• 5 à 7 Philo du dimanche 30 avril 2017 : 12 participants 

    La conscience de soi est-elle une connaissance ?

    Introduction  par Mireille 

    Analyse des termes de la question

    La conscience : conscience vient du latin conscientia  qui est formé de cum qui signifie « avec », et de scientia pour « science », c'est-à-dire avec connaissance, savoir 

    Larousse :

    - Connaissance, intuitive ou réflexive immédiate, que chacun a de son existence et de celle du monde extérieur.

    - Représentation mentale claire de l'existence, de la réalité de telle ou telle chose : L'expérience lui a donné une conscience aiguë du danger

    Cnrtl : [Chez l'homme, à la différence des autres êtres animés] Organisation de son psychisme qui, en lui permettant d'avoir connaissance de ses états, de ses actes et de leur valeur morale, lui permet de se sentir exister, d'être présent à lui-même

    … de soi : ce pronom personnel indique un rapport du sujet avec lui-même

    En psychologie, « soi » est la totalité formée du conscient et de l'inconscient. Il renvoie à une structure associant les informations que l'individu peut recueillir sur lui-même et la manière dont il se comporte en fonction de ces informations.

    L'expression "conscience  de soi"  peut avoir deux sens : 

     1. Elle désigne la connaissance qu'a l'homme de ses pensées, de ses sentiments et de ses actes. 

    2. Elle désigne la capacité qu'a l'homme de faire retour sur ses pensées ou ses actions. C’est ce que l’on nomme « l’examen de conscience » (Simone Manon)

    …est-elle une connaissance : Connaissance : naître avec. On trouve dans les différents dictionnaires comme définition du mot connaissance : Avoir une idée, un savoir. Distinguer, faire la différence. Etre capable de discernement. Admettre une autorité du savoir. Idée d’un objet. On connaît la nature d’une chose et ses propriétés. Savoir sur l’existence d’une chose.

    La connaissance suppose mise à distance de l’objet.  Elle se définit comme un savoir et une idée claire et distincte d’une chose.

    Introduction du débat

    « La conscience de soi est-elle une connaissance ? » Le libellé de la question me dérange parce que par définition la conscience de soi est une connaissance de soi,  tout le problème qui se pose est celui de savoir dans quelle mesure l'impression que nous avons d'être proches de nous-mêmes, l'intuition que nous avons de nous dans nos actes quotidiens ou dans nos pensées suivies, est un savoir véritable et clair.

    On a vu que la conscience est la faculté par laquelle l'homme est capable de penser ce qu'il vit et dès lors de se penser lui-même. S'il ne fait pas de doute que la conscience permet de savoir que l'on est, que l’on existe, sommes nous assurés qu'elle favorise nécessairement la connaissance de ce que l'on est. On a conscience du monde extérieur à soi, mais pour autant le connait-on ?  

    L’existence d'un inconscient ne remet-elle pas en cause l'équation classique qui est de dire : conscience de soi = connaissance de soi ?

    Débat

    Philippe C. : Le mot conscience a évolué, tu es partie de « conscientia » qui veut dire : « connaissance partagée avec quelqu’un. C’est un sentiment (intime ?) et spécialement en tant que connaissance morale avec la notion du bien et du mal ». Ça c’est dès le départ au niveau des romains. Après cette notion elle évolue et elle va rester un peu comme ça jusqu’au 17ème siècle où avec Malebranche le sens commence à changer. On localisait la conscience au niveau de l’estomac (ça m’a beaucoup amusé). C’est logique car c’est la poitrine et se taper sur la poitrine c’est faire son examen de conscience (c’est assez marrant). Ensuite à la fin de 17ème, début 18ème, on voit le sens un peu changer et on nous dit « c’est la faculté qu’a l’homme d’appréhender sa propre réalité ». Alors évidemment c’est Jean Jacques Rousseau, toute cette équipe de philosophes. Et puis au 19ème il y a un bouleversement encore avec Hegel, là il y a une critique de cette approche « naïve » du concept, et faire de la conscience « le fruit d’une médiation sous la forme de prise de conscience de classe » pour Marx, c'est-à-dire la position sociale. Et au début du 20ème c’est Freud qui poursuit cette critique et refuse d’envisager la conscience comme activité autoréflexive d’où tout le champ de la psychologie. Cette évolution est décrite dans «  Le dictionnaire historique de la langue française ». J’ai trouvé que c’était intéressant parce que ça mélange en même temps les notions philosophiques et les notions de l’utilisation courante des mots qu’on dit : examen de conscience, prendre conscience etc.

    Après, sur le mot « connaitre », il y a trois notions qui sont intéressantes : le mot latin cognoscere, comme tu l’as dit « co » : avec, « noscere »  naître et « gnoscere » fait référence à la gnose, là aussi on se retrouve avec des philosophes très anciens. C’est toujours sorti du «Dictionnaire historique de la langue française ». Alors la conscience de soi est-elle une connaissance ?

    Mireille : Une connaissance de quoi ? Obligatoirement une connaissance de soi.

    Anne : Peut-être pas obligatoirement. Dans les recherches que j’ai faites, j’ai trouvé sur le blog d’une prof de philo que « l’expression conscience de soi pouvait avoir deux sens d’une part « elle désigne la connaissance qu'a l'homme de ses pensées, de ses sentiments et de ses actes. », et d’autre part « elle désigne la capacité qu'a l'homme de faire retour sur ses pensées ou ses actions. ». Je ne sais pas ce que vous en pensez la différence est peut être là entre « connaissance » et l’expression « connaissance de soi » ?

    Philippe C. : Dans la question posée il n’y a pas « connaissance de soi »

    Mireille : Oui il y a « conscience de soi » et « connaissance », c’est ce qui me gêne.

    Françoise : Qu’est-ce qui te gêne ?

    Mireille : Parce que « connaissance est indéfini ; une connaissance de quoi ?

    Françoise : De soi

    Mireille : Dans la mesure où pour qu’il y ait connaissance il faut un sujet et un objet, dans la conscience de soi je suis sujet et objet, ça ne peut que m’amener à la connaissance de moi. La conscience que mon voisin a de lui-même n’apporte aucune connaissance à quiconque si ce n’est à lui-même.

    Pierre : Pourquoi ne pas prendre la connaissance dans son sens objectif ? ; à savoir que c’est quelque chose qu’on découvre, qu’on expérimente, qu’on vérifie, dont on prend connaissance ; quand on dit cet arbre c’est un chêne, en nommant, c’est une connaissance. Je crois que la question qui se pose est : « est-ce que la conscience de soi serait un objet scientifique, serait quelque chose à connaitre ? »

    Bénédicte : Dans cet esprit de connaissance avec des caractéristiques, on va vers une connaissance figée : partout dans le monde on décrit le chêne de cette façon là. Appliqué à l’être humain ça me semble compliqué parce qu’on est différent de minute en minute, d’heure en heure et de jours en jours. On évolue énormément. En espagnol par exemple on différencie les verbes  « ser » et « estar » parce que l’être humain est composé d’une partie constante : je suis une femme de ma naissance jusqu’à ma mort, mais par exemple je suis en colère, j’ai des états qui sont différents. Je pense qu’on peut peut-être mettre le niveau de connaissance sur cet état fixe d’un être humain ses caractéristiques claires et nettes de la même façon que le chêne a des caractéristiques claires ; l’être humain a des caractéristiques claires, l’âge, le sexe, la couleur de peau etc. mais à côté de ça on a des états, on est composés d’eau, on se modifie, je pense que cette partie là ne peut pas être assimilée à une connaissance figée, vérifiable, scientifique. La conscience de soi ne peut être qu’en partie une connaissance.

    Françoise : Si on parle de conscience on est obligé de parlé d’inconscient. Il me semble que la connaissance de soi c’est très compliqué, c’est très difficile. D’abord il faut être en présence de l’autre pour avoir connaissance de soi, sinon je m’imagine, je n’ai pas la conscience de moi. Je crois qu’à un moment donné tu l’as dit Philippe dans l’historique de la définition. Chacun a sa réalité, du coup, dans ce que j’appelle « sa carte du monde » c'est-à-dire tout ce qu’on a appris par l’éducation etc. c’est là que ça peut bouger. Avoir conscience c’est aussi avoir conscience de l’inconscient en nous. Je ne peux pas me connaitre si je ne me pose pas des questions, si je ne reviens pas sur moi, si je n’écoute pas ce qu’on me dit de moi, si je ne regarde pas mes comportements. On est toujours surpris quand on s’entend ou qu’on se voit en vidéo, là on apprend beaucoup de choses sur soi. Je pense que c’est le questionnement qui permet d’aller vers soi, en tout cas vers la partie inconsciente de soi.

    Jacques : Je veux bien rebondir là-dessus, ça me fait penser à Albert Jacquard qui disait que si quelqu’un se trouvait seul sur une île déserte, il serait incapable de dire « je » parce qu’il n’aurait pas la conscience d’être là. D’ailleurs, je pense au chien, quand il n’a plus de famille il s’identifie aux hommes.

    Mireille : Pour reprendre les deux idées, quand on étudie l’évolution de l’enfant, il prend d’abord conscience de son corps donc de quelque chose qui est pesable, qui est mesurable. Le bébé ne se différencie pas du monde extérieur notamment de sa mère. Il va petit à petit prendre conscience de ses limites et pour ça il faut bien qu’il y ait la limite de l’autre. Quand on étudie en pédagogie les âges de la vie on voit que ce n’est que vers trois ans qu’il dira un véritable « je », avant souvent l’enfant parle de lui en se nommant, il parle de lui à la troisième personne (Iris veut manger, marcher, etc.). La conscience de l’être humain est donc très lente à s’éveiller, Kant dit « Lorsque l’enfant commence à dire Je, une lumière nouvelle semble en quelque sorte l'éclairer ; dès ce moment il ne retombe plus dans sa première manière de s'exprimer. Auparavant, il se sentait simplement ; maintenant, il se pense. » 

    Anne : Je vais un peu intervenir sur ce que tu dis, mais n’étant pas sûre d’avoir raison. Il y a d’abord la capacité qu’il a à s’exprimer et pouvoir dire « je » effectivement. J’ai vu qu’il y avait ce qu’on appelle les expériences polysensorielles, chez les tout petits, qui évoquent l’émergence  de la conscience, de la conscience de soi pour un bébé ; c’est le « toucher double » c'est-à-dire qu’en touchant quelque chose il a le renvoi ; par exemple, il va se toucher la joue, mais il va aussi sentir sur sa joue le geste qu’il effectue avec sa main. Et c’est ce jeu de toucher double, de double perception, de perceptions polysensorielles qui serait à l’origine de la conscience de soi, et qui donc peut exister avant qu’il ne soit capable, effectivement, de dire « je ».

    Pierre : J’ai été assez sensible à la remarque qu’a faite Bénédicte en essayant de dire que lorsqu’on veut aller vers l’être la conscience de soi est un instrument mais pas seul. Je pense qu’effectivement la problématique de savoir si c’est une connaissance, je dirais que, par exemple dans la science, Newton a approché une connaissance avec la gravitation etc., et Einstein a élargi ce stade en parlant de la relativité ; donc, c’est comme si d’un objet au départ allaient se succéder des parties de connaissances. C’est pour ça que je pourrais dire que la conscience de soi est une partie de connaissance. Donc je dirais « oui, c’est une connaissance », mais je dirais en même temps « elle est limitée, il ne faut pas prétendre à la totalité, à dire tout. J’ai essayé de me dire « la connaissance de soi », « l’intelligence de soi », comme si à chaque fois avant soi je pouvais mettre un autre mot que conscience. Alors est-ce que c’est possible ? Parce qu’on a à chaque fois quelque chose de limité, de partiel. Enfin mon idée c’est ça la conscience de soi c’est une connaissance mais pas toute la connaissance.

    Janine : Pour moi la conscience de soi c’est quelque chose de très passager, on se connait à un moment donné, dans une situation donnée, c’est très passager.

    Bénédicte : Je ne me souviens plus quel scientifique de la conscience a parlé à ce sujet de « statue, miroir ». Jai conscience que je suis comme ça, j’ai conscience que je pense être comme ça, j’ai conscience que l’autre pense que je suis comme ça, et… je ne me souviens pas du quatrième : il décrit quatre façons de se décrire. Quand on essaie de le faire, par exemple « je suis émotive, je pense être émotive c’est pour ça que je le suis… », alors là on part dans des discutions  « je pense que les autres ne me perçoivent pas comme émotive » etc. Il décrit quatre faces du miroir qui je crois nous approchent du juste parce qu’il y a cette idée de « partager avec » dont tu as parlé tout à l’heure et il y a cette idée que c’est une partie en connaissance mais en même temps il y a une partie inconsciente, il y a une évolution.

    Philippe C. : Je voudrais revenir à très loin, il y a un philosophe qui a dit « Gnauthi seauton » c'est-à-dire « connais-toi toi-même ». C’est Socrate, et Platon a fait la démonstration que c’est très difficile de faire ça. Il a pris comme exemple l’Allégorie de la Caverne. Là aussi on voit que d’époque en époque, on modifie la façon d’interpréter cette conscience de soi comme étant une connaissance ou n’en étant pas une. Cette interprétation évolue, on le voit en particulier à partir du 19ème,  et avec Sartre le philosophe qui a parlé de ça. Il démontre qu’il n’y a que la représentation en actions qui peut être considérée comme une conscience de soi. On est que parce qu’on agit. Alors tu disais connaissance, bien oui, on peut connaitre si on connait son acte, mais soi-même c’est difficile. Je pense qu’il y a cette évolution de la pensée qui a modifié le thème même de la question.

    Mireille : La connaissance c’est quand je dis « je sais ». Il y a une conscience qui est quelque part fixe c’est celle que « je sais que je suis depuis ma naissance la même », il y a quelque chose en moi qui fait que je reste « moi ».  Après il y a toutes les fluctuations dont on a parlé.

    Françoise : Je voudrais revenir sur se connaitre soi-même. Se connaitre soi-même c’est aller de l’autre côté, où je crois que je suis, et où en fait je ne suis pas. Je pense que je suis comme ça mais ce n’est pas vrai dans le fond. Il y a des questions à se poser. Alors c’est vrai que le chemin il est sans fin. C’est toujours en me confrontant à l’autre que je peux me connaitre.

    Et puis, quand tu parlais de Sartre, quand il dit « l’enfer c’est les autres »je ne crois pas du tout ça, je pense que ce qu’il voyait chez les autres c’était une partie de lui-même. L’autre va me déranger parce qu’il y a une partie de moi dans l’autre, sinon il ne me dérange pas. C’est ça la connaissance de soi, la conscience de soi ; C’est aussi ce qui permet d’aller vers l’autre. Et de ne pas le juger. C’est un chemin qui mène beaucoup vers l’autre et l’acceptation de la différence et vers moins de préjugés.

    Philippe C. : Tu parles des deux côtés, du côté obscur.

    Françoise : Oui, je parle de l’ombre, c'est-à-dire aller vers ce qu’on ne voit pas.

    Anne : Mais est-ce que ce n’est pas la conscience de soi qui permet de réfléchir et d’y aller ?

    Madeleine : Je voudrais juste simplement dire que c’est important d’être bousculé, il faut accepter d’être bousculé ; je pense que c’est comme ça qu’on évolue, que c’est comme ça qu’on peut prendre un peu de recul, qu’on peut découvrir autre chose. Ça fait partie de la connaissance de soi. Oui, je pense que bien des choses commencent par soi ; alors je ne dis pas qu’on a la solution, certainement pas, c’est vrai que c’est évolutif, que rien n’est statique, c’est très bien, mais je pense qu’il faut accepter la confrontation, il ne faut pas avoir peur d’aller vers ce qui dérange.

    Mireille : La connaissance d’un objet sous entend qu’il y ait une lucidité, c’est clair, c’est défini, or dans la conscience de soi je trouve qu’il y a beaucoup d’intuition, on en parlait la dernière fois. Il y a des choses qu’on sent sur soi-même sans pouvoir les nommer. La connaissance c’est scientifique, c’est un arbre, une table, tu t’appelles Françoise etc. Alors que dans la conscience de soi, il y a beaucoup d’intuition qui comme on l’a dit la dernière fois est « une connaissance soudaine, spontanée, indubitable », une « connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l’expérience ». Nous n’avons pas forcément les mots pour le dire parce que, malgré tout ce qui bouge comme tu l’as dit Bénédicte, avec le temps on se rend compte qu’il y a quelque chose en moi de constant, pas toujours définissable, mais qui est « Moi » et qui me permets de dire un vrai « Je ». Entre aujourd’hui à 70 ans et quand j’avais 18 ans, je sens qu’il y a quelque chose de moi qui a été constant, et qui est mon « moi ». Mais comment le définir avec des mots ?

    Anne : Tu dis mon « moi ». A un moment je me suis dit qu’on pourrait écrire conscience de soi avec un petit « s », ou avec un grand « S ». Je crois qu’on ne peut pas faire l’impasse et ne pas parler des philosophies indiennes en particulier, et de celles qui proposent le travail de la méditation. Cette forme de méditation qui a justement pour but de retrouver cette conscience de soi qui est assez indéfinissable et qui a, comme tu le dis, quelque chose d’intangible, qui est toujours là difficile à exprimer ; mais cette chose qui est intangible  permet en même temps l’ouverture , et d’aller justement vers la connaissance. Je ne sais pas si on peut comparer ça au conscient et au subconscient, mais il y cette espèce de chose de retour sur soi qui n’est pas comme un trou noir, où on est complètement retourné sur soi, mais qui en même temps est d’une très grande ouverture qui permet d’’ aller vers toutes connaissances.

    Pierre : Je vais essayer de tenter une première petite synthèse ; d’abord ce que j’observe c’est que finalement le mot « connaissance » il est à un instant donné. À un instant donné on a connaissance de quelque chose, et à un autre instant cette connaissance va bouger, va s’approfondir, va s’agrandir, va s’élargir. La deuxième chose, c’est l’être. On se pose la question de ce qu’il est en substance ; il y a une tendance qui dirait qu’il y a quelque chose d’immuable, d’assuré : c’est l’espèce dans son histoire à un moment donné ; mais en même temps, ça voudrait dire que la connaissance est mouvante, parce qu’il va y avoir un mouvement permanent entre cet être immuable, ce grand Soi dont tu parles, et le petit soi pour tenter progressivement d’approcher sa totalité d’être, si on peut considérer que l’être est intangible quelque part. Il est intangible, on pourrait penser à la métaphore de l’arbre avec le tronc et toutes ses branches qu’il va falloir poser les unes après les autres pour tenter de définir l’être tel qu’il est, enfin ce que nous sommes chacun parce qu’il est vrai que nous sommes tous différents.

    Jacques : On a parlé de conscience mais on peut aussi parler d’inconscience parce qu’il y a des gens qui sont inconscients, par exemple sur la route, ils ne savent pas ce qu’ils font. Je pense que la conscience est enrichie par la connaissance. Si je sais pourquoi je dois rouler à droite je le ferai parce que je sais que j’éviterai le danger. Je pense que la relation entre conscience et connaissance est une relation d’enrichissement mutuel, sachant que la conscience est quelque chose qui est sur un fil rouge parce qu’elle évolue avec le contexte. Tout à l’heure, en parlant de connaissance, j’ai entendu dire « je sais », là on est dans le domaine du savoir et connaissance et savoir sont deux choses différentes, on peut connaitre et ne pas savoir faire, ne pas savoir appliquer ses connaissances. La connaissance c’est j’ai une valise et je la remplis, le savoir c’est je l’ouvre et je me sers de ce qu’elle contient. On peut connaitre le code de la route et être un mauvais conducteur parce qu’on ne sait pas l’appliquer.

    Mireille : Je me suis fait la réflexion avec ces deux mots « conscience et connaissance ». Dans le langage courant on dit d’une personne qui s’évanouit « elle perd connaissance » et quand elle se réveille de son malaise « elle reprend conscience »

    Bénédicte : J’aimerais bien réentendre les définitions que vous avez données de connaissance.

    Mireille : Celle que j’ai donnée c’est « naître avec, avoir une idée, un savoir. Distinguer, faire la différence. Etre capable de discernement. Admettre une autorité du savoir. Idée d’un objet. On connaît la nature d’une chose et ses propriétés. Savoir sur l’existence d’une chose.

    La connaissance suppose mise à distance de l’objet.  Elle se définit comme un savoir et une idée claire et distincte d’une chose. » Philippe tu en as donné d’autres ?

    Philippe C. : Non, c’est celle la, « cognoscere » c’est naître avec, « idée accomplie de savoir et de reconnaitre » L’idée de reconnaitre est importante parce que ça renvoie à tout ce qui est quelque chose qu’on connait et qu’on re-connaitrait.

    Bénédicte : En réentendant la définition je vois que ça colle avec tout ce qu’on a pu dire de la conscience, parce qu’il y a à la fois cette notion d’évolution, à la fois d’objet qui s’extériorise, qui se regarde, qui reconnait qui il est.

    Mireille : J’avais noté que le terme le plus ancien connu pour ce qu’on appelle conscience aujourd’hui : est le mot « suneidésis » en grec utilisé par Démocrite qui dit « il y a des hommes qui ont conscience de la vie perverse qu’ils mènent, ils se rongent d’alarme et de frayeur. ». C’est ce mot grec « syneidésis » que l’on traduira en latin par «conscientia ». On peut traduire ce terme de syneidésis par « savoir avec ». Il y a  alors deux sens possibles alors « savoir avec quelqu'un... » La conscience est alors comprise comme sujet, témoin ou encore complice d'une action commune. Pour le chrétien, ce sera savoir avec Dieu ce qui participe à la connaissance morale. C'est aussi « savoir avec science » avec sagesse. Cela nous renvoie davantage aux notions  de compétence, d'une assurance dans  la démarche.

