• 5 à 7 Philo du dimanche 27 septembre 2015 : 17 participants

    Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?

     Introduction  par Mireille

    Analyse des termes du sujet

    FAUT-IL ? : Le verbe faillir est un verbe impersonnel  qui vient du latin fallere : manquer ; donc manquer, faire défaut et par extension « être nécessaire ». Le sujet est formulé sous la forme « faut-il ? » qui renvoie non pas à des conditions de possibilité mais à une nécessité (ou non) de se détacher de son passé : Pourquoi serait-il nécessaire d’oublier le passé ? S’agit-il d’une exigence morale ? D’une nécessité psychologique ?

    OUBLIER : Bien qu’ici l’objet de l’oubli concerne le passé, la question posée nous invite à nous questionner sur la mémoire, le souvenir plus que sur le passé en lui-même. Il ne nous est pas demandé  de renier notre passé, mais simplement d’en abolir les souvenirs qui pourraient nous nuire. Peut-on perdre le souvenir de notre vécu, de notre ressenti ? Ne pas en avoir conservé la mémoire ? Peut-on volontairement ne plus avoir présent à l'esprit quelque chose ou quelqu'un, ne plus y penser, ne plus s'en préoccuper ? Cesser de penser, de se rappeler des souvenirs pénibles ?

    PASSE : La question laisse entendre que le passé pèse un poids particulier dans la formation de l’individu, et qu’il pourrait avoir une influence négative sur la réalisation d’un avenir. Le passé peut faire référence à l’histoire personnelle mais également à  l’histoire familiale et à l’Histoire collective de la société à laquelle nous appartenons.

    SE DONNER : l’être humain est posé comme étant l’acteur unique de son devenir, devenir que le poids d’un passé (ou du moins de son souvenir) pourrait handicaper. Elle nous amène à nous poser celle du déterminisme.

    AVENIR : Ne confondons pas « avenir » et « futur ». Bergson voit l'avenir comme une dimension temporelle « humanisée », un temps de projet. L'avenir est un possible à réaliser. Le futur est une dimension temporelle objective.

    Échanges

    Pierre : C’est quand même un questionnement étrange de dire « faut-il oublier le passé ?». Il n’y a pas besoin de « faut-il » pour en avoir oublié une partie. Finalement du passé il n’y a que ce qui reste conscient.

    Philippe : Je n’aime pas beaucoup cette formulation « faut-il oublier le passé ?» car la réponse, on le sait, c’est que ce n’est pas possible d’oublier. Je vois dans le sujet la notion de destin, la notion du « fatum ». Qu’est-ce le destin ? As-t-on la maîtrise de se projeter sur l’avenir ? C’est une question qui va déboucher sur celle de la liberté de chacun de décider de son avenir. Ce n’est pas du déterminisme mais la volonté de faire un choix.

     Jacques : La question renvoie à l’oubli de ce qu’il y a eu de mauvais, de négatif dans le passé. On ne peut pas se souvenir de tout. Heureusement parce qu’on aurait alors l’esprit embrumé par tous ces souvenirs, et nous serions alors inaptes à l’action.

    Mireille : Là tu fais allusion à la mémoire. C’est vrai qu’on ne peut pas se souvenir de tout à un instant donné, mais tout notre passé n’est-il pas gravé dans notre mémoire ? Combien de fois un vécu oublié nous revient à la conscience déclenché par un événement du présent. C’est la « Madeleine de Proust »

    Je ne pense pas que la question nous renvoie qu’à l’oubli de notre vécu douloureux. Dante pensais « qu’il n’est pire misère qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur » et Musset lui répond « Un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le bonheur. » Le ressenti du passé est un fait très subjectif.

    Philippe : La mémoire et le souvenir sont deux choses très différentes. La mémoire est un outil qu’on a tous (plus ou moins développée) ; le souvenir est une construction. Deux individus qui ont vécu la même chose au même moment, n’en ont pas le même souvenir et ce qu’ils vont en exprimer peut être très différent.

    Huguette : Oui, mais c’est par rapport à leur ressenti. Le passé est constructeur : d’où vient-on ? Qu’elle éducation avons-nous eu ? Etc. Nos racines sont dans le passé.

    Anne : « Doit-on oublier le passé ? », je me demande si on peut décider d’oublier quelque chose ? Oublier volontairement un évènement vécu me laisse perplexe.

    Marie Christine : Je ne pense pas qu’on puisse oublier volontairement, on peut mettre de côté pour bien vivre le présent sans ressasser ce qui a été désagréable ou douloureux. On peut faire abstraction de ces évènements passés pour pouvoir avancer.

    Anne : Il y a deux expressions populaires qui sont significatives de ça : «Du passé faisons table rase » et «  Repartir à zéro ».

    Claudie : J’avais noté ces deux expressions et j’ai pensé à ce que cela avait donné, du point historique dans la société, comme dans nos histoires personnelles, de faire table rase ou de nier certains évènements du passé. Décider de créer quelque chose de nouveau comme si rien ne s’était passé auparavant c’est souvent ce que les jeunes font pour pouvoir apporter du neuf. S’il est peut être nécessaire de passer par ce stade, nous savons bien que c’est illusoire.J’ai aussi retourné la question. Est-ce qu’il ne faut pas plutôt s’appuyer sur le passé pour construire l’avenir ? La réalité est entre ces deux attitudes. On a besoin du passé comme base pour construire, mais en même temps si on y reste collé sans pouvoir s’en défaire, on ne risque pas d’avancer. Il y a des choses du passé qu’on a envie d’oublier et celles qu’on oublie malgré soi. On est tout de suite dans l’émotionnel, la notion de déni est très troublante. Qu’est qu’on retient ou oublie du passé ? Qu’est-ce qu’on choisit de retenir ou d’oublier ? Quelle est la part du conscient et de l’inconscient dans l’oubli ? La mort, oubli total et absolu, peut être une tentation quand le passé est trop lourd.

    Anne : Dans le mythe d’Orphée, devait-il oublier le passé, se fixer uniquement sur le présent et le futur, pour se donner un avenir avec Eurydice, ou au contraire se souvenir d’Eurydice vivante pour se donner la force de ne pas se retourner ? Les avis sont partagés. Marc Augé pense que ce peut être un mécanisme de défense contre l’angoisse, et avoir une fonction thérapeutique.

    Pierre : Pour moi, la question est : peut-on construire sans fondation ? Le passé est un matériau puissant pour construire des fondations. C’est la conscience qui va pouvoir trier, classer et choisir entre tous ces souvenirs pour dégager ceux qui paraissent bons et sur lesquels on va pouvoir s’appuyer pour construire. Je suis partisan de chercher le plus possible dans ses souvenirs pour en faire quelque chose dans le présent et le futur.

    Marie Christine : Je pensais à l’amnésie d’ordre hystérique qui est une protection quand il y a trop de souffrances. Seules la psychanalyse ou l’hypnose peuvent aider à traiter ce type d’amnésie et amener la personne à dialoguer avec son passé pour mieux vivre son présent.

    Je pensais aussi au film « L’homme sans passé ». Même quand on n’a plus la mémoire de notre passé, on voit que notre corps en porte les traces notre corps est mémoire, mémoire sensorielle. On peut ne plus en avoir le souvenir mais on ne peut pas être sans passé.

    Madeleine : Le passé est nécessaire, il permet d’être constructif, il permet de ne pas faire, de ne pas renouveler les erreurs. Le passé est une chose positive, mais l’essentiel n’est pas hier ni aujourd’hui, c’est demain. Par rapport à un passé douloureux c’est à nous d’en faire quelque chose de positif. De transformer le négatif en positif.

    Pierre : Je reviens sur « l’homme sans passé », n’ayant plus de passé tout le monde lui en crée un. Le passé est aussi bien intériorisé par l’individu que proposé par son entourage, par les autres.

    Véronique : Je pense comme Philippe, le souvenir est une construction. C’est une action personnelle qui se fait avec l’aide des autres. C’est très différent de la mémoire. Cela dit, autant les souvenirs, je vois ce que c’est, j’ai un peu plus de mal à voir ce qu’est la mémoire.

    Je me demande aussi : nous parlons de passé, nous parlons d’avenir, mais ne doit-on pas donner un peu plus de place au présent. La perception qu’on a du présent n’est-elle pas également importante pour l’avenir ?

    Anne : Pour aller dans le sens de ce que tu dis, il y a l’exemple de la musique qui m’a interpelée. Quand on écoute de la musique on n’est pas que dans le temps présent, il y a ce qu’on vient d’écouter et il y a même ce qu’on va écouter qui est là. Le phénoménologue Edmond Husserl a formé deux concepts originaux, rétention et protention. Selon lui « nous percevons la mélodie comme un objet temporel total et non seulement successif parce que notre conscience conserverait, dans sa mémoire vive pour ainsi dire, le souvenir des notes précédentes (rétention), et qu’elle anticiperait sur les notes à venir (protention) ». N’est-ce pas aussi valable pour ce que nous vivons ?

    Jacques : Le souvenir du passé ne me semble pas être qu’une construction, il y a les traumatismes qui nous marquent.

    Madeleine : Qu’entendez-vous par construction ?

    Philippe : Il faut lire Proust qui a parfaitement décrit ce mécanisme entre la mémoire et le souvenir. Il part d’une notion « anatomique, physiologique » avec des zones qui nous permettent de retenir un certain nombre de chose qui est la mémoire. Et, par contre, ce qui a été le vécu de ce dont on va garder le souvenir, un ressenti plus ou moins agréable est très subjectif. Il peut être très loin de la réalité.

    Anne : Les travaux des neurologues sur le cerveau aujourd’hui le montrent. Les témoignages dans les affaires criminelles sont considérés moins fiables aujourd’hui. On s’est rendu compte que le témoin colore le fait par tout un côté émotionnel très subjectif.

    Philippe : Je ne pense pas que c’est comme ça qu’il faut l’entendre. La mémoire, je dis c’est un outil, c’est quelque chose qu’on va entrainer qu’on va développer. Mais ça n’a rien à voir avec le souvenir. Se souvenir, c’est prendre dans la mémoire un certain nombre d’éléments et les rebâtir, les reconstruire d’une certaine manière. Et c’est ça qu’on va à un moment donné faire ressentir. La mémoire tout le monde l’a, plus ou moins développée. Et actuellement s’il devient difficile d’avoir des témoignages précis, c’est parce qu’on exerce plus la mémoire.

    Véronique : Par rapport au sujet ces notions de mémoire et de souvenir ne me semblent pas très importantes. Quand on dit « oublier le passé », est-ce qu’il faut fermer la porte à la mémoire ou faire attention à la façon dont on traite, on sélectionne, on exploite les souvenirs. Sans tomber dans la psychologie, pour ceux qui butent sur le mot « construction », je prendrai le cas des jumeaux ; ils ont vécu exactement la même enfance, et quand ils la racontent des années plus tard, on n’arrive pas à croire qu’ils ont vécu la même. Ils ont la même mémoire, mais ce dont ils se souviennent est différent. Chacun parle de son vécu en fonction de la personnalité qu’il a développée. C’est en ce sens qu’on peut parler de construction. 

    « Oublier le passé », ça veut dire quoi ? Ne pas utiliser sa mémoire ? Ne pas se laisser envahir par ses souvenirs ? Trier dans ses souvenirs ?

    Françoise : ce qui me choque c’est le « faut-il ? ». On ne peut pas décider, l’inconscient décide pour nous. L’exemple des jumeaux est intéressant,  leurs souvenirs diffèrent mais ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas juste, on est dans le ressenti de chacun d’eux. Dans l’oubli, notre inconscient décide pour nous, il n’y a pas de volonté consciente.

    Jacques : Pourtant on parle de « devoir de mémoire », il faut se souvenir de ce qui c’est passé pendant la shoah, on commémore tout un tas d’évènements passé ; ça, ce sont des constructions, des constructions politiques.

    Marie Christine : Par construction, on entend des constructions sensorielles, ce sont des images, des odeurs, des bruits et non pas une construction intellectuelle. Je pense à cette vieille dame qui souffre de la maladie d’Alzheimer très avancée, ou à ce film «  Se souvenir des belles choses » dans lequel une toute jeune femme est atteinte par cette maladie. On voit que ce ne sont que par les sensations qu’on éveille les souvenirs. On n’est pas du tout dans l’ordre de la morale, du jugement.

    Mais, effectivement, vous avez raison, quelqu’un qui a vécu quelque chose de difficile, soit parce qu’il est coupable, soit parce qu’il est victime ne peut pas oublier, ça peut hanter ses nuits.

    Mireille : Vous avez, tout à l’heure, parlé du passé, du présent et du futur. On ne peut pas vivre le présent, ni se projeter dans l’avenir en oubliant le passé. A ce sujet j’ai une citation, dont je ne connais pas l’auteur : « L’avenir n’est que le futur d’un présent mais il n’y de présent que parce qu’il est le présent d’un passé. » Il me semble évident que passé, présent et futur sont les éléments d’un tout qu’on ne peut dissocier.

    Hier soir, dans l’émission de Ruquier, Frédéric Chau présentait son livre «  Je viens de si loin ». Il disait que ses parents avaient tu pendant toute son enfance leur passé d’exilés cambodgiens et les atrocités qu’ils avaient vécues. Ils ont tout fait pour oublier leur origine et que leur entourage social n’en sache rien. Ce secret du passé a provoqué chez lui, à l’adolescence une crise identitaire grave. Après une thérapie qui a amené Fréderic à faire parler ses parents sur ce passé et un voyage au Cambodge avec son frère, il a trouver l’équilibre et la sérénité qui lui permettent de bien vivre le présent et d’avoir de nombreux projets d’avenir.

