Introduction  par Anne 

    Analyse des termes de la question

    Langage :

    L’étymologie : ce mot vient du latin  « lingua » langue, et du suffixe latin « aticus » formation de noms (Le Littré)

    Le Larousse donne cette définition :

    1 Capacité observée chez tous les hommes d’exprimer leur pensée et de communiquer par des signes vocaux et éventuellement graphiques

    2 Tout système structuré de signes non verbaux remplissant une fonction de communication (ex. langage des abeilles) Ce que n’admettent pas certains linguistes : « Le mode de communication employé par les abeilles [...] n'est pas un langage, c'est un code de signaux. » Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 1966.

    3 Manière de parler propre à un groupe (ex. langage administratif), à une machine (langage informatique)

    4 Manière de s’exprimer, choix des termes (ex. propre à un sentiment : langage de l’amour)

    5 Ensemble de procédés utilisés par un artiste (langage musical, langage des couleurs)

    6 Langage symbolique.

    Synonyme : Langue qui désigne, outre le muscle, un caractère vocal : émission de phonèmes (plus petit son significatif) et de morphèmes (plus petit élément significatif).

    Cnrtl définit le langage (subst. masc.) comme faculté et comme système

     Faculté que les hommes possèdent d'exprimer leur pensée et de communiquer entre eux au moyen d'un système de signes conventionnels vocaux et/ou graphiques constituant une langue; le langage comme réalisation de cette faculté. 

    « Le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité qu'entre les objets matériels ». (Bergson)

    « La clarté du langage s'établit sur un fond obscur, et si nous poussons la recherche assez loin, nous trouverons finalement que le langage (...) ne dit rien que lui-même, ou que son sens n'est pas séparable de lui. » (Merleau-Ponty).

    « Le langage n'a pas de raison d'être s'il ne signifie. » (Huyghe)

    Outil :

    Le Larousse nous dit nom masculin (latin utensilia, ustensile) ; Objet fabriqué, utilisé manuellement ou sur une machine, pour réaliser une opération déterminée. 

    Élément d'une activité qui n'est qu'un moyen, un instrument : Les statistiques sont un outil indispensable pour une bonne gestion. Matériel servant à la production, par exemple en entreprise.

    Instrument de travail, qui peut être performant ou pas. »

    Communication : Etymologie (le Littré) : du latin communicationem. Idée d’une mise en commun.

    Le Larousse définit Communication  comme:

    -       Action, fait de communiquer, de transmettre quelque chose : Communication de la chaleur à un corps.

    -      Action de communiquer avec quelqu'un, d'être en rapport avec autrui, en général par le langage ; échange verbal entre un locuteur et un interlocuteur dont il sollicite une réponse : Le langage, le téléphone sont des moyens de communication.

    -      Exposé fait à un groupe et en particulier à une société savante, dans un congrès, etc., information, écrite ou orale, donnée à un groupe, un organisme : Communication à la presse.

    -      Fait, pour une personnalité, un organisme, une entreprise, de se donner telle ou telle image vis-à-vis du public : Conseiller en communication. Campagne de communication.

    -      Communication animale : Échange de signaux de nature diverse entre deux ou plusieurs animaux...

    L’opposé de communiquer est garder, préserver, taire. (Cnrtl)

     Présentation

    L’élément important de la question en est me semble-t-il la formulation négative : le langage peut-il être autre chose qu’un moyen de communication ?

    S’il n’est pas qu’un outil, s’il est autre chose qu’un outil, que peut-il être ? 

    Les philosophes se sont penchés sur le lien qui relie la pensée et le langage. Pour certains ils sont indissociables, pour d’autres la pensée préexiste. Ce peut être une piste pour commencer notre débat.

    Débat

    Mireille : Le mot qui ne me semble pas approprié quand on parle de langage c’est « outil ». Un outil est par définition « un objet fabriqué qui sert à agir sur la matière, à faire un travail » (cf Petit Robert). Le langage n’est pas un objet, je dirais plutôt que c’est un moyen. Un outil, on peut s’en saisir, le prendre c’est matériel alors que le langage c’est immatériel.

    En t’écoutant, je me suis fait une autre réflexion, c’est la différence que je fais entre « langue » et « langage » ; Les deux termes sont parfois synonymes, mais pas équivalents. Toute langue est un langage, mais l’inverse n’est pas vrai. Il y a une dimension communautaire et pragmatique dans la langue. Le langage lui n’en a pas forcément.

    Une autre remarque : dans la Grèce antique, un seul terme désignait à la fois la pensée et le langage  c’est « logos. ». Tu as parlé, Anne, du langage et de la pensée, aujourd’hui ce sont pour nous deux notions séparées alors qu’à l’origine c’était un seul mot, un seul concept.

    Anne : Il n’y a pas que dans l’Antiquité, encore à l’heure actuelle certains pensent que vraiment…

    Monique : La pensée précède le langage. Certains philosophes pensent que le langage n’existerait pas s’il n’y avait pas de pensées avant, s’il n’y avait pas un travail avant.

    Mireille : Mais il y en a aussi qui pensent que la lettre, le Verbe existait avant la pensée.