    Françoise : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cet apprentissage par cœur. Je ne suis pas d’accord non plus avec le « je pense donc je suis ». Tout à l’heure, Philippe, tu parlais du geste sur l’estomac, on est entrain de découvrir que notre estomac et nos intestins sont pleins de neurones qui communiquent avec notre cerveau qu’ils sont un deuxième cerveau. On ne sait pas comment ils communiquent ; ça peut être les intestins qui communiquent au cerveau donc ça part du corps, moi, j’ai envie de dire de l’émotion. C’est vrai que dans le savoir thérapeutique on le savait déjà que les intestins étaient très innervés, mais qu’il y a des neurones, c’est assez extraordinaire. Donc j’ai presque envie de dire « je ressens donc je suis » ça me parait beaucoup plus juste parce que nos pensées sont souvent de l’appris.

    Mireille : Il y a aussi, dans ce ressenti dont tu parles, cette idée d’intuition.

    Françoise : C’est plus dans quelque chose d’émotif que d’intuitif. En tout cas, ça bouge dans le corps.

    Philippe C. : Ça bouge dans le corps, encore faut-il savoir par où ça passe ; ça peut bouger directement, ou ça peut bouger par l’intermédiaire d’une pensée, ce n’est pas forcément par celle d’une émotion. Ça peut entrainer une émotion mais ce n’en est pas forcement une au départ.

    Jacques : D’où l’expression «  ça prend aux tripes »

    Bénédicte : Je ne me rappelle plus pourquoi est-ce qu’on parle de l’estomac, c’est parce que la conscience les romains la plaçaient là ?

    Philippe C. : Pas la conscience mais tout ce qui était de l’ordre de l’esprit c’était là le cœur.

    Bénédicte : On a parlé de l’estomac au départ c’est différent du cœur. Au niveau de la philosophie hindoue autant qu’en médecine chinoise,  il y a le Hara, il y a le Dantian (Bénédicte montre le ventre et un pont au bas des côtes), c’est le centre énergétique et en effet quelles que soient les informations qu’on reçoit au niveau sensitif ou au niveau intellectuel c’est par là qu’on les reçoit et c’est à partir de là qu’on peut se ressourcer. Donc je pense que ce n’est pas une faute de dire l’estomac et pas le cœur parce que si on envoie de l’énergie à ce niveau là après ça va se diffuser vers le cœur, le cerveau etc.

    Mireille : C’est ce qu’on appelle chez nous le plexus solaire.

    Bénédicte : On peut dire de la conscience de soi qu’ une partie est immobile, une partie est mobile, une partie est ressentie, une partie est complètement figée par l’extérieur ; cette différence entre connaissance et savoir, tout ça transite à travers nous. Quand vous définissez la connaissance on voit que ça bouge et que ça ne bouge pas il y a ces deux notions de mobilité et d’immobilité, c’est vraiment une connaissance avec une partie qui vient de l’extérieur qui est figée qui serait du domaine scientifique, on peut en faire l’expérience qui est vérifiable à chaque fois et une partie qui est plus empirique, ou dogmatique, ou ésotérique, une partie qui est vraiment très intuitive, qui est énergétique, ce qui fait qu’à un moment on a une prise de conscience. On a un environnement qui vient faire raisonner, à un moment, en nous une prise de conscience.

    Philippe C. : Dans ce sens là Montaigne dit «  Je ne peins pas l’homme, mais je peins le passage. » et Yung dit la même chose. C’est cette espèce de transformation  entre conscience/connaissance et cette espèce de passage.

    Pierre : Je voudrais relater quelque chose qui est plus personnel : J’ai depuis quelques temps des nuit agitées, et ce que j’ai remarqué c’est qu’en me couchant, par exemple quelquefois je suis placé devant ce que je nomme un problème insoluble et curieusement si je me réveille vers 3h du matin, ces derniers temps j’ai vraiment mal au ventre ou à l’estomac ; et ce qui est surprenant ce mal à l’estomac me conduisait à mettre mon intelligence au travail pour chercher, pour tenter de comprendre ce qui ce passait et de trouver une solution. Je ne sais pas quel rapport ça a, mais il y a d’une certaine manière, donc, mon estomac qui me dérangeait, me réveillait, me faisait prendre conscience de l’état dans lequel j’étais, mais en même temps ça ne s’arrête pas là, ça tentait de parler de comment je pourrai connaitre le sujet qui m’échappe. C’est toute une élaboration qui se fait naturellement.

    Brouhaha :

    Pierre : Quand on parle d’un deuxième cerveau, j’aurais plutôt tendance à dire qu’il y aurait une communication qui se ferait, la pensée qui enverrait les informations à l’estomac pour dire « il y a quelque chose qui ne va pas, alors vis le » ; je n’ai pas tellement l’impression que le chemin est inverse.

    Philippe C. : Vous parlez de neurones, on n’a pas trouvé de vrais neurones dans l’intestin, on a trouvé des structures qui ressemblaient aux neurones. Ce sont des structures neuronales identiques à celles du cerveau.

    Anne : La moelle épinière, ça fait bien partie du cerveau, et après ça se dispatche à travers le corps, est-ce que c’est ça qui part aussi dans l’intestin ? Je suis complètement ignare sur ce sujet, j’ai vaguement entendu parler du deuxième cerveau. Mais, tout ça c’est le cerveau, on a tendance à le figer au niveau de la tête parce que dans la boite crânienne il y a quelque chose qui a été très étudié, mais tout ce qui est en lien avec le cerveau, ça en fait partie et ça envoie des informations.

    Françoise : Ça c’est la vraie conscience de soi parce qu’on n’est pas dans la pensée. Il y a quelque chose, il y a une émotion quelque part, une peur ou autre, souvent ce qu’on ne peut pas nommer et ce qu’on ne voit pas. Ça fait partie de la connaissance de soi, plus passer par là que par la pensée qui elle peut nous tromper.

    Pierre : Tu veux dire que la conscience de soi interpelle tout le corps humain

    Françoise : Oui, c’est ça

    Pierre : Donc, entrer dans un champs de connaissance ça serait déjà reconnaitre ça.

    Bénédicte : Ça va au-delà du corps parce que tout ça c’est lié à la mémoire aussi, à la mémoire de ce qu’on a vécu, de ce qu’on nous a enseigné. Il y a une histoire de mémoire là dedans, d’interprétation ensuite. On sait qu’il y a trois types de mémoire à peu près ; il y a la mémoire d’échange qui est un peu celle de ce petit garçon qui est belliqueux parce que de génération en génération il y a eu tellement de guerres entre eux. Cette expérience qu’ils ont fait par exemple sur les codages militaires, le morse, ils ont essayé d’en créer d’autre depuis et ça n’a pas pris. On apprend plus facilement quelque chose de transmit de générations en générations que quelque chose qui vient d’être inventé récemment parce que c’est inscrit dans notre mémoire génétique. Il y a aussi la mémoire psycho sensorielle, on a vu qu’une chienne séparée de ses petits réagissait quand ceux-ci étaient tués ; il y a aussi tout ce qu’on nous a enseigné, on est le mélange de tout ça.

    Jacques : Françoise Héritier qui est anthropologue, ethnologue, a étudié cette mémoire dont on hériterait, mais rien n’est démontré.

    Pierre : Bénédicte, quand tu relates que ça irait encore plus loin, tu veux dire que nous serions en capacité de mettre en accord un élément qui se passe avec un autre qu’on ignore ; cette réaction de la chienne à la mort de ses petits, ça m’interpelle. Qu’est-ce qu’on peut faire de tout ça.

    Françoise : C’est l’effet papillon.

    Mireille : Je ne vois pas le rapport de ce que vous dites avec la conscience de soi.

    Bénédicte : Parce que si je ne peux pas expliquer pourquoi je suis agitée là, pourquoi je réagis ainsi c’est parce qu’il y a une autre énergie, des raisons différentes de moi. C’est prouvé maintenant qu’il y a cette espèce de conscience de groupe qui fait que ce matin je ne me sens pas bien et qui prédomine sur ce que je suis à ce moment là.

    Philippe C. : Je pense qu’on n’est pas dans notre sujet. Par rapport à la question, c’est un autre sujet, savoir comment ça fonctionne, ça c’est une autre interrogation qui fait plus partie de la connaissance que de la conscience de soi. Un phénomène, on peut l’observer, on peut en faire une connaissance, un savoir, mais avoir conscience de soi, c'est-à-dire se prendre soi-même comme objet et non plus comme sujet, comment fait-on ?

    Mireille : Je crois que ce qu’elle voulait dire c’est qu’on peut avoir conscience de nos pensées et de nos actes mais qu’on peut en ignorer les causes.

    Françoise : Je pense que pour avoir conscience de soi il faut se poser des questions, mais on ne peut pas non plus se poser des questions tout le temps, il y a d’autres chemins comme la méditation qui permettent la conscience de soi, mais je pense que ça passe par une introspection qui est obligatoire, sinon je ne peux pas avancer, « je pense que je suis » seulement.  Tu disais il faut prendre des risques, si je ne prends pas de risques, si je ne me confronte pas, je ne peux pas me connaitre, ce n’est pas possible. Et ça passe par l’introspection qui va bouger, tu disais tout à l’heure que ça bouge tout le temps, c’est sans fin, ça me passionne parce que c’est la vie. C’est sans fin c’est un pays de connaissances, je ne fais pas la différence entre conscience et connaissance, je trouve que c’est de la connaissance qui va me mener très loin. C’est vrai qu’on ne connait pas toutes nos réactions dans les moments de panique, de peur, on ne sait pas du tout comment on va réagir. Dans ces moment là on est obligé de se découvrir, on ne sait pas si on va être tétanisé ou si on va réagir, ce n’est pas possible de le savoir. Le fait de ne pas se poser de question c’est ne pas être dans la vie.

    Mireille : Mais si on s’en pose trop on sort de la vie aussi car on n’agit pas.

    Philippe C. : J’ai lu cette phrase : « Pour qu’un sujet, une conscience, une liberté puisse faire l’expérience pure de son être, l’ascèse d’une méditation métaphysique est nécessaire. Cette méditation est moins le dévoilement d’une essence qu’assignation à une tâche spirituelle et morale. » Je pense que c’est ou de Descartes ou de Pascal que je n’aime pas beaucoup.

    Anne : Je pense que l’expérience de la méditation apporte quelque chose de très important. Et je ne suis pas de ton avis car je trouve que Descartes quand il dit « Cette vérité : je pense, donc je suis était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler », c’est quand même formidable d’en être arrivé là et dire « je pense donc je suis »

    Françoise : C’est ce qu’on a appris : le raisonnement, on n’est pas sur le même cerveau.

    Anne : Tu peux penser ce que tu penses comme tu peux méditer sur la méditation.

    Françoise : La méditation c’est arrêter ses pensées.

    Anne : Il y a toutes sortes de méditations.

    Françoise : Dans méditation on est encore dans la pensée du coup on quitte le corps et si je quitte le corps je ne suis plus moi.

    Anne : Mais ce n’est pas quitter le corps, mais bon on ne va pas entrer dans un débat sur la méditation. Je trouve que Descartes, pour avoir éliminé tout ce qu’il pouvait éliminer pour en arriver à dire « Je pense donc je suis » c’est extraordinaire.

    Philippe C. : C’est même arriver à dire « je me pense »

    Katy : C’est pour ça qu’on s’appelle l’homo sapiens-sapiens, c’est qu’on sait qu’on sait.

    Anne : Savoir qu’on ne sait rien c’est aussi un savoir.

    Brouhaha

    Jacques : Il y a une chose qui m’interpelle, c’est la notion de faire des choses intuitivement. Quand je roule je suis parfois incapable de dire si j’ai tourné à droite ou à gauche, s’il y avait un feu rouge et pourtant j’ai respecté le feu rouge,  c’est comme si la conscience disparaissait. Quand on fait des apprentissages de choses techniques on apprend à faire des gestes machinalement. Pour assurer la sécurité  dans la formation de pilote on apprend toutes les situations dégradées parce qu’en fait quand ça nous arrive on n’a pas peur et on fait les gestes qu’il faut faire de manière inconsciente. Donc, l’apprentissage aurait un rôle d’anesthésiant de la conscience, peut-être, je me pose la question.

    Brouhaha : C’est la mémoire… c’est un réflexe…

    Bénédicte : Du coup c’est le cerveau reptilien qui fonctionne.

    Philippe C. : Qu’est-ce que c’est le cerveau reptilien ?

    Brouhaha (rires)

    Philippe C. : Je connais le cerveau archaïque, mais reptilien non, je n’ai jamais pris les serpents pour des imbéciles.

    Brouhaha (rires)

    Mireille : Archaïque ça nous fait penser qu’on est des vieilles branches, reptilien marque notre rapport avec le monde animal, ce n’est pas quelque chose de négatif, c’est ce qu’on a de commun avec l’animal.

    Brouhaha : (échanges indéchiffrable sur cerveau archaïque/ cerveau reptilien)

    Bénédicte : L’animal sauvage en situation de danger peu avoir trois réactions : il fuit, il se fige ou il attaque. C’est la définition du cerveau reptilien. L’être humain a depuis développé tout un tas d’autres stratégies, et de préventions.

    Pierre : Cette formulation de cerveau archaïque me gène parce que ça fige ; archaïque c’est qui se perd dans la nuit des temps. Je pense que la formation du cerveau elle est au commencement, il va se développer, il va y avoir un phénomène d’évolution qui fait qu’à un moment donné quelque chose va naître. Alors c’était quoi ce cerveau de départ, ça va servir à quoi pour qu’on arrive à la conscience ? On a un cerveau et nous le pensons. Mais peut être qu’en découvrant ces trois mouvements que décrit Bénédicte, ce premier cerveau agissait pour amener l’être animal vers ces trois comportements.

    Anne : Est-ce qu’un de ces trois comportements face à un danger n’est pas la preuve qu’il y a déjà une conscience de soi, la conscience du danger étant sans doute une conscience de soi ?

    Katy : Ça relève surtout de l’instinct de survie. On a peur du danger après ce qui c’est passé, heureusement qu’on réagit avant d’avoir l’émotion.

    Jacques : Ce qu’on a peut-être pas évoqué c’est la notion de dosage entre tout ça, parce que  la conscience n’est pas binaire, ce n’est pas 0-1, il y a des dosages et je pense qu’il y a des moments où il y a des points de basculement. C’est comme la connaissance, on a un niveau de connaissance et sur certains plans on va prendre une décision ou pas suivant le niveau de connaissance qu’on en a. Je pense que, comme disait un certain chanteur, la vérité est gris foncé ; ce n’est plus noir ou blanc. Je pense que c’est dans le dosage qu’on peut trouver des réponses. Tu parlais de l’effet papillon tout à l’heure, c’est ce qu’on appelle des signaux faibles qu’on peut scanner. On sait que dans la valise des causes il y a une toute petite cause qui a beaucoup plus d’influence qu’on ne pense, c’est important de mesurer ça. C’est difficile de mesurer car on n’a pas d’outils. En technique on y arrive à peut près.

    Françoise : C’est ça le problème car on a tendance à répéter ce qu’on a appris. C’est très compliqué parce qu’en effet on n’est pas dans le dosage, on va aller dans le noir ou blanc. On le voit aussi dans la société, on peut prendre n’importe quel sujet, ça nous représente. On voit très bien qu’on passe toujours d’un extrême à un autre. On ne peut pas aller dans le gris ou le rose parce qu’on n’a pas les outils pour. Il y a pourtant la méditation qui est un outil, ou l’hypnose, cet instant entre veille et sommeil où on quitte notre cerveau raisonnement pour aller plus proche de soi, ça demande quand même de la discipline et ça demande, j’ai envie de dire, de se bouger un petit peu, de ne pas rester dans ses acquis.

    Mireille : On parlait de l’inconscient qui entrave la conscience de soi, quelle est la part de l’illusion aussi ?

    Françoise : C’est quelquefois tellement difficile d’aller dans la réalité.

    Mireille : L’illusion, j’avais pensé au mensonge aussi, se mentir à soi-même en toute sincérité, en toute honnêteté. Illusion et mensonge sont en fait des moyens de protection.

    Pierre : C’est une manière de se détourner de l’image que nous renvoient les autres et qui est douloureuse.  La conscience de soi serait de reconnaitre, de distinguer à quel moment je me berce d’illusions. La conscience de soi, pour que ça devienne une connaissance, c’est comme si on épluchait un fruit, on enlevait toutes les scories, toutes les impasses dans lesquelles  nous ont mis le mensonge, l’illusion, la rêverie, pour aller, rassurés, vers soi.

    Bénédicte : Le mensonge et l’illusion peuvent être conscients ou inconscients, dans un cas ils sont connus et appartiennent à la connaissance et dans l’autre non.

    Mireille : A propos de la conscience, du besoin d’autrui et de la communication dont on a parlé la dernière fois, j’ai noté une phrase de Nietzsche : « La conscience, en général, n'a pu se développer que sous la pression du besoin de communication »

    Pierre : On revient à ce qu’on disait au début, c’est qu’on existe que sous le regard de l’autre et que sans lui le « je » n’existerait pas. C’est une connaissance que de savoir que la conscience de soi ne peut pas être sans l’autre.

    Brouhaha : (sur la peur)

    Fermeture Débat par Mireille

    La conscience de soi est-elle une connaissance ? On peut dire que c’est une connaissance de soi, mais comme l’écrit  Simone Manon ( PhiloLog - http://www.philolog.fr ) «   La conscience de soi n’est pas spontanément une connaissance de soi. Il faut, pour prétendre à une connaissance, quelle qu’elle soit, s’affranchir de tout ce qui aveugle car la lucidité et le souci de la vérité sont des conquêtes. Il y faut aussi de nombreuses médiations. »

    Je pense que ces médiations passent par l’Autre au sens le plus large du terme c'est-à-dire tout ce qui n’est pas Moi, donc à sa connaissance. Je dirais que je ne peux pas avoir conscience de moi, me penser et me connaitre hors du monde qui m’entoure.

    Citation lue par Anne

    Rabindranath Tagore (Sadhana) : « Dans le domaine de la conscience comme dans celui de la connaissance, l’homme doit réaliser clairement une vérité centrale qui ouvre une vision sur le champ le plus vaste possible […] Connais l’âme qui est la tienne. » 

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 28 mai (même heure, même lieu) 

    La question choisie à mains levées, sera: « L’homme est-il violent par nature ? ? » 

    Le thème choisi pour  septembre est  « Les préjugés ». Préparez vos questions. 

    Mireille PL 

     


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  • 5 à 7 Philo du dimanche 26 mars 2017 : 13 participants 

    Le langage n’est-il qu’un outil de communication ?

    Introduction  par Anne 

    Analyse des termes de la question

    Langage :

    L’étymologie : ce mot vient du latin  « lingua » langue, et du suffixe latin « aticus » formation de noms (Le Littré)

    Le Larousse donne cette définition :

    1 Capacité observée chez tous les hommes d’exprimer leur pensée et de communiquer par des signes vocaux et éventuellement graphiques

    2 Tout système structuré de signes non verbaux remplissant une fonction de communication (ex. langage des abeilles) Ce que n’admettent pas certains linguistes : « Le mode de communication employé par les abeilles [...] n'est pas un langage, c'est un code de signaux. » Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 1966.

    3 Manière de parler propre à un groupe (ex. langage administratif), à une machine (langage informatique)

    4 Manière de s’exprimer, choix des termes (ex. propre à un sentiment : langage de l’amour)

    5 Ensemble de procédés utilisés par un artiste (langage musical, langage des couleurs)

    6 Langage symbolique.

    Synonyme : Langue qui désigne, outre le muscle, un caractère vocal : émission de phonèmes (plus petit son significatif) et de morphèmes (plus petit élément significatif).

    Cnrtl définit le langage (subst. masc.) comme faculté et comme système

     Faculté que les hommes possèdent d'exprimer leur pensée et de communiquer entre eux au moyen d'un système de signes conventionnels vocaux et/ou graphiques constituant une langue; le langage comme réalisation de cette faculté. 

    « Le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité qu'entre les objets matériels ». (Bergson)

    « La clarté du langage s'établit sur un fond obscur, et si nous poussons la recherche assez loin, nous trouverons finalement que le langage (...) ne dit rien que lui-même, ou que son sens n'est pas séparable de lui. » (Merleau-Ponty).

    « Le langage n'a pas de raison d'être s'il ne signifie. » (Huyghe)

    Outil :

    Le Larousse nous dit nom masculin (latin utensilia, ustensile) ; Objet fabriqué, utilisé manuellement ou sur une machine, pour réaliser une opération déterminée. 

    Élément d'une activité qui n'est qu'un moyen, un instrument : Les statistiques sont un outil indispensable pour une bonne gestion. Matériel servant à la production, par exemple en entreprise.

    Instrument de travail, qui peut être performant ou pas. »

    Communication : Etymologie (le Littré) : du latin communicationem. Idée d’une mise en commun.

    Le Larousse définit Communication  comme:

    -       Action, fait de communiquer, de transmettre quelque chose : Communication de la chaleur à un corps.

    -      Action de communiquer avec quelqu'un, d'être en rapport avec autrui, en général par le langage ; échange verbal entre un locuteur et un interlocuteur dont il sollicite une réponse : Le langage, le téléphone sont des moyens de communication.