    Que ce soit pour une société, une famille ou un individu se voiler la face du vécu passé ne peut être que néfaste pour l’avenir comme pour le présent.

    Véronique : A contrario, il y a, au Japon « le droit à l’oubli » dont Thomas B. Reverdy parle dans son livre « Les évaporés ». Une personne qui a un passé ou un présent trop lourd à vivre, a le droit de disparaitre et d’aller vivre ailleurs sous une nouvelle identité.

    Anne : J’ai vu un reportage sur ce sujet, effectivement ils ont le droit de se créer une nouvelle identité. Mais, apparemment, il s’agit de marginaux qui n’ont pas une vie tout à fait normale par rapport à la moyenne de la société japonaise. Je ne sais pas si eux oublient mais ils se font oublier de leur entourage.

    Anne : Je vais glisser deux citations qui donnent deux approches différentes du sujet. La première est de Christine de Suède (1682) « La science de ton passé est ton passeport pour l'avenir. » La deuxième est de Maurice Maeterlinck : « Le passé est notre identité morte ; l'avenir est notre identité essentielle et vitale. »

    Michèle : Pour en revenir à ce que tu disais, combien de personnes peuvent faire table rase de leur passé et disparaitre ?

    Mireille : Si nous ne pouvons pas oublier le passé, nous pouvons rompre avec son poids. C’est le « C’est fini, plus jamais ça ». Si nos valises sont trop lourdes on ne peut pas avancer. Les mots rupture ou dépassement me semblent plus juste que « oubli ». Il est bon de se souvenir du passé pour éviter la répétition des erreurs. Il ne s’agit pas d’oublier son passé mais comme on dit « prendre du recul », c'est-à-dire, si cela est possible, d’en retirer, en conscience, les réactions émotionnelles qui nous plombent.

    Philippe : Avancer pour quoi faire ?

    Mireille : Pour exister.

    Pierre : Bien que la tendance est de dire que pour se construire il faut un passé, je pense qu’il y a des individus qui se donne une chance en reniant leur passé. Ils se donnent une deuxième chance. En général on préfère se souvenir pour construire. Mais c’est difficile d’oublier le passé pour se donner un avenir.

    Nicolas : On peut prendre un exemple pour illustrer un peu les notions abstraites de ce sujet qui peut être traité de façon complètement individuelle ou alors de façon plus collective politique. On peut prendre l’exemple de l’Europe. Doit-on se souvenir de tout ce qui s’est passé entre les états pour construire l’Europe de XXème siècle ? Evidement il faut oublier les rancœurs qu’on a eues contre les Anglais par exemple. Il faut oublier le passé, mais d’un autre côté on ne peut pas car le but de la construction de l’Europe est de résoudre les conflits. Il y a un mot qu’on n’a pas encore prononcé c’est le pardon. Oublier le passé c’est peut être pardonner. C'est-à-dire se souvenir du passé de façon à ce que ça permette une ouverture vers l’avenir.

    Jacques : Tout à fait d’accord, il y a le pardon mais aussi l’absence d’indemnisation. A titre individuel si les traumatismes du passé son trop forts il faut se faire aider par un psy pour aller mieux.

    Anne : Je pense à l’exemple de Montaigne qui montre qu’un événement douloureux peut amener du bien à la personne mais aussi aux générations futures. C’est la mort de son grand ami La Boétie qui l’a amené à écrire ses Essais.

    Madeleine : Je ne vois pas pourquoi il faudrait oublier notre histoire,  1515 a existé. Mais il faut passer à autre chose. Le présent, le passé et l’avenir sont les éléments d’une même entité qu’on ne peut dissocier.

    Marie Christine : Je rebondis sur « pardonner », bien sûr il faut pardonner. Mais les autres ont été témoins de notre passé, et les rancœurs peuvent ressortir, c’est le cas dans les réunions de famille et c’est pour ça que c’est difficile. S’il n’y a pas une lecture consciente et lucide du passé indispensable pour vivre le présent et aller vers l’avenir le pardon me semble improbable, on ne peut pas faire l’impasse de cette prise de conscience. Il ne faut ni oublier, ni nier les faits, ils ont existé, mais il faut un certain apaisement par rapport à eux.

    Mireille : Il y a plusieurs façons de vivre les choses. Il y a ceux qui vont regarder ce que le voisin lui a fait en maintenant son ressenti dans le présent. Mais on peut aussi regarder son passé sans qu’il nous affecte, le regarder comme si c’était quelqu’un d’autre qui l’avait vécu : le « moi » d’hier. Je pense que se détacher du ressenti est le fondement du pardon. C’est vrai autant à titre individuel qu’au niveau collectif. Je me suis surprise à penser, en voyant aux informations l’attitude de l’Allemagne face aux problèmes de la Grèce ou  des migrants «dans le fond ils ne sont pas si bien que ça les allemands ». Pourquoi parce que ma famille a un passif vis-à-vis d’eux ? Il faut stopper immédiatement les relents possibles des ressentis négatifs.

    Françoise : Tu parles de l’inconscient du passé et c’est bien par la conscience  qu’on peut être transporté dans le ressenti du passé qu’on peut agir et le dépasser.

    Pierre : Qu’est-ce que c’est qu’être neuf ?

    Anne : On a beaucoup jusqu’à présent évoqué l’oubli, mais que veut dire « se donner un avenir ? » est-ce là ta question ?

    Jacques : Etre neuf c’est ne plus avoir de rancunes.

    Claudie : Par rapport à la notion de pardon, encore faut-il pouvoir arriver à pardonner. Il y a des choses que je n’arrive pas à pardonner et j’en suis arrivée au point que j’ai décidé de ne plus culpabiliser là-dessus. Ce qui me parait fondamental c’est de le savoir. Au niveau des nations, ceux qui ont vécu des drames de guerre, je ne crois pas qu’ils puissent pardonner. Il faut essayer, trouver ce qu’on peut faire de ce passé.

    La phrase «  Oublier le passé pour se donner un avenir » m’a amenée à la notion de transmission. On n’est pas tout seul, on est là, dans le présent avec ceux qui étaient là avant nous et ceux qui seront là après. On doit essayer de transmettre des choses plus apaisées.

    Véronique : Par rapport à la question,  je constate que cela fait une heure qu’on échange et qu’on n’arrive pas à parler de l’avenir, de « se donner un avenir ». Pourquoi ?

    Anne : Tu as raison, on pourrait maintenant se pencher sur l’avenir. Pour faire la transition je vais vous lire un extrait du livre de Marc Augé  « Les formes de l'oubli » :

    «Se souvenir ou oublier, c'est faire un travail de jardinier, sélectionner, élaguer. Les souvenirs sont comme les plantes : il y en a qu'il faut éliminer très rapidement pour aider les autres à s'épanouir, à se transformer, à fleurir. Ces plantes qui accomplissent leur destin, ces plantes épanouies se sont en quelque sorte oubliées elles-mêmes pour se transformer : entre les graines ou les boutures qui leur ont donné naissance et ce qu'elles sont devenues, il n'y a plus guère de rapport apparent ; la fleur, en ce sens, c'est l'oubli de la graine (rappelons-nous le vers de Malherbe qui continue cette histoire : « Et les fruits ont passé la promesse des fleurs. »

    Jacques : C’est plus facile de parler du passé que de l’avenir. L’avenir personne ne sais trop de quoi il sera fait. La crise de 2008, personne ne l’avait prévue. L’arrivée soudaine de l’état islamique, personne ne l’avait prévue.

    Mireille : La notion d’avenir est très personnelle. Le futur c’est demain. Qu’on le veuille ou non il sera, l’avenir c’est ce que nous en ferons. C’est vrai autant pour les individus que pour les collectivités. Que ferons-nous demain de l’Europe par exemple ? Penser l’avenir nécessite de se projeter, d’imaginer. Autant il est facile de regarder notre vécu passé avec conscience, autant il est dur d’être conscient de notre avenir. Le mot créer serait plus juste que de se donner, car il s’agit d’inventer, d’aller vers du nouveau, d’agir au jour le jour car finalement l’avenir c’est tout à l’heure, dans cinq minutes.

    Marie Christine : C’est pour ça qu’il faut être apaisé sur le passé pour pouvoir ne pas bloquer un monde de possibles et pouvoir engager notre destin dans un destin collectif, et pouvoir inventer pour nous , pour nos enfants, pour les générations futures.

    Pierre : Justement, j’avais à l’esprit le champ des possibles. Il faut tenir compte de la part de l’autre. Se donner c’est un terme de banquier, on se donne quelque chose. Je me donnerai, dans l’instant que j’imagine pouvoir être un avenir, un champ de possibles. C'est-à-dire : je serai dans la capacité d’ouvrir, de me donner un horizon qui sera possible parce qu’il y aura aussi les autres. Chacun d’entre les autres peut donner quelque chose à ce possible nouveau.

    Philippe : Pourquoi a-t-on du mal à voir l’avenir et à se projeter dans l’avenir ? Tout simplement parce que l’avenir on le connaît. On sait qu’il va finir, on ne sait pas quand, mais pour certains d’entre nous il ne va pas tarder. On est obligés de faire vite parce qu’on sait qu’au bout il y a la mort. Parler de l’avenir, c’est très bien, mais quel avenir ? C’est un avenir qui peut être réduit ou très lointain.

    Anne : C’est une préoccupation de nos âges que beaucoup de jeunes gens n’ont pas. Il me semble que la question qui est posée est plutôt ce qu’on prévoit de faire dans sa vie, dans sa carrière, dans sa vie privée. Alors, est-ce que ce sont des choses qu’on se propose de faire dans un avenir proche ou à long terme ?

    Jacques : Je trouve que le champ des possibles est un très beau terme. Ce champ des possibles pour un jeune de vingt ans est quand même plus vaste que celui d’un retraité.

    Mireille : Pour compléter ce qu’on est entrain de dire, nous parlons beaucoup du passé parce que nous en avons un, tous ici, qui commence à compter et un avenir qui semble de plus en plus court ; alors qu’en général, un jeune de vingt ans n’aura pas beaucoup de passé à oublier pour se projeter dans l’avenir.

    Marie Christine : Mais il peut être déjà lourd à porter.

    Pierre : Je voudrais revenir sur cette notion d’obligation. On peut effectivement comprendre qu’il y ait cette obligation de regarder tout ce qui c’est passé avant pour avoir le courage de regarder ce qui va venir.

    Jacques : C’est une obligation autant psychologique que morale.

    Véronique : Philippe tu dis qu’on appréhende à regarder l’avenir parce que, selon toi, sa durée est incertaine. Mais dans la question « se donner un avenir », le terme se donner n’est pas anodin ; il y a l’idée de don et je me demande s’il n’y a pas là la notion de l’envie. Ce qu’on aimerait qui soit. Cette difficulté à parler de l’avenir vient du fait que l’envie est très personnelle et non pas d’une question de durée. Alors que le passé porte des faits accomplis.

    Madeleine : L’avenir, on peut agir dessus par nos choix.

    Marie Christine : Je pense que  ce qu’on veut pour l’avenir c’est pouvoir vivre le mieux possible quelque soit le temps qui nous reste. Je pense que les jeunes ont les mêmes questions existentielles, mais étant tout le temps dans l’action ils sont moins coincés que nous par ces questions là. Le sentiment de vulnérabilité, d’éphémère est quelque chose qui pèse lourdement sur les choix.

    Philippe : Au lieu «d’envie » je dirai plutôt « désir ». L’avenir va se construire à travers des désirs soit personnels , soit collectifs. Et comme dit Pierre on va avoir besoin des autres pour construire cet avenir, parce que ça va être un mélange, ensemble de désirs.

    Jacques : Les jeunes sont pris par leurs activités : famille, travail. Ils nous reprochent, à nous adultes de leur avoir laissé le sida et le chômage. Ils doivent construire leur avenir à partir de là ; il ne s’agit pas d’oublier mais de faire avec.

    Claudie : Ce qui m’interpelle dans ce qui a été dit, c’est que dès le départ j’avais retourné la question : faut-il oublier le passé pour se donner un avenir, ou s’appuyer sur le passé pour se donner un avenir ? Après cette discussion je constate que j’ai beaucoup de mal à m’appuyer sur les choses du passé (les bonnes et les mauvaises), à tirer la leçon du passé, comme on dit, pour pouvoir enfin faire des choix à partir de mes désirs pour avoir, quelque soit sa durée, un avenir qui me convienne. A mon âge ce n’est pas plus facile qu’à vingt ans, c’est toujours aussi compliqué. Mais il y a des gens qui décident de faire ceci cela et qui vont pouvoir se donner les moyens d’y parvenir, moi je n’y arrive pas. Mais là on tombe dans le psychologique.

    Jacques : Il y a des désirs et des envies, mais il y a surtout la peur de l’avenir, surtout en face de l’actualité.

    Marie Christine : Elle est beaucoup moins dangereuse qu’au moyen âge.

    Anne : On sort un peu du sujet. Je voudrais juste évoquer un des points de vue philosophiques de l’Inde qui indique que l’on peut agir sur une séquence d’évolution. C'est-à-dire qu’on peut avoir une action sur un avenir relativement proche.

    Véronique : On en revient sur l’échange qu’on avait eu sur le choix, il y a un an et demi. Le choix engage l’avenir, mais la conscience des conséquences des choix qu’on fait est extrêmement faible à très long terme. Agir sur une petite séquence d’évolution est intéressant. Evidemment on ne maitrise pas tout, on ignore ce qui va se passer géopolitiquement, climatiquement, mais se donner un avenir,  c’est à notre niveau peut-être moins ambitieux,  moins généreux, moins général et moins exigeant que ça. C’est peut être planter une graine ou un plant qui, s’il n’y a pas de catastrophes, donnerons dans deux ans des jolies fleurs et des fruits. Oublier le passé c’est aussi comprendre qu’on ne maitrise pas tout mais que ça n’empêche pas de faire des projets dans les séquences d’évolution auxquelles on a accès.