    Anne : Je dirais la verbalisation, il me semble que pour certains la pensée s’élabore en même temps que la verbalisation, que la faculté de verbaliser, d’évoquer des concepts. Les deux se construisent ensemble, ils se trament. Merleau-Ponty a une expression que je trouve très belle : « Nos analyses de la pensée font comme si, avant d'avoir trouvé ses mots, elle était déjà une sorte de texte idéal que nos phrases chercheraient à traduire. Mais l'auteur lui-même n'a aucun texte qu'il puisse confronter avec son écrit, aucun langage avant le langage. Si sa parole le satisfait, c'est par un équilibre dont elle définit elle-même les conditions, par une perfection sans modèle. Beaucoup plus qu'un moyen, le langage est quelque chose comme un être et c'est pourquoi il peut si bien nous rendre présent quelqu'un: la parole d'un ami au téléphone nous le donne lui-même comme s'il était tout dans cette manière d'interpeller et de prendre congé, de commencer et de finir ses phrases, de cheminer à travers les choses non dites. Le sens est le mouvement total de la parole et c'est pourquoi notre pensée trame dans le langage. »

    Monique : Il faut aussi penser qu’il y a plusieurs formes de langage. Il y a les mots, bien sûr, il y a les sons mais il y a des façons de s’exprimer qui ne sont pas forcément avec les mots. Pour moi, de toute façon, le langage est une communication.

    Mireille : Qu’est-ce que communiquer ?

    Monique : Faire comprendre à l’autre ce que l’on ressent etc. Pour moi il n’y a pas de négation entre langage et communication.

    Philippe C. : Si on reprend l’origine du mot « communication », on retrouve «  communicare »  en latin qui veut dire ; avoir part, partager, être en rapport mutuel. Donc à partir de là, en effet, le langage compris comme moyen de communication est un partage.

    Monique : Partager mais pas qu’avec des mots

    Philippe C. : Oui, avec les mimiques, les comportements

    Monique : Ça peut être par le toucher, les aveugles ont un langage et une façon de s’exprimer différents du nôtre. Il y a bien d’autres façons de s’exprimer autres qu’avec des mots, ce sont des langages communs à tout un groupe.

    Michel : Communication ça veut dire aussi propagande, ça peut être aussi endoctrinement. C’est un langage qui a été utilisé entre 1933 et 45.

    Anne : Ceci m’a frappée dans les définitions que j’ai trouvées : on dit pour langage «  c’est un moyen de communiquer » et pour communication « qu’elle peut être un langage »

    Pour revenir à ce qu’on disait tout à l’heure à propos du langage et de la pensée, il me semble que les deux existent : il me semble que la pensée a dû, à un moment ou un autre, préexister au langage, mais aussi quand on s’exprime la pensée se crée en même temps, l’un n’exclut pas l’autre.

    Monique : Je suis d’accord avec vous mais il y a des philosophes qui pensent autrement,  ils pensent que la pensée est là et que le langage est en quelque sorte une chose secondaire.

    Mireille : Quand on pense, on pense avec des mots, pour moi ce qu’on appelle « la pensée pure » est une vue de l’esprit, c’est de l’ordre du mystique. On pense avec des mots et si on veut exprimer notre pensée il faut trouver les mots justes, on va construire une phrase et des mots qui trahissent le moins possible notre pensée. Il y a eu toute une période où la pensée pure était le dada des philosophes. Les philosophes d’aujourd’hui en sont revenus.

    Maintenant aussi quand on étudie les symboliques de la lettre et de la construction des lettres entre elles, on voit que ça a une valeur spirituelle. J’aurais tendance à dire que s’il n’y avait pas eu cette association des lettres entre elles et la syntaxe qui permet d’accrocher les mots entre eux, c'est-à-dire s’il n’y avait pas eu la langue, je ne vois pas comment on pourrait penser. On pourrait toujours ressentir, l’exprimer par des gestuelles. Mais la pensée est il me semble une chose incarnée.

    Monique : La pensée peut être incarnée mais pas forcément le langage. Le langage c’est une communication, c’est pour ça que je dis que c’est automatique, le langage va automatiquement avec la communication.

    Anne : Oui, et pourtant, Jean Jacques Rousseau dit « Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eût besoin, avant qu'il fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature », par exemple quand je me cogne je dis « aïe, quelle imbécile » ; je suis toute seule ; ce n’est pas quelque chose que j’ai envie de communiquer à quelqu’un. Alors, est-ce que ‘est un langage qui sort comme ça brut ? Est-ce qu’il y a une pensée ? Qu’est-ce que ça représente ? C’est un langage ?

    Philippe C. : C’est un langage mais tu transformes quelque chose de ressenti en quelque chose de conceptualisé : ta douleur, tu lui donnes un nom, ça reste de la pensée.

    Anne : D’accord, mais là c’est un langage qui n’est pas outil de communication.

    Philippe C. : Il y a communication avec toi-même c'est-à-dire que tu transformes une sensation physique en quelque chose de pensé.