    -      Exposé fait à un groupe et en particulier à une société savante, dans un congrès, etc., information, écrite ou orale, donnée à un groupe, un organisme : Communication à la presse.

    -      Fait, pour une personnalité, un organisme, une entreprise, de se donner telle ou telle image vis-à-vis du public : Conseiller en communication. Campagne de communication.

    -      Communication animale : Échange de signaux de nature diverse entre deux ou plusieurs animaux...

    L’opposé de communiquer est garder, préserver, taire. (Cnrtl)

     Présentation

    L’élément important de la question en est me semble-t-il la formulation négative : le langage peut-il être autre chose qu’un moyen de communication ?

    S’il n’est pas qu’un outil, s’il est autre chose qu’un outil, que peut-il être ? 

    Les philosophes se sont penchés sur le lien qui relie la pensée et le langage. Pour certains ils sont indissociables, pour d’autres la pensée préexiste. Ce peut être une piste pour commencer notre débat.

    Débat

    Mireille : Le mot qui ne me semble pas approprié quand on parle de langage c’est « outil ». Un outil est par définition « un objet fabriqué qui sert à agir sur la matière, à faire un travail » (cf Petit Robert). Le langage n’est pas un objet, je dirais plutôt que c’est un moyen. Un outil, on peut s’en saisir, le prendre c’est matériel alors que le langage c’est immatériel.

    En t’écoutant, je me suis fait une autre réflexion, c’est la différence que je fais entre « langue » et « langage » ; Les deux termes sont parfois synonymes, mais pas équivalents. Toute langue est un langage, mais l’inverse n’est pas vrai. Il y a une dimension communautaire et pragmatique dans la langue. Le langage lui n’en a pas forcément.

    Une autre remarque : dans la Grèce antique, un seul terme désignait à la fois la pensée et le langage  c’est « logos. ». Tu as parlé, Anne, du langage et de la pensée, aujourd’hui ce sont pour nous deux notions séparées alors qu’à l’origine c’était un seul mot, un seul concept.

    Anne : Il n’y a pas que dans l’Antiquité, encore à l’heure actuelle certains pensent que vraiment…

    Monique : La pensée précède le langage. Certains philosophes pensent que le langage n’existerait pas s’il n’y avait pas de pensées avant, s’il n’y avait pas un travail avant.

    Mireille : Mais il y en a aussi qui pensent que la lettre, le Verbe existait avant la pensée.

    Anne : Je dirais la verbalisation, il me semble que pour certains la pensée s’élabore en même temps que la verbalisation, que la faculté de verbaliser, d’évoquer des concepts. Les deux se construisent ensemble, ils se trament. Merleau-Ponty a une expression que je trouve très belle : « Nos analyses de la pensée font comme si, avant d'avoir trouvé ses mots, elle était déjà une sorte de texte idéal que nos phrases chercheraient à traduire. Mais l'auteur lui-même n'a aucun texte qu'il puisse confronter avec son écrit, aucun langage avant le langage. Si sa parole le satisfait, c'est par un équilibre dont elle définit elle-même les conditions, par une perfection sans modèle. Beaucoup plus qu'un moyen, le langage est quelque chose comme un être et c'est pourquoi il peut si bien nous rendre présent quelqu'un: la parole d'un ami au téléphone nous le donne lui-même comme s'il était tout dans cette manière d'interpeller et de prendre congé, de commencer et de finir ses phrases, de cheminer à travers les choses non dites. Le sens est le mouvement total de la parole et c'est pourquoi notre pensée trame dans le langage. »

    Monique : Il faut aussi penser qu’il y a plusieurs formes de langage. Il y a les mots, bien sûr, il y a les sons mais il y a des façons de s’exprimer qui ne sont pas forcément avec les mots. Pour moi, de toute façon, le langage est une communication.

    Mireille : Qu’est-ce que communiquer ?

    Monique : Faire comprendre à l’autre ce que l’on ressent etc. Pour moi il n’y a pas de négation entre langage et communication.

    Philippe C. : Si on reprend l’origine du mot « communication », on retrouve «  communicare »  en latin qui veut dire ; avoir part, partager, être en rapport mutuel. Donc à partir de là, en effet, le langage compris comme moyen de communication est un partage.

    Monique : Partager mais pas qu’avec des mots

    Philippe C. : Oui, avec les mimiques, les comportements

    Monique : Ça peut être par le toucher, les aveugles ont un langage et une façon de s’exprimer différents du nôtre. Il y a bien d’autres façons de s’exprimer autres qu’avec des mots, ce sont des langages communs à tout un groupe.

    Michel : Communication ça veut dire aussi propagande, ça peut être aussi endoctrinement. C’est un langage qui a été utilisé entre 1933 et 45.

    Anne : Ceci m’a frappée dans les définitions que j’ai trouvées : on dit pour langage «  c’est un moyen de communiquer » et pour communication « qu’elle peut être un langage »

    Pour revenir à ce qu’on disait tout à l’heure à propos du langage et de la pensée, il me semble que les deux existent : il me semble que la pensée a dû, à un moment ou un autre, préexister au langage, mais aussi quand on s’exprime la pensée se crée en même temps, l’un n’exclut pas l’autre.

    Monique : Je suis d’accord avec vous mais il y a des philosophes qui pensent autrement,  ils pensent que la pensée est là et que le langage est en quelque sorte une chose secondaire.

    Mireille : Quand on pense, on pense avec des mots, pour moi ce qu’on appelle « la pensée pure » est une vue de l’esprit, c’est de l’ordre du mystique. On pense avec des mots et si on veut exprimer notre pensée il faut trouver les mots justes, on va construire une phrase et des mots qui trahissent le moins possible notre pensée. Il y a eu toute une période où la pensée pure était le dada des philosophes. Les philosophes d’aujourd’hui en sont revenus.

    Maintenant aussi quand on étudie les symboliques de la lettre et de la construction des lettres entre elles, on voit que ça a une valeur spirituelle. J’aurais tendance à dire que s’il n’y avait pas eu cette association des lettres entre elles et la syntaxe qui permet d’accrocher les mots entre eux, c'est-à-dire s’il n’y avait pas eu la langue, je ne vois pas comment on pourrait penser. On pourrait toujours ressentir, l’exprimer par des gestuelles. Mais la pensée est il me semble une chose incarnée.

    Monique : La pensée peut être incarnée mais pas forcément le langage. Le langage c’est une communication, c’est pour ça que je dis que c’est automatique, le langage va automatiquement avec la communication.

    Anne : Oui, et pourtant, Jean Jacques Rousseau dit « Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eût besoin, avant qu'il fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature », par exemple quand je me cogne je dis « aïe, quelle imbécile » ; je suis toute seule ; ce n’est pas quelque chose que j’ai envie de communiquer à quelqu’un. Alors, est-ce que ‘est un langage qui sort comme ça brut ? Est-ce qu’il y a une pensée ? Qu’est-ce que ça représente ? C’est un langage ?

    Philippe C. : C’est un langage mais tu transformes quelque chose de ressenti en quelque chose de conceptualisé : ta douleur, tu lui donnes un nom, ça reste de la pensée.

    Anne : D’accord, mais là c’est un langage qui n’est pas outil de communication.

    Philippe C. : Il y a communication avec toi-même c'est-à-dire que tu transformes une sensation physique en quelque chose de pensé.

    Anne : Oui, il y a extériorisation de quelque chose mais qui ne vient pas d’un besoin de communiquer.

    Nathalie : Dans toutes les langues on le dit différemment, à partir du moment où l’être humain a donné un mot au fait d’avoir mal, quand tu le dis tu communiques puisque tu le dis avec le même mot que ton entourage. On ne dit pas forcément « aïe » dans toutes les langues.

    Anne : Oui mais ils se ressemblent souvent. Je ne sais pas si vous regardez la petite émission Karambolage sur Arte, quelques fois ils comparent les onomatopées et elles sont différentes mais proches. Donc ce sont les choses de la nature dont parle Rousseau.

    Christiane : C’est peut être à l’origine quelque chose d’émotionnel qu’on traduit par un cri qui est devenu un mot.  

    Anne : Oui, c’est une émotion plus qu’une pensée en fait.

    Mireille : Il y a une chose qui me dérange un peu dans ce que j’entends : c’est « communication ». D’accord, communication c’est mettre en commun : j’ai une pensée, j’ai une information, je la communique, c'est-à-dire je suis l’émetteur d’une idée d’une pensée etc. L’autre, le récepteur, il la prend où il ne la prend pas, il répond ou pas. Communiquer c’est à sens unique, ce n’est pas l’échange ou le dialogue, c’est tout au plus une information.  L’importance que prend la communication  aujourd’hui le traduit bien, dans tout ce qu’on entend dans les média, on nous donne des «communiqués ». Donc, voilà, on prend ou on laisse, il n’y a pas d’échange. Le langage ça sert à communiquer bien sûr, mais ça sert aussi à plein d’autres choses, ce n’est pas « qu’un outil de communication ». C’est pour ça que dans la question qui nous est posée le « qu’un » me semble essentiel.

    Le langage est avant tout un moyen d’humanisation qui permet d’acquérir le savoir. Hannah Arendt dit « Le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains » (Vies politiques)

    Monique : Donc, si pour vous le langage n’est pas seulement un moyen de communication à quoi pensez-vous d’autre ?

    Mireille : Je viens de le dire, la première chose c’est l’humanisation, la faculté de penser, d’acquérir du savoir donc d’accéder à la connaissance et de la transmettre. Le langage a une fonction symbolique, je cite Benveniste : « le langage représente la forme la plus haute d’une faculté qui est inhérente à la condition humaine, la faculté de symboliser. Entendons par là, très largement, la faculté de représenter le réel par un « signe », et de comprendre le « signe » comme représentant le réel, donc d’établir un rapport de « signification » entre quelque chose et quelque chose d’autre. »                                      

    Monique : Moi j’en reste là, le langage est un moyen de communiquer. Si vous n’avez pas de langage quel qu’il soit, vous ne pouvez pas vous exprimer  

    Mireille : Je suis entièrement d’accord avec vous, là où on n’est pas d’accord c’est sur le sens de « communication » et « communiquer ».

    Monique : Oui, vous faites la différence entre la communication et l’échange. Je ne sais quel mot il faudrait utiliser, mais un langage c’est quelque chose qui va vers l’autre, qui se partage. 

    Mireille : C’est là où on n’est pas d’accord, ça ne se partage pas forcément. C'est-à-dire, moi je donne mais l’autre n’a aucune obligation de prendre ce que je dis et d’y répondre.

    Monique : Vous voulez quand même toucher quelqu’un, vous voulez quand même que quelqu’un comprenne ce que vous voulez exprimer, vous comprenne.

    Michel : Communiquer à quelqu’un ou à quelque chose, parce qu’il il faut avoir un langage bien précis si on veut parler à son ordinateur. Ce langage n’est pas forcément le langage parlé mais c’est un langage codé. 

    Monique : Oui mais il faut que ce code soit communiqué, que ce soit à un chat ou un chien. C’est quand même toujours dans le but de communiquer. Mais je veux bien écouter vos démonstrations contraires.

    Mireille : Ce n’est pas contraire c’est complémentaire.

    Monique : Moi, je n’aurai pas mis de négation dans la question posée.

    Anne : C’est quand même intéressant de se poser la question. Justement, à propos du dialogue, le langage est quand même plus utilisé pour dialoguer : Montaigne dit quelque chose sur le dialogue : « Quand vous obtenez l’avantage pour l’opinion ou le jugement que vous énoncez, c’est la vérité qui gagne ; quand vous obtenez l’avantage pour l’ordre et la conduite (de la discussion), c’est vous qui gagnez. Il me semble que, chez Platon et chez Xénophon, Socrate discute plus dans l’intérêt de ceux qui discutent que dans l’intérêt du sujet discuté, et pour révéler à Euthydème et Protagoras leur sottise plus que celle de leur art  [le sophisme]. ». Et Merleau-Ponty parle aussi du dialogue : « Il y a … un objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception d’autrui: c’est le langage. Dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun… » (Phénoménologie de la perception)

    Mireille : Bergson voit une faculté au langage, il dit que le langage accomplit des actions : demander, convaincre, ordonner, jurer, prier, etc. Il dit « Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le signalement de la chose et de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future. Mais dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. »

    Grand silence

    Mireille : J’aurais préféré que dans la question on mette « dialogue » ou « échange » à la place de « communication ». Parce que la communication c’est à sens unique. La communication peut permettre le dialogue, lancer un échange mais au départ la communication est à sens unique.

    Agnès : C’est une information

    Mireille : En cherchant les différentes fonctions du langage, j’ai appris un mot « Phatique », c’est dans Philagora.net (site que je vous invite à visiter) : « Phatique est un terme de linguistique: la fonction phatique ne sert pas la communication mais a pour but de garder le contact avec l'interlocuteur: par exemple, on dira: "allo" ou encore "n'est-ce pas". » Je trouve ça intéressant, on n’est pas ici dans la communication, c’est comme vous le disiez simplement toucher l’autre par le mot, attirer son attention.

    Philippe C. : Il y a beaucoup de choses qui ont été dites, je voudrais revenir à la notion que le langage, tous les langages sont des systèmes, des organisations de phonèmes qui vont se constituer en systèmes, à partir de ce moment là, pour qu’il y ait communication, ou pour qu’il y ait échange, il faut que ça soit compris par l’autre, donc, c’est là que le langage renvoie à la notion des mots qu’on prononce et qui ont un sens, pas forcément le même sens pour chacun de ceux qui le reçoivent. C’est pour cela qu’on a pris l’habitude ici de donner un certain nombre de définitions au départ, on accepte ou on accepte pas la définition, mais on va sur une même notion au départ. Il faut qu’il y ait une sorte de convention. Alors, tu as prononcé « logos » tout à l’heure, il ne faut pas oublier qu’il a de multiples sens et en particulier celui de « rapport ». Le mot de « logos » s’applique aussi au langage qui est un rapport entre différentes personnes. Tu as cité Platon, dans « Le Gorgias », c’est là que cette notion s’exprime le mieux. Alors, est-ce que communication  n’est que ça ? Dans un sens je dirais « oui » je suis un peu et même beaucoup d’accord parce que sinon ça s’appelle du matraquage, mais, il n’empêche qu’il y a quand même l’envie de faire partager un certain nombre de connaissances à d’autres ; quand je dis connaissance ça peut être un produit vaisselle ou autre.

    Françoise : Je pense que le langage c’est obligatoirement être avec l’autre, c’est vouloir partager et être compris. Le petit enfant quand il commence à parler, ses premiers mots, c’est pour lui merveilleux quand il dit « papa », « maman », c’est quelque chose de complètement fabuleux, il existe...

    Anne : Excuses moi je t’interromps, parce que je ne l’ai pas encore vécu en tant que grand-mère, mais c’est extraordinaire pour les parents qui l’entendent. Mais, lui, quand il fait « papapapa… », est-ce que c’est vraiment intentionnel ou c’est que ce sont ses petites expérimentations, n’est-ce pas les parents qui tout d’un coup disent « ah, il a dit papa »        

    Françoise : Mais tu sais, Anne, puisque tu parles de ça, ça me fais penser à Françoise Dolto qui parlait aux bébés et les bébés comprenaient ; ils ne pouvaient pas élaborer, comme on a dit tout à l’heure.

    Philippe C. : C’est elle qui disait « Tout est langage ».

    Monique : Ils reconnaissent les voix dans le ventre de leur mère.

    Anne : Il me semble que l’exemple que tu donnes est la démonstration que la pensée existe avant le langage.

    Philippe C. : Ce n’est pas sûr. Si on est dans la ligne de Platon, avant la pensée il y a l’idée.  

    Anne : C’est ce que dis Platon… Mais je pense qu’effectivement le bébé à qui on parle  comprend les choses. Vous avez parlé de l’intuition la dernière fois, c’est sans doute par intuition car il n’a pas encore les moyens d’exprimer autrement que par des pleurs son mécontentement.

    Janine : L’enfant comprend par intuition, et par un autre langage, celui des mimiques de sa mère.

    Brouhaha

    Nathalie : Je suis tombée dernièrement sur une interview sur cette nouvelle partie de la science médico-légale : les profileurs. Il disait qu’il existait aujourd’hui, en France, une femme qui est profileur. Elle disait que son rôle était de trouver, dans le langage des gens, tout ce qui trahissait leur pensée. Je pense que le langage n’est pas forcément un moyen de communication. On peut en faire ce qu’on veut. C’est la pensée qui dirige tout, sinon on n’aurait pas eu besoin d’inventer cette nouvelle discipline pour décrypter les failles.

    Philippe C. : Est-ce la pensée ou la raison qui dirige ?

    Brouhaha :

    Mireille : Il y a plusieurs moyens d’expression, mais, dans le mot langage il y a langue, c’est quand même un moyen d’expression au départ verbal articulé ou pensé puis ensuite écrit. Le reste ce sont des moyens d’expressions qui, pour moi, sont à tort appelés langages. Même pour ceux qui s’expriment avec des signes, les sourds muets, on parle de « langue des signes » mais pas de « langage des signes »

    Nathalie : Si tu as deux personnes ayant des langues différentes qui essayent de communiquer elles vont utiliser des gestes pour se comprendre, et elles y arrivent.

    Anne : Alors pourquoi Antonin Artaud dit-il « Tout vrai langage est incompréhensible » (Ci-gît) ? Tu as une réponse Philippe ?

    Philippe C. : Je n’ai pas de réponse, mais on peut penser que la part du langage dans la communication entre les individus représentant à peine 30% de la communication, tout le reste est de la communication non verbale.

    Françoise : Je dirais même qu’il y a plus de 90% de communication non verbale. Quand deux personnes se rencontrent tout va passer par le corps.

    Marie Claude : Pourquoi parle-t-on de la « langue des signes » et qu’on ne dit pas « langage des signes » ?

    Brouhaha

    Philippe C. : Parce que comme une autre langue c’est réduit à un système codé.

    Michel : De la même manière que le Braille.

    Anne : Les sourds peuvent aussi s’exprimer corporellement.

    Marie Claude : je connais un petit peu parce que ma fille est traductrice. Il y a deux écoles, il y a des endroits ou on lui demande d’être complètement neutre et de ne rien exprimer corporellement, et d’autres ou au contraire elle ajoute l’expression aux signes. Les vrais sourds préfèrent évidemment ce qui donne de l’expression.

    Françoise : [inaudible] Pour revenir à la pensée, ce n’est pas toujours nous, c’est aussi ce qu’on a appris. La pensée ça se fabrique par rapport à tout ce qu’on a appris, suivant du lieu ou on a vécu, dans chaque famille il y a un langage.

    Mireille : Je me permets de revenir à ce que tu as dis à propos de la langue des signes, je parle des sourds, est-ce qu’ils pensent en mots ou en signes. ? On dit que le langage précède la pensée, comment ça se passe pour eux ?

    Michel : Je suis allé à un forum des associations où il y avait justement un stand des sourds muets. Il y avait un sourd à côté de moi qui m’a dis « qu’est-ce qu’il y a comme bruit ». Et le fait est ils étaient tous entrain de parler ensemble. Et je te fais des grand gestes et mon voisin me dis « regarde celui là il cause encore plus fort que les autres » et nous on n’entendait rien. Je pense qu’ils parlaient comme nous, à savoir que lorsqu’on a un fil d’idées on le verbalise automatiquement en mettant le verbe bien comme il faut, il faut construire les phrases. C’est ce qu’ils faisaient.

    Mireille : On parle du langage parlé mais il y a aussi le langage écrit, c’est peut être par la lecture et l’écriture qu’ils arrivent à former leur pensée.

    Marie Claude : pour conforter ce que je vous disais tout à l’heure,  même dans les situations où l’on peut s’exprimer beaucoup avec le visage, quand tu fais une traduction tu dois être neutre,  même dans la façon dont tu es habillé, il faut que ce soit un truc auquel on ne s’attache pas, tu n’as pas le droit de mettre une bague brillante, ni bijou par exemple.

    Mireille : C’est aussi vrai pour les traducteurs d’une langue sur l’autre.

    Michel : Nabokov a écrit « elle a une peau d'ambresaille » le traducteur a écrit «  peau de pêche » et Nabokov a dit « non  c’est en français dans le texte ». On a cherché et dans un dictionnaire de 1922 on a trouvé ce mot « ambresaille » : ce sont les groseilles à maquereau, on ne trouve plus ce mot dans le dictionnaire actuel. Mon cousin en parle à sa grand-mère qui lui dit « une fille qui a la peau ambresaille, on appelle ça des péteuses ». Donc, c’est un mot qui a disparu, le problème c’est l’évolution du langage ; ce qui apparait et ce qui disparait. Tout les ans à l’arrivé du nouveau Robert, les néologismes arrivent, tout se change. Quand on regarde bien le langage SMS, c’est un nouveau langage qui appelle à une communication encore plus rapide et plus concise que ce qu’on a pu connaitre avant. *(après recherches, ambresaille : vieux vocable du pays de Savoie désignant les myrtilles ; la groseille à maquereau étant parfois localement nommée péteuse.)

    Anne : Je me suis posé la question : les artistes s’expriment, les musiciens, les peintres, les écrivains, les poètes ;  la musique,  la peinture etc. sont des moyens d’expression. Si on revient à notre question «  le langage n’est-il qu’un outil de communication ? », c’est vrai que la plupart du temps l’artiste a besoin que son œuvre soit vue, lue, écoutée etc., il a besoin d’avoir des retours. Mais certains artistes ont un besoin viscéral d’écrire ou de peindre même si ça doit rester dans le fond d’une cave ; je n’imagine pas Mozart poser son stylo et arrêter d’écrire de la musique. Et alors que font-ils de ce langage qui est le leur?