    Madeleine : Même si l’avenir semble bouché il y a toujours des possibilités d’agir, de planter sa petite graine. Transmettre aux enfants des idées noires en leur disant « mes pauvres petits, vous êtes une génération sacrifiée », on ne les booste pas comme ça. Ils auront la terre que j’aurai essayé de leur laisser en faisant de mon mieux.

    Mireille : Avant de conclure, je vais vous lire un article sur les « Considérations inactuelles » de  Nietzsche : « Il suggère qu’une vache ne connaît ni l’ennui ni la douleur, elle est incapable de se souvenir. Cet exemple tend à montrer que l’oubli n’est pas une simple “perte” de souvenir, mais un acte actif, portant en lui une puissance de libération. Bien sûr, l’amnésie complète serait aussi néfaste qu’une hypermnésie : Nietzsche affirme que le rapport au passé doit être équilibré : véritable tri sélectif, l’oubli doit rationaliser notre relation au passé, laissant de côté tout ce qui peut troubler la paix du moment. »

    Clôture du débat par Mireille

    La conclusion que j’écrirai à la suite de nos échanges ne serait pas très différente de celle que j’ai écrite en préparant notre rencontre, la voici :

    Sans l’expérience du passé nous ne pouvons pas nous projeter dans l’avenir, ce que nous avons construit hier, que ce soit dans la joie ou la douleur nous donne les outils pour continuer à construire notre existence. Les personnes atteintes d’amnésie doivent, quelque soit leur âge, tout réapprendre, se recréer une existence. La conduite de nos vies est identique à celle de nos voitures, si l’on ne regarde que dans le rétroviseur on ne peut pas avancer en sécurité, mais si l’on n’a pas de rétroviseur on ne peut pas prévenir les dangers. La route et sa vie sont « Une », nos existences aussi. Je suis ici, présente, avec mon passé vécu et mon vivre à venir.

    Et pour terminer notre rencontre en poésie, une comptine de Robert Desnos que m’a fille avait apprise en maternelle :

    Le Myosotis, 
    Ayant perdu toute mémoire
    Un myosotis s’ennuyait.

    Voulait-il conter une histoire?

    Dès le début, il l'oubliait

    Pas de passé, pas d'avenir,

    Myosotis sans souvenir


     

     Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous. Merci pour votre participation et rendez vous Dimanche 25 Octobre 2015 (même heure, même lieu), le sujet choisi à mains levées, sera: « Me silence a-t-il un sens ? »

    Mireille PL

     


    2 commentaires
  • Les Racines du ciel par Fréséric Lenoir et Leili Anvar

     

    Que disent les grands courants spirituels de l’humanité sur la liberté, l’amour, la sagesse, les passions, le silence, les âges de la vie, le pardon, la violence, le mal, la compassion ?

    Qu’est-ce que la prière, la méditation, le jeûne ? Quels sont les grands symboles religieux, quel est le sens des rites ?

    Autour d’un grand thème qui servira de fil rouge à l’émission, Fréderic Lenoir reçoit chaque semaine un invité qui répond à ses questions pendant 45 minutes. Leili Anvar (professeure aux Langues O et spécialiste de la spiritualité) lit et commente des textes en rapport avec le thème.

    L’émission se clôture sur un petit tour d’horizon de l’actualité culturelle et littéraire sur ces questions.

    http://www.franceculture.fr/podcast/4900100

     

    Lire la suite...


  •   L’esprit de l’athéisme. André Comte-Sponville (Albin Michel)

    Peut-on se passer de religion ? Dieu existe-t-il ? Les athées    sont-ils condamnés à vivre sans spiritualité ? Autant de questions décisives en plein « choc des civilisations » et « retour du religieux ». André Comte-Sponville y répond avec la clarté et l'allégresse d'un grand philosophe mais aussi d'un « honnête homme », loin des ressentiments et des haines cristallisés par certains. Pour lui, la spiritualité est trop fondamentale pour qu'on l'abandonne aux intégristes de tous bords. De même que la laïcité est trop précieuse pour être confisquée par les antireligieux les plus frénétiques. Aussi est-il urgent de retrouver une spiritualité sans Dieu, sans dogmes, sans Église, qui nous prémunisse autant du fanatisme que du nihilisme. André Comte-Sponville pense que le XXIe siècle sera spirituel et laïque ou ne sera pas. Il nous explique comment. Passionnant.

     

     

     

      Quand la beauté nous sauve. Charles Pépin (Robert Laffont)

    Un paysage naturel vous offre l'apaisement, une mélodie vous     redonne soudain foi en        vous-même, un tableau vous emporte dans quelque chose de plus grand que vous, un visage contemplé vous invite à voir le monde autrement... Chaque fois que la beauté nous touche, elle nous réapprend à nous faire confiance, à nous écouter, à ne pas nous laisser enfermer dans notre quotidien, à nous ouvrir à la promesse d'un Absolu. Dans le plaisir esthétique, nous réussissons même à nous confronter à ce qui d'habitude nous effraie : le mystère des choses, notre propre obscurité... C'est le pouvoir de la beauté : elle nous donne la force d'aimer ce qui est, en même temps que celle d'espérer ce qui pourrait être. Croisant la pensée des grands philosophes, l'oeuvre des artistes d'hier et d'aujourd'hui, puisant aussi dans son expérience personnelle, Charles Pépin éclaire l'énigme de la beauté et montre en quoi sa fréquentation peut nous aider à vivre.

    Malicorne. Hubert Reeves ( Seuil – Poche)

    « Malicorne est un petit village de Puisaye, le pays de Colette, situé au nord de la Bourgogne. Dans cette campagne grasse, verdoyante, légèrement vallonnée, on peut enlever sa montre et s'insérer dans le rythme de la nature. Ce livre est né de mes promenades dans cette campagne. Il s'est fait un peu tout seul. J'en ai été plus le spectateur que l'auteur. Je le dois aux traînées de lumière dorée sur le tapis luisant des pervenches dans la pénombre du sous-bois. Là, une grande paix m'envahit. Attentif aux sons et aux odeurs, je m'éveille à la présence tranquille du monde végétal. Je me sens vivant, à la surface de la planète Terre, à l'instant présent de l'évolution de l'univers. »

    Hubert Reeves s'interroge ici sur les rapports entre science et culture, « entre ce qu'on sait et ce qu'on fait » : en quoi les nouvelles connaissances scientifiques modifient-elles le regard que nous portons sur notre activité d'humains ? Des réflexions qui prennent valeur de témoignage et d'inspiration.

     

    Cinq méditations sur la beauté/Cinq méditations sur la mort. François Cheng (Albin Michel)

    Comme ses Cinq méditations sur la beauté, ce texte de François Cheng est né d’échanges avec ses amis, auxquels le lecteur est invité à devenir partie prenante. Il entendra ainsi le poète, au soir de sa vie, s’exprimer sur un sujet que beaucoup préfèrent éviter. Le voici se livrant comme il ne l’avait peut-être jamais fait, et transmettant une parole à la fois humble et hardie.

    Il n’a pas la prétention de délivrer un « message » sur l’après-vie, ni d’élaborer un discours dogmatique, mais il témoigne d’une vision de la « vie ouverte ». Une vision en mouvement ascendant qui renverse notre perception de l’existence humaine, et nous invite à envisager la vie à la lumière de notre propre mort. Celle-ci, transformant chaque vie en destin singulier, la fait participer à une grande Aventure en devenir.

     

    Cosmos. Michel Onfray (Flammarion)

    Cosmos est le premier volume d'une trilogie intitulée "Brève encyclopédie du monde". Il présente une philosophie de la nature. Il sera suivi de "Décadence", qui traitera de l'histoire, puis de "Sagesse", consacré à la question de l'éthique et du bonheur. "Trop de livres se proposent de faire l'économie du monde tout en prétendant nous le décrire. Cet oubli nihiliste du cosmos me semble plus peser que l'oubli de l'être. Les monothéismes ont voulu célébrer un livre qui prétendait dire la totalité du monde. Pour ce faire ils ont écarté des livres qui disaient le monde autrement qu'eux. Une immense bibliothèque s'est installée entre les hommes et le cosmos, et la nature, et le réel". Tel est le point de départ de ce livre, dans lequel Michel Onfray nous propose de renouer avec une méditation philosophique en prise directe avec le cosmos. Contempler le monde, ressaisir les intuitions fondatrices du temps, de la vie, de la nature, comprendre ses mystères et les leçons qu'elle nous livre. Tel est l'ambition de ce livre très personnel, qui renoue avec l'idéal grec et païen d'une sagesse humaine en harmonie avec le monde.

    Petite philosophie à l’usage des non philosophes.

    Albert Jacquard (livre de poche)

    Jamais, sans doute, les incertitudes de chacun devant la société et l'avenir personnel ou collectif n'ont été aussi fortes, les systèmes religieux ou idéologiques aussi fragilisés.Généticien de renom, mais aussi homme d'engagement et de culture, Albert Jacquard s'intéresse ici aux principales questions de la vie. D'Autrui à Sagesse, d'Éthique ou Démographie à Hitler ou Origine, il aborde, en conversation avec Huguette Planès, enseignante de philosophie, trente grands sujets éternels ou actuels. S'appuyant sur les travaux des scientifiques ou sur les doctrines philosophiques de référence, il nous donne des clefs, des questions, des réponses, et, qu'on le lise de A à Z ou au gré de sa curiosité, il incite à poursuivre la réflexion librement, par soi-même, à travers d'autres lectures.

     

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    5 à 7 Philo du dimanche 31 mai 2015 : 13 participants

    L’homme a-t-il besoin de spiritualité ?

    Las! Absorbées que nous étions par la difficulté du sujet et les difficultés mécaniques, nous ne nous sommes pas rendues compte que l'Enregistreur n'avait pas démarré. Vous n'aurez donc pas le compte-rendu habituel sur "L'homme a-t-il besoin de spiritualité". Merci de nous en excuser.

    Vous trouverez ci-dessous l’introduction faite par Anne, les citations lues ainsi qu’un résumé des pensées abordées.

    Introduction  par Anne

    Définitions

     L’homme : L’être humain en général, ou bien chacun de nous, (l’homme étant une femme comme les autres…)

     La spiritualité

    Grand Larousse Universel :

    1.     Littéraire. Qualité de ce qui est esprit, de ce qui est dégagé de toute matérialité : La spiritualité de l'âme, de la poésie.

    2.    Ce qui concerne la doctrine ou la vie centrée sur Dieu et les choses spirituelles.

     Spirituel : du bas latin spiritualis, et du latin classique spiritus : esprit.

    1.     Se dit de ce qui est de la nature de l’esprit, considéré comme une réalité distincte de la matière : reconnaître la nature spirituelle de l’âme.

    2.   Se dit de ce qui relève du domaine de la pensée, de l’esprit : la parenté spirituelle de deux écrivains.

    3.    Se dit de ce qui appartient à un domaine moral, distinct des réalités du monde sensible et de la vie pratique : un chef spirituel (ex le pape)

    4.    Quelqu’un qui a de l’esprit, de la finesse, de la vivacité dans son maniement des idées.

    Synonymes : Dévotion, foi, mysticisme, piété

    Dictionnaire Reverso :  

    1.     Caractère de ce qui est de l'ordre de l'esprit     

    2.    (philosophie)   ensemble des croyances et des pratiques qui s'attachent aux valeurs spirituelles  

    Synonymes : mysticisme, immatérialité, spiritualisme, valeurs religieuses, valeurs spirituelles  
    Antonymes :    animalité, matérialité, positivisme

    André Comte-Sponville, dans « L’esprit de l’athéisme », nous dit que la spiritualité, c’est la vie de l’esprit. Mais qu’est-ce que l’esprit ? Descartes le présente comme: « Une chose qui pense, c’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent. »

      Donc, qu’est-ce que l’esprit ?

    Définition philosophique :

    Principe de pensée. Psychisme. Substance immatérielle qui sert de support à la pensée. Puissance surnaturelle. Caractère, façon d’agir habituelle. Sens profond, intention d’une œuvre, par opposition à sa littéralité.

     Besoin : ancien bas franq bisunnia, soin.

    Grand Larousse Universel :

    1.     Exigence née d’un sentiment de manque

    2.    Sentiment de privation qui porte à désirer ce dont on croit manquer.

    3.    Chose considérée comme nécessaire à l’existence.

    Présentation

    Tout d’abord, en faisant mes recherches, j’ai trouvé beaucoup de correspondances entre le sujet que nous allons aborder aujourd’hui et le questionnement du mois dernier, entre vivre et exister, comme si c’était la spiritualité qui venait se glisser entre les deux pour faire la différence.

    L’homme a-t-il besoin de la spiritualité ?

    Quel sens chacun de nous donne-t-il à ce mot, spiritualité ? Est-ce une construction intellectuelle basée sur les textes religieux, ou une expérience sensible vécue (par les mystiques, par la méditation, entre autres).

    La spiritualité : immanence ou transcendance ? Une  « chose » ressentie de l’intérieur, ou quelque chose qui vient d’ailleurs?

    Si nous en avons besoin, c’est l’expression d’un manque. Pour éliminer la sensation de manque, il faudrait donc se mettre en recherche. Qu’est-ce qui fait prendre conscience de ce manque ?