    Anne : Oui, il y a extériorisation de quelque chose mais qui ne vient pas d’un besoin de communiquer.

    Nathalie : Dans toutes les langues on le dit différemment, à partir du moment où l’être humain a donné un mot au fait d’avoir mal, quand tu le dis tu communiques puisque tu le dis avec le même mot que ton entourage. On ne dit pas forcément « aïe » dans toutes les langues.

    Anne : Oui mais ils se ressemblent souvent. Je ne sais pas si vous regardez la petite émission Karambolage sur Arte, quelques fois ils comparent les onomatopées et elles sont différentes mais proches. Donc ce sont les choses de la nature dont parle Rousseau.

    Christiane : C’est peut être à l’origine quelque chose d’émotionnel qu’on traduit par un cri qui est devenu un mot.  

    Anne : Oui, c’est une émotion plus qu’une pensée en fait.

    Mireille : Il y a une chose qui me dérange un peu dans ce que j’entends : c’est « communication ». D’accord, communication c’est mettre en commun : j’ai une pensée, j’ai une information, je la communique, c'est-à-dire je suis l’émetteur d’une idée d’une pensée etc. L’autre, le récepteur, il la prend où il ne la prend pas, il répond ou pas. Communiquer c’est à sens unique, ce n’est pas l’échange ou le dialogue, c’est tout au plus une information.  L’importance que prend la communication  aujourd’hui le traduit bien, dans tout ce qu’on entend dans les média, on nous donne des «communiqués ». Donc, voilà, on prend ou on laisse, il n’y a pas d’échange. Le langage ça sert à communiquer bien sûr, mais ça sert aussi à plein d’autres choses, ce n’est pas « qu’un outil de communication ». C’est pour ça que dans la question qui nous est posée le « qu’un » me semble essentiel.

    Le langage est avant tout un moyen d’humanisation qui permet d’acquérir le savoir. Hannah Arendt dit « Le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains » (Vies politiques)

    Monique : Donc, si pour vous le langage n’est pas seulement un moyen de communication à quoi pensez-vous d’autre ?

    Mireille : Je viens de le dire, la première chose c’est l’humanisation, la faculté de penser, d’acquérir du savoir donc d’accéder à la connaissance et de la transmettre. Le langage a une fonction symbolique, je cite Benveniste : « le langage représente la forme la plus haute d’une faculté qui est inhérente à la condition humaine, la faculté de symboliser. Entendons par là, très largement, la faculté de représenter le réel par un « signe », et de comprendre le « signe » comme représentant le réel, donc d’établir un rapport de « signification » entre quelque chose et quelque chose d’autre. »                                      

    Monique : Moi j’en reste là, le langage est un moyen de communiquer. Si vous n’avez pas de langage quel qu’il soit, vous ne pouvez pas vous exprimer  

    Mireille : Je suis entièrement d’accord avec vous, là où on n’est pas d’accord c’est sur le sens de « communication » et « communiquer ».

    Monique : Oui, vous faites la différence entre la communication et l’échange. Je ne sais quel mot il faudrait utiliser, mais un langage c’est quelque chose qui va vers l’autre, qui se partage. 

    Mireille : C’est là où on n’est pas d’accord, ça ne se partage pas forcément. C'est-à-dire, moi je donne mais l’autre n’a aucune obligation de prendre ce que je dis et d’y répondre.

    Monique : Vous voulez quand même toucher quelqu’un, vous voulez quand même que quelqu’un comprenne ce que vous voulez exprimer, vous comprenne.

    Michel : Communiquer à quelqu’un ou à quelque chose, parce qu’il il faut avoir un langage bien précis si on veut parler à son ordinateur. Ce langage n’est pas forcément le langage parlé mais c’est un langage codé. 

    Monique : Oui mais il faut que ce code soit communiqué, que ce soit à un chat ou un chien. C’est quand même toujours dans le but de communiquer. Mais je veux bien écouter vos démonstrations contraires.

    Mireille : Ce n’est pas contraire c’est complémentaire.

    Monique : Moi, je n’aurai pas mis de négation dans la question posée.

    Anne : C’est quand même intéressant de se poser la question. Justement, à propos du dialogue, le langage est quand même plus utilisé pour dialoguer : Montaigne dit quelque chose sur le dialogue : « Quand vous obtenez l’avantage pour l’opinion ou le jugement que vous énoncez, c’est la vérité qui gagne ; quand vous obtenez l’avantage pour l’ordre et la conduite (de la discussion), c’est vous qui gagnez. Il me semble que, chez Platon et chez Xénophon, Socrate discute plus dans l’intérêt de ceux qui discutent que dans l’intérêt du sujet discuté, et pour révéler à Euthydème et Protagoras leur sottise plus que celle de leur art  [le sophisme]. ». Et Merleau-Ponty parle aussi du dialogue : « Il y a … un objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception d’autrui: c’est le langage. Dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun… » (Phénoménologie de la perception)

    Mireille : Bergson voit une faculté au langage, il dit que le langage accomplit des actions : demander, convaincre, ordonner, jurer, prier, etc. Il dit « Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le signalement de la chose et de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future. Mais dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. »

    Grand silence

    Mireille : J’aurais préféré que dans la question on mette « dialogue » ou « échange » à la place de « communication ». Parce que la communication c’est à sens unique. La communication peut permettre le dialogue, lancer un échange mais au départ la communication est à sens unique.