    Mireille : Quand on peint, on ne parle pas, on ne pense pas, on ressent et on exprime quelque chose avec des couleurs. Il n’y a pas que le langage comme moyen d’expression.

    Anne : Ah, écoute, dans les définitions du langage, c’est aussi autre chose que le langage verbal, il y a l’écrit aussi et puis il y a les poètes. Ils s’expriment avec des mots mais pas nécessairement pour communiquer.

    Monique : Ils communiquent leurs sentiments, c’est une communication. Le poète qui écrit même s’il n’est pas édité, il exprime ce qu’il ressent.

    Anne : Oui, c’est un moyen d’expression mais je ne suis pas sûre que ce soit toujours un moyen de communication.

    Agnès : Dans sa pensée je suis persuadée que ça s’adresse à quelqu’un, si l’artiste était sur une île déserte je ne crois pas qu’il écrirait des poèmes ou qu’il peindrait. Je pense que dans son idée de création il souhaite que ça laisse une trace même si ce n’est pas demain mais dans 10 ans.

    Nathalie : Les musiciens, on en côtoie pas mal, ils ont vraiment une langue à part. Ils écoutent quelque chose et critiquent « il n’y a pas de si bémol ou il n’y a pas de si dièse etc. » et ils se mettent à échanger, nous on y comprend rien, ils ont vraiment un langage à eux. Et je pense que même sur une île déserte ils continueraient à parler leur langage.

    Brouhaha

    Mireille : Pour reprendre ce que tu dis, Anne, l’artiste a un besoin viscéral d’extérioriser quelque chose qui est en lui, s’il ne le fait pas il est comprimé, il étouffe, c’est vital pour lui. Il ne le fait pas forcément pour donner aux autres, pour communiquer avec eux, je pense à Van Gogh ou à Cézanne entre autres.

    Agnès : On n’a pas d’exemple d’artistes sur une île déserte, sans espoir que quelqu’un lise ou voit sa création.

    Mireille : Il y a des artistes qui ne sont pas sur une île déserte mais qui sont enfermés dans leur chambre coupés du monde et leur toiles s’entassent dans leur atelier, ou leur musique dans les tiroirs. L’isolement est nécessaire à la création et créer est vital pour l’artiste.

    Michel : Sur une plage de méditerranée, avec sa canne, Picasso a dessiné un Picasso, la mer est venue et a effacé un Picasso. C'est-à-dire que vous aviez des millions de francs qui étaient gravés dans le sable et la mer a tout emporté.

    Mireille : C’est ce qu’on appelle « l’art éphémère ». C’est très à la mode aujourd’hui.

    Brouhaha suivit d’un grand silence   

    Mireille : Pour revenir au langage et la pensée, Hegel dit une phrase qu’on pourra retravailler dans le prochain débat sur la conscience, il dit (Encyclopédie, III, Philosophie de l’esprit.) « C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. » Je comprends que c’est grâce aux mots, au langage que l’on prend conscience de notre pensée.

    Anne : Je poursuis parce que c’est de Hegel aussi et fait suite à ce que tu as dit « le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie ».

    Il me vient cette réflexion, il y a la langue parlée qui est un langage qui, par rapport à la langue écrite, demande quand même moins de réflexion. Quand on parle on émet une pensée mais ça se fait rapidement, en général on ne prend pas le temps de réfléchir pour savoir comment on va l’exprimer oralement, alors que si on veut la mettre par écrit, là, ça demande une réflexion pour arriver à préciser exactement sa pensée.

    Janine : La langue écrite a un autre code grammatical, il faut construire la phrase ; alors qu’oralement avec seulement quelques mots on peut se faire comprendre sans avoir fait une phrase complètement construite.

    Françoise : Bien que si on veut faire passer correctement son ressenti ou ses idées et être compris des autres, je pense qu’on est un peu obligé d’élaborer, d’employer les bons mots.

    Anne : D’où l’importance d’avoir une instruction suffisante pour avoir les moyens d’exprimer sa pensée correctement.

    Françoise : Parce que pour la lecture, c’est vraiment quelque chose de particulier, on utilise plusieurs parties de notre cerveau, ce que l’on ne fait pas du tout avec le cinéma par exemple, ou le fait de discuter. C’est vraiment très impressionnant de lire parce qu’on utilise les deux cerveaux, le droit et le gauche et une autre partie du cerveau dont je ne me souviens plus du nom, qui est située à l’arrière en bas.

    Monique : C’est très intéressant de voir les fonctions du cerveau. Il est démontré aussi que notre cerveau sait avant qu’on l’exprime ce qu’on va dire.

    Michel : Rousseau disait « L'écriture, qui semble devoir fixer la langue, est précisément ce qui l'altère ; elle n'en change pas les mots, mais le génie ; elle substitue l'exactitude à l'expression. L'on rend ses sentiments quand on parle et ses idées quand on écrit »

    Françoise : Non, je pense que lorsqu’on parle il y a un petit peu de tout, on peut exprimer à la fois ses sentiments et ses idées

    Michel : On a besoin de parler, on parle, mais si on doit écrire on se met dans un code bien spécial, avec des marges et une façon de pensée qui ne coule pas, et une fois écrite ce n’est pas dit qu’on ne va pas biffer pour mieux la préciser. L’écriture c’est quand même une pensée bien lisse, bien mise en place. Rousseau ajoutait « En écrivant, on est forcé de prendre tous les mots dans l'acception commune ; mais celui qui parle varie les acceptions par les tons, il les détermine comme il lui plaît »

    Françoise : C'est-à-dire que l’expression à deux c’est compliqué parce que ça va se faire aussi par le ressenti de l’autre. La communication est dans les deux personnes qui communiquent, et dans les deux personnes il va y avoir leurs émotions qui vont intervenir.

    Philippe C. : Je ne sais plus qui disait «  Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément ». C’est pas toujours vrai, je pense aux hommes politiques actuellement qui parlent beaucoup et ne disent pas grand-chose.

    Françoise : Il me semble que tout est langage : le choix de sa voiture, la façon dont on s’habille, tout est langage, il me semble, on parle de soi à chaque fois.

    Mireille : Le langage, tel qu’il est posé là, il a la volonté de s’exprimer, alors que dans ce que tu dis il n’y a pas de volonté. C’est inconsciemment que tu vas choisir une voiture, qui va exprimer quelque chose de toi, mais tu ne te dis pas je vais prendre telle voiture parce que je veux exprimer ça.

    Brouhaha

    Anne : C’est un moyen d’expression de soi

    Mireille : Il ne faut pas confondre moyen d’expression et langage. Ce n’est pas un dialogue non plus.

    J’avais noté une citation de Delacroix qui exprime bien ce que tu disais, Anne, que langage et pensée sont entremêlés. Henri Delacroix disait « La pensée fait le langage en se faisant par le langage »

    Anne : Je pensais aux problèmes des enfants loup comme dans le film de Truffaut « L’enfant sauvage ». Et on parlait des babillements du bébé. Comment la pensée s’élabore-t-elle effectivement chez un enfant qui n’est pas en contact communicationnel avec des êtres humains ? Je ne me souviens plus très bien de ce film mais un moment l’enfant faisait des progrès, et qu’à d’autres il régressait.

    Françoise : On sait que les bébés abandonnés qui ne sont pas pris dans les bras tout le temps de la même personne deviennent fous, ils se balancent d’avant en arrière. Ils n’ont pas eu ce rapport du corps qui est un langage pour moi.

    Monique : On a parlé du lange humain, mais il y a aussi le langage des animaux.

    Anne : Les linguistes sont assez partagés à ce sujet, surtout les anciens comme Saussure, qui a été le créateur de la linguistique moderne. Par « langage » il entend « la faculté générale de pouvoir s'exprimer au moyen de signes. Cette faculté n'est pas propre aux langages naturels mais elle caractérise toute forme de communication humaine. ». Il le circonscrit uniquement  à la communication humaine.

    La philosophe Simone Manon dit « Nous trouvons, chez les abeilles, les conditions mêmes sans lesquelles aucun langage n’est possible, la capacité de formuler et d’interpréter un « signe » qui renvoie à une certaine « réalité », la mémoire de l’expérience et l’aptitude à la décomposer…

    L’animal ne fait jamais ni de ses états, ni de son monde un symbole c’est-à-dire un signe renvoyant à un sens. Il semble privé de ce qui est le propre de l’homme, à savoir la fonction symbolique par laquelle celui-ci ouvre un monde de significations, monde de la culture où l’échange des paroles n’est pas tributaire d’un contact direct avec la chose mais peut s’effectuer à partir des seules données linguistiques. » C’est un petit peu long mais elle fait bien la différence entre l’homme et l’animal.

    J’ai entendu récemment qu’il y a des recherches faites sur les singes, les bonobos en particuliers, plus on les étudie plus il semble que la frontière est floue.

    Michel : Je ne sais plus qui a dit il n’y a pas longtemps « nous avons domestiqué le chien et le cheval il y a environs 10 000 ans et le chat nous a domestiqué il y a 2000 ans ». On s’aperçoit qu’il y a d’un côté une communication qui se fait d’une part par l’acquis, la génétique, et d’un autre côté vous vous apercevez de l’indépendance du chat qui sait très bien se faire comprendre quand il veut quelque chose et qui n’acceptera jamais que vous empiétiez sur sa sphère.

    Anne : Je reviens à ce que disait la personne qui étudiait les bonobos. Elle disait que pendant longtemps, et encore maintenant, quand on étudie ces animaux on se place du point de vue de la pensée humaine, mais si on arrivait à effacer ça pour pouvoir se placer du point de vue animal, c’est ce qu’elle essaye de faire, alors, dit-elle, on découvre des modes de communication élaborés. La science jusqu’à très récemment a toujours pris le parti, effectivement, du point de vue humain et on ne peu pas se mettre dans la peau d’un singe, d’une fourmi ou d’un chat.

    Françoise : En tout cas on voit très bien qu’ils ressentent. Il y a un chat près de chez moi a qui je donne à manger, je ne peux pas l’attraper parce qu’il a très peur, mais je vois très bien ce qu’il exprime, sa peur, il a la queue entre les jambes. Je trouve même que c’est plus facile avec les animaux, parce que la pensée quelque fois vient contrarier ce que l’on ressent, alors que chez les animaux il y a le langage corporel qui ne peut pas nous tromper.

    Brouhaha : Echange sur les chiens et les chats

    Anne : Boris Cyrulnik  va dans le sens de ce que disait Simone Manon tout à l’heure : « Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est la parole. Non pas le langage, car les animaux ont aussi un langage. Mais l’aptitude à créer un monde spécifiquement humain par des représentations verbales : le monde des mots. Darwin, dès ses premiers travaux, a parlé du « mur du langage ». Cette métaphore exprimait bien que la parole métamorphose la condition d’être vivant. J’utiliserai une autre métaphore : la chenille vit dans un monde terrestre d’ombre et d’humidité, le papillon dans un monde aérien de lumière, et l’un et l’autre sont pourtant en continuité biologique. Notre chrysalide à nous, c’est la parole. Nous vivons dans un monde biologique mais aussi comme le papillon, dans le monde aérien de la parole. »

    Françoise : Entre le papillon et la fourmi etc. ils ont des façons de communiquer qui sont très différents.

    Mireille : Ce n’est pas du langage, ce sont des moyens de communication, d’échange d’informations.

    Anne : Alors, je sais que les oiseaux, les corvidés sont réputés pour être très intelligents. Chez moi j’entends les étourneaux. Je ne sais pas si vous avez pris du temps pour écouter quand il y a des étourneaux dans le coin, il y a une telle diversité d’expressions dans leurs chants, que je ne peux pas m’empêcher de me dire « ils bavardent ». Je ne sais pas s’il y a des scientifiques qui ont étudié le chant des étourneaux, je sais que ça a été fait pour celui des corneilles et des pies, mais les étourneaux c’est vraiment étonnant.

    Brouhaha :

    Anne : il va être temps de conclure, mais j’avais pensé à une chose à propos du langage, il y quand même tous les expériences du non-sens, je suis allée à un spectacle avant-hier, ça n’étais que du non-sens, des passages du coq à l’âne, c’était génial et très drôle. Tout ce qui est jeux de mots, est ce de la communication ? C’était plein de ruptures, mais on comprenait et on riait, je pleurais de rire. La rupture c’est propre au comique, il y a une rupture dans la communication mais on comprend quand même 

    Philippe C. : La rupture, c’est le sens qu’on lui donne. Tu as cité Saussure je crois que c’est lui qui parle de l’importance du lapsus qui trahit un certain nombre de choses. Volontaire ou pas volontaire, il dévoile des pensées cachées.

    Mireille : Tu parles d’un spectacle, là on est dans le monde de l’art. Ils jouent avec le sens des  mots, c’est exactement comme la poésie contemporaine qui joue avec les sons des mots. C’est une expression artistique.

    Fermeture Débat par Anne 

    Le langage est avant tout un moyen de communication – peut-être pas le seul, ce qui nous renvoie à l’intuition évoquée le mois dernier. Il est aussi moyen d’expression, et y en a-t-il d’autres, si on pense à la multiplicité des langages ? Que font les artistes, qui, sans commande, sans contrat, écrivent, composent, peignent, sculptent…c’est pour eux un besoin vital. Le langage, outil d’épanouissement, de bonheur, au-delà de tout souci de communiquer : expression de soi. Que faisons-nous d’autre quand nous chantons sous la douche ?

     Pour terminer et illustrer la fonction poétique ou esthétique du langage, je vais vous lire un  poème de Jacques Roubaud, (mathématicien et poète, membre de l’Oulipo : écriture sous contrainte) édité dans « Tokyo infra-ordinaire »sur l’eau une pierre

    1 sur l’eau une pierre

    pierre après pierre sur l’eau

    2 pierre sous les pas

    pierre après pierre les pas

    3 « pas de bruit »leur pas

    de pierre en pierre leur pas

    4 pierres séparées

    d’eau pour dans les eaux les carpes

    5 leur multicouleur

    entre les pierres semées

    6 un semis de carpes

    carpes bougeantes couleur

    7 un semis de pierres

    devant les pas sans couleur

    8 et la couleur mise

    par les arbres dans les eaux

    9 va de pierre en pierre

    ton pas sur le pont de bois

    10 pont de bois courbé

    ovale fermé dans l’eau

    11 floraison reflet

    reflet des arbres peignés

    12 eaux trempées de fleurs

    gonflées de rose fondant

    13 où le vert s’allège

    trempé le ciel imprécis

    14 rien ne s’équilibre

    ni les feuilles ni les feuilles

    15 les visiteurs vont

    leurs pas qui ne passent pas

    16 air redisposé

    après leurs pas, pas de pas

    17 peu de ciel étend

    les nuages entre-doigts

    18 cœur en cerisier

    someiyoshino  précoce

    19 j’entre dans le sombre

    sentier j’entre sous l’espace

    20 j’entre dans le sombre sentier

    j’entre dans le noir sentier

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 30 avril (même heure, même lieu) 

    La question choisie à mains levées, sera: « La conscience de soi est-elle une connaissance ? » 

    Le thème choisi pour  avril est  « la violence». Préparez vos questions. 

    Mireille PL 

     

     

     


    3 commentaires
  • 5 à 7 Philo du dimanche 25 février 2017 : 21 participants 

    L’intuition s’oppose-t-elle à la raison ?

    Introduction  par Mireille 

    Analyse des termes de la question

     « L’intuition… » :

    Etymologiquement, l’intuition vient des mots latins in (en, dans) et tueri (regarder attentivement, contempler). Intueri signifie donc l’acte de regarder attentivement à l’intérieur de soi, voir de l’intérieur.

    Dans le dictionnaire, l’intuition est définie comme une « connaissance soudaine, spontanée, indubitable », une « connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l’expérience ». Elle désigne le pressentiment de ce qui est ou doit être, l’acte de percevoir ce qui nous est inconnu, sans pouvoir l’expliquer ou l’argumenter.

    « … s’oppose-t-elle … » : (Larousse)

    Être totalement différent, contraire, incompatible  

    Faire obstacle à quelque chose, aller contre, y être contraire

    « … à la raison ? »

    Le mot raison vient du latin « ratio » accusatif de rationem, qui désigne, en premier lieu, une « mesure », un « calcul », la « faculté de compter ou de raisonner », une « explication », (cf. dictionnaire Gaffiot).

    La raison est généralement considérée comme une faculté propre de l'esprit humain. C’est un des grands sujets débat de la philosophie. Qu’est-ce que la raison ?

    Le dicophilo discerne deux sens :

    Un sens subjectif, qui est la faculté de connaître, de bien juger, de discerner le vrai et le faux ou le bien et le mal.

    Et un sens objectif, un élément posé comme cause ou motif de quelque chose.

    On peut retenir trois directions du mot raison :

    1.  La raison comme calcul, logique, qui renvoie à ce que l’on nomme le rationnel 

    2.  La raison comme discours, parole argumentée et discutée, qui renvoie à ce qu’on nomme le raisonnement 

    3.  La raison comme fondement, comme raison d’être, principe de ce qui est, qui renvoie à ce qu’on nomme la cause. 

    « L’intuition s’oppose-t-elle à la raison ? » : L’intuition, cette connaissance soudaine, spontanée, ce pressentiment de ce qui est ou doit être, est-elle vraiment en contradiction avec cette connaissance rationnelle des choses acquise par déduction de l’expérience, ou ces deux chemins vers la connaissance sont-ils complémentaires ?

    Débat

    Karel : Le mot opposer pose question : est-ce qu’il s’agit d’une opposition ou d’un autre regard, avoir un autre avis de valeur ?

    Monique : Mireille dans sa présentation a donné la réponse puisqu’elle a dit que ce n’était pas forcément une opposition, qu’il pouvait y avoir des nuances.

    Karel : Elle a dit ça par rapport à la raison.

    Mireille : Non, j’ai posé la question « L’intuition, cette connaissance soudaine, spontanée, ce pressentiment de ce qui est ou doit être, est-elle vraiment en contradiction avec cette connaissance rationnelle des choses acquise par déduction de l’expérience, ou ces deux chemins vers la connaissance sont-ils complémentaires ? »

    Karel : Dans le sujet on demande si intuition et raison s’opposent. Pour moi le verbe « opposer » c’est très contradictoire, on s’oppose à quelqu’un, pour moi c’est négatif.

    Brouhaha :

    Philippe C. : Je veux juste sortir une phrase de Molière «  Raisonner est l’emploi de toute ma maison, et le raisonnement en bannit la raison. ». Ça veut tout simplement dire que la raison n’est pas forcément ce que je préfère. L’intuition me paraît aussi un très bon moyen de communiquer, d’échanger et surtout d’accéder à un certain nombre de connaissances que la raison, tout au moins la mienne telle qu’elle est, ne me permet pas d’acquérir.

    Mireille : On peut peut-être partir sur ce que chacun d’entre nous pense de l’intuition : Qu’est-ce que c’est ? Comment on la vit ?

    Jacques A. : Pour moi l’intuition n’est pas un chemin tracé à l’avance, il nous appartient alors qu’on n’en a pas conscience ; alors que la raison se trace parce qu’on a un raisonnement conscient. L’intuition, selon moi, appartiendrait plus au cerveau reptilien qui est là pour qu’on survive ; je pense que derrière l’intuition il y a une question de survivance. L’intuition est là en cas de difficulté, une maman, par exemple, est là pour protéger son enfant même si elle n’a pas fait des cours de puériculture, elle sait ce qu’il faut faire par intuition, il n’y a pas d’apprentissage. Je pense que dans notre monde moderne il y a une porosité entre l’intuition et la raison pour enrichir la connaissance c’est ce qu’on appelle l’approche systémique. Je pense qu’initialement l’homme des cavernes ne fonctionnait qu’à l’intuition.

    Philippe C. : Je me demande ce qui vous permet de dire ça de l’homme des cavernes ?

    Jacques A. : Oh, c’est un raccourci. Selon les neurosciences actuelles, notre cerveau est composé de différentes parties, l’origine étant le cerveau reptilien, puis le cortical etc., on a besoin de survivre et on a des réflexes de survie dans certaines circonstances qui ne sont pas liés au raisonnement, on ne sait pas à quoi ils sont dus, ça vient de notre profondeur. On le voit dans la formation de certains métiers où c’est très difficile, comme chez les pilotes de ligne, on les forme pour qu’ils réagissent en cas de problèmes et là les formateurs se battent pour que les pilotes ne raisonnent pas mais s’en remettent à leur intuition.

    Michel : Là on parle de cerveau reptilien et compagnie, en conséquence de quoi on peut dire que le raisonnement c’est aussi l’instinct ; on se pose la question de savoir si l’instinct c’est de l’acquis ou du prémâché. On prend l’exemple d’un petit chat qui n’a jamais vu d’oiseau : dès l’instant où il voit quelque chose qui bat des ailes il n’a qu’une envie c’est de lui faire sa peau ? Donc, je pense qu’au niveau du raisonnement et de l’instinct est-ce qu’on est dans le même cas ? Il se peut que suivant des normes au niveau de la physionomie d’une personne, on soit capable, s’en sans rendre compte, d’avoir l’intuition de ce que la personne qui est face de nous a comme sujet, on le ressent. Donc il y a toujours l’inné et l’acquis qui rentre dans le système et quand on fait un raisonnement, est-ce que ce raisonnement vient d’une expérience sur de l’acquis, ou sur de l’inné ?