    Synthèse du débat

    Spiritualité et religion :

    L’échange à débuté sur la notion de spiritualité. En occident elle se rattache conventionnellement à la religion et à la foi en Dieu. Spiritualité et religion sont intimement liées, mais ne sont pas synonymes. La notion de spiritualité désigne le caractère des choses de l’esprit et la vie selon l’esprit. La religion est « tout un ensemble organisé de croyances et de rites portant sur des choses sacrées, surnaturelles ou transcendantes (c’est le sens large du mot), et spécialement sur un ou plusieurs dieux (c’est le sens restreint), croyances et rites qui unissent en une même communauté morale ou spirituelle ceux qui s’y reconnaissent ou les pratiquent » (André Comte-Sponville dans L’esprit de l’Athéisme).

    Philippe nous fait remarquer que depuis toujours l’homme a été religieux et a pratiqué des rituels sacrés. L’Homo faber enterrait ses morts suivant des rituels bien définis.

    Ce besoin de rituel n’est pas du fait de l’individuel mais du communautaire. La religion est une pratique collective, ce sont des rituels qui organisent une société à partir de croyances communes. La spiritualité c’est individuel, c’est un chemin, c’est une quête personnelle. C’est aller vers soi comme l’a dit Pierre, ou encore faire un travail sur soi, sur ses émotions comme l’a exposé Dominique en prenant l’exemple de la colère. La qualité spirituelle ne se situe pas au constat d’une émotion et de sa maîtrise, mais dans le cheminement fait vers sa compréhension et son effacement.

    Il y a une spiritualité religieuse qui s’enracine à l’intérieur d’une religion comme une démarche de relation avec le Dieu en qui on croit en s’appuyant sur la prière et les textes sacrés. Mais il y a aussi une spiritualité laïque qui est plus une recherche de sagesse, de connaissance de soi, dans l’idée de développer certaines vertus, certaines qualités d’éthiques, d’arriver à une certaine sérénité intérieure.

    Spiritualité laïque :

    Peut-on parler d’une spiritualité laïque ou d’une spiritualité sans Dieu ?

     Le terme « laïc » ou « laïque » vient du latin laicus, dont le sens était « qui n’appartient pas au clergé ». Il a été inventé pour distinguer l’homme ou la femme qui n’était pas engagé(e) dans un ordre religieux ou une voie spirituelle spécifique, quelqu’un de libre de toute appartenance religieuse.

    Le terme de « spiritualité laïque est apparu dans les années 50. Arnaud Desjardin (1920-2011) a écrit sur l’hindouisme, le bouddhisme tibétain, le zen et le soufisme d’Afghanistan. Il établit « une spiritualité laïque proposant une synthèse des religions traditionnelles et des découvertes de la psychologie moderne »

    En réponse à la question sur la spiritualité laïque, André Comte-Sponville dans « L’esprit de l’athéisme » écrit:

    « Elle est laïque en ceci qu'elle n'a pas besoin d'Église. Un vrai mystique n'a pas besoin de dogmes, ni de foi, ni d'espérance. C'est d'ailleurs pour cela que les mystiques, dans toutes les religions, ont eu si souvent maille à partir avec leurs Églises respectives… La sagesse serait plutôt un certain type de silence. »

    « On a donc fini par croire que les mots “religion” et “spiritualité” étaient synonymes. Il n'en est rien. Il suffit pour s'en rendre compte de prendre un peu de recul, aussi bien dans le temps, du côté des sagesses antiques, que dans l'espace, du côté des sagesses orientales, spécialement bouddhistes ou taoïstes. On découvre vite qu'il existe d'immenses spiritualités sans croyance en un Dieu ou en une transcendance. C'est ce que j'appelle des spiritualités de l'immanence. »

    « La spiritualité comprise comme recherche d’un sens existentiel peut ne pas être religieuse mais il n’y a pas d’authentique religion sans spiritualité. Nous n’avons pas besoin de religion à la manière d’autrefois. Nous avons un besoin de spiritualité non utilitaire » (article du Figaro)

    Spiritualité et croyance

    Peut-on vivre sans croyance ? demande Claudie. Nos choix ne sont-ils pas guidés par ce en quoi on croit ? Il ne s’agit pas là que de croyance en Dieu mais de croyance en ce qui nous semble juste et sage.

    On peut ne pas croire en Dieu, mais comment vivre sans croire à l’amour qui nous emplit d’allégresse : l’amour d’une mère pour son enfant, l’amour de la vie. L’amour n’est-il pas l’essence de notre existence ?

    Comme nous l’avons vu lors d’un précédent débat, nous ne pouvons pas vivre sans croyances. Ici nous parlons de spiritualité et de croyances religieuses qui sont toutes les deux très subjectives. Cependant, on pourrait dire que la spiritualité  est la vision que chacun d’entre nous a du monde, de l’existence. Cet imaginaire est vivant, cette vision évolue en fonction de notre vécu. Les religions nous apportent des images toutes faites inscrites dans les livres, ce sont des images figées, sans vie. C’est ce qui faisait dire à Jacques Lacan : «  Les religieux sont capables de donner un sens à vraiment n’importe quoi. Ils sont formés à ça. »

    Ce dogmatisme figé de nos Eglises occidentales amène aujourd’hui beaucoup d’entre nous à se tourner vers la pensée orientale.

     Au début du 20ème siècle, le philosophe Krisnamurti œuvra à  lutter contre les dogmes religieux qui, pour lui, n’appelaient qu’à « la foi du charbonnier » écartant toutes visions spirituelles individuelles. Dans son ouvrage « La première et la dernière liberté » il écrivait :

     « Vous croyez de différentes façons, mais vos croyances n’ont absolument aucune réalité. La réalité, c’est ce que vous êtes, ce que vous pensez ; et votre croyance en Dieu n’est qu’une évasion de votre vie monotone, stupide et cruelle. En outre, les croyances, invariablement, divisent les hommes. Il y a l’Hindou, le Bouddhiste, le Chrétien, le communiste, le socialiste, le capitaliste, etc. Les croyances, les idées divisent ; elles n’unissent jamais les hommes…

    Qu’est-ce que la réalité, qu’est-ce que Dieu ? Dieu n’est pas un mot, le mot n’est pas la chose. Pour connaître l’immesurable, l’intemporel, l’esprit doit être libéré du temps, ce qui veut dire qu’il doit être débarrassé de toute pensée, de toutes les idées sur Dieu ...Ce n’est que lorsque l’esprit est complètement silencieux, non seulement aux niveaux périphériques et superficiels mais jusqu’aux couches les plus profondes, que l’inconnu peut entrer en existence. »

    Opinion, conviction (foi, croyance) et savoir

    Ces mots souvent employés les uns pour les autres expriment des notions bien différentes.

    Kant la « Critique de la raison pure. » distingue trois degrés de créance ou d’assentiment :

    « L’opinion : qui a conscience d’être insuffisante aussi bien subjectivement qu’objectivement.

    La foi, la croyance, la conviction : qui n’est suffisante que subjectivement, non objectivement. 

    Le savoir : qui est suffisant aussi bien subjectivement qu’objectivement »

    La spiritualité et la science

    Toutes les religions issues des textes de la Bible dirigent notre regard sur le mystère de la mort. Les enseignements qui en découlent ont pour but d’amener l’homme à agir sur terre dans l’espoir de trouver, après sa mort, une place auprès de son Dieu. Dans notre culture judéo chrétienne le mystère de la mort reste la grande question qui fait peur et angoisse. Le mystère de la vie n’est-il pas aussi important que celui de la mort ? Ne sont-ils pas intimement liés ?

    Longtemps, la science a été opposée à la religion. Surtout en France, où l'héritage de Descartes est solidement enraciné dans les esprits. Aujourd'hui l'astrophysique devient une porte d'entrée pour réfléchir à notre humanité, à notre place dans l'univers.   Dernièrement, sur France Culture, Hubert Reeves disait : « Je me dis souvent qu’il y a deux grandes questions qui se posent et auxquelles il faut renoncer  si on veut commencer à faire de la science. La première est la question de Leibniz «  Pourquoi il y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » La deuxième question c’est : pourquoi cette matière est régie par des lois ? Ce sont là pour moi les deux piliers de notre ignorance. »

    Cela rejoint la position de Protagoras : (penseur présocratique et professeur du Vème  siècle av. J.-C.)

    « Sur les dieux, je ne peux rien dire, ni qu’ils soient, ni qu’ils ne soient pas, ni ce qu’ils sont. Trop de choses empêchent de le savoir : d’abord l’obscurité de la question, ensuite la brièveté de la vie humaine. »

    Certes la théorie du big bang nous donne une image de plus en plus précise ce qui pourrait être la naissance de l’univers et de son évolution, mais ne nous dit pas qui en est l’architecte.

    L’astrophysicien vietnamien Trinh Xuan Thuan pense que science et spiritualité sont complémentaires. Il croit que l’homme a un rôle à jouer en comprenant l’univers et en lui donnant un sens. Il dit se sentir « dans la lignée de Pascal, qui était un grand scientifique et un grand croyant… Je parie sur un seul Univers dont le principe créateur ne s’incarne pas, selon moi, dans l’image d’un Dieu barbu qui régit tout mais dans la manifestation des lois de la nature. »

    Comme le dit Comte-Sponville, «  La première expérience scientifique a été d’observer le ciel. L’espèce humaine est peut-être la sele qui se couche sur le dos, ce qui nous permet d’appréhender ce mystère qui nous contient et nous habite : c’est le début de la spiritualité » ( «  L’esprit de l’athéisme, introduction à une spiritualité sans Dieu »)

    Harmonie avec la nature

    Un sentiment de paix intérieure lors de la contemplation de l’océan… Et si c’était ça aussi, la spiritualité ? interroge Pierre. L’homme est bien orgueilleux de vouloir s’élever à tout prix, restons humbles.  

    De la contemplation des mystères de la nature, nait, en nous, une grande sérénité, un bien être du corps et de l’esprit. Ce qui peut sans doute différencier l’approche poétique de la contemplation de l’approche religieuse en général, c’est que la religion répond au mystère par la croyance, alors que contemplation révèle le mystère et la question ; question qui n’aura jamais de réponse absolue, mais qui donne vie à l’inspiration…St Bernard disait «  Crois en mon expérience, tu trouveras quelques chose de plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers t’enseigneront ce que tu ne peux apprendre d’aucun maître ».

    La contemplation est une aventure intime, imprévisible qui nous sort du quotidien et nous éveille à l’univers et à l’essentiel en nous. La recherche d’harmonie avec la nature est-elle quête spirituelle ?

    La spiritualité et psychologie

    Trouver l’essentiel en nous, c’est là l’invitation que nous fait Annick Souzenelle  dans son dernier livre « Va vers toi ». C’est en se confrontant à ce qui semble être nos monstres intérieurs que l’on peut retrouver les dieux en nous. Est-ce là l’objet de la psychanalyse, dite aussi thérapie analytique, qui vise à une immersion dans la profondeur du psychisme, notamment l'inconscient ? La motivation est-elle d’ordre spirituel ?

    Pour Freud, « Toute aspiration religieuse est un fantasme, une création de l’esprit. La croyance en l’existence de Dieu est une sublimation, une activité psychique qui tire sa force de la pulsion sexuelle pour se déplacer vers l’élévation esthétique ou intellectuelle ». Alors que pour Jung « L’aspiration spirituelle est une fonction naturelle dynamisée en chacun de nous par l’inconscient collectif, la mémoire psychique de l’humanité qui s’exprime à travers les archétypes et les mythes. Il y a en chacun de nous une nécessité de s’élever, de vivre des expériences transcendantes »… « La spiritualité est un besoin de notre inconscient »

    Les différents chemins de la démarche spirituelle

    A ce niveau de nos échanges plusieurs voies vers la spiritualité se dessinent, qui ne s’excluent pas les unes les autres : 

    La spiritualité de l'amour dans l'union à un dieu personnel, ce sont les mystiques religieuses (remarquons à ce sujet que le christianisme n'en a pas l'exclusivité et qu'il existe en Inde un fort courant de mystique dévotionnelle)

    La spiritualité de la connaissance où le sujet connaissant dépasse la dualité sujet-objet ; c’est une démarche plus intellectuelle bien que n’évinçant pas l’expérience ; elle est plus scientifique et philosophique.  

    La spiritualité « poétique » où le sujet qui contemple s'absorbe dans la nature qu'il contemple. 

    La spiritualité et la beauté

    Nature, harmonie, poésie, beauté… ? Anne questionne sur le rôle que peut jouer la beauté. Le sentiment esthétique est-il un élément de la spiritualité ? Charles Pépin dans « Quand la beauté nous sauve » tente d’y répondre :

    De l’émotion esthétique : « Cette émotion ne durera pas, mais elle ressemble à l’éternité. »

    « Nous avons besoin de la beauté pour nous souvenir de ce que nous pouvons être. »

    … « il m’avait semblé qu’il y avait dans cette beauté quelque chose qui, sans être nécessairement plus fort que la mort, permettait de lui tenir tête un petit peu. »

    « La beauté ? Il faudrait plutôt dire : l’émotion esthétique. Ce plaisir étrange, ni simplement sensuel, ni vraiment intellectuel non plus, cette satisfaction gratuite, désintéressée, cette évidence qui soudain vous apaise lorsque vous dites : « c’est beau. ». N’est-ce pas une définition de la spiritualité ? »

    Le besoin de spiritualité

    A travers nos réflexions, on voit se dessiner ce besoin d’autre chose que notre nécessaire vital, matériel. Comme notre corps se nourrit pour grandir et vivre, notre esprit a besoin d’être alimenté,  pour se développer, permettre à notre conscience de s’élever.