    Agnès : C’est une information

    Mireille : En cherchant les différentes fonctions du langage, j’ai appris un mot « Phatique », c’est dans Philagora.net (site que je vous invite à visiter) : « Phatique est un terme de linguistique: la fonction phatique ne sert pas la communication mais a pour but de garder le contact avec l'interlocuteur: par exemple, on dira: "allo" ou encore "n'est-ce pas". » Je trouve ça intéressant, on n’est pas ici dans la communication, c’est comme vous le disiez simplement toucher l’autre par le mot, attirer son attention.

    Philippe C. : Il y a beaucoup de choses qui ont été dites, je voudrais revenir à la notion que le langage, tous les langages sont des systèmes, des organisations de phonèmes qui vont se constituer en systèmes, à partir de ce moment là, pour qu’il y ait communication, ou pour qu’il y ait échange, il faut que ça soit compris par l’autre, donc, c’est là que le langage renvoie à la notion des mots qu’on prononce et qui ont un sens, pas forcément le même sens pour chacun de ceux qui le reçoivent. C’est pour cela qu’on a pris l’habitude ici de donner un certain nombre de définitions au départ, on accepte ou on accepte pas la définition, mais on va sur une même notion au départ. Il faut qu’il y ait une sorte de convention. Alors, tu as prononcé « logos » tout à l’heure, il ne faut pas oublier qu’il a de multiples sens et en particulier celui de « rapport ». Le mot de « logos » s’applique aussi au langage qui est un rapport entre différentes personnes. Tu as cité Platon, dans « Le Gorgias », c’est là que cette notion s’exprime le mieux. Alors, est-ce que communication  n’est que ça ? Dans un sens je dirais « oui » je suis un peu et même beaucoup d’accord parce que sinon ça s’appelle du matraquage, mais, il n’empêche qu’il y a quand même l’envie de faire partager un certain nombre de connaissances à d’autres ; quand je dis connaissance ça peut être un produit vaisselle ou autre.

    Françoise : Je pense que le langage c’est obligatoirement être avec l’autre, c’est vouloir partager et être compris. Le petit enfant quand il commence à parler, ses premiers mots, c’est pour lui merveilleux quand il dit « papa », « maman », c’est quelque chose de complètement fabuleux, il existe...

    Anne : Excuses moi je t’interromps, parce que je ne l’ai pas encore vécu en tant que grand-mère, mais c’est extraordinaire pour les parents qui l’entendent. Mais, lui, quand il fait « papapapa… », est-ce que c’est vraiment intentionnel ou c’est que ce sont ses petites expérimentations, n’est-ce pas les parents qui tout d’un coup disent « ah, il a dit papa »        

    Françoise : Mais tu sais, Anne, puisque tu parles de ça, ça me fais penser à Françoise Dolto qui parlait aux bébés et les bébés comprenaient ; ils ne pouvaient pas élaborer, comme on a dit tout à l’heure.

    Philippe C. : C’est elle qui disait « Tout est langage ».

    Monique : Ils reconnaissent les voix dans le ventre de leur mère.

    Anne : Il me semble que l’exemple que tu donnes est la démonstration que la pensée existe avant le langage.

    Philippe C. : Ce n’est pas sûr. Si on est dans la ligne de Platon, avant la pensée il y a l’idée.  

    Anne : C’est ce que dis Platon… Mais je pense qu’effectivement le bébé à qui on parle  comprend les choses. Vous avez parlé de l’intuition la dernière fois, c’est sans doute par intuition car il n’a pas encore les moyens d’exprimer autrement que par des pleurs son mécontentement.

    Janine : L’enfant comprend par intuition, et par un autre langage, celui des mimiques de sa mère.

    Brouhaha

    Nathalie : Je suis tombée dernièrement sur une interview sur cette nouvelle partie de la science médico-légale : les profileurs. Il disait qu’il existait aujourd’hui, en France, une femme qui est profileur. Elle disait que son rôle était de trouver, dans le langage des gens, tout ce qui trahissait leur pensée. Je pense que le langage n’est pas forcément un moyen de communication. On peut en faire ce qu’on veut. C’est la pensée qui dirige tout, sinon on n’aurait pas eu besoin d’inventer cette nouvelle discipline pour décrypter les failles.

    Philippe C. : Est-ce la pensée ou la raison qui dirige ?

    Brouhaha :

    Mireille : Il y a plusieurs moyens d’expression, mais, dans le mot langage il y a langue, c’est quand même un moyen d’expression au départ verbal articulé ou pensé puis ensuite écrit. Le reste ce sont des moyens d’expressions qui, pour moi, sont à tort appelés langages. Même pour ceux qui s’expriment avec des signes, les sourds muets, on parle de « langue des signes » mais pas de « langage des signes »

    Nathalie : Si tu as deux personnes ayant des langues différentes qui essayent de communiquer elles vont utiliser des gestes pour se comprendre, et elles y arrivent.