    Monique : On peut peut-être prendre l’exemple des inventeurs, des chercheurs qui suivant une intuition vont travailler et trouver quelque chose, et leur raison va dire que c’est valable, que c’est une bonne chose, une bonne invention. L’intuition peut déboucher sur la raison.

    Evelyne : Dans l’intuition, pour moi, il y a une notion d’émotion qui évidement ne se trouve pas dans la raison, c’est ça qui les oppose. On peut peut-être creuser sur la partie émotionnelle de l’intuition.

    Françoise : Pour toi il y a une différence entre la raison et l’intuition ?

    Evelyne : Quand Archimède a dit « eurêka » c’est une intuition, s’il avait trouvé après avoir réfléchi longtemps et déduit des tas de choses il n’aurait peut-être pas eu le même résultat.

    Françoise : Oui, je suis tout à fait d’accord, le lien a été fait.

    Karel : Madame, vous parlez d’émotion, ça me fait penser au VAKOG , les cinq sens :  Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif », on parle du VAKOG externe et du VAKOG interne. Donc, effectivement vis-à-vis d’un être humain ou d’un animal ou de toutes choses, on a une émotivité, et l’intuition arrive juste après selon cette émotivité qu’on a eue quel que soit le sens qu’on utilise.

    Jacques : Oui, je suis d’accord sur cette notion que l’instinct procède des sens et procède d’une émotion immédiate, étant entendu qu’après cette émotion immédiate, le raisonnement peut être mis en branle. C'est-à-dire qu’on peut entreprendre un certain raisonnement qui fait appel à la raison, il peut y avoir une succession de sensations, donc d’intuitions qui sont suivies d’une succession de raisonnements. Donc il y à la fois une opposition mais aussi une complémentarité.

    Evelyne : Je voulais juste dire pour compléter, quand je parlais d’émotion, ça procède d’une émotion, comme dit monsieur, mais ça provoque une émotion. Et le côté émotionnel il est des deux côtés, une fois qu’on a trouvé quelque chose l’émotion est extraordinaire. On a une espèce de vague d’émotion et c’est comme ça que la créativité dans les arts etc. procède aussi.

    Pierre : J’ai du mal à associer le mot « intuition » et le mot « émotion ». Je peux citer un exemple dans lequel s’affronte l’intuition et le raisonnement : Chez nous on a un projet de création d’un éco-hameau et on a fait appel à un architecte, on lui a dit « voilà, il faut poser 10 maisons. Dans la partie qui est proche de notre maison actuelle, il en a posé 2, dont une dont je ne veux pas, parce que j’ai l’intuition que si il y a une maison devant la maison actuelle, ça ne va pas gazer. Donc s’affronte là quelque chose de rationnel, de mesuré, de normé : il faut tant d’espace entre les maisons, qu’elles soient dirigées au sud etc., tout un tas de bonnes raisons avancées par l’architecte, et cette intuition que j’ai qui est née du rassemblement de diverses sensations. On pourrait dire, il y a une connaissance intime du lieu où je vis et une connaissance rationnelle de l’architecte.

    Monique : Je n’ai pas l’impression que c’est un exemple d’intuition là, c’est un exemple de raisonnement, vous connaissez très bien votre terrain, vous raisonnez en disant « ça ne peut pas être comme ça »

    Brouhaha :

    Thierry : L’étymologie de raison c’était quoi ?

    Mireille : « ratio » accusatif de « rationem », qui désigne, en premier lieu, une mesure, un calcul, la faculté de compter ou de raisonner.

    Jacques : Je ne suis pas choqué que Pierre qualifie d’intuition la sensation que cette maison ne soit pas à sa place. Intuition, sensation, sentiment pour moi c’est la même chose.

    Mireille : Il y a trois mots qui ont dans le langage courant des sens qui peuvent être identiques mais qui pourtant ont des nuances. L’intuition n’est pas un sentiment.

    Jacques : Ça peut être un sentiment immédiat.

    Philippe C. : On peut avoir l’intuition d’un sentiment sans pour autant avoir le sentiment lui-même. 

    Thierry : Tout à l’heure on a parlé de cerveau reptilien. L’enfant a au départ un cerveau reptilien, après c’est l’expérience et l’éducation. Ce qui serait intéressant de savoir c’est si c’est la confrontation avec autrui qui fait naître l’intuition.

    Jacques A. : Par rapport à l’intuition, j’ai noté la notion de pressentiment. Je pratique dans mon métier des évaluations d’organisations, et les référentiels d’évaluations d’ordre moderne appellent à deux choses : un truc raisonné c’est-à dire des valeurs mesurables, mais en amont on est obligé en tant qu’animateur d’être formé à ce qu’on appelle des formes d’intuition, c'est-à-dire ce sont des concepts fondamentaux. Avant de rentrer dans la partie technique, on doit regarder globalement, comme ça, au jugé, si certains concepts sont respectés. C’est un peu une approche globale mais sans mesure technique. Ce n’est qu’après qu’on regarde la partie technique. Et on est tenu de croiser les deux, de croiser le raisonnement avec justement ce sentiment global. C’est difficile parce qu’on est tiraillé entre les deux.

    Michel : C’est une nouvelle science qu’on appelle l’haptique : on met les gens en condition dans un simulateur sur un tour, sur plein de nouvelles technologies et on regarde comment ils vont faire. On s’aperçoit que pour qu’une personne ait certaines capacités il faut que manuellement, intellectuellement, psychologiquement elle soit apte à suivre l’esclavage vis-à-vis de la machine.

    Jacques : Par rapport à ce qu’à dit Jacques (A), qui a parlé de sentiments généralisés dans un premier temps, avant qu’il y ait un raisonnement ; le sentiment généralisé procède quand même d’une analyse ; alors, pour moi, ce n’est pas de l’intuition, parce que dans l’intuition il y a une immédiateté. Alors là, si tu restes deux heures pour analyser un sentiment général, ce n’est pas de l’intuition.

    Jacques A : On reçoit une formation… par exemple, quand j’arrive dans une entreprise dès le hall je sais si le patron est là ou absent, je le vois au ton de la voix du personnel, sur son comportement.

    Brouhaha :… ça c’est de la psychologie…

    Mireille : Ce n’est pas une intuition c’est un savoir acquit.

    Evelyne : Pour moi, l’intuition est plus du domaine de l’inconscient, alors que la raison, ça, c’est du conscient, on sait ce qu’on fait, on sait comment on raisonne. Le fait que ce soit inconscient ne veut pas dire qu’on n’a pas eu des expériences avant.

    Françoise : Je pense que l’intuition est quelque chose de complètement immédiat. Je ne pense pas que ce soit une émotion parce qu’on n’a même pas le temps de ressentir, c’est direct. C’est le monde des sensations, c’est le monde de la communication non verbale, c’est le monde des sens, où tout d’un coup, on sait, on ne sait pas pourquoi on sait mais on sait. J’aimerai qu’on parle de ce qu’on appelle « l’intuition féminine » parce que je pense qu’il y a une question d’éducation. Il y a le cerveau droit qui est l’imaginatif, l’intuition,  et le cerveau gauche qui est la rationalité ; dans l’éducation on a beaucoup plus développé la rationalité que l’intuition, sauf chez les filles : nous on avait droit d’aller dans nos émotions, de pleurer, à un garçon on disait « sois fort ». Donc à l’origine si on n’a plus cette faculté là, c’est qu’on nous laissait aller plus du côté de notre cerveau droit. Il me semble aussi que pour aller vers cette vérité, où on est sûr qu’on ne se trompe pas, où il n’y a pas de réflexion, il n’y a pas d’analyse, c’est immédiat, ça tient beaucoup de la communication non verbale, ça tient beaucoup de l’écoute de soi, de l’intérieur de soi, et du coup de l’environnement aussi, c’est tout à fait pouvoir être là.

    Thierry : Donc l’intuition peut être raison ?

    Françoise : Je ne sais pas ce que tu appelles raison, mais je ne crois pas.

    Thierry : Ce que je veux dire c’est qu’on peut avoir une intuition qu’on peut vérifier au niveau de la raison.

    Philippe C. : En philo, on dit que souvent « l’intuition, loin d’être vague, est une chose qui est extrêmement précise, et qui a un caractère de certitude absolue ; elle s’applique aux éléments premiers de chaque domaine de connaissance, à ce que le raisonnement ne peut pas construire… On distingue deux types d’intuition : « l’intuition empirique, connaissance immédiate de ce qui a trait à l’expérience », qu’elle soit sensible ou psychologique,  « et l’intuition rationnelle qui est la connaissance immédiate des objets de la raison » (A. Larcher). Le premier qui a dit ça c’est Descartes, il parle de l’intuition rationnelle. C’est une chose importante parce qu’effectivement on peut avoir ces deux modes d’intuition. C’est pour ça qu’il est difficile de dire que l’intuition et le raisonnement s’opposent ou se complètent. Tu parlais d’intuition féminine ce n’est pas un hasard si on la définit ainsi.

    Françoise : Je pense que les femmes ont plus d’occasions de développer cette qualité.

    Philippe C. : C’est une faculté dont tout le monde dispose mais souvent, dans la forme, la raison s’oppose. On peut aussi sur le plan philosophique revenir à la notion platonicienne,  avec l’idée qu’il préexiste au raisonnement, et qu’on a cette faculté de pouvoir accéder, par un certain travail, à cette connaissance qui serait mise en mémoire alors qu’on n’y est strictement pour rien ; c’est « l’idée primordiale » qui se révèle à nous par l’intuition. Il y a deux moyens d’y accéder, l’intuition et le raisonnement, mais le raisonnement n’étant qu’un développement logique qui permet d’accéder à cette idée.

    Pierre : Ce qui se dit m’amènerait à penser que l’intuition est une connaissance immédiate et qui a une justesse qui se vérifie, qui vient du fait qu’on utilise quelque chose, les émotions, les sens etc.. Mais en même temps ça serait assez réducteur car on en viendrait à penser «  pourquoi raisonner puisque l’intuition a raison ? »

    Mireille : Pour illustrer ce que tu viens de dire il y a une phrase dans Les Pensées de Blaise Pascal qui dit « Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c'est en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part essaie de le combattre. » Autrement dit, souvent on sait les choses comme ça, et notre raisonnement va détruire cette vérité intuitive qu’on avait au départ. Pour moi, l’intuition a quand même à faire à ce pôle là de nous, le plexus solaire qui est celui de l’émotion du ressenti, du cœur, et la raison à celui là, la tête c’est vraiment l’intellect, c’est quelque chose de sec.

    Pierre : Si on va dans ce sens, on en vient à se poser la question « Qu’elle est la raison d’être de l’éducation qui nous entraine constamment vers la raison et le raisonnement, et rarement vers cette connaissance intime qu’on a des êtres, des choses, par l’intuition ? »

    Evelyne : Je veux juste continuer un petit peu parce que quand on fait des mathématiques, à un enfant qui a trouvé le résultat on dit « oui, c’est juste, mais dis nous comment tu y es arrivé ». Lui a utilisé plus ou moins son intuition, mais on exige de lui qu’il montre toutes les étapes du raisonnement. Donc on lui interdit toute la créativité de l’intuition en disant « c’est la raison qui compte ».

    Marie Christine : Je ne pense pas que ce soit incompatible, je trouve que dans ce cas là c’est une manière de confirmer l’intuition. Vous parlez de démonstration pédagogique, je trouve que le petit qui a eu cette impulsion là ne s’est pas trompé, mais passer par les différentes étapes de son raisonnement ça permet de confirmer la véracité de son intuition. Ce sont deux étapes qui se complètent.

    Françoise : Il me semble qu’Evelyne voulait dire que ça se complétait. Mais c’est vrai, je trouve que dans notre éducation on privilégie beaucoup le raisonnement.

    Marie Christine ; Dans les pédagogies alternatives, Montessori ou Freinet, la créativité et l’intuition sont favorisées, mais toujours complétées par le raisonnement. L’éducation en mathématique est d’accompagner l’intuition par le raisonnement.

    Françoise : Oui, je suis tout à fait d’accord avec toi, mais tu parles de Freinet et Montessori, mais ce n’est pas la généralité.

    Marie Claude : Je crois que c’est parce qu’on ne peut pas évaluer l’intuition alors qu’on peut évaluer le raisonnement. Quand on a un grand nombre d’élèves, on est obligé de passer par un certain nombre de normes d’évaluation. On ne peut pas tout individualiser quand on a 30 élèves.

    Thierry : Dans l’éducation, l’éveil est important, donc l’intuition, la créativité et si on peut y introduire le raisonnement c’est bien. Ça fait partie de la construction de l’individu.

    Karel : Ce que je trouve étonnant par rapport à ce que tu as dit tout à l’heure Philippe, tu es convaincu que la féminité a plus d’intuition que la masculinité. Tu le conçois comme ça.

    Philippe C. : Ce n’est pas que je le conçois comme ça, c’est qu’historiquement c’est conçu comme ça.

    Karel : Je suis surpris parce que j’ai beaucoup d’intuition, et j’ai du mal à rentrer dans la raison. Et en général mon intuition s’est avérée bonne.

    Brouhaha :… C’est ton côté féminin…

    Michel : On pourrait aussi parler de l’intuition commerciale. C'est-à-dire que d’après une théorie, l’esprit peut percevoir directement les objets extérieurs, c’est la voyance. Pour l’instant peu de gens remettent en cause cette intuition. J’appelle ça intuition commerciale car il y en a qui font le commerce de ça depuis des années et ils gagnent relativement bien leur vie. Je prends l’exemple d’Elisabeth Tessier qui refusait de venir dans une émission parler de ses intuitions quand Gillot-Pétré était là car il était la raison et elle c’était l’intuition.

    Mireille : Dans le cours de Simone Manon dont l’adresse web est sur notre site, elle différencie différents types d’intuitions :

    « L’intuition sensible. C’est la connaissance des choses par les sens.

    L’intuition psychologique. Elle désigne la connaissance immédiate que nous avons de nos états de conscience. Lalande définit la conscience comme « l’intuition que l’esprit a de ses états et de ses actes ».

    L’intuition divinatrice  C’est la découverte brusque d’une idée ou d’une relation. Après avoir longtemps cherché sans trouver, l’esprit est brusquement illuminé par l’idée. Cf. Archimède : Eurêka. Celle-ci n’a pas encore été établie par la pensée logique, elle est une brusque évidence s’imposant à l’esprit avec un sentiment de certitude.

    L’intuition métaphysique Ce serait la possibilité pour l’esprit, d’avoir accès à la réalité ultime, au réel tel qu’il est en soi.  Pour Platon, c’est dans une intuition que l’esprit saisit au terme de la démarche dialectique l’Idée ou l’essence des choses. »

    Donc il y a plusieurs formes d’intuition qui vont de celle dont tu as parlé Pierre, c'est-à-dire une connaissance que tu as du lieu, qui n’est pas raisonnée mais acquise par l’expérience que tu en as, à l’intuition divinatoire dont tu parlais Michel.

    Pierre : L’intuition féminine, je me dis que c’est souvent une arme de guerre contre les femmes (rires). Ceci dit on est entrain de faire basculer la balance du côté de l’intuition. On peut se demander si la raison a sa raison d’être. Je me posais la question tout à l’heure «Est-ce que la raison, le raisonnement n’intègre pas quelque chose comme le temps ? Comme une mesure pour faire ? » Comme l’intuition, il y a certainement un certain nombre de qualités que la raison possède. J’ai du mal à chercher et à trouver. Je pense qu’il faudrait aller voir du côté de la raison plus qu’on ne le fait.

    Evelyne : Je vais dire des méchancetés contre l’intuition parce que je pensais à Trump. Il utilise son intuition constamment en tant que commercial entre autre. L’intuition de Trump peut paraitre assez dangereuse et imprévisible, et c’est là le problème de l’intuition, c’est vrai ou faux, on peut se tromper ou ça peut être une bonne intuition. Le problème c’est l’imprévisibilité pour les autres, puisqu’il n’utilise pas ou très peu la raison. C’est un problème d’utiliser constamment l’intuition car les autres ne suivent pas.

    Françoise : Je ne suis pas sûre qu’il utilise vraiment l’intuition. Je pense que l’intuition, quand on ne l’a pas vécue, est quelque chose de très difficile à concevoir. Je crois que Trump utilise beaucoup son expérience, il dit que c’est son intuition mais je n’en suis pas sûre. Et l’intuition ce n’est pas une émotion non plus, je voulais le souligner, c’est vraiment de l’ordre du ressenti, c’est un ressenti immédiat et on est calme, on n’est pas énervé.

    Thierry : Mais le calme c’est une émotion

    Françoise : Dans le ressenti tu as plusieurs émotions, mais tu peux avoir un ressenti de calme.

    Thierry : Mais le calme c’est une émotion

    Françoise : Oui, si tu veux on ne va pas discuter sur le mot, je ne crois pas il n’y a que cinq émotions, je ne veux pas discuter là dessus.

    Thierry : C’est intéressant.

    Marie Claude : Oui, je ne comprends pas pourquoi tu dis que ce n’est pas de l’émotion. Quand Pascal parle du cœur, c’est bien de l’émotion.

    Françoise : C’est du sentiment, l’émotion c’est quelque chose qui nous bouge : il y a la colère, la peur, le désir, la joie, la tristesse.

    Evelyne : Comme vous avez l’air de très bien connaitre l’intuition, j’aimerai que vous donniez un exemple d’intuition que vous avez eue.

    Françoise : Oui, un tout simple. Vous cherchez une place pour garer votre voiture, si vous y croyez, il faut y croire vraiment, vous en trouverez une. Mon compagnon dit toujours qu’il ne va pas en trouver, hors il se trouve que moi j’en trouve toujours une. L’intuition c’est vraiment quelque chose qui se ressent, exactement comme quelqu’un - qui a une passion, qui veut changer de métier. Moi ça m’est arrivé, je peux en parler, - a cette intuition très forte qui va abattre des montagnes ; alors tout le monde est contre vous, mais vous, vous savez. C’est un savoir inconscient et intérieur.

    Thierry : Il me semble que l’intuition c’est un sentiment. On ne peut pas dire à quelqu’un qu’il a raison ou tort sur une intuition. De toutes intuitions peut partir quelque chose de phénoménal. l’Histoire en est truffée. Mais pour moi l’intuition c’est un sentiment.

    Françoise : J’appellerais ça plus un ressenti parce que les sentiments c’est plus du côté cœur.

    Mireille : L’intuition est une connaissance immédiate.

    Jacques A : Je me demande si on ne parle pas plutôt d’optimisme.

    Françoise : Ah non, pas du tout, c’est un savoir intérieur. C’est pour ça que je parlais de mon expérience : j’ai changé de métier, je n’étais pas du tout normalement partie pour prendre cette voie là, mais il s’est passé quelque chose, mais une très grande intuition, quelque chose qui prend aux tripes, vous ne pouvez pas faire autrement ; tout le monde vous dit « mais, ça va pas, tu va au casse pipe », j’étais dans l’administration, c’est très compliqué car on a la sécurité de l’emploi, mais moi je savais que c’étais juste.

    Monique : Suivre son intuition c’est une connaissance de soi même, c’est vraiment avoir confiance en soi.

    Philippe C. : Je voudrais revenir à la définition. « En philo, l’intuition c’est loin d’être vague, l’intuition a un caractère de certitude absolue, elle s’applique aux éléments premiers de chaque domaine de connaissance, à ce que le raisonnement ne peut pas construire… on distingue deux types d’intuition : « l’intuition empirique , connaissance immédiate de ce qui a trait à l’expérience » , qu’elle soit sensible ou psychologique, « et l’intuition rationnelle qui est la connaissance immédiate des objets de la raison » ( A. Larcher).

    Françoise : Tu peux donner un exemple de l’intuition rationnelle ?

    Philippe C. : L’intuition psychologique c’est celle dont on parle depuis tout à l’heure. L’intuition rationnelle c’est celle immédiate qu’on a des objets de la raison ; les objets de la raison c’est ce qui passe par le raisonnement, c’est-à dire ceux qu’on peut aborder par ce qu’on appelle la raison mais cette raison qui n’est pas l’intuition, c’est-à dire le travail cérébral, le concept, la déduction logique, le raisonnement.

    Evelyne : Ce type de raisonnement c’est celui qu’utilisent les scientifiques. Einstein disait que c’est par l’intuition qu’il avait trouvé la plupart des choses et après il avait raisonné. L’intuition des choses c’est aussi ce qu’utilisent les artistes.

    Mireille : Pour rejoindre un petit peu ce qu’a dit Pierre tout à l’heure, quand je raisonne pour expliquer quelque chose que j’ai envie de communiquer ou pour m’assurer d’une idée que j’ai, dans ce raisonnement on bascule toujours d’un côté sec qui est très intellectuel, très cérébral à un côté plus chaud qui est du ressenti, l’intuition se mêle au raisonnement. Je ne suis pas souvent d’accord avec Jean Paul Sartre mais il a très bien décrit ce phénomène, il dit « Il n’est d’autre connaissance qu’intuitive. La déduction et le discours, improprement appelés connaissance, ne sont que des instruments qui conduisent à l’intuition. » C’est cet assemblage d’intuition et de raisonnement qui va m’amener à agir de façon juste.

    Jacques : Est-ce que les intuitions qu’on a sont toujours positives ? Est-ce qu’elles sont toujours valables ou est-ce qu’on peut avoir des intuitions qui sont fausses.