    Ce besoin de spiritualité est plus ou moins grand suivant les personnes, et les motivations sont   différentes, la quête spirituelle répond à plusieurs besoins de l’homme :

    Le besoin social, besoin de se sentir relié au monde et aux autres pas seulement par des nécessités pratiques ou des liens formels. C’est les cas dans les églises, les fratries et autres groupes de recherche spirituelle.

    Le besoin intellectuel, celui de comprendre et de savoir. Il n’y a pas de croyances mais la recherche de la vérité.

    Le besoin de recherche d’une vie intérieure, le « connais-toi toi-même » afin de mieux vivre son existence.

    Le besoin existentiel, besoin non utilitaire, qui est le besoin de trouver un sens à la vie.

    La spiritualité comprise comme recherche d’un sens existentiel peut ne pas être religieuse mais il n’y a pas d’authentique religion sans spiritualité.

    Le mystère de la mort

    Chercher à  maintenir vivant le sentiment d'une essence spirituelle propre à l'homme, est certainement une des réponses à l'un de ses besoins les plus primitifs pour faire face à l'angoisse du présent, du futur et d'une après vie. La mort, un mot qui nous terrifie, une angoisse de l’inconnu, mais une réalité à laquelle nous devons tous faire face.

    Nous pourrions avoir une rencontre réservée à ce mystère de la mort. Nous en parlons aujourd’hui car c’est la principale cause de ce besoin de spiritualité dont on parle maintenant..

    La grande question est « Il y a-t-il quelque chose après la mort ? ».

    Selon une équipe de chercheurs, il existerait une forme de "vie après la mort". "Les preuves suggèrent que, dans les premières minutes après la mort, la conscience n'est pas annihilée", explique le docteur Sam Parnia, principal auteur de l'étude. (Article de La Dépêche du 9/10/2014)

    Bernard d’Espagnat, physicien dans Le monde des religions n° 51.Dossier « cerveau et spiritualité » écrit : « La physique quantique nous enseigne que cette réalité dans laquelle nous vivons, située dans le temps, l’espace, l’énergie et la matière, n’est pas la réalité ultime, et que la réalité ultime, si elle existe, ne peut être située dans le monde des phénomènes. Cela rend à priori non absurde l’idée d’une possible survie après la mort. »

    Qui a raison ? A défaut de certitude chacun d’imaginer la réponse. Mais, n’est-il pas plus essentiel de se poser la question du rôle que joue, dans nos vies, la conscience que nous avons de notre finitude ?

    Teilhard de Chardin cité par François Cheng dans « Cinq méditations sur la mort » nous livre des pistes de réflexions. Il écrit : « Incorporer la mort dans notre vision, c’est recevoir la vie comme une générosité sans prix […] la mort est chargée de pratiquer, jusqu’au fond de nous-mêmes, l’ouverture désirée  […]  fermer les yeux devant la mort en se barricadant contre elle, c’est au contraire rabaisser la vie à une chiche épargne dont on compterait les dépenses sou par sou, au jour le jour. »

    Du temps pour la spiritualité

    Même si le bouddhisme nous invite à reconnaître qu’il y a du sacré dans le moindre de nos gestes routiniers, pour la plupart d’entre nous, un moment de spiritualité est ce qui nous sort, par le haut, de notre quotidienneté. Encore faut-il en prendre le temps.

    Pour certains il a été difficile de prendre ce temps durant leur vie active où ils étaient plus dans le faire que dans l’être. D’autres évoquent le temps de l’adolescence où ils se sont posé ces questions sur les mystères de la vie, la mort, de l’univers, le sens de leur vie. N’est-ce pas là la raison d’être de la philosophie en Terminale ? Ces questions ont accompagnés certains tout au long de leur existence. D’autres, encore, profitent de leur retraite, forts de leurs expériences, pour réfléchir sur le sens de leur vie et pouvoir partir sans regrets.

    Clôture du débat par Anne 

    Je vais parler de ma propre réflexion, nourrie par un vécu récent, et revenir sur la mort dont il a été question à plusieurs reprises.

    La spiritualité ne nait-elle pas de ce questionnement suprême qui nous vient devant la mort ? Et pas seulement la peur de notre propre mort, dont on ne peut rien savoir, mais  cette sidération, cet effroi quand survient la mort d’un proche, quand un corps soudain n’est plus vivant, un corps vidé de son essence, qui devient chose. Nous sommes devant l’énigme de la vie. C’est incompréhensible. Et on cherche à comprendre.

    La spiritualité serait-elle ce qui nous réconforte ? Aurait-elle un rapport avec la mort ? Aurait-elle un rapport avec la beauté ? Aurait-elle un rapport avec la nature ? Serait-elle ce qui fait venir les larmes aux yeux, larmes d’émotion, de joie, de douleur ?

     

    Victor Hugo, cité par Charles Pépin :

    « La mort et la beauté sont deux choses profondes

    Qui contiennent tant d’ombres et d’azur qu’on dirait

    Deux sœurs également terribles et fécondes

    Ayant la même énigme et le même secret. »

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous. Merci pour votre participation et rendez vous Dimanche 27 septembre 2015 (même heure, même lieu), le sujet choisi à mains levées, sera: « Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir? »

    Mireille PL


    2 commentaires
  • 5 à 7 Philo du dimanche 26 avril 2015 : 19 participants


    Vivre ou exister ?

     

    Rappel : Philosopher ? Par Jean Louis

    « Si nous philosophons aujourd’hui en prenant pour adage : ce n’est pas la réponse qui est importante mais la question qui est posée, nous pourrions oublier trop rapidement l’esprit des philosophes Grecs qui ont inventé la démarche démocratique, le sens de l’échange des idées et les « agoras », ces lieux de rassemblements publics pour débattre, comme aujourd’hui, sur les sujets de la société ; car ce thème n’a jamais été aussi actuel. Nous voilà au cœur du sujet que Descartes nous rappelle dans son « Discours de la méthode », car sans questions, pas de réponses et sans réponses pas de nouvelles questions ; l’échange individuel et collectif est donc primordial pour continuer sa quête »

    Présentation par Arielle

    La question est « Vivre ou exister ? » Dans cette question le problème réside dans le « ou ». Si on change de conjonction de coordination, cela peut suggérer des pistes. Peut- on « Vivre MAIS exister ? », « Doit-on Vivre pour exister ? »
    Voyons les définitions. Il y-a- t il une différence entre ces deux mots qui apparemment veulent dire la même chose, il y a, je dirais, des amplitudes différentes. Les termes d'« existence » et de « vie » semblent à première vue équivalents ; si on se réfère à la définition que donne le Petit Robert, exister, c'est vivre et vivre ou exister, c'est émerger du néant, c'est avoir une réalité dans le monde. Le Littré nous : « être en vie : les oiseaux vivent dans l'air, et les poissons dans l'eau, les chênes vivent fort longtemps »

    La vie : Qu’est-ce que vivre ? En partant de cet exemple, on peut dire que la vie renvoie à une réalité biologique élémentaire. Elle se rapporte à la croissance et la conservation d'un être selon des principes organiques. La vie, à ce titre, peut caractériser la plante, l’animal et l’homme. Est vivant tout ce qui s’oppose aux choses physiques et aux objets artificiels fabriqués par l’homme. La vie est donc une notion biologique. L'être vivant a la capacité de se mouvoir de lui-même, et non pas en vertu d’un principe extérieur (comme c’est le cas pour un objet technique qui nécessite la main de l’homme pour fonctionner).
    S’il faut d’abord vivre pour pouvoir exister, l’existence se réduit-elle pour autant à la vie ? Et en quoi précisément l'existence diffère-t-elle de la vie ?
    Exister, serait ce d’abord vivre ? On pourrait ainsi déterminer la vie selon trois critères :
    • Un être vivant est doué d’un certain degré d’autonomie au sein d’un milieu ambiant et n’a besoin que de lui-même pour se maintenir comme tel. Ce principe d'autonomie est indissociable du principe de changement, donc de celui de mouvement - qu'Aristote nomme « âme » (anima, faculté d'être animé). L'« âme » est par conséquent le principe vital. On peut ainsi distinguer les êtres vivants des êtres inertes.
    • Un être vivant est un être capable de se reproduire : un système vivant produit un autre système vivant en gardant toutes les caractéristiques de l’espèce. Là encore, ce principe d’invariance est contenu dans son être même.
    • Chaque organe, chaque partie du corps d'un être vivant remplit une fonction et participe à la perpétuation et à la conservation de l'ensemble de l'organisme.

    Que veut dire exister ? On peut affirmer que tout ce qui est vivant « existe ». Ainsi, la meilleure façon de définir l’existence est d’affirmer vivre. La vie est un principe premier d'existence.
    « Rien n'existe que par celui qui est » disait Rousseau.
    « Figurez vous que je n'ai pas un moment à moi ! Et je ne croirais pas vivre si je vivais autrement ; ce n'est qu'en s'occupant qu'on existe.» écrivait Voltaire
    Si on assimile l’existence à l’être, c’est pour la distinguer clairement de l’essence. En effet, donner l’essence d’une chose, c’est dire ce qu’elle est, quelle est sa nature spécifique (de quoi elle est composée, à quoi elle sert, etc.). Au contraire, dire d’une chose qu’elle existe, ce n’est pas préciser ce qu’elle est, mais c’est simplement affirmer qu’elle est. Ce qui existe est. Toutefois seul l’homme peut être qualifié d’existant : il est en effet le seul être vivant capable de se représenter sa vie et d’ouvrir un horizon de sens. L’existence est donc une notion essentiellement métaphysique qui renvoie à la spécificité de l’être humain.

    En conclusion, vivre et exister sont indissociables si on parle de l'être humain : on ne peut pas dire : ou, vivre ou exister.
    Exister, n'est ce pas donner un sens à sa vie ? Vivre serait l’état biologique et exister ne serait ce pas donner un but à sa vie ?

    Je passe la parole à Jean Luc qui a proposé cette question : « Vivre ou Exister ? »