    Anne : Alors pourquoi Antonin Artaud dit-il « Tout vrai langage est incompréhensible » (Ci-gît) ? Tu as une réponse Philippe ?

    Philippe C. : Je n’ai pas de réponse, mais on peut penser que la part du langage dans la communication entre les individus représentant à peine 30% de la communication, tout le reste est de la communication non verbale.

    Françoise : Je dirais même qu’il y a plus de 90% de communication non verbale. Quand deux personnes se rencontrent tout va passer par le corps.

    Marie Claude : Pourquoi parle-t-on de la « langue des signes » et qu’on ne dit pas « langage des signes » ?

    Brouhaha

    Philippe C. : Parce que comme une autre langue c’est réduit à un système codé.

    Michel : De la même manière que le Braille.

    Anne : Les sourds peuvent aussi s’exprimer corporellement.

    Marie Claude : je connais un petit peu parce que ma fille est traductrice. Il y a deux écoles, il y a des endroits ou on lui demande d’être complètement neutre et de ne rien exprimer corporellement, et d’autres ou au contraire elle ajoute l’expression aux signes. Les vrais sourds préfèrent évidemment ce qui donne de l’expression.

    Françoise : [inaudible] Pour revenir à la pensée, ce n’est pas toujours nous, c’est aussi ce qu’on a appris. La pensée ça se fabrique par rapport à tout ce qu’on a appris, suivant du lieu ou on a vécu, dans chaque famille il y a un langage.

    Mireille : Je me permets de revenir à ce que tu as dis à propos de la langue des signes, je parle des sourds, est-ce qu’ils pensent en mots ou en signes. ? On dit que le langage précède la pensée, comment ça se passe pour eux ?

    Michel : Je suis allé à un forum des associations où il y avait justement un stand des sourds muets. Il y avait un sourd à côté de moi qui m’a dis « qu’est-ce qu’il y a comme bruit ». Et le fait est ils étaient tous entrain de parler ensemble. Et je te fais des grand gestes et mon voisin me dis « regarde celui là il cause encore plus fort que les autres » et nous on n’entendait rien. Je pense qu’ils parlaient comme nous, à savoir que lorsqu’on a un fil d’idées on le verbalise automatiquement en mettant le verbe bien comme il faut, il faut construire les phrases. C’est ce qu’ils faisaient.

    Mireille : On parle du langage parlé mais il y a aussi le langage écrit, c’est peut être par la lecture et l’écriture qu’ils arrivent à former leur pensée.

    Marie Claude : pour conforter ce que je vous disais tout à l’heure,  même dans les situations où l’on peut s’exprimer beaucoup avec le visage, quand tu fais une traduction tu dois être neutre,  même dans la façon dont tu es habillé, il faut que ce soit un truc auquel on ne s’attache pas, tu n’as pas le droit de mettre une bague brillante, ni bijou par exemple.

    Mireille : C’est aussi vrai pour les traducteurs d’une langue sur l’autre.

    Michel : Nabokov a écrit « elle a une peau d'ambresaille » le traducteur a écrit «  peau de pêche » et Nabokov a dit « non  c’est en français dans le texte ». On a cherché et dans un dictionnaire de 1922 on a trouvé ce mot « ambresaille » : ce sont les groseilles à maquereau, on ne trouve plus ce mot dans le dictionnaire actuel. Mon cousin en parle à sa grand-mère qui lui dit « une fille qui a la peau ambresaille, on appelle ça des péteuses ». Donc, c’est un mot qui a disparu, le problème c’est l’évolution du langage ; ce qui apparait et ce qui disparait. Tout les ans à l’arrivé du nouveau Robert, les néologismes arrivent, tout se change. Quand on regarde bien le langage SMS, c’est un nouveau langage qui appelle à une communication encore plus rapide et plus concise que ce qu’on a pu connaitre avant. *(après recherches, ambresaille : vieux vocable du pays de Savoie désignant les myrtilles ; la groseille à maquereau étant parfois localement nommée péteuse.)

    Anne : Je me suis posé la question : les artistes s’expriment, les musiciens, les peintres, les écrivains, les poètes ;  la musique,  la peinture etc. sont des moyens d’expression. Si on revient à notre question «  le langage n’est-il qu’un outil de communication ? », c’est vrai que la plupart du temps l’artiste a besoin que son œuvre soit vue, lue, écoutée etc., il a besoin d’avoir des retours. Mais certains artistes ont un besoin viscéral d’écrire ou de peindre même si ça doit rester dans le fond d’une cave ; je n’imagine pas Mozart poser son stylo et arrêter d’écrire de la musique. Et alors que font-ils de ce langage qui est le leur?

    Mireille : Quand on peint, on ne parle pas, on ne pense pas, on ressent et on exprime quelque chose avec des couleurs. Il n’y a pas que le langage comme moyen d’expression.

    Anne : Ah, écoute, dans les définitions du langage, c’est aussi autre chose que le langage verbal, il y a l’écrit aussi et puis il y a les poètes. Ils s’expriment avec des mots mais pas nécessairement pour communiquer.