    Mireille : Justement le raisonnement te permet de voir si elles sont justes ou fausses.

    Marie : J’ai eu une intuition fausse : à une veillée je manipulais un fil et j’ai vu un cercueil, et je me suis dis « Rosine est morte ». Le lendemain matin, le téléphone sonne mon beau frère m’appelle et je pense « ah, Rosine sa maman est morte » et non, c’était sa femme. J’ai ressenti que quelqu’un était mort dans cette famille mais mon intuition m’a trompée sur la personne.

    Françoise : C’est vrai qu’on peut avoir l’intuition d’un danger sans savoir lequel.

    Pierre : Tu parlais, Philippe de la connaissance immédiate des objets et je me disais « Tiens, dans les sciences mathématiques il y a un allemand qui a inventé les systèmes de base « 1 » et puis on a inventé le « 0.1 », et à partir de 0 et 1 on a construit l’informatique moderne ». On a donc développé un champ de connaissance inouï que chacun utilise aujourd’hui et qui n’a aucun rapport avec l’intuition.

    Philippe C. : Il y a pourtant quelqu’un qui, au départ, a eu l’intuition du « 0.1 »

    Françoise : Il me semble que dans l’exemple de l’ « Eureka » c’est quelqu’un qui a beaucoup cherché et travaillé et qui à un moment a lâché prise. C'est-à-dire que la raison à lâché.

    Thierry : Quand quelqu’un a une intuition et que ça bloque, ça peut être quelqu’un d’autre qui prend le relais et qui trouve.

    Nathalie : Vous disiez tout à l’heure qu’il fallait se méfier des intuitions. Moi, j’ai décidé un jour de ne plus chercher de raison à mes intuitions, de ne plus chercher d’explications, ça m’a changé la vie. Mes intuitions ne me trompent pas souvent. Je te rejoins tout à fait, Françoise, l’intuition c’est quelque chose de puissant qu’on ressent dans le creux du ventre. Je n’ai plus du tout envie de raisonner sur mes intuitions.

    Jacques A. : Je me demande si dans la perception de l’intuition on ne mémorise pas ce qui nous arrange et on oublie ce qui ne nous arrange pas. C'est-à-dire que lorsqu’il y a des situations où l’intuition fonctionne on en parle partout et puis si ça ne fonctionne pas on se tait. Est-ce que le hasard n’a pas un rôle là dedans ? Par exemple on a l’impression que lorsqu’on est en retard tous les feus se mettent au rouge. L’université de Rennes a fait une étude là-dessus, ils ont fait 160 études là-dessus pour démontrer que le feu ne se mettait pas au rouge parce que vous êtes en retard. Après, dans l’intuition il y plein de choses qui interviennent, on parlait de l’intervention de l’expérience. L’intuition est un retour d’expérience et on renforce l’expérience avec l’âge justement parce que les cas précédant nous ont servi de leçon, c’est de l’auto apprentissage d’une certaine manière. Je trouve cette étude très intéressantes, parce qu’ils remettent en cause des perceptions qu’on a. Par contre il y en a d’autres qu’on n’a pas et qui sont validées, par exemple  ils disent «  faites vous flasher tous les six mois c’est bon pour la santé », c'est-à-dire que si vous vous faites flasher tous les six mois vous aurez moins d’accidents parce que vous allez mémoriser le truc.

    Françoise : Ce sont des apprentissages on est plus du tout dans l’intuition.

    Jacques A. : Il y a aussi 4 universités qui travaillent sur la zététique qui est l’art du doute.

    Pierre : Donc la désobéissance est utile.

    Thierry : Dans l’intuition il y a la désobéissance, comme le disait Nathalie, si je me fie à mon intuition j’agis, qu’il y ait désobéissance ou pas par rapport au raisonnement ambiant, par rapport à la société.

    Françoise : Ça peut être tellement surprenant, c’est tellement du vécu que c’est très difficile d’en parler parce que si on ne l’a pas vécu on ne peut pas comprendre. Je suis d’accord qu’on peut tout à fait être dans la désobéissance ou dans l’anormalité.

    Thierry : Comment la vivre sereinement ?

    Mireille : Dans les psychologies actuelles et chez les philosophes actuels, il y en a qui mettent l’intuition comme 6ème sens. Jocelin Morisson, un journaliste  qui s’intéresse à nos facultés subtiles considère l’intuition comme un 6ème sens, mais il n’exclu pas la raison. Il dit « Il ne s’agit pas d’opposer la raison à l’intuition, la créativité et l’inspiration, ni privilégier l’un au détriment de l’autre. Pour moi il nous faut combiner les deux approches. L’une et l’autre doivent se nourrir pour être pleinement productif. »

    Nathalie : C’est un peu ça, il y a des gens qui sont dotés d’un 6ème sens, ils ont plus d’intuition que d’autres et tant qu’ils essayent de raisonner pour essayer de comprendre, ils se gâchent la vie. Le jour où ils acceptent tout ça ils trouvent la sérénité.

    Mireille : Le problème de l’intuition, comme l’a dit un peu Françoise et comme tu le dis Nathalie, c’est que on a du mal à le communiquer parce qu’on ne peut le faire que par un discours et un raisonnement qui appauvrissent la valeur et la force de notre intuition. C’est donc vraiment quelque chose qui est intérieur à nous alors que le raisonnement est extérieur.

    Karel : Alors comment ce fait-il qu’il y ait des gens qui aient plus d’intuition que d’autres ?

    Mireille : C’est une question de développement. Anne qui, comme vous avez pu le constater s’intéresse beaucoup à la philosophie indienne, m’a passé une note sur le rapport de l’intuition et de la méditation.

    « La pratique de méditations approfondie donne accès à une connaissance intuitive du sujet d’étude. »

    « Par l’intuition tout peut être connu. »

    C’est une saisie des réalités qui transcende la perception sensorielle et permet de saisir pratiquement tout, de manière tout à fait originale,  « abondance d’ouvertures ». C’est une faculté que l’on peut développer par un travail sur soi, des méditations approfondies, et sans doute les passer à l’examen de la raison, pour en vérifier la validité.

    Pour I.K. Taimni : « l’intuition est le concept occidental qui se rapproche le plus de ce qu’exprime le sanscrit Pratibha. Ce mot [intuition] tel qu’il est utilisé en occident a un sens plutôt vague et général de perception de la vérité, par le mental, sans raisonnement. C’est sur l’absence de raisonnement qu’il insiste et non sur la nature transcendante de ce qui est saisi, même si quelques philosophes occidentaux l’utilisent dans un sens très proche. »

    Pour te répondre Karel c’est aussi une question d’éducation. Dans cette culture indienne on éduque plus l’intuition que la raison alors qu’en occident c’est le contraire. C’est pour ça aussi que chez nous on voit fleurir autant de groupes de recherche de soi, de yoga, de méditation etc. De toutes ces pratiques indiennes qui nous arrivent, parce qu’on est en manque de cette connaissance de ce 6ème sens.

    Thierry : ce qui m’étonne c’est que l’intuition puisse faire souffrir. Dans mon activité je suis toujours un petit peu en lutte contre ça car, quand la souffrance peut détruire une personne, il faut arriver à la mettre sur un autre créneau. On sait très bien que la souffrance est inconfortable

    Françoise : Je ne comprends pas de quoi tu parles.

    Thierry : Par exemple, quand je vois qu’une personne a une intuition et que je sais qu’elle va aller droit dans le mur, et que ça va la détruire, là je vais essayer de l’aider de la raisonner par rapport à ça.

    Françoise : Je ne pense pas qu’on soit dans l’intuition, on est dans les émotions et des émotions certainement liées au passé.

    Marie Claude : De quel droit tu dis qu’on n’est plus dans l’intuition ?

    Françoise : C’est son exemple qui me le dit. Quand tu en parles c’est une émotion que je ressens. L’intuition, encore une fois, ce n’est pas émotionnel. C’est pour ça que la méditation aide beaucoup, en effet, parce que ça permet un état de lâcher prise qui va nous permettre de sentir les choses, alors que lorsqu’on est dans l’émotion on n’est pas dans notre réalité.

    Philippe C. : Dans ta réponse tu as une déformation professionnelle, il faut quand même modérer un peu l’apprentissage professionnel par rapport à  une discussion « live ».

    Jacques : Je vais poser une question et vous allez me dire si le mot intuition est approprié : si je dis « j’ai l’intuition que Monsieur X sera président de la république » y a-t-il une notion d’émotion derrière ? Est-ce que le mot intuition est approprié ?

    Françoise : Qu’est-ce que tu en penses toi ?

    Jacques : Je pense que oui c’est valable.

    Françoise : Je pense que tu auras des arguments à apporter je crois qu’on n’est plus dans l’intuition.

    Jacques : Dans une connaissance immédiate, dans une réflexion, dans un sentiment immédiat, je peux dire que « monsieur X sera président de la république » et c’est après avec les amis qu’on peut engager une conversation et raisonner.

    Marie Christine : Je ne sais pas si c’est une intuition, Jacques, parce qu’en fait ça s’appuie déjà sur plein de choses. Si vis-à-vis de quelqu’un tu ressens que cette personne, que tu n’as jamais vue, est toxique pour toi, ça c’est une intuition. Alors que dans ton exemple tu t’appuies sur des bilans, des discours que tu as mémorisé.

    Pierre : Ce qui m’est venu à l’esprit c’est qu’on pourrait dire que l’intuition c’est quelque chose de fabuleux etc. mais là, dans l’exemple que tu donnes, je sens que l’intuition pourrait nous manipuler. Finalement l’intuition serait l’expression d’une certaine fatalité ; tu disais «  j’ai l’intuition qu’il va droit dans le mur »…

    Thierry : J’ai dit que je pouvais me tromper

    Evelyne : J’irais un peu dans le sens de Thierry parce que je crois que c’est arrivé à tout le monde, moi ça m’est arrivé une fois. On discute, tout va bien, et puis après on se dit « mince, j’ai fait une bourde énorme, j’ai dû faire de la peine à un tel » et j’en suis malade. Je finis par envoyer un SMS en disant « je suis désolée, je t’ai sans doute blessée » et elle me répond «mais pas du tout » et pourtant cette intuition qui m’était arrivée tout d’un coup m’avait fait très mal. Il y a donc des intuitions très négatives.

    Françoise : Je ne pense pas non plus que ce soit une intuition, c’est un doute.

    Philippe C. : Ce n’est pas une intuition.

    Brouhaha :

    Jacques : Je vais commenter ce que Pierre a dit : tu parles de manipulation, mais si Thierry est animateur il est peut-être légitime à orienter les gens dont il a à s’occuper.

    Marie Claude : c’est à Françoise que je m’adresse, de quel droit tu dis que lorsque tu as changé ta vie etc. tu appelles ça une intuition ? C’était peut-être quelque part raisonné. Pourquoi est-ce que toi tu as le droit de dire c’est une intuition alors que tu vas dire à quelqu’un d’autre «  non, c’est du ressenti » ? Il y a quelque chose qui me dérange là.

     Françoise : Tu as raison d’être dérangée parce que, comme l’expliquait très bien Nathalie tout à l’heure, ça ne peut pas s’expliquer, parce que c’est du vécu. C’est vrai que c’est dérangeant pour les autres parce que je ne peux pas l’expliquer. C’est une expérience et c’est très compliqué. C’est vrai que dans ce que vous disiez tous tout à l’heure, on pourrait croire que c’est de l’intuition. Ce sont seulement les personnes qui l’on vécu qui peuvent faire la différence comme c’est d’ailleurs le cas pour d’autres ressentis. On a l’impression qu’on ne va pas être compris, qu’on ne va être entendu, et là on peut en effet être mis sur la sellette, ou éveiller un doute comme tu peux le faire toi, je peux très bien le comprendre.

    Philippe C. : Et à ce moment là on est déjà dans le raisonnement.

    Françoise : Ensuite, c’est vrai Philippe, on est obligé d’aller dans le raisonnement.

    Marie Claude : Est-ce que tout le monde est capable d’intuition ?

    Brouhaha :

    Janine : Dans toutes les situations nous avons une intuition. On y prête attention ou pas, on la suit ou on va vers le raisonnement pour juger s’il faut faire ceci ou cela. Mais l’intuition est à la base de tout, je pense.

    Jacques : Si un évènement arrive, si dans l’immédiateté, d’instinct on y apporte une certaine réponse, c’est une réponse intuitive qu’on fait. En même temps, par rapport à l’expérience que tu as eu, je pensais à ceux qui croyaient en Dieu parce qu’ils ont eu une certaine révélation. Alors, est-ce que c’est une intuition ?

    Philippe C. : Là on part dans complètement autre chose, il ne faut pas confondre intuition et révélation. On est dans deux domaines différents. L’intuition c’est quand même dans la vie quotidienne, c’est dans les choses simples. Alors, vie quotidienne, oui, mais en même temps qui nous met en face d’une chose tout à fait inhabituelle. Je pense que l’intuition va être une réponse devant un phénomène qu’on ne connait pas déjà. C'est-à-dire une première fois où on se retrouve devant quelque chose où il nous faut répondre et comment. Alors, effectivement, soit on passe par le raisonnement et on va avoir un décalage entre la question et notre réponse, c'est-à-dire qu’on prend le temps de la réflexion, ou autrement il y a une intuition qui va nous permettre d’avoir une réponse immédiate adaptée ou non, ça c’est l’expérience qui le montre, c'est-à-dire ce qui arrive après, on est à postériori pour juger de notre intuition, est-ce qu’elle était bonne, est-ce qu’elle était mauvaise ?

    Geneviève : Comme tu le présentes c’est un peu au choix. Pour moi, ce n’est pas tout à fait ça, c’est même pas ça du tout.

    Philippe C. : Non, ce n’est pas un choix, parce que l’intuition a un caractère d’évidence.

    Geneviève : L’intuition c’est le flash, c’est quelque chose qui jaillit, qui ne s’explique pas et pour ça il faut que là haut (la tête) on soit complètement déconnecté, si on n’est pas déconnecté au niveau des pensées on ne peut pas l’avoir.

    Claude : Je pense qu’il y a quand même de l’acquis avant, de l’expérience, ce n’est peut être pas par hasard que ce flash arrive. On parlait tout à l’heure des mathématiques, au niveau des mathématiques c’est un monde qui est complètement artificiel, tout a été fondé sur des postulats, après on a créé la géométrie, l’algèbre, les mathématiques moderne avec Bourbaki  etc. et après on a tout intégré l’un dans l’autre. On a besoin d’intuition pour savoir dans quel domaine on va aller chercher pour arriver à trouver une solution, ou plusieurs. Je veux dire qu’on peut choisir telle méthode pour arriver à la solution, mais il n’y a pas qu’une solution. Pour moi l’intuition n’est pas du tout une émotion, c’est un ressenti.

    Michel : Je me pose une question, les jeunes surdoués sont-ils continuellement dans l’intuition ? Comment ont-ils pu seuls apprendre à lire, apprendre à compter ? Je connais un jeune qui, quand on lui pose une question y répond intuitivement et justement.

    Brouhaha :

    Pierre : Je pense que ce sont des êtres de méthode, c'est-à-dire qu’ils sont en capacité devant chaque mot, chaque lecture de les mettre dans la boîte de leur mémoire et c’est acquis. Alors que nous on va rabâcher. Il y a des êtres qui sont capables de tout recevoir et de redonner instantanément, pour moi ce n’est pas de l’intuition.

    Mireille : Pour revenir à ce qui a été dit, que finalement il y a des gens qui ont très peu d’intuition et d’autres qui en ont beaucoup, Albert Einstein disait « L’intuition est un don sacré et la raison, une fidèle servante. Nous avons crée une société qui honore la servante en oubliant le don. » Je pense que dans la capacité à être intuitif, il y a au départ un don, et comme pour le peintre ou le musicien ce don se cultive et se développe.

    Jacques : je vais revenir à la question de Michel parce que je pense qu’effectivement les surdoués ont un don, le don de l’intuition. Dans le cadre des mathématiques ils vont arriver tout de suite à la solution alors qu’ils ont sauté les étapes de la démonstration.

    Cathy : Je reviens à ce que vous disiez à propos du don, cela m’a fait penser à ce que disait Brassens ; « Sans techniques un don n’est qu’une sale manie ». La technique étant la raison et le don l’intuition, l’un ne va pas sans l’autre. On peut très bien avec de l’intuition arriver non pas démontrer mais au moins témoigner que ce qu’on a vécu ça fonctionne. L’intuition est un truc qui fonctionne, ça fonctionne avec le subconscient. Ça relève du subconscient alors que la raison relève du conscient et ce n’est pas du tout incompatible, il peut y avoir des passerelles entre les deux. Chez les surdoués c’est souvent cette passerelle qui les rend surdoués, elle est chez eux fluide et chez nous demande beaucoup plus d’efforts. Maintenant, selon mon expérience personnelle, je peux témoigner que mon intuition m’a sauvé la vie plusieurs fois.

    Marie : Vous parlez du subconscient ; mon frère qui est neuro, psycho etc., dit que notre cerveau n’est utilisé qu’a 10%, peut être que chez certains c’est plus, peut-être que l’intuition et toutes ces choses subtiles proviennent de ça.

    Fermeture Débat

    Je conclurais par cette citation de Pierre Rabih dans « Graines de possibles, regards croisés sur l'écologie » : 

    « Nous commençons à prendre conscience que la subjectivité est en fait un élément indispensable. Après la subjectivité vient la vérification. Einstein n'a pas utilisé, pour autant que je sache, de règle à calculer pour fonder la théorie de la relativité. Il en a d'abord eu l'intuition, puis il l'a vérifiée. C'est pour cette raison que les utopies sont indispensables à l'évolution humaine. Quand on me traite d'utopiste, je le prends comme un compliment. Cela confirme que je suis encore bien vivant. »

    Et, à défaut du poème traditionnel lu par Anne, voici ses réflexions qu’elle m’a faites parvenir :

    « L’intuition ne serait-elle pas, finalement, ce qui fait que nous nous comprenons ? Je m’explique : nous utilisons des mots, notions, concepts auxquels nous donnons en fait un sens personnel selon notre éducation, notre culture, nos études, notre niveau de réflexion. Ils n’ont pas tout à fait le même sens, modifié peut-être aussi par le parcours entre « l’émetteur » et « le récepteur ». C’est d’ailleurs souvent ce qui se passe ici dans nos échanges. Or nous arrivons à communiquer correctement, voire à nous comprendre.

    N’est-ce pas l’intuition, une forme d’intuition, qui permet cette sorte de miracle continu ? Comme elle permet aussi parfois de se comprendre sans qu’un seul mot soit dit ? L’intuition, un 6ème sens ? Celui qui nous fait percevoir notre conscience ?

     

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 26 mars (même heure, même lieu)La question choisie à mains levées, sera: « Le langage n-est-il qu’un outil de communication ? » Le thème choisi pour  avril est  « la conscience ». Préparez vos questions. 

    Mireille PL 

     

     

     

     


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  • 5 à 7 Philo du dimanche 25 janvier 2017 : 17 participants 

    La notion de normalité est-elle subjective ?

    Introduction  par Mireille 

    Analyse des termes de la question

    « La notion… » : Définition du Larousse :

    -          Idée de quelque chose ; concept, abstraction : La notion de liberté.  

    -          Représentation qu'on peut se faire de quelque chose, connaissance intuitive, plus ou moins définie, qu'on en a : Je perdais toute notion du temps. 

    Le CNRTL rajoute

    -          Surtout au pluriel. Connaissance d'ensemble, élémentaire, acquise de quelque chose.

    Étymologie : Du latin « Notio » dérivé de « noscere » qui signifie « prendre connaissance, apprendre à connaitre »

    « … de normalité… »

     Le dictionnaire a écrit : Normalité : État, caractère de ce qui est conforme à la norme, à ce qui est considéré comme l’état normal.

    Normal dérive du latin normalis (littéralement : fait à l’équerre).
    Norma c’est l’« équerre » qui, comme chacun sait, permet de tracer des angles droits, ce qui est très utile pour éviter de se lancer dans des directions faussées. De l’équerre à la règle il n’y a qu’un pas, aussi n’est-on pas surpris qu’au sens figuré « norma » puisse désigner justement la règle, la loi. 

    « … est-elle subjective ? »

    Le dictionnaire Larousse nous dit : subjectif, subjective :

    -          Qui relève du sujet défini comme être pensant, comme conscience individuelle, par opposition à objectif.

    -          Se dit de ce qui est individuel et susceptible de varier en fonction de la personnalité de chacun 

    Le CNRTL précise :

    -          Du point de vue de la philosophie : « Qui est propre à un sujet déterminé, qui ne vaut que pour lui seul. Synonyme de : individuel, personnel »

    -          En psychologie : « Qui se fonde sur des critères personnels, qui dépend de la conscience du sujet. » 

    La normalité est-elle une notion subjective ou objective ? « Qu’est-ce que la normalité ? » Nous avons débattu sur cette question lors de notre quatrième rencontre. Nous avions vu qu’en sociologie on considère qu'il existe deux types de normes, les formelles, qui sont les règles écrites qui ont une formulation et un sens bien précis  (ce sont les codes, les chartes), et les  normes informelles qui sont des règles intrinsèques à un groupe. Nous les déduisons de nos observations de la masse, et nous les appliquons sans y penser.

    Nous nous étions aussi posé la question « Où commence et où s'arrête la normalité ? » et « Qui définit la norme ? » (Courbe de Gauss). Notre réflexion s’est aussi portée sur le droit à la différence.