    Débat


    Jean Luc : Merci Arielle pour cet éclairage. Tu me coupes un peu l’herbe sous le pied. En fait depuis des mois je me posais cette question et quand vous avez parlé du but de nos rencontres vous avez dit « c’est de penser ensemble ». Donc ça va être important pour moi de tous vous entendre et de vous écouter pour essayer d’y voir plus clair. Donc merci d’avance à tous pour ce que vous allez dire.
    Je voulais épurer la formulation de la question au maximum pour confronter ces deux mots « vivre » et « exister » et effectivement le « ou » n’est pas tout à fait juste. Mais je voulais vraiment comprendre la différence de ce qu’ils expriment.
    Pour lancer le débat, j’ai retenu une phrase de Fréderic Lenoir « Exister est un fait, vivre est un art ». Mes premières interrogations sont parties de ça.
    Philippe C : Winnicott a dit : « La vie est une expérience qui ne peut être que vécue, exister est un problème »
    Solange : Vivre est normal, on arrive sur terre en vie. Je dirais qu’exister se mérite.
    Mireille : On va s’opposer je pense tout au long de la discussion, comme s’opposent les philosophes pré et post existentialistes qui n’ont pas approché du concept de « vie » et de celui « d’existence ». Plutarque disait « Il faut vivre et non pas seulement exister. » Sartre, lui donne un sens fort à la notion d’existence. On pourrait dire que « vivre » consiste à dérouler un programme ; exister, en revanche, consiste à se faire être.
    Si on regarde les différents règnes :
    Le minéral est sans vie, il n’a pas d’autonomie, il ne se reproduit pas, il n’a pas en lui-même la capacité de transformation. Il fait parti du monde physique.
    Dans le règne végétal il y a la vie. La plante existe mais en plus elle vit, c'est-à-dire qu’elle nait, grandit, se fane, meurt. Elle a la capacité de se reproduire.
    L’animal comme la pierre a une réalité physique, il existe comme le minéral, il vit comme le végétal, mais en plus il a la capacité de se déplacer dans l’espace et d’avoir une vie affective.
    L’humain a toutes les capacités des autres règnes mais en plus il pense, il a une conscience, il se reconnait. Quand on dit ou entend : « Je me sens exister », « j’ai besoin d’exister », c’est l’expression d’un besoin de reconnaissance.
    Je vois ma vie comme un morceau d’histoire qui a un avant et un après, qui m’est inconnu, que chacun imaginera à sa façon. Ma vie vient de quelque part et ira quelque part. Alors que pour les existentialistes à sa naissance l’homme « n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait ». La vie n’est qu’un support de l’existence, un processus biologique qui permet à l’homme de créer son existence. Pour ma part je n’arrive pas à m’imaginer créer mon existence à partir de « rien » pour devenir « rien » au final.
    Philippe C : Sartre dit « l’existence précède l’essence »
    Véronique : Est-ce que quelqu’un peut nous dire, quand Sartre et les existentialistes parlent d’existence, quelle est, pour eux, la notion d’existence.
    Anne : J’ai une citation de Sartre qui peut être un début de réponse : « … par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. »
    Je suis très interpelée par le sens des deux termes : « vivre » et « exister » ; parce que évidemment on parle de l’humain mais enfin, un caillou, cette table elle n’est pas vivante, elle existe. Certains philosophes donnent au terme existence un sens, je dirais, un peu supérieur, et pour d’autres au contraire, exister c’est ce qui est là.
    Philippe C : Je reprends le vieux terme latin « existere », qui veut dire « sortir de, se manifester, se montrer ». C’est important parce que dans les expressions « se sentir exister, vouloir exister », exister ne peut pas se faire seul, il faut les autres. Tout l’existentialisme repose sur cette relation à l’autre. Et, d’un autre côté, ça rejoint ce que dit Winnicott « exister est un problème », parce que il faut que je me confronte aux autres, j’ai besoin des autres pour être moi-même, pour me faire « moi ». Etre, du latin classique « esse » et du latin populaire « essere », est un verbe qui se rattache à « enaïn » qui signifie en grec « se trouver ». On retrouve donc toute l’ambigüité entre « être » et « exister ». Pour moi, exister c’est surtout ce rapport aux autres qui est nécessaire pour que j’existe. « Je suis » parce qu’on m’a donné la vie, je ne l’ai pas choisi, par contre « exister », là, j’ai un choix possible. C’est une façon de voir l’existentialisme. Le premier qui en a parlé c’est Bergson. Ce n’est pas vieux, c’est en 1907, et ensuite il y a Sartre en 45.
    Marie Christine : Je suis d’accord avec ça, mais c’est exactement l’inverse de ce que dit Lenoir. J’ai l’impression que « exister » est une posture que l’on prend par rapport au monde, aux autres, c’est prendre de la distance. Un animal n’a pas cette capacité : il vit. Exister c’est prendre conscience de notre finitude, des angoisses qui viennent avec ça. Exister, c’est justement se dire « qu’est-ce qu’on va faire avec ça ? ». L’animal, lui, il vit une vie pleine, immédiate, dans les sensations. Et comme tu disais tout à l’heure, Anne, une table existe mais ce n’est pas dans le même sens, ce n’est pas sur le même plan.
    Mireille : Quand on utilise les verbes « vivre » et « exister » il y a un sens qui n’est pas le même que lorsqu’on emploie les mots « vie » et « existence ». C’est frappant chez les philosophes.
    Pierre : Ce que j’ai compris dans l’existentialisme, c’est que l’Etre n’est pas défini par essence. Il est donc capable, à la fois, de se transformer et d’être responsable. Ce que je sens, c’est que le mouvement entre vivre et exister est permanent. On vit, on existe, on crée un art de vivre. Il faut vivre, parce qu’il y a toujours la question de la mort, mais c’est vrai qu’on est rien sans l’autre. C’est l’autre qui nous donne à la fois de vivre et d’exister.
    Mireille : Dans cette réflexion, il y a aussi une question parallèle qui est celle de « l’être » et du « paraitre ». Exister est du domaine du « paraitre ». Oscar Wilde dit « Vivre c’est la chose la plus rare dans ce monde. La plupart des gens ne font qu’exister »
    Anne : J’avais noté cette pensée de Merleau-Ponty : « L’existence au sens moderne, c’est le mouvement par lequel l’homme est au monde, s’engage dans une situation physique et sociale qui devient son point de vue sur le monde. »
    Philippe C : Le mot « existence » vers 1795 se dit du fait d’avoir une réalité pour un observateur. Et du nom « existence » dérive « existentiel » qui apparait en 1907 chez Bergson pour désigner ce qui est relatif à l’existence en tant que réalité vécue.
    Solange : Réalité vécu, oui, mais paraitre n’a rien à voir, c’est autre chose.
    Philippe C : Ça revient à exister qui est emprunté au latin « existere » qui signifie « sortir de, se manifester, se montrer ».
    Solange : Oui, mais si on regarde les bonzes au Tibet, ils existent parce qu’ils ont une philosophie de pensée, c’est leur existence. Après c’est à chacun d’adapter son existence, de chercher l’existence qu’on a envie d’avoir. La vie nous l’avons, l’existence nous pouvons la choisir. Ce n’est pas forcément pour paraitre c’est ce qu’on ressent consciemment.
    Philippe C : A partir du moment où on est dans le regard de l’autre et où on a besoin du regard de l’autre pour savoir qu’on existe, on est dans le paraitre.
    Brouhaha : On n’a pas besoin de l’autre… on ne vit pas isolé…
    Jacques : J’abonderais dans le sens de Solange, en ce sens qu’on peut être dans l’action, on peut vouloir donner un sens à sa vie, avoir un but, et en même temps être tout seul dans un cabinet de travail sans se montrer aux autres. Le chercheur qui est dans un laboratoire, je ne pense pas qu’il soit dans la représentation, qu’il soit dans la propagande. Il est empli d’un destin ferme et résolu. Il est sans doute inconnu de la majorité des gens.
    Mireille : Quand j’ai dit « être » je parlais d’une vie intérieure qui m’appartient. Et j’ai dit « paraitre » dans le sens où je suis visible aux yeux de l’autre. Le chercheur même seul dans son labo est visible aux yeux de quelqu’un ne serait-ce qu’aux yeux de son employeur. Je n’ai pas employé « paraitre » dans le sens de représenter, se mettre en avant c’est dans le sens d’exister. Avec le « paraitre », « l’existence », on est tourné vers le monde extérieur. Avec « l’être », le « vivre » on regarde vers notre monde intérieur. C’est dans ce sens que j’ai rapproché ces notions.
    Geneviève : Ce que vous dites maintenant est, à mon avis, tout à fait le contraire de ce que vous avez dit avant. Pour moi, vivre c’est se tourner vers l’extérieur, exister c’est « ex » extérieur ; c’est donc aller vers les autres, c’est s’ouvrir au monde, s’ouvrir au grand tout.
    Mireille : Je ne pense pas m’être contredite. On parlait d’exister ou vivre et là d’être ou paraitre.
    Geneviève : Se tourner vers l’extérieur, pour moi, ce n’est pas paraitre. C’est, au contraire, être au plus près de soi pour être dans l’altérité.
    Pierre : Je reviens sur ce que vous avez dit à propos du chercheur. Le chercheur, il publie, il fait savoir. Donc il rentre en résonance avec d’autres esprits. On voit bien dans la montée des compréhensions que c’est un dialogue permanent entre chercheurs pour arriver à une vérité qui serait supérieure aux autres. Il y a toujours la question de l’autre qui se pose. On dit qu’une personne qui est enfermée dans une solitude absolue devient folle. Donc, on pourrait presque dire que ce n’est pas seulement exister mais c’est coexister qui donne le sens de notre vie, et notre raison de vivre.
    Jean Louis : Je voudrais abonder dans le sens de monsieur, il ne faut pas s’attacher de trop aux mots, mais voir les idées. Hors, monsieur à dit tout à l’heure « chercheur », mais je pense que dans son fort intérieur ce n’était pas chercheur mais cherchant. C’est là toute la différence parce que là on reste à l’intérieur de soi, on n’a pas besoin de publier.
    Marie Christine : Je pense à Robinson quand il était tout seul sur son île. Il vivait, je ne sais pas si il existait, mais le jour où il a vu les traces de pas dans le sable il était bouleversé. Mais pourtant il vivait, il s’était créé tout un système avec ses propres lois et tout est remis en question parce que l’autre était là. Alors, est-ce que exister c’est avec l’autre ? Ou peut-on exister seul ? Bien sûr il a vécu avec tout ce qu’il avait comme passé.
    Véronique : Pour revenir sur ce que disaient Marie Christine et Pierre par rapport à l’autre ; je ne sais pas si vous avez lu se roman « Le joueur d’échec » de Stéphane Zweig. C’est l’histoire d’un homme qui est enfermé dans une prison et la torture c’est, effectivement, de n’avoir aucune communication avec l’extérieur et sans rien. La seule chose qu’il a c’est un manuel d’échec qu’il a trouvé dans un trou de sa cellule. Ça le sauve, il tient des années en apprenant par cœur toutes les parties d’échec du manuel. Il ne savait pas jouer aux échecs. Il finit par être libéré et ne sait toujours pas jouer aux échecs bien que connaissant par cœur les parties du manuel parce que ça l’a sauvé. Par rapport au débat « vivre ou exister », j’entendais « vivre » dans le sens biologique et « exister » dans un sens qui serait supérieur. La différence réside dans un sens donné, un projet, un dessein, qui ont forcément un rapport direct ou indirect au monde. Le chercheur dans son laboratoire il ne cherche pas que pour la beauté du geste ; et même, n’est-ce pas déjà apporter quelque chose au monde ?
    Claudine : Toujours dans ce mouvement de balancier entre les deux termes, dans le dictionnaire que j’avais sous la main, pour exister j’avais une origine venant plutôt de « sistere » être assis, posé. Ça me convenait bien parce que, pour moi, exister est le fait d’être. Dans mon esprit c’est assez près de l’essence. Ça me renvoyait à la méditation, il suffit d’être là, à soi-même. Alors que vivre, pour moi, c’était vivre sa vie, en faire quelque chose, la créer. Vous avez parlé tout à l’heure d’art de vivre. Je pense qu’on peut aborder la question des deux manières ; mais l’expression populaire « vivre sa vie » ou « prendre sa vie à bras le corps », c’est faire quelque chose, on est dans l’action.
    Arielle : Mais là dans la question posée c’est vivre tout court ; ce que vous dites me semble plus se rapprocher de exister, qui est donner un sens à sa vie. On vit au départ, on est en vie, on nous a donné la vie et que faire de cette vie. On vit cette vie ; on donne un sens à sa vie et on arrive à exister qui est sortir de soi pour donner un sens en réfléchissant à cette vie. Ce n’est pas forcément pour aller vers l’autre. Après, on va vers l’autre parce qu’on donne un sens à sa vie donc, automatiquement il y a l’altérité qui arrive. Mais, peut être que le moteur pour exister est donner un sens à sa vie tout simplement, après on vit en société. Tout comme on peut donner un sens à sa vie en étant sur une île déserte en faisant quelque chose, en se donnant un but. Est-ce que l’autre est obligé d’être là dans cette notion d’exister ?
    Claudie : Au départ, oui, pour l’enfant c’est évident, il ne peut exister et vivre sans quelqu’un qui s’occupe de lui. L’autre est indispensable, au moins au départ. Après… si on prend le cas des enfants dits sauvages, comme Victor de l’Aveyron, ou le cas d’enfants laissés à l’abandon on voit bien la nécessité de l’autre au moins au départ. Après…
    Pierre : Je voudrais revenir sur le mot « vivre » en lui redonnant son premier sens : biologique. Il y a un mouvement permanent à vouloir donner des qualificatifs à ce mot « vivre, comme si l’espèce humaine en était avide d’abandonner ce sens biologique. On dit « bien vivre », « faire vivre », « donner la vie », tout un tas d’expressions qui ont un rapport au sens qu’on donne à son existence. C’est comme si on formait un bouquet d’une chose qui est unique.
    Marie Christine : Vivre, on ne l’a pas choisi, c’est être au monde. Exister c’est prendre conscience de ça. Être humain, en tant qu’adulte, c’est justement avoir ce vertige. Si on est juste au monde, c’est juste vivre. En fait ces deux notions sont indissociables. Il n’y en pas une qui peut marcher sans l’autre.
    Solange : Je dirais que exister c’est vivre sa vie, ne pas la subir.
    Françoise : Exister est, il me semble, tout à fait par rapport à l’autre. Si je ne peux pas me confronter à l’autre ou être avec l’autre, je ne peux pas me connaitre. Donc je ne peux absolument pas exister ; c’est-à-dire que si je suis tout le temps seule, je ne vais exister que dans ma tête ; je ne peux pas être moi, je ne peux pas, non plus, faire exister l’autre. Quand on est avec l’autre, on se fait exister chacun. C’est ce parcours là qui me permet de me construire et de sentir tout se fait à l’intérieur.