    Monique : Ils communiquent leurs sentiments, c’est une communication. Le poète qui écrit même s’il n’est pas édité, il exprime ce qu’il ressent.

    Anne : Oui, c’est un moyen d’expression mais je ne suis pas sûre que ce soit toujours un moyen de communication.

    Agnès : Dans sa pensée je suis persuadée que ça s’adresse à quelqu’un, si l’artiste était sur une île déserte je ne crois pas qu’il écrirait des poèmes ou qu’il peindrait. Je pense que dans son idée de création il souhaite que ça laisse une trace même si ce n’est pas demain mais dans 10 ans.

    Nathalie : Les musiciens, on en côtoie pas mal, ils ont vraiment une langue à part. Ils écoutent quelque chose et critiquent « il n’y a pas de si bémol ou il n’y a pas de si dièse etc. » et ils se mettent à échanger, nous on y comprend rien, ils ont vraiment un langage à eux. Et je pense que même sur une île déserte ils continueraient à parler leur langage.

    Brouhaha

    Mireille : Pour reprendre ce que tu dis, Anne, l’artiste a un besoin viscéral d’extérioriser quelque chose qui est en lui, s’il ne le fait pas il est comprimé, il étouffe, c’est vital pour lui. Il ne le fait pas forcément pour donner aux autres, pour communiquer avec eux, je pense à Van Gogh ou à Cézanne entre autres.

    Agnès : On n’a pas d’exemple d’artistes sur une île déserte, sans espoir que quelqu’un lise ou voit sa création.

    Mireille : Il y a des artistes qui ne sont pas sur une île déserte mais qui sont enfermés dans leur chambre coupés du monde et leur toiles s’entassent dans leur atelier, ou leur musique dans les tiroirs. L’isolement est nécessaire à la création et créer est vital pour l’artiste.

    Michel : Sur une plage de méditerranée, avec sa canne, Picasso a dessiné un Picasso, la mer est venue et a effacé un Picasso. C'est-à-dire que vous aviez des millions de francs qui étaient gravés dans le sable et la mer a tout emporté.

    Mireille : C’est ce qu’on appelle « l’art éphémère ». C’est très à la mode aujourd’hui.

    Brouhaha suivit d’un grand silence   

    Mireille : Pour revenir au langage et la pensée, Hegel dit une phrase qu’on pourra retravailler dans le prochain débat sur la conscience, il dit (Encyclopédie, III, Philosophie de l’esprit.) « C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. » Je comprends que c’est grâce aux mots, au langage que l’on prend conscience de notre pensée.

    Anne : Je poursuis parce que c’est de Hegel aussi et fait suite à ce que tu as dit « le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie ».

    Il me vient cette réflexion, il y a la langue parlée qui est un langage qui, par rapport à la langue écrite, demande quand même moins de réflexion. Quand on parle on émet une pensée mais ça se fait rapidement, en général on ne prend pas le temps de réfléchir pour savoir comment on va l’exprimer oralement, alors que si on veut la mettre par écrit, là, ça demande une réflexion pour arriver à préciser exactement sa pensée.

    Janine : La langue écrite a un autre code grammatical, il faut construire la phrase ; alors qu’oralement avec seulement quelques mots on peut se faire comprendre sans avoir fait une phrase complètement construite.

    Françoise : Bien que si on veut faire passer correctement son ressenti ou ses idées et être compris des autres, je pense qu’on est un peu obligé d’élaborer, d’employer les bons mots.

    Anne : D’où l’importance d’avoir une instruction suffisante pour avoir les moyens d’exprimer sa pensée correctement.

    Françoise : Parce que pour la lecture, c’est vraiment quelque chose de particulier, on utilise plusieurs parties de notre cerveau, ce que l’on ne fait pas du tout avec le cinéma par exemple, ou le fait de discuter. C’est vraiment très impressionnant de lire parce qu’on utilise les deux cerveaux, le droit et le gauche et une autre partie du cerveau dont je ne me souviens plus du nom, qui est située à l’arrière en bas.

    Monique : C’est très intéressant de voir les fonctions du cerveau. Il est démontré aussi que notre cerveau sait avant qu’on l’exprime ce qu’on va dire.

    Michel : Rousseau disait « L'écriture, qui semble devoir fixer la langue, est précisément ce qui l'altère ; elle n'en change pas les mots, mais le génie ; elle substitue l'exactitude à l'expression. L'on rend ses sentiments quand on parle et ses idées quand on écrit »

    Françoise : Non, je pense que lorsqu’on parle il y a un petit peu de tout, on peut exprimer à la fois ses sentiments et ses idées

    Michel : On a besoin de parler, on parle, mais si on doit écrire on se met dans un code bien spécial, avec des marges et une façon de pensée qui ne coule pas, et une fois écrite ce n’est pas dit qu’on ne va pas biffer pour mieux la préciser. L’écriture c’est quand même une pensée bien lisse, bien mise en place. Rousseau ajoutait « En écrivant, on est forcé de prendre tous les mots dans l'acception commune ; mais celui qui parle varie les acceptions par les tons, il les détermine comme il lui plaît »

    Françoise : C'est-à-dire que l’expression à deux c’est compliqué parce que ça va se faire aussi par le ressenti de l’autre. La communication est dans les deux personnes qui communiquent, et dans les deux personnes il va y avoir leurs émotions qui vont intervenir.