    Nous allons certainement revenir sur cette question de définition de la normalité mais l’angle sous lequel elle nous est demandée de l’aborder aujourd’hui est plus subtil.

    « La notion de normalité est-elle subjective ? » en fait on nous demande si la normalité est une « notion » c'est-à-dire un concept, une abstraction ; Et si ce concept est propre à un sujet déterminé, qui ne vaut que pour lui seul.

    Quand je me suis penchée sur cette question que nous avons choisie ensemble, ce qui m’a étonnée c’est l’association des termes « notion » et « subjective », une notion est un concept, une abstraction qui, il me semble, ne peut pas être objective.

    Débat

    Philippe C. : Je voudrais reprendre un petit peu ce que tu as dit. On trouve un certain nombre de choses dans les définitions des dictionnaires qui n’ont pas forcement trait à la philosophie. Quelle partie de la philosophie en tant que sagesse s’occupe de la normalité ? C’est la Morale, et la normalité a à faire avec le Bien et le Mal. Et la subjectivité en philosophie s’oppose à l’objectivité. Kant fait tout un laïus sur la subjectivité et l’objectivité. Quand on parle de normalité on est soit dans la morale soit dans quelque chose qui est beaucoup plus commun,  du langage courant qui est statistique ; c'est-à-dire ce qui est normal c’est ce qui est le plus fréquent. Alors on arrive à des paradoxes, comme celui que j’aime beaucoup, d’un monsieur cité dans le dictionnaire des termes philosophiques, qui, parlant de la température qu’il peut faire à Paris aujourd’hui demande si elle est normale ou anormale ; il termine son discours en disant « la sagesse prônerait-elle de s’en laver les mains pour se contenter des normes saisonnières d’une banale normalité que très subjectivement je fais mienne ?»

    Christophe : Moi je voudrais reprendre ce qui est dit là parce que en revenant simplement sur cette notion de norme, peut être le travail a déjà été fait précédemment. Je crois que le premier point c’est que la norme fait, au départ, aussi référence à la nature. Si vous regardez tout au début de l’histoire de la philosophie, anthropologiquement,  Aristote va vous dire ce qui est dans la norme de la nature, il parle de la monstruosité. Ce qui est normal ou anormal est à l’origine par rapport à la nature. Et puis par la suite, la norme va devenir un outil, c'est-à-dire un chiffre statistique qui définit une moyenne et là c’est une abstraction qui n’a plus rien d’humain. Quand je dis : le nombre d’enfants est, en France, de 2,3 par femme on est dans une totale abstraction. Il y a un troisième point : là on aborde le domaine de la valeur. C'est-à-dire que la norme dans différents domaines va déterminer finalement ce qui est bien et ce qui est mal. Et c’est là que la subjectivité va se glisser parce que, tant que c’est un outil qui évalue, on peut à la rigueur considérer qu’il y a un accord, mais lorsqu’on arrive au domaine des valeurs, c’est complètement différent. Et même revenons au deuxième point, c'est-à-dire la norme conçue comme instrument de mesure, le sens étymologique de « norma » équerre, qui compte droit. Vous êtes tous amusés à partir d’un repère orthonormé (abscisse etc.) à déformer le résultat. Si par exemple vous voulez établir une corrélation entre le temps et la progression de la pollution, vous savez très bien qu’en variant l’échelle, vous pouvez donner l’impression qu’il y a une pollution galopante ou inversement. Ce qui veut dire que dans le second cas on peut aussi instrumentaliser cette norme qui va servir à des pouvoirs, à des choses qui vont être subjectives. Revenons au premier point, l’aspect de la nature, regardez l’évolution de la morale, il y a encore quelques temps, on estimait que l’exemple de l’homosexualité dans la nature étant extrêmement rare, c’était contre nature ; et on a découvert chez les animaux des cas d’homosexualité tout à fait naturels. Donc je crois qu’à ces trois niveaux à chaque fois… bref je suis peut être un peu long.

    Anne : Ce n’est pas ça mais il me semble que la norme n’est pas tout à fait la même chose que la normalité.

    Christophe : Être normal c’est être dans une norme.

    Anne : Cette norme par rapport à une courbe, effectivement quand on fait des statistiques, on a tendance à classer ce qui est la norme et ce qui ne l’est pas. Mais on s’aperçoit que des gens dit hors normes comme Galilée sont des gens qui ont apporté à l’humanité.

    J’ai lu qu’en fait on n’arrive pas à déterminer ce qui est normal.

    Pierre : Je ne pense pas du tout à cette question de rechercher le normal dans la nature. C’est vrai qu’on peut estimer qu’une crue est quelque chose d’anormal. Il me semble que la norme est surtout l’affaire des groupes et ça introduit un rapport de force. On le voit bien en regardant comment évolue notre société où des choses qui étaient perçues, par le passé, par le plus grand nombre comme anormales, deviennent progressivement plus normales jusqu’à devenir quelque chose d’accueilli et d’accepté. Mais je pense quand même qu’au fond, le rapport de force introduit le pouvoir, et que la meilleure manière de manipuler c’est effectivement d’utiliser les normes à son profit. Et c’est là où on peut parler de subjectivité de groupe.

    Jacques : Il y a la subjectivité des groupes mais aussi celle des experts ; dans la maçonnerie il y a des normes, par exemple si on dit que l’installation électrique d’un bâtiment n’est pas aux normes c’est parce que des expert se sont réunis pour les définir, là il n’y a pas de subjectivité il y a une norme scientifique qui à priori ne se discute pas même si elle peut évoluer avec les connaissances nouvelles.

    Brouhaha :

    Anne : On est sur la norme, on n’est pas sur la normalité.

    Christophe : Je pense quand même qu’on ne peut pas faire un distinguo si artificiel dans la mesure où la normalité repose sur des normes. Il faut donc en premier voir quelle est l’origine de la norme. Il me semble qu’au départ pour parler d’anormalité et de normalité dans le domaine physique et moral, avec les conséquences désastreuses que ça peut avoir, nazisme, sélection naturelle et même transhumanisme, c’est quand même la nature, ou dans le cas de l’humain, la transmission d’un bon code génétique, qui va servir de référence. Je pense qu’effectivement, dans ce point de départ là, la subjectivité est un peu difficile à prendre en compte. Je vais maintenant mettre les pieds dans le plat et être monstrueux, voilà, par exemple, quelqu’un qui est atteint de trisomie : normal ? Anormal ? Il est évident que c’est catastrophique de parler de norme dans un cas pareil parce qu’on va les exclure, mais il y a là quand même un élément objectif sur le plan génétique. Maintenant, à quoi va servir la norme quel est son enjeu ? Si c’est effectivement pour exclure des individus pour faire des groupes comme le disait Pierre, le problème c’est l’utilisation de la norme pour des raisons plus ou moins personnelles pour éliminer des individus, c’est ça qui est dangereux. Parce que finalement la norme est un instrument qui va définir un bien et un mal et que ce bien et ce mal ils sont éminemment subjectifs.

    Anne : J’en profite pour vous donner une citation de Georges Canguilhem qui a de la norme une conception dynamique : « Le normal n’est pas un concept statique ou pacifique, mais un concept dynamique et polémique. » et, si je le comprends bien, il n’y a ni norme originelle, ni norme figée et c’est la transgression qui fait évoluer la norme.

    Françoise : Je voudrais remettre le débat un peu plus sur ce que chacun pense de la normalité et surtout sur l’éducation. Parce que c’est elle qui fonde dans notre société quelqu’un qui serait normal ou quelqu’un qui ne le serait pas. Ça peut être intéressant d’orienter le débat vers ce que chacun ressent de la normalité. Peut-être ce que nous avons appris ne nous ouvre pas beaucoup à faire la différence. On a peut-être tendance inconsciemment à rejeter tout ce qui n’est pas nous, tout ce qui ne nous ressemble pas. Alors c’est vrai qu’il y a des lois qui sont très en avance sur les mentalités comme celle sur le mariage pour tous. Simone Weiss a, par les lois qu’elle a fait passer, fait beaucoup avancer les mentalités, la société.

    Monique : Pour rebondir sur ce sujet de l’éducation, on peut peut-être prendre des exemples de la vie courante : un petit garçon à l’école qui ne se conduit pas comme les autres, qui aime plus lire que jouer sur une console, qui n’a pas les mêmes goûts que les autres, et bien il passe de très mauvais moments. Là, la normalité elle est concrète : ou on est dans la norme ou on n’y est pas, et si on n’est pas dans la norme on est mal accepté par les autres. C’est intéressant de voir comment chacun peut vivre cette normalité, ou cette non-normalité.

    Pierre : Je voudrais revenir sur cette question d’éducation : c’est vrai que la normalité est toujours au service de quelqu’un. Par exemple à une époque on a décidé que tout le monde doit parler le français, tout le monde doit parler la même langue, surtout on ne veut pas des langues régionales. Donc celui qui ne parlait qu’une langue régionale n’était pas dans la normalité. Quelquefois ça va beaucoup plus loin : le patriotisme était une vertu cardinale enseignée partout, ça a fait la guerre de 14 avec des millions de morts. C’est pour ça que je parlais tout à l’heure de rapport de force, car la normalité c’est pour moi quelque chose d’extrêmement difficile à cerner. Si on prend une position de scientifique on va se rendre compte qu’on échafaude des théories à partir de rien : on trouve un crâne et on réinvente l’histoire de l’humanité. Il faut donc faire très attention et je pose la question « comment peut-on  se réapproprier soi-même cette notion de normalité ? 

    Agnès : Quand je pense à normalité je pense à un carcan. Et quand vous dites que Simone Weiss a fait passer des lois dans lesquelles elle était en avance, je ne pense pas que c’est elle qui était en avance mais la France qui était très en retard. Si on sait qu’on a eu le droit de vote 100 ans après d’autres pays, on était loin d’être en avance. Alors qu’est-ce que c’est la normalité ? Elle est très changeante suivant les générations et les individus.

    Anne : On en revient à la subjectivité.     

    Agnès : Dans l’éducation la normalité qui est souvent demandée l’est au dépend de la créativité.

    Evelyne : Je voudrais bien revenir aux termes du sujet c’est-à dire « la normalité et la subjectivité ». Je pense que les normes ont été très puissantes aux siècles derniers : il y avait les normes de l’Eglise qui disaient ce qui était bien ou pas bien, et les individus n’avaient pas à décider si c’était objectif ou non. Mais, à partir du moment où ce carcan a été enlevé, on a la possibilité de réfléchir sur les normes, de décider si elles nous conviennent ou pas. On peut parler de subjectivité simplement parce que maintenant on peut se dire « cette norme, est-ce qu’elle me convient, est-ce que je ne vais en prendre qu’un petit morceau etc. » Certes il y a des moules, certes il y a des carcans, certes il y a des enjeux, mais aujourd’hui on a la possibilité de penser la norme, de la discuter, de décider qu’on ne va pas être totalement normal sans pour cela être totalement associable.

    Christophe : Je pense déjà à la différentiation, même si il y a des passerelles entre elles, entre les normes techniques qu’on peut accepter, les normes sociales et les normes morales. Mais, la subjectivité, qu’on le veuille ou non, elle s’oppose aux normes. L’éducation est une mise aux normes. Alors, maintenant, il s’agit de connaitre lesquelles. Je pense personnellement qu’il vaut mieux un univers, y compris familial, avec des normes qui sont des repères, qui sont des garde-fous, que sur le plan moral surtout, l’absence de règles, l’absence de repères. Soit vous vous positionnez en vous opposant mais, le fait qu’il y ait des normes vues comme des interdits me permet de me structurer.  Je ne partirais pas du fait que la norme est obligatoirement une espèce de taquet de limite abominable. Non, je crois que la norme est là pour être examinée, pour être surmontée, mais on est bien tous d’accord qu’il en faut. Maintenant, il y a quelqu’un qui a dit que le problème de la norme c’est qu’elle évolue, les normes d’hier ne sont pas forcement celles de demain, il y a une évolution générale mais il y a aussi des personnes qui peuvent s’opposer par exemple au mariage homosexuel, il y a des personnes qui sont contre l’avortement. La morale normative c’est « tu ne feras pas ça, c’est interdit » mais, on est passé à une discussion sur les normes. Il y a toujours cette subjectivité qui est à l’œuvre, moi, ça ne me gène pas, je ne suis pas contre la négation de certaines normes.

    Anne : Ce n’était pas vraiment la question non plus, on n’a pas du tout soulevé ce problème.

    Mireille : Je voudrais souligner deux idées qui ont été dites ; c’est la normalité par rapport à la créativité : Vincent Van Gogh « la normalité est une route pavée : elle est confortable à marcher mais aucune fleur n'y fleurit. » Les créateurs quel qu’ils soient, que ce soit dans l’art, la technique ou la science, ont transgressé des normes pour arriver à créer. Il y a une autre idée qui a été soulevée c’est celle de la liberté : « j’accepte cette norme, elle ne me convient pas mais je sais pourquoi je fais ce choix » c’est donc très subjectif puisque c’est un choix conscient.

    Anne : je voudrais revenir à quelque chose qui a trait à la nature dont il a été question. C’est Philippe Nassif  qui dit « L’homme est un animal qui n’a d’autres ressources que d’inventer des normes afin de s’accorder à son milieu. » « Le malade n’est pas anormal par absence de normes mais par incapacité d’être normatif. »

    J’ai aussi noté ce que propose Winnicott qui a décrit ce que l'on appelle les personnalités en  "faux-self". Le "faux self" correspond à tout ce qui, chez une personne, est en "toc" ou faux-semblant. Il est comme une "couche artificiellement superposée" à la personne, sur laquelle se trouveraient tous les comportements socialement désirables. Il fonctionne comme protection contre l'angoisse et les agressions mais il est aussi révélateur d'un déséquilibre profond. Le vrai "self" représente par opposition la part vivante, spontanée, inventive de l'individu. Cette protection a un caractère très artificiel. Les individus fonctionnant en "faux self" paraissent "trop bien adaptés", ce qui ne gêne absolument personne dans la société, mais ne témoigne pas pour autant de la bonne santé de la personne, de la même manière qu'un masque cache les défauts mais ne les fait pas disparaître pour autant.

    Christophe : Je reviens sur cette phrase « Le malade n’est pas anormal par absence de normes mais par incapacité d’être normatif. » Tout à l’heure on prenait l’exemple de Van Gogh, tous les grands artistes ont commencé par connaitre et appliquer un certain nombre de normes : de style, de composition, de perspectives, de couleurs etc. qui existaient avant eux. C’est sur ces bases qu’ils ont construit leur propre univers et leurs propres normes. Mais ça pose aussi le problème de la folie. Je pense que ce n’est pas tant l’absence de norme que l’absence de limite, le fait de ne plus être capable d’être « normatif ». Tout à l’heure on disait qu’on étouffait avec toutes ces normes qui nous viennent de l’extérieur, on a quand même la liberté de pouvoir fixer les siennes, mais n’y a-t-il pas dans ce cas là, dans cette subjectivité  le danger de ne plus en avoir du tout et tomber dans l’anormal ?

    Madame X : Il y a aussi l’originalité qui n’est pas de la folie mais est un peu du hors norme. Les créateurs sont des originaux mais ne sont pas fous.

    Françoise : Je voudrai revenir sur l’éducation, il me semble qu’on nous apprend les notions de bien et de mal et qu’on grandit avec des interdits. S’il y a de l’amour et de la compréhension les interdits passent très bien.  Mais il me semble que si on rentre complètement dans le désir des parents par exemple, on ne va pas pouvoir être soi-même parce qu’on va oublier parce qu’on va obéir tout le temps. Il me semble qu’obéir toujours, ne pas savoir passer un ordre, à un moment ne pas savoir dire non, dire «  moi, maman, je ne pense pas comme toi », me semble très important, et là, il me semble qu’on arrive à la liberté, la liberté d’être, la liberté de s’exprimer, qui va pouvoir aller vers la créativité ou autre chose. La créativité peut être dans sa vie personnelle tous les jours, ou dans nos rapport avec les autres.

    Philippe C. : On s’aperçoit qu’une fois de plus dans le débat on bute sur les mots, ce qu’ils renferment, ce qu’ils contiennent. C’est l’exemple typique où on est en difficulté devant des mots : norme, normatif, normal, normalité, ces quatre mots n’ont pas tout à fait le même sens. « Subjectif », s’adresse au sujet, qu’est-ce que c’est qu’un sujet ? C’est l’objet de mon désir ou c’est l’objet de la question. C’est très difficile de se lancer dans un échange quand on a une approche très différente du sens de ces mots.

    Christophe : C’est très juste et tu l’as très bien exprimé. C’est pour ça qu’il est nécessaire de revenir à la représentation du rapport de l’homme avec la nature. Nous avons tous plus ou moins consciemment, une idée de ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas.

    Anne : Excuses moi de te couper mais  cette généralisation me gêne, de quel droit dis tu « nous avons tous une idée », toi tu as une idée.

    Jacques : Mais si nous avons tous notre propre idée

    Christophe : Oui, bien sûr notre propre idée. Et si vraiment chacun l’exprimait on s’apercevrait que pour une même situation, une même personne, des choses que l’on croyait admises dans un système de valeur judéo-chrétien ou communiste etc., varie considérablement, que cette subjectivité est soumise à des tas d’influences. Sartre disait  « 

    L'important n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous. "

    Jacques : Je pense que la subjectivité est universelle et qu’effectivement la seule personne qui ne se rend pas compte si elle est normale ou pas, c’est la personne qui est malade de la maladie d’Alzheimer. Il y a un médecin parmi nous, je pense que les gens ne se rendent pas compte de leur maladie.

    Philippe C. : Si, ils se rendent compte.

    Pierre : Tout ça devient pour moi un peu confus mais ce que je repère c’est que le normal est une notion qui a presque une histoire, qui évolue, qui est constamment remise en question et reposée, mais en même temps, ce que tu soulignais, c’est que on a bien envie de se reposer de temps en temps, si on doit courir après le normal à tout bout de champ, on perd son souffle. Je pense que dans l’organisation de la famille c’est quand même pas mal d’avoir quelque chose sur laquelle on peut se reposer. Si par exemple tout le monde au moment du repas quitte la table et reviens ça fait du grand brouhaha et ce n’est pas très confortable. La deuxième chose, j’ai bien envie d’associer le normal au bien commun. A condition qu’on s’accorde sur le bien commun, c’est la permanence de quelque chose qui donne un peu de stabilité là où il n’y en a pas beaucoup. Pour moi c’est important de parler de bien commun parce que ça s’oppose à la manipulation, c'est-à-dire au goût du pouvoir, à l’idéologie qui est une forme d’oppression.

    Christophe : Avant de décider ensemble de ce qui est bien pour la collectivité, il faut connaitre en quoi consiste le bien, en quoi consiste le mal.

    Marie-Claude : Ça me fait un petit peu peur, parce que tout ce respect des normes ; la normalité me fait penser à « uniformité » et ça peu devenir un carcan comme le disait Agnès.

    Jacques : Mais c’est vrai que si on n’est pas d’accord sur la préservation de la nature, c’est mal parti pour l’être humain. Il y a quand même un minimum de normes auxquelles les gens devraient adhérer. Parce que sous prétexte d’être un carcan…

    Agnès : L’écologie n’est pas encore un carcan

    Anne : Mais là aussi il y a subjectivité : les uns mettent en avant telles normes pour préserver la nature, tel autre va mettre autre chose. On en revient à la subjectivité. Je voulais ajouter, à propos de ceux qui sont hors norme, il y a les artistes comme Van Gogh, ou les savants comme Galilée. De tout temps il y a eu des gens qui étaient considérés comme fous, et ce sont eux qui ont fait éclater les normes, qui ont fait bouger les choses,- pour retomber dans d’autres normes, mais qui quand même ont fait éclater les carcans, et fait évoluer, voir les choses autrement.

    Pierre : Pour moi c’est la différence, Galilée n’est pas un fou c’est un hérétique, l’Eglise l’avait déclaré comme hérétique parce qu’il ne pensait pas comme l’Eglise pensait. Pour moi la folie c’est autre chose.

    Anne : Michel Foucaud c’est beaucoup penché sur le concept de normalité  et de folie. Il pensait que « la normalité est une obsession et  le concept de folie  un outil de contrôle social, une manière de stigmatiser la différence, bref une source d'aliénation  pour quiconque ne cadre pas avec l'ensemble. Si vous n’êtes pas dans la norme, alors vous êtes déviant, un terme qui porte tout son poids de stigmatisation. La déviance étant une forme de transgression, on est amené à s'interroger :   les artistes, les poètes et les penseurs, les révolutionnaires  ne seraient-ils pas ainsi tous  déviants ? »

    Evelyne: Je ne suis pas du tout philosophe, si j’arrive à comprendre ce qu’est une norme,  je n’ai pas encore compris ce que c’était la normalité. D’un côté on l’associe à quelque chose qui serait en rapport avec la nature, d’autre part on parle de l’hérétique, j’ai du mal à comprendre ce que c’est la normalité. J’ai besoin d’une définition de ce mot.

    Anne : Des philosophes le disent : « on n’arrive pas à le définir. »

    Françoise : Je voulais dire que moi non plus je ne sais pas ce que c’est. Peut être que la normalité nous renverrait à des choses qu’on a déjà apprises, qu’on connait déjà et qui nous rassurent et, à chaque fois qu’on serait en face de quelque chose de différent de nous ou qu’on ne comprend pas on dirait «  ce n’est pas normal ou il n’est pas normal ».