    Jacques : Exister c’est donner un sens à sa vie. Je pense que, effectivement, on a besoin des autres ou d’être confronté aux autres pour se sentir épanoui. La vie, comme l’a dit Marie Christine, on ne l’a pas demandée, mais, il me semble que tout être intelligent tend à être épanoui dans sa vie. Moi, j’ai besoin des autres pour être épanoui, mais c’est personnel, certains peuvent, peut-être, trouver l’épanouissement avec peu de contact social, sans fréquenter beaucoup de monde et trouver leur vie riche.
    Claudie : Le terme qui me vient en vous écoutant c’est « reconnaissance ». L’autre me fait me reconnaitre moi-même. La plupart des gens ont besoin de cette reconnaissance. Si l’autre me reconnait, il me prouve mon existence, sa valeur. Il serait peut-être pathologique d’avoir besoin des autres pour se dire en permanence « j’existe, j’ai de la valeur », mais si ça n’arrive jamais, je pense qu’on peut être en danger.
    Pierre : Je me pose la question de savoir s’il n’y a pas quelque chose de vertigineux quand on veut prouver l’existence ? Est-ce que « exister » ça veut dire être reconnu par un autre pour se reconnaitre soi-même ? Est-ce que ce n’est pas lié à la nécessité de vivre ? La question qu’on se pose alors : « est-ce un leurre ? », « est ce qu’on ne peut pas se contenter, tout simplement, de vivre, ou d’être amené à vivre sa vie comme on peut ? ». C’est assez étrange, c’est une question de dépassement, c’est, pour moi une croyance fondamentale qui est qu’on peut se dépasser, qu’on peut être acteur de sa vie. Est-ce bien assuré ? C’est une question que je pose.
    Jacques : C’est un autre sujet. Est-ce qu’on maîtrise sa vie ? A 20 ans on le croit, mais aujourd’hui je peux conclure qu’on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie.
    Marie Christine : J’ai l’impression qu’on part un peu sur l’altérité. L’existence c’est d’abord le fait de savoir, de savoir qu’on est vivant, d’avoir cette conscience la. Donc, on est face à une responsabilité. On va réussir ou pas sa vie, ça n’a pas d’importance, on a la vie, c’est ça exister, c’est prendre conscience de sa vie et en faire quelque chose, que ce soit avec les autres ou pas.
    Anne : Je suis assez d’accord avec toi. Je mettrais un avis personnel : il y a vivre, c’est ce que nos organes des sens, nos facultés, notre intellect nous font vivre, mais en contact avec l’extérieur ; et puis, il y a la conscience qui est peut-être cette valeur particulière au terme « exister ».
    Heidegger qui c’est penché sur la question a une vision toute particulière. Heidegger, c’est lui qui a inventé le concept du Dasein qui veut dire en allemand « être là ». Pour lui, exister c’est être pour la mort. Il s’oppose le « cogito ergo sum » de Descartes (je pense donc je suis) en le remplaçant par « sum moribundus » (je suis le destiné à mourir). Pour lui, ce statut de mourir trace la frontière entre le vivre et l’exister. Il établit une sorte de hiérarchie, je le cite : « Si plantes et animaux sont privés de langage, c’est parce qu’ils sont emprisonnés chacun dans leur univers environnant sans jamais être situés dans l’éclaircie de l’Être. Or seule cette éclaircie est monde… La pierre est sans monde, l’animal est pauvre en monde, l’homme est configurateur de ce monde »…
    Véronique : Par rapport à l’altérité, je pense à ceux qui travaillent seuls, pas les chercheurs mais les créateurs, plus particulièrement aux créateurs d’art, sculpteurs, musiciens, peintres. Il me semble que le peintre quand il peint, le musicien quand il compose, ils doivent le faire seul. Mais, s’il n’y a personne pour regarder, écouter ou jouer leur œuvre, elle n’a pas de sens. L’artiste pour créer a cependant besoin d’aller chercher quelque chose qui est à l’intérieur de lui mais qui n’existera que si c’est partagé.
    Anne : Ce que je vais dire est peut-être hors sujet, mais, on a beaucoup parlé, ces temps ci, de la grotte Chauvet ; ces artistes de la grotte Chauvet est-ce qu’ils créaient leurs œuvres d’art pour qu’elles soient vues ?
    Arielle : Celui qui crée, il crée par nécessité vitale, par besoin parce qu’il a quelque chose à dire, ça sort de lui, il se met hors de lui, il sort quelque chose de lui. Et, après, l’objectif est de montrer, mais ce n’est pas son premier moteur. L’écrivain, le compositeur, crée, souvent la nuit, parce qu’il en ressent le besoin, qu’il a quelque chose à dire, et après, et après c’est un autre processus. Donc exister c’est sortir de soi, c’est clair, mais on reste à l’intérieur de soi quand même puisque c’est le même être qui sort de lui en utilisant une partie de lui.
    Mireille : Dans mes notes j’ai retrouvé une réponse à ta question Véronique « qu’est-ce l’existentialisme ? ». C’est une phrase de Sartre qui est aussi dans le cadre de ce que tu viens de dire Arielle : « L'existence précède l'essence. Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait […] L’individu surgit dans le monde initialement sans but ni valeurs prédéfinies, puis, lors de son existence, il se définit par ses actes dont il est pleinement responsable et qui modifient son essence. L'être vivant se distingue de l'objet manufacturé qui, lui, a été conçu pour une fin, et se définit donc plutôt par son essence. » On observe une différence de pensée entre celle des philosophes qui pensent qu’il n’y a rien avant et rien après, et ceux qu’il y a autre chose qui nous inconnu.
    Anne : Je voudrais répondre à ce que tu viens de dire. D’abord il parle d’essence, il faudrait définir par ce que c’est l’essence. J’ai lu, malheureusement je n’ai pas noté la référence, donc c’est sans garantie, j’ai lu que Sartre avait reconnu, sur le tard, que lorsqu’il a échafaudé sa théorie sur l’existentialisme, il s’était seulement livré à une construction intellectuelle, une espèce de jeu de l’esprit.
    Philippe C : Toutes les philosophies sont des jeux de l’esprit.
    Anne : Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a des philosophes qui sont purement intellectuels et d’autres qui utilisent leur vécu, justement « le vivre » pour étayer leur réflexions comme, par exemple, Albert Camus.
    Françoise : On pourrait se poser la question autrement, c’est-à-dire « qu’est-ce qui nous fait vivre ? Qu’est-ce qui nous fait exister ? ».
    Pierre : On parle à bâtons rompus, mais il y a une chose, c’est que on ne peut pas s’empêcher d’être dans une histoire, dans l’histoire. On a toujours tendance à faire en sorte qu’il y ait un classement des choses, alors qu’on sait aujourd’hui qu’il y a des rapports qui s’instruisent : « Que sait-on de la fine mousse qui est accrochée au rocher ? Que sait-on d’un arbre qui reçoit du pollen et ouvre ses fleurs ? On ne peut pas raisonner sans tenir compte de l’histoire qu’il y aura devant nous, plus tard. Tous les jeux d’esprits font partie d’une histoire, sont dans l’histoire, sont dans leur temps. Donc, on est amené à penser que demain on rira peut-être du christianisme, des religions, on ne sait pas ce qui peut arriver.
    Jacques : Je rebondis sur ce qu’a dit, de façon très judicieuse l’intervenant précédent, c’est que la vie et l’existence sont intimement mêlés. La vie c’est prendre son petit déjeuner, aller aux toilettes, reprendre un repas quatre heures après, dîner le soir etc., ça ce sont des besoins qu’on ne peut pas contourner. L’existence c’est ce qui se passe entre ces évènements.
    Brouhaha : (rires)
    Marie Christine : Je pensais à ce qu’à dit Heidegger : « être destiné à mourir ». Je pensais à un bébé qui est dans une vie pleine, dans le bien être et qui, vers trois ans peut-être, voyant une souris morte, par exemple, tout à coup prend conscience qu’une vie ça finit, ça a un début et une fin. On est encore sur la conscience, je suis une obsessionnelle de la conscience, mais il me semble que c’est par cette conscience que le bébé va commencer à se construire, avant même d’avoir fait des choix, son existence se met en marche. L’existence c’est ce qu’on fait avec cette angoisse de savoir qu’on est destiné à mourir.
    Solange : C’est vrai qu’il y a vivre avec toutes les contraintes de la vie courante, mais pour exister, il ne faut pas oublier que sans amour à tous les niveaux, j’insiste sur à tous les niveaux, un être ne peut pas exister. C’est très important de le dire. C’est aussi quelque chose qui peut entrer en ligne de compte entre vivre et exister.
    Arielle : Je voudrais revenir sur ce qu’a dit Jacques. C’est vrai qu’on a besoin de manger. Mais je reviens à mon idée qu’exister est de donner un sens, donc faire une chose très simple comme un repas en lui donnant une valeur, un sens, le partager, c’est autre chose qu’un besoin vital. Manger est un besoin vital, c’est dans le « comment manger » qu’on va donner un sens à ce besoin que l’être humain va exister.
    Jacques : Oui, j’ai été un peu caricatural. Confectionner un bon repas à des amis qui vont vous dire « ton repas était excellent », c’est de la reconnaissance qui vous fait exister.
    Pour ce qui a été dit de l’angoisse et de l’amour, effectivement, c’est ce que l’existence peut nous apporter par rapport au simple fait du cœur qui bat, la respiration etc.
    Mireille : Hier soir, dans l’émission de Ruquier « On n’est pas couché », l’invité était Jean Léonetti député UMP qui travaille avec le socialiste Allain Claeys sur la fin de vie et à la révision de la loi de 2005. Il posait la question : quelqu’un dont le cerveau ne fonctionne plus, qui n’a plus la conscience, qui souffre, qui va mourir, est-ce que c’est vivre ? Il disait la personne est là, elle existe, son cœur bat, pour nous médecins elle est vivante mais elle ne vit pas. J’ai trouvé intéressante l’expression « vivant mais ne vit pas » ;
    Anne : Je voulais revenir un petit peu sur le petit déjeuner qu’on soit seul ou avec d’autres. Ce qui ferait la différence entre vivre et exister serait peut être une question de présence. Si on est présent à ce qu’on fait on est peut-être dans ce qu’on peut appeler l’existence ; sinon on ne fait que vivre.
    Pierre : J’ai été très impressionné par deux choses : la question de l’amour et la question de la conscience. Je me suis dis : par essence le principe de vie contient certainement ces notions. Je renverserais presque les termes, c’est-à-dire « quelle est notre capacité à mettre en mouvement et sortir de cette essence-là, la question d’amour et celle de conscience ? ». L’existence serait alors le fait que tout ça existerait en nous-mêmes et le faire vivre, le vivre, prendrait alors beaucoup plus d’importance. On a toujours tendance à déprécier la question du « vivre » par rapport à « l’exister ». Je dirais on a tout en « existence » qu’on ignore, et on serait amené à le faire vivre et c’est ça qui donnerait du sens à l’existence.
    Françoise : Il me semble que ce qu’il y a de plus important est ce qu’on ressent. Est-ce que ce n’est pas ça qui nous fait vivre ? Qui nous fait vibrer ? Qui donne un sens à notre vie ?
    Solange : Oui, et à tous les niveaux, ce qu’on ressent pour le petit chien, pour la fleur, pour tout ce qui est autour de nous les fait exister. C’est ce sentiment qu’on va porter qui va nous faire exister sinon on est vivant mais on n’existe pas.
    Claudie : Pour aller dans ce sens, la dépression c’est l’inverse, c’est ne plus être capable de ressentir le monde qui nous entoure, la relation avec les autres. On est tellement dans un sentiment de non-être qu’on peut choisir d’en tirer les conséquences ultimes.
    Françoise : On a aussi la possibilité de choisir sa vie pour lui donner un sens. Il y a aussi l’éducation qui ne rend pas toujours facile d’en arriver là. Il faut faire des choix, accepter de se tromper, de recommencer mais surtout d’y croire. Il faut aussi cette foi dans la vie. Il y a tout ça dans le fait d’exister.
    Claudie : Comme Pierre l’a dit il y a la notion d’histoire, de culture. On parlait tout à l’heure d’un chercheur ou d’un écrivain ou d’un artiste, même s’il est seul dans son bureau ou son atelier, il n’est pas seul, il est lié à toute une histoire, toute une culture. On vit avec ça, sans en avoir toujours conscience, mais ça fait partie de ce qui nous fait vivre ou exister… je ne sais plus très bien si je dois dire vivre ou exister.
    Arielle : Vivre c’est être en vie, pourquoi pas, tout simplement. Si on dit que « vivre » est être en vie, ça donne un sens au mot « existence »
    Anne : Parmi les philosophes qui sont dans le vécu, il y a Alain qui dit : « Nous ne sommes point condamnés à vivre, nous vivons avidement, nous voulons voir, toucher, juger, nous voulons déplier le monde. Tout vivant est comme un promeneur du matin. Voir, c’est vouloir voir, vivre c’est vouloir vivre. Toute vie est un champ d’allégresse. »
    Marie Christine : Finalement on bute sur toujours sur « vivre » et « exister ».
    Philippe C. : Je me demande s’il n’y a pas une question de temps. On est dans un temps et les mots comme « vivre », « exister » etc., sont venus au fil du temps et à des époques précises. Le mot « existence » est un mot très tardif, on le voit cité dans « Le Baladin » au 2ème siècle après JC. Avant ce mot n’existe pas, alors que « vivre » oui, et « être » aussi. « Exister » on le voit apparaître dans la lecture philosophique uniquement dans les années récentes : 1700 et des poussières mais surtout 1900 où on en bâtit une théorie philosophique. Il me semble qu’il faut être extrêmement prudent avec le sens des mots, parce qu’ils sont créés au fil du temps. Il y a un rapport avec la temporalité, dans « exister » il y a un rapport avec l’espace et le temps, ce qu’il n’y a peut-être pas dans le mot « vivre ». Le mot « vivre » c’est de la naissance à la mort ; « exister », est ce que c’est plus long, plus court ?, mais c’est dans une temporalité, dans un espace.
    Jean Luc : Par rapport à ça, merci. Quelqu’un peut être mort et exister en moi, il existe encore dans ma mémoire. D’après tout ce que j’entends c’est un mot très complexe puisqu’il y a deux positionnements très différents. J’ai noté deux citations une de Platon et une de Socrate : « l’essentiel n’est pas de vivre mais de bien vivre » (Platon) ; « Beaucoup pensent à vivre longtemps mais peu à bien vivre » (Socrate). Dans mes réflexions j’en étais aussi arrivé à la notion de conscience. Est-ce que exister c’est vivre avec conscience ou le contraire ? Je n’ai pas réussi à me positionner clairement.