    Philippe C. : Je ne sais plus qui disait «  Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément ». C’est pas toujours vrai, je pense aux hommes politiques actuellement qui parlent beaucoup et ne disent pas grand-chose.

    Françoise : Il me semble que tout est langage : le choix de sa voiture, la façon dont on s’habille, tout est langage, il me semble, on parle de soi à chaque fois.

    Mireille : Le langage, tel qu’il est posé là, il a la volonté de s’exprimer, alors que dans ce que tu dis il n’y a pas de volonté. C’est inconsciemment que tu vas choisir une voiture, qui va exprimer quelque chose de toi, mais tu ne te dis pas je vais prendre telle voiture parce que je veux exprimer ça.

    Brouhaha

    Anne : C’est un moyen d’expression de soi

    Mireille : Il ne faut pas confondre moyen d’expression et langage. Ce n’est pas un dialogue non plus.

    J’avais noté une citation de Delacroix qui exprime bien ce que tu disais, Anne, que langage et pensée sont entremêlés. Henri Delacroix disait « La pensée fait le langage en se faisant par le langage »

    Anne : Je pensais aux problèmes des enfants loup comme dans le film de Truffaut « L’enfant sauvage ». Et on parlait des babillements du bébé. Comment la pensée s’élabore-t-elle effectivement chez un enfant qui n’est pas en contact communicationnel avec des êtres humains ? Je ne me souviens plus très bien de ce film mais un moment l’enfant faisait des progrès, et qu’à d’autres il régressait.

    Françoise : On sait que les bébés abandonnés qui ne sont pas pris dans les bras tout le temps de la même personne deviennent fous, ils se balancent d’avant en arrière. Ils n’ont pas eu ce rapport du corps qui est un langage pour moi.

    Monique : On a parlé du lange humain, mais il y a aussi le langage des animaux.

    Anne : Les linguistes sont assez partagés à ce sujet, surtout les anciens comme Saussure, qui a été le créateur de la linguistique moderne. Par « langage » il entend « la faculté générale de pouvoir s'exprimer au moyen de signes. Cette faculté n'est pas propre aux langages naturels mais elle caractérise toute forme de communication humaine. ». Il le circonscrit uniquement  à la communication humaine.

    La philosophe Simone Manon dit « Nous trouvons, chez les abeilles, les conditions mêmes sans lesquelles aucun langage n’est possible, la capacité de formuler et d’interpréter un « signe » qui renvoie à une certaine « réalité », la mémoire de l’expérience et l’aptitude à la décomposer…

    L’animal ne fait jamais ni de ses états, ni de son monde un symbole c’est-à-dire un signe renvoyant à un sens. Il semble privé de ce qui est le propre de l’homme, à savoir la fonction symbolique par laquelle celui-ci ouvre un monde de significations, monde de la culture où l’échange des paroles n’est pas tributaire d’un contact direct avec la chose mais peut s’effectuer à partir des seules données linguistiques. » C’est un petit peu long mais elle fait bien la différence entre l’homme et l’animal.

    J’ai entendu récemment qu’il y a des recherches faites sur les singes, les bonobos en particuliers, plus on les étudie plus il semble que la frontière est floue.

    Michel : Je ne sais plus qui a dit il n’y a pas longtemps « nous avons domestiqué le chien et le cheval il y a environs 10 000 ans et le chat nous a domestiqué il y a 2000 ans ». On s’aperçoit qu’il y a d’un côté une communication qui se fait d’une part par l’acquis, la génétique, et d’un autre côté vous vous apercevez de l’indépendance du chat qui sait très bien se faire comprendre quand il veut quelque chose et qui n’acceptera jamais que vous empiétiez sur sa sphère.

    Anne : Je reviens à ce que disait la personne qui étudiait les bonobos. Elle disait que pendant longtemps, et encore maintenant, quand on étudie ces animaux on se place du point de vue de la pensée humaine, mais si on arrivait à effacer ça pour pouvoir se placer du point de vue animal, c’est ce qu’elle essaye de faire, alors, dit-elle, on découvre des modes de communication élaborés. La science jusqu’à très récemment a toujours pris le parti, effectivement, du point de vue humain et on ne peu pas se mettre dans la peau d’un singe, d’une fourmi ou d’un chat.

    Françoise : En tout cas on voit très bien qu’ils ressentent. Il y a un chat près de chez moi a qui je donne à manger, je ne peux pas l’attraper parce qu’il a très peur, mais je vois très bien ce qu’il exprime, sa peur, il a la queue entre les jambes. Je trouve même que c’est plus facile avec les animaux, parce que la pensée quelque fois vient contrarier ce que l’on ressent, alors que chez les animaux il y a le langage corporel qui ne peut pas nous tromper.

    Brouhaha : Echange sur les chiens et les chats

    Anne : Boris Cyrulnik  va dans le sens de ce que disait Simone Manon tout à l’heure : « Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est la parole. Non pas le langage, car les animaux ont aussi un langage. Mais l’aptitude à créer un monde spécifiquement humain par des représentations verbales : le monde des mots. Darwin, dès ses premiers travaux, a parlé du « mur du langage ». Cette métaphore exprimait bien que la parole métamorphose la condition d’être vivant. J’utiliserai une autre métaphore : la chenille vit dans un monde terrestre d’ombre et d’humidité, le papillon dans un monde aérien de lumière, et l’un et l’autre sont pourtant en continuité biologique. Notre chrysalide à nous, c’est la parole. Nous vivons dans un monde biologique mais aussi comme le papillon, dans le monde aérien de la parole. »

    Françoise : Entre le papillon et la fourmi etc. ils ont des façons de communiquer qui sont très différents.

    Mireille : Ce n’est pas du langage, ce sont des moyens de communication, d’échange d’informations.

    Anne : Alors, je sais que les oiseaux, les corvidés sont réputés pour être très intelligents. Chez moi j’entends les étourneaux. Je ne sais pas si vous avez pris du temps pour écouter quand il y a des étourneaux dans le coin, il y a une telle diversité d’expressions dans leurs chants, que je ne peux pas m’empêcher de me dire « ils bavardent ». Je ne sais pas s’il y a des scientifiques qui ont étudié le chant des étourneaux, je sais que ça a été fait pour celui des corneilles et des pies, mais les étourneaux c’est vraiment étonnant.

    Brouhaha :

    Anne : il va être temps de conclure, mais j’avais pensé à une chose à propos du langage, il y quand même tous les expériences du non-sens, je suis allée à un spectacle avant-hier, ça n’étais que du non-sens, des passages du coq à l’âne, c’était génial et très drôle. Tout ce qui est jeux de mots, est ce de la communication ? C’était plein de ruptures, mais on comprenait et on riait, je pleurais de rire. La rupture c’est propre au comique, il y a une rupture dans la communication mais on comprend quand même 

    Philippe C. : La rupture, c’est le sens qu’on lui donne. Tu as cité Saussure je crois que c’est lui qui parle de l’importance du lapsus qui trahit un certain nombre de choses. Volontaire ou pas volontaire, il dévoile des pensées cachées.

    Mireille : Tu parles d’un spectacle, là on est dans le monde de l’art. Ils jouent avec le sens des  mots, c’est exactement comme la poésie contemporaine qui joue avec les sons des mots. C’est une expression artistique.

    Fermeture Débat par Anne 

    Le langage est avant tout un moyen de communication – peut-être pas le seul, ce qui nous renvoie à l’intuition évoquée le mois dernier. Il est aussi moyen d’expression, et y en a-t-il d’autres, si on pense à la multiplicité des langages ? Que font les artistes, qui, sans commande, sans contrat, écrivent, composent, peignent, sculptent…c’est pour eux un besoin vital. Le langage, outil d’épanouissement, de bonheur, au-delà de tout souci de communiquer : expression de soi. Que faisons-nous d’autre quand nous chantons sous la douche ?

     Pour terminer et illustrer la fonction poétique ou esthétique du langage, je vais vous lire un  poème de Jacques Roubaud, (mathématicien et poète, membre de l’Oulipo : écriture sous contrainte) édité dans « Tokyo infra-ordinaire »sur l’eau une pierre

    1 sur l’eau une pierre

    pierre après pierre sur l’eau

    2 pierre sous les pas

    pierre après pierre les pas

    3 « pas de bruit »leur pas

    de pierre en pierre leur pas

    4 pierres séparées

    d’eau pour dans les eaux les carpes

    5 leur multicouleur

    entre les pierres semées

    6 un semis de carpes

    carpes bougeantes couleur

    7 un semis de pierres

    devant les pas sans couleur

    8 et la couleur mise

    par les arbres dans les eaux

    9 va de pierre en pierre

    ton pas sur le pont de bois

    10 pont de bois courbé

    ovale fermé dans l’eau

    11 floraison reflet

    reflet des arbres peignés

    12 eaux trempées de fleurs

    gonflées de rose fondant

    13 où le vert s’allège

    trempé le ciel imprécis

    14 rien ne s’équilibre

    ni les feuilles ni les feuilles

    15 les visiteurs vont

    leurs pas qui ne passent pas

    16 air redisposé

    après leurs pas, pas de pas

    17 peu de ciel étend

    les nuages entre-doigts

    18 cœur en cerisier

    someiyoshino  précoce

    19 j’entre dans le sombre

    sentier j’entre sous l’espace

    20 j’entre dans le sombre sentier

    j’entre dans le noir sentier

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 30 avril (même heure, même lieu) 

    La question choisie à mains levées, sera: « La conscience de soi est-elle une connaissance ? » 

    Le thème choisi pour  avril est  « la violence». Préparez vos questions. 

    Mireille PL 

     

     

     


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