    Pierre : Vous me pardonnerez, je suis enfermé dans une sorte de logique. Je reviens à cette notion d’essence et me dis « je pourrais faire un pont avec ce que j’appelle l’essence et une axiomatique ». C’est-à-dire qu’on considère qu’un certain nombre d’éléments sont vérité première et qu’à partir de ça on va construire quelque chose. Le problème pour nous c’est que cette axiomatique on la méconnait passablement : on a vu des mots « conscience », « amour », « mort », « angoisse », des mots comme « mémoire ». Ce qu’on peut dire de ma présence ici, c’est qu’une fois que j’ai accueillis et accepté que dans l’essence il y a cette axiomatique dont j’ignore un certain nombre de termes, cette axiomatique m’engage à vivre d’une manière ou d’une autre, ça va faire ma vie de savoir un certain nombre de choses. Ça serait comme un bloc d’argile qu’on serait amené à façonner c'est-à-dire mettre en mouvement ? C’est là, que pour moi, le rapport à l’autre devient important par la dynamique. Ce qui donnerait « vie » ça serait, justement, de pouvoir rencontrer l’autre. A ce moment là, je ne pourrais toucher cette essence que si je reconnais l’autre comme tel et que nous engageons un dialogue avec l’autre pour construire notre vie. Exister c’est posséder cette axiomatique, l’existence ça serait déjà du mouvement, et ce mouvement irait à vivre, bien vivre, donner à vivre etc.
    Arielle : Cela veut dire que dans la question « Vivre ou exister ? » la conjonction « ou » est en fait presque impossible. Si on existe, on vit ; si on vit est-ce qu’on existe ?, c’est tout le problème. Pour revenir à ce que tu as dit, Jean Luc, en fait, on peut vivre sans exister mais on peut exister sans vivre, exister dans la mémoire.
    Jean Luc : Mais aussi, un objet existe, un tableau existe mais sans vivre.
    Mireille : Pour illustrer ça j’ai un joli petit texte trouvé dans un blog d’élèves de terminale dont le sujet était « Peut-on exister sans vivre ? » : « L’existence, c’est communément le fait d’être dans l’expérience. La rose dans le vase « existe », elle est là près de ma main, elle rayonne son existence dans la perception que je puis en avoir, elle se donne dans ses formes délicates et son parfum. Elle existe en ce sens pour moi, dans la conscience que j’en ai. Mais elle est dans l’ordre des choses et dans l’ordre de la Nature. »
    Françoise : Je reviens sur ce que tu disais Jean Luc. Ça me faisait penser au roman « L’Etranger » d’Albert Camus où j’avais l’impression que le personnage était en vie mais qu’il ne vivait, qu’il n’existait pas…
    Arielle : Choisis le verbe
    Françoise : J’ai beaucoup de mal, j’avoue. Je le ressens comme un mort vivant. Je dirais qu’il survit. En fait il n’a pas d’émotions, il est coupé de ses émotions. Je ressens très fort qu’il n’y a plus de vie en lui. Pour moi « Je pense donc je suis »… Je suis plutôt dans « qu’est-ce que je ressens ? », et là je peux savoir qui je suis. Souvent, c’est quand je suis en confrontation avec l’autre que je peux savoir. Si je suis toute seule et qu’il n’y a personne pour me remettre en question, c’est impossible. Je trouve aussi que la curiosité, la joie et même quelque fois la colère, c’est beaucoup de vie.
    Marie Christine : Par rapport aux phrases que tu as citées Jean Luc, je trouve que ce qu’a dit Philippe tout à l’heure est super important, c’est qu’à l’époque de Platon et Socrate on ne parlait pas d’existence. « L’essentiel n’est pas de vivre mais de bien vivre » (Platon) ; « Beaucoup pensent à vivre longtemps mais peu à bien vivre » (Socrate). Ils ne parlaient pas d’existence mais de « bien vivre »…
    Brouhaha : ...
    Philippe C. : Que ce soit chez Platon ou Socrate le mot « bien-vivre » a un sens très particulier.
    Le « bien-vivre » fait partie de leur culture, ça correspond à un schéma très précis d’une façon de vivre qui n’est pas du tout notre « bien-vivre » d’aujourd’hui. Pour eux c’est respecter des règles extrêmement précises, ne jamais déroger, c’est être dans le droit fil sous le bénéfice d’Athéna, on est un citoyen. Ils avaient une morale extrêmement précise. Par contre ils s’en amusaient beaucoup.
    Jean Louis : Oui, mais nous sommes là dans l’initiation, c’est très important, tout le monde ne peut pas y rentrer, c’est une philosophie d’un type très particulier dans laquelle il y a des stades, des strates et tout le monde ne peut pas arriver aux dernières strates. C’est donc une élimination de pensée, c’est une vision spirituelle dans le sens large du terme, pas dans le sens religieux, mais dans le sens « religare », c’est-à-dire dans le sens de réunion de soi pour ensuite éclater vers les autres.
    Jean Luc : Dans mes réflexions j’ai aussi pensé à quelqu’un de malade qui m’a dit : « à partir de maintenant je vais pouvoir vivre ». Avant qu’est-ce qu’elle entendait par vivre ? Est-ce qu’à ce moment là c’est une prise de conscience par rapport à la maladie ?
    Arielle : La vie c’est mourir, donc cette personne a été confrontée à la fin de vie, donc elle revit…
    Jean Luc : Non, pas revivre. Elle a dit « vivre », ce n’est pas la même chose. C’est comme si avant elle n’avait pas conscience de vivre.
    Françoise : J’entendais plutôt « vivre d’une autre façon »
    Florence : Il y a un petit proverbe que j’aime bien c’est « On a deux vies. La deuxième commence quand on s’aperçoit qu’on en a qu’une ».
    Jean Louis : Si on pose qu’il y a une complémentarité entre la vie et la mort, une définition un peu triviale « la mort est une maladie sexuellement transmissible », on pourrait dire que le « vivre » c’est se rappeler qu’en naissant, en recevant la vie, nous avons reçu la mort en héritage ; que cet héritage n’est que le cycle naturel de cette grande boucle de transmission venue de la création du monde mais que nous avons aussi hérité de ce cadeau merveilleux, conséquence de notre passage éphémère mais, malgré tout éternel ; à contrario d’immortel. Alors, pour mériter cette éternité, mieux vaut être à la hauteur et participer à ce magnifique évènement qu’est la Vie. Je suis désolé, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec un certain nombre de choses dites. La vie est une chose exceptionnelle de l’existence. L’existence s’exprime au travers de différentes méthodes : la méthode du temps, la méthode des modes etc. Tout le monde a le droit d’exister et trouve une existence au travers de différentes choses de la vie. La vie c’est un domaine réellement beaucoup plus spirituel, comme je le disais tout à l’heure, que l’existence. L’existence est un fait, la vie est une œuvre.
    Arielle : Un mot existe par son antagonisme. Tu parles de vie, je parlais de mort donc, vie/mort. Je pose donc la question : quel est l’opposé d’exister ?
    Geneviève : On peut dire aussi que la mort est la fin de l’existence.
    Mireille : Inexistant
    Jean Louis : Exister c’est au travers de l’autre et vivre c’est au travers de soi. Descartes disait d’aller visiter l’intérieur de la terre, c’est-à-dire, en symbolisme, son être profond ; et en rectifiant on trouvera la pierre cachée. Et là on ne parle pas d’existence. L’existence c’est ce qu’on vit dans le monde c’est-à-dire au travers des autres. Mais, on est un petit peu balancé par monts et par vaux au travers de toutes les autres existences. La vie, on a une donnée personnelle de la vie. Contrairement à ce que disait madame tout à l’heure, je crois qu’on peut s’intérioriser et faire son propre état personnel et se rectifier seul.
    Françoise : Tout seul ? Comme Freud
    Brouhaha : ...
    Claudie : Je ne sais pas si c’est tout à fait dans le sujet, mais moi ce qui me frappe, par rapport à la vie, c’est la force de vie. La force de vie qui me semble très inégale selon les personnes. Mais, quand on regarde un petit enfant, un adolescent, il y a de nombreux moments où ils ne se posent pas la question s’ils vivent ou existent. Il y a une expression : « croquer la vie à pleines dents ». Il y a vraiment des gens, des jeunes chez qui on sent une puissance de vie très forte qui est comme un torrent prête à tout emporter. Ça vient de quoi ? Il y a sans doute une donnée biologique, l’éducation, la culture, mais pas que. La force de vie c’est quelque chose de fabuleux. Pour en revenir au thème, est-ce qu’exister n’est pas justement d’en faire quelque chose ?
    Mireille : Pour moi, cette puissance de vie dont tu parles ne nous appartient pas, elle nous est prêtée. Quand on interroge des gens qui ont vécu des approches de la mort, ils vont vivre, ils vont prendre la vie qui leur est donnée pour en faire quelque chose. Cette force de vie vient de notre physiologie et les jeunes ne l’on pas encore utilisée ou gâchée. Cette force de vie nous est en levée un jour mais la Vie continue sa force s’exprimera ailleurs. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’elle nous appartienne, alors que notre existence, le fait d’être là ou le Dasein, nous appartient, on peut l’arrêter. On peut arrêter notre existence, on ne peut stopper la vie qui s’exprime en nous.
    Claudie : C’est une croyance
    Mireille : Non c’est une réalité.
    Pierre : Je voudrais faire une observation, je n’arrive pas à trouver un contraire au mot « exister ».
    Sinon, Jean louis, même si j’accueille ce que tu dis, je ne peux pas y souscrire. Je ne sais pas si la solitude absolue existe. Pour moi, il y a toujours rapport à l’autre. Je suis fondamentalement convaincu qu’on est dans notre siècle et qu’on a beaucoup, beaucoup de mal à s’en échapper. On serait surpris de la banalité de nos propos si, avec un petit peu de clairvoyance, on prenait tout ce que disent, pensent et font les autres.
    Jean Louis : Il n’est pas question de vivre seul, ni de penser seul ; si, on peut vivre seul, mais penser, heureusement que la construction se fait avec les uns, avec le monde extérieur, mais, aussi et surtout avec soi-même. Si on n’est pas capable de faire son examen de conscience pour tenter de s’améliorer et de s’élever, où est la conscience ?, où est le subconscient ?
    Pour revenir à notre siècle, on le voit bien, j’espère que je n’agresse pas la gent féminine peut être plus intéressée que la gent masculine sur l’état physique, on voit bien que paraître, que le souci d’éternelle jeunesse prend le pas sur l’esprit ; que l’existence du miroir est encore plus importante, alors qu’il devrait refléter sa propre réflexion ou son propre ressenti, c’est un miroir sans tain, on voit au travers, et on a peur de la vision des autres. Parce qu’on a peur de la vision des autres, on se transforme et on vit au travers des autres, par les autres. Pour moi, on doit vivre pour soi vers les autres.
    Solange : Ces femmes qui vivent devant un miroir sans tain, en se voilant la réalité de tous les jours, justement, elles n’existent pas. Qui sont-elles vraiment ?
    Brouhaha :… Elles vivent une idée d’elles-mêmes…
    Florence : Si ces femmes sont ainsi c’est aussi parce qu’elles trouvent prise. Si elles cherchent à exister pour le regard de l’autre c’est bien parce qu’elles vont y trouver prise, y trouver un feedback.
    Jean Louis : J’ai dis « paraître » mais s’est surtout se transformer qui me fais un peu peur, la transformation pour l’éternelle jeunesse. Se transformer pour rester ce qu’on veut être alors que le fil de la vie nous amène inéluctablement vers…
    Brouhaha : … le déni de la réalité n’est pas réservé aux dames…
    Anne : Ne revient-on pas là à l’histoire de « Etre pour la mort » de Heidegger, qui devient un refus de la mort ? Déjà, on n’en parle pas, on ne dit plus que quelqu’un est mort mais qu’il nous a quitté, on évacue au maximum. On veut l’éternelle jeunesse parce qu’on ne veut plus la mort. Ça pose une nouvelle question sur l’existence. De quel droit pouvons-nous dire que ces gens là n’existent pas ? La question de la mort est importante. C’est peut-être une question d’âge, mais, peut-être que le fait de s’interroger sur sa propre mort aide aussi à mieux vivre, à envisager d’exister d’une façon différente ; quand on est plus jeune on est insouciant, on est dans la vie.
    Jean Louis : C’est ça « exister », c’est avoir un degré de conscience, c’est réfléchir alors qu’on peut vivre comme un animal sans réfléchir.
    Pierre : J’ai vu l’exposition de Jean Pierre Gauthier à Paris. Son travail en tant que créateur est fantastique, mais les grands modèles qu’il choisit c’est 1m75 pour 38 kilos. Toutes ces femmes qui sont portées dans le regard du créateur, qu’est-ce qu’elles vont pouvoir consentir à faire de leur corps pour rentrer dans cette forme qui, après, quand on la regarde, va être éblouissante dans la créativité ? Il y a bien quelque part un jeu qui s’établit, il n’y a pas non-existence, il y a bien un rapport qui s’établit entre le créateur et son modèle. Maintenant, ça aussi fait peur.
    Solange : C’est là l’art de la couture. Le créateur ne peut pas présenter sa création sur une femme normale, bien qu’après elle sera vendue à une femme normale. Les créations que vous avez dans un défilé sont faites pour donner une image générale, comme un tableau. Donc les modèle doivent avoir une allure pour se mouvoir devant les gens. C’est un art particulier le défilé.
    Florence : Tout à l’heure on cherchait un contraire à « exister », c’est peut-être incomplet, mais je pense à « végéter ». C’est en rapport au végétal dont on a dit qu’il vivait, se reproduisait mais ne pouvait pas se mouvoir ni avoir une réflexion sur sa propre vie.
    Arielle : Je m’aperçois que le mot « vivre » est employé, associé à beaucoup d’expressions sur la vie, alors que comme pour le contraire d’exister, je ne trouve pas d’expressions avec « exister ».
    Philippe C : Je pense que tu ne trouves pas d’expressions avec « exister » parce que c’est un terme récent et que c’est un concept philosophique. Dans le langage courant il n’existe pas ce mot « exister », il n’existe pas, il n’est que philosophique.
    Arielle : Bien voilà, très bonne conclusion


    Clôture du débat par Anne


    Je vais vous lire un texte d’Albert Camus extrait de « Noces ». « Noces », que je vous recommande, est une suite de nouvelles qui sont vraiment éblouissantes et qui montrent bien que Camus était un philosophe dans le vivant.

    « A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumières et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme…. ….Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde. »
    « Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j’aurai conscience, contre tous les préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c’est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine des soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter. »


    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous. Merci pour votre participation et rendez vous Dimanche 31 mai 2015 (même heure, même lieu), le sujet choisi à mains levées, sera: « L’Homme a-t-il besoin de spiritualité ? »

    Mireille PL

     


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