    Christophe : La normalité ce n’est pas la conformité  d’un idéal social du groupe dans lequel on vit, avec une multitude de contradictions, d’ailleurs. Il y a même « des normalités », tout dépend du milieu dans lequel nous nous trouvons.  C’est vrai que tout est - je ne sais pas si on peut dire carcan ou vêtement, mais il est évident que sous ce conformisme, vous n’allez pas me dire que chacun vit dans son acropole, vous n’allez pas dire que vous êtes dupes, qu’on a un certain nombre de personnages sociaux conformes, mais dans l’intimité nous ne le sommes pas toujours. Il y en a qui appelleront ça « jardin secret », d’autres qui diront « Péter les plombs à certains moments ». Tout est une question d’équilibre entre la conformité et la transgression.   L’anormal est celui qui est en rupture d’équilibre.

    Pierre : Pour moi, le normal c’est ce qui est accepté par le plus grand nombre. Donc on revient à une forme de statistique mais on est bien obligé de s’appuyer sur quelque chose de commun.

    Philippe T. : A priori la normalité  a pour principe de déranger le moins de gens possible, de ne surtout pas attaquer le confort des autres. Dans l’éducation pendant de longues décennies on a pu voir un nivellement par le bas parce qu’il ne fallait pas qu’une tête dépasse l’autre, pour maintenir le confort de tout le monde, de l’environnement et du pouvoir en place.

    Anne : Il y a Bergeret qui pointe un risque avec ce qu’on appelle la normalité. Il dit « Si la "normalité" devient relative à un idéal collectif, on ne connaît que trop les risques courus, même par des majorités, dès qu'elles se trouvent réduites au silence par ceux qui se croient ou s'adjugent la vocation de défendre par la force le dit idéal. ». Il faut donc se méfier de ce concept de normalité qui peut être au raz des pâquerettes ou devenir quelque chose de très pernicieux.

    Jacques : Les homosexuels ne sont peut être pas dans la normalité, mais personnellement ça ne me dérange pas.

    Rires :… c’est très subjectif…

    Pierre : On en arrive à une sorte de paradoxe, parce que la normalité c’est à la fois le meilleur et le pire. On peut en faire un instrument de guerre.

    Philippe C. : C’est pour ça que je disais au départ que ça touche toujours à la morale. La morale, c’est quoi ? On pourrait en débattre.

    Christophe : Je crois qu’il y a un autre sens du mot « norme » : c’est une règle qui va dans la morale, le fait de déterminer des principes d’action, de conduite, qui seraient librement consentis et qui permettraient une régulation des appétits des gens, de leurs désirs etc. Parce que la première des choses qui est hors normes, c’est le désir qui dans son essence est illimité […]. Déjà, le subjectif, c’est être contre la norme, parce que souvent c’est l’expression du désir, et là, c’est ambigü : le désir c’est ce qui fait à la fois créer, qui fait faire de grandes choses, dans le domaine de l’art c’est très bien parce que vous ne détruisez pas la société ; mais dans le domaine politique le désir de gouverner les autres c’est autre chose. Et c’est pour ça que très tôt un bon nombre d’auteurs, Aristote en premier, pensent que « L’homme est un animal politique. » Et celui qui dans la cité vit seul, qui est asocial, qui refuse les lois de la cité, c’est soit un dieu, soit un monstre. Je crois que quand même dans cette normalité, il y a bien des comportements qui sont hors normes, comme par exemple les crimes, et qui rangent la personne qui les commet dans une catégorie qu’on peut dire anormale. Ce n’est pas une question de statistique.

    Philippe C. : A cette époque il n’y a pas la notion d’anormalité, ce sont des êtres asociaux.

    Françoise : Là, on est un peu dans la démesure. Est-ce qu’on ne pourrait pas se poser la question ? Il me semble dans ce que vous dites c’est « tout ou rien ». Il me semble qu’il y a des choses au milieu que vous ne prenez pas en compte.

    Anne : Peut-être pour nous rassurer, je citerai Deleuze qui disait : « Nous avons besoin de normes pour délirer ».

    Evelyne: C’est vrai qu’il en faut au départ pour aller vers l’indépendance et la liberté et vivre les uns avec les autres. Mais la normalité je ne sais toujours pas ce que c’est, et tant mieux ai-je envie de dire.

    Anne : Il peut être tout à fait utile de se poser la question à chaque fois qu’on se trouve devant quelque chose qui nous parait normal, de se remettre soi-même en question.

    Françoise : Il me semble que c’est vraiment le problème de la différence, accepter la différence et ne pas la juger.

    Anne : Je viens de lire un petit livre de François Julien qui est très intéressant, il parle beaucoup de la notion d’écart. Il dit : « « Faire un écart, c’est-à-dire sortir de la norme et de l’ordinaire – tels sont déjà les écarts de langue ou de conduite. » Si j’ai bien compris ce qu’il voulait dire, ça n’est pas en sortir c’est rester dedans mais agrandir pour pouvoir s’ouvrir à l’autre, à la norme de l’autre.

    Françoise : Oui, c’est ça. Mais ça peut être compliqué parce qu’on peut être renvoyé à soi-même et on se pose beaucoup de questions sur sa propre normalité.

    Christophe : La norme elle est quand même utile parce qu’elle va permettre de se confronter à ce que la plupart des gens ferait. Pas pour dire « je vais faire comme eux » mais prendre conscience que j’agis un petit peu différemment, et me poser la question « ai-je bien agi » ; ça permet un examen, une introspection pour rester, pas dans la normalité puisqu’on n’arrive pas à la définir, pour rester dans un certain équilibre.  La normalité, je dirais, c’est un certain équilibre qu’on peut atteindre à l’intérieur de soi, une sérénité. C’est ça l’état normal. De même l’état de santé est d’avoir un certain équilibre.

    Brouhaha 

    Philippe C. : Il a été prononcé le mot d’équilibre, oui, mais équilibre de quoi ? Alors on en revient à la notion de démesure, dont on a parlé tout à l’heure, la démesure empêche d’atteindre l’équilibre, et l’équilibre c’est ce qui permet d’obtenir l’harmonie. On n’est plus dans la recherche d’un équilibre tel que nous le concevons avec nos mots actuels, c’est la recherche d’une harmonie : harmonie intérieure, harmonie personnelle, oui, mais pas seulement, c’est aussi pour constituer un cosmos. Et oui, on est chacun un cosmos, et c’est là où on peut te rejoindre quand tu parles de cette communauté, cette confrontation avec elle, c’est parce qu’on a besoin des autres. Donc la notion de démesure qui serait « l’anormalité », l’équilibre qui serait « la normalité » ça a un but précis qui est l’harmonie, c'est-à-dire à former un ensemble. Je pense que toute société essaie de parvenir à ce but là.

    Christophe : Pour les gens il faut une échappatoire : et je préfère ignorer tous ces problèmes, je vais me réfugier dans mon truc et puis je vais ignorer ce qui me dérange. A un moment donné j’ai été percé par cette idée que les problèmes des autres n’étaient pas les miens propres. Je suis désolé, mais il y a parfois dans la vie des moments où les problèmes des autres sont les leurs, et ce n’est pas un manque d’empathie, une indifférence que ne pas être sensible au sort des chiffonniers du Caire, ou de ma cousine qui a une dépression etc. C’est peut être simpliste ce que je dis là, mais quand on est dans cette optique de l’harmonie, qu’on le veuille ou non, on est obligé parfois de se retirer un peu du monde pour se protéger.

    Agnès : On n’est pas des êtres très vivants si on s’enferme dans une armure insensible pour se protéger. On ne peut pas prendre toute la misère du monde sur soi, bien sûr, mais ne pas vouloir la voir, la connaitre…

    Anne : Je pense que ce qu’il voulait dire c’est qu’à certains moments on a besoin de s’extraire pour souffler.

    Jacques : Je voudrais rebondir sur ce qu’à dit Philippe tout à l’heure. Dans notre société, est-ce que les problèmes de laïcité ne sont pas des problèmes de normes ?

    Anne : On passe là sur un autre sujet.

    Pierre : Ce qui me vient à l’esprit c’est que le normal est une notion fondamentalement subjective parce qu’on le change, tu parlais de désir, de tant d’intentions. Quand tu parles d’harmonie, le normal serait la recherche de l’harmonie, comme ça pourrait être la recherche du bien. C’est fondamentalement subjectif car chaque individu va tenter d’y mettre quelque chose de lui-même.

    Christophe : C’est vrai qu’en définissant le normal comme une recherche d’harmonie, ça reste subjectif. Mais comme disait Epicure, est-ce qu’il n’y a pas une espèce de loi universelle ? On fuit tous, la douleur, la souffrance ; la santé c’est justement aller vers quelque chose de positif ; c’est une perfectibilité, c’est cultiver ça ; c’est pour moi ce qui serait une normalité humaine, sinon on serait sur terre pourquoi ?

    Anne : Je voudrais citer ce que dit Guillaume Leblanc « La norme est rassurante mais émolliente. D’où la recherche de pratiques qui permettent de rompre avec le quotidien ». Il y a aussi cette pensée de Jean-Paul Codol qui associe la normalité au conformisme, parce qu’effectivement si on veut se couler dans les normes on en arrive au conformisme. Il dit : « Le conformisme se manifeste par le fait qu’un individu modifie ses comportements, ses attitudes, ses opinions, pour les mettre en harmonie avec ce qu’il perçoit être les comportements, les attitudes, les opinions du groupe dans lequel il est inséré ou il souhaite être accepté ». Il y a là un retrait de la subjectivité de façon à s’insérer dans le groupe.

    Françoise : Il me semble que là on est entrain de parler de l’éducation tout simplement. Le fait que pour être aimé il faut correspondre à la norme, on en arrive au conformisme et on va nous faire croire qu’on est normal parce qu’on est habillé comme ça etc. C’est donc un manque de liberté de soi et à un moment donné, en effet, il faut prendre du recul et prendre du temps pour se poser la question « et moi, où je suis ? Qu’est-ce que la personne me renvoie ?». Ça ne veut pas dire que je ne vais pas respecter les interdits, que je ne vais pas respecter les lois, ça veut dire que par rapport à l’autre, je vais pouvoir me poser des questions et me dire « suis-je normale ». Je pense que c’est une question qu’on s’est tous posé parce qu’on est renvoyé à chaque fois à soi-même. « Tiens cette personne me dit ça de moi c’est bizarre je ne pensais pas du tout ça de moi », et il y a plusieurs personnes qui me disent la même chose, alors est-ce que c’est cette personne qui est normale où est-ce que c’est moi ? Il me semble que la remise en question et la recherche d’harmonie dont tu parlais Philippe, elle est là. Je pense au danger que tu soulignais, Pierre, de cette normalité qui peut aller loin.

    Pierre : Il me semble que là on est entrain de dépasser ce mot là, je sens que je suis dans un mouvement, et j’aurais très envie, pour justement retrouver la mesure, de substituer au mot « normal » le mot « juste ». Là, il me semble qu’on pourrait se mettre d’accord.

    Brouhaha :… ce qui correspond à la norme n’est pas forcément juste…

    Christophe : Je constate déjà que ma voisine, pour interroger sa normalité, a utilisé une norme statistique parce qu’elle a dit « quand plusieurs personnes me disent que » ça prouve bien qu’elle a son utilité. Le problème c’est qu’on se sent tous normaux. Les pervers narcissiques se sentent, en règle générale, totalement normaux, ils ne s’interrogent pas forcément. Donc ça veut dire qu’on utilise parfois des normes pour se situer, pour s’opposer.

    Mireille : Je voudrais revenir sur la question d’éducation, quand on regarde l’évolution d’un enfant. Un petit de 3-4 ans par exemple, va regarder un handicapé avec questionnement, mais il ne va pas porter de jugement, il prend connaissance que ça existe mais ne met pas de jugement de valeur. C’est au fur et à mesure que l’enfant grandit, déjà vers 9-10 ans, mais c’est surtout au moment de l’adolescence qu’il se produit un phénomène quand même curieux ; c’est que d’un côté il va vouloir être absolument comme les autres à tous points de vue pour faire partie du groupe ; et dans le même temps ce groupe va se détacher de la société, du monde des adultes qui les entourent : parents, professeurs etc.

    Evelyne: En écoutant, j’ai un peu peur que la normalité soit un principe d’exclusion. Cette notion de normalité me semble être une notion d’exclusion des autres, pourquoi l’enfant de 3 ans ne rejette pas son voisin handicapé c’est qu’il n’a pas cette notion de normalité. Cette notion de normalité est purement un principe d’exclusion des autres. Et comme en plus la normalité c’est la majorité, c’est encore pire. Même si on est dans une minorité relativement importante, on est exclu. Considérer comme pas normal, ce mot me fait extrêmement peur.

    Philippe C. : Je voudrais conforter Pierre. Parce que tu as employé un mot important : le mot « juste ». Dans « les mots de la philosophie », Lercher dit : « En morale le mot normal est employé comme synonyme de juste, ou de bien et la valeur du fait dit normal n’est pas fondé sur le nombre de gens qui la voit telle »

    Monique : Je rejoins Evelyne sur la normalité qui exclut parce qu’il peut y avoir aussi un phénomène de mode. J’associe la normalité à la mode, si vous n’êtes pas sensible à ces mouvements de modes, vous êtes rejetés.

    Anne : J’avais noté un morceau de dialogue d’un journaliste avec un médecin psychiatre. Le journaliste : « Pouvez-vous définir la normalité ? ». Le psychiatre lui répond : « Non ! Mais on nous demande de rendre les gens normaux ». Le « fou » est souvent ainsi défini par les autres, lui se trouvant plutôt « normal »

    Christophe : Je crois que dans le cadre de la morale ça consiste à mettre les droits de la conscience au-dessus des normes sociales. On peut toujours se dire « en mon âme et conscience, j’ai cette liberté de juger que ce fait là est juste ou ne l’est pas, sans que la société n’ait à me dire quoique ce soit. Je dirais même que j’ai ma propre conscience de juger les choses ; et là dans cette affirmation du moi moral il n’y a plus de normalité ou d’anormalité. Ce qui compte c’est le cœur, ou la sensibilité. Je crois que dans ces moments là on est pleinement soi comme lorsqu’on atteint la sérénité ou un équilibre.

    Évelyne : Est-ce que ton  « âme et conscience »  n’a pas été normée ?

    Christophe : Bien sûr, on a tous des choses qui nous ont formés, formatés, conditionnés, mais à un moment donné nous avons la lucidité de nous dire « voilà, je me pose en mon âme et conscience ». Parce que, si je ne postule pas à cette liberté, dans ce cas là qu’est-ce que je suis ?

    Pierre : Je voudrais simplement rappeler la puissance phénoménale de la normalité. Reprenez le cas du travail, celui qui n’a pas cette notion de travail… Il y a les gens qui travaillent et les gens qui sont au chômage. Ceux-là sont des fainéants, ce ne sont pas des gens normaux d’après les discours politiques.

    Françoise : je reviens sur le problème de l’exclusion. Oui, c’est vrai qu’on prend ce risque là. Et puis vous avez parlé du cœur, je suis contente qu’on finisse sur le cœur parce qu’on découvre aussi  que les gens nous aiment malgré qu’on soit différents.

    Philippe C : Juste pour répondre «  le cœur a ses raisons que la raison ne connait pas ».

    Fermeture du débat par Mireille

    La normalité en elle-même ne veut rien dire. Elle est toujours définie par rapport à un référent. C'est ce référent qui est variable. Si personne ne peut vraiment définir ce qu'est la normalité, cela devrait aboutir à plus de tolérance. Mais il est assez curieux de voir comme aujourd'hui la tolérance est sélective. Si personne ne fuira devant une personne qui raconte avoir fait une dépression, l'image des schizophrènes par exemple reste extrêmement négative. On tolèrera moins un comportement excentrique chez une personne d'apparence physique "normale" que chez une personne trisomique.

    Alors la normalité est-elle une affaire de société, de médecins, de chiffres, d'opinion, de bien-être personnel ou d'équilibre social… un peu de tout cela sans doute. Peut-on définir une normalité absolue, ou existe-t-il une "normalité personnelle" pour chacun, une sorte d'équilibre propre aux personnes et indépendant du reste, mais permettant au final un bon équilibre général des sociétés ? Pourquoi pas ?

    (© http://Psychobranche.free.fr) 

    Poème lu par Anne

    Jacques Prévert. 

      Quartier libre.

    « J’ai mis mon képi dans la cage

    et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête

    Alors

    On ne salue plus

    a demandé le commandant

    Non

    On ne salue plus

    a répondu l’oiseau

    Ah bon

    excusez-moi je croyais qu’on saluait

    a dit le commandant

    Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper

    a dit l’oiseau.»

     

    Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez-vous Dimanche 26 février (même heure, même lieu) 

    La question choisie à mains levées, sera: « L’intuition s’oppose-t-elle à la raison ? » 

    Le thème choisi pour  mars est un mixe (les deux ayant fait égalité au vote) « langage, fuite ». Préparez vos questions. 

    Mireille PL 

     

     

     


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  • 5 à 7 Philo du dimanche 25 novembre 2016 : 31 participants

     Doit-on cultiver le respect ?

     Introduction  par Arielle

    Analyse des termes du sujet :

    Doit-on : Est-ce que c’est un devoir ?

    Cultiver : Dans Le Petit Larousse c’est : entretenir, développer, perfectionner une qualité, un don. C’est donc une chose qui s’apprend. Dans le verbe « cultiver » il y a cette notion d'apprentissage et de suivi

    Le Littré dit pour cultiver : le travailler, se livrer à, s’y adonner. Dans le mot « cultiver » il y a le mot « culture » qui vient du latin « cultura », dérivé de « cultum » participe passé de « colère »

    Respect : Le Littré donne comme définition : considération, égard, déférence que l'on a pour quelqu'un ou quelque chose.

    Respect vient du latin « respectus » qui signifie action de regarder derrière soi : le préfixe « re » indiquant le fait de repartir en sens contraire et « specere » signifiant regarder.

    Le Petit Larousse définit le respect comme un sentiment qui porte à traiter quelqu'un, quelque chose avec de grands égards

    Doit-on cultiver le respect ? Quel respect ? Le respect de la personne, le respect de la loi ? Ce sont des mots que l'on entend le plus souvent. Quand j'ai entendu cette question, j'ai pensé tout de suite au respect de la personne humaine, donc de l'irrespect qui peut exister envers tout être humain dans notre monde.

    Et je voudrais commencer par cette citation qui peut étoffer cette question posée aujourd'hui et qui rejoint la notion d'humanisme. C’est une citation de Claude Levi Strauss  

    « Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l'homme, le respect des autres êtres avant l'amour-propre »

    Le Respect, est-ce que ça change la vie ? La valeur du respect est-elle universelle ? Chaque être humain, quels que soient son origine, sa culture, sa religion, son milieu social et son rang hiérarchique, a des devoirs de respect envers l'autre, mais le respect n’est-ce pas une philosophie ?

    Le respect, ça change la vie. Mais surtout, le respect, ça change ma vie. Tout ce que l'on fait au quotidien, de bien ou de mal, n'est pas sans effets sur les autres. Si le respect est un droit fondamental de la personne humaine, il est aussi un devoir fondamental. Offrir du respect, c'est s'enrichir. Alors que tant de sujets nous séparent, le respect doit nous rassembler. C'est le respect qui doit être la norme et l'irrespect qui ne l'est pas et non le contraire. Ne rêve-t-on pas tous d'un monde où le respect serait la norme ?

    Le respect de l’autre est il un devoir ? Mais n'est il pas surtout un droit aussi ? 

    La question posée sous entend que le respect ne serait pas inné s’il doit se cultiver.

    Je voudrais vous lire cette note de Kant sur le respect, elle est intéressante: « Le premier [des devoirs envers les autres] est le respect du droit des autres hommes » ; et de continuer : « C’est un devoir pour nous que de respecter le droit des autres et de le considérer comme sacré. En fait, il n’y a rien de plus sacré en ce monde que le droit des autres hommes »

    Dans cette culture du respect il y a aussi le problème du respect entre les générations. De tout temps le conflit inter générationnel existe : dans l’antiquité, on relate la pensée de Socrate : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l'autorité et n'ont aucun respect  pour l'âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans.”

    Débat

    Jacques L.: Le respect c’est la correction, l’égard que l’on doit avoir vis-à-vis de l’être humain qui est à côté de nous. Pour autant on peut avoir de temps en temps un peu d’impertinence, un peu de plaisanterie. Ce sont surtout les mots égard et considération que je retiendrais : l’égard pour l’être humain qui est à côté de nous, qui partage notre destinée, le respect pour les morts, le respect de la parole donnée, c’est la loyauté.

    Geneviève : Jacques dit que le respect est vis-à-vis de l’autre, mais je rajouterais que c’est le respect vis-à-vis de soi qui est particulièrement important. Si on veut être respectueux vis-à-vis de l’autre il faut d’abord l’être vis-à-vis de soi-même.

    Françoise : Je vois plusieurs niveaux de réflexions c'est-à-dire : le respect des lois parce que c’est fondamental pour la vie en société ; quand au respect de l’humain, je pose la question «peut-on respecter quelqu’un qui n’est pas respectable ? ». J’aimerai bien qu’on m’aide à réfléchir là-dessus.

    Mireille : Je me suis posé la même question et je me suis dit « qu’est-ce qui n’est pas respectable, la personne ou ses actes ? ». Dans un jugement je peux et j’ai le droit de juger l’acte d’une personne mais qui suis-je et de quel droit puis-je juger l’humanité de cette personne ?

    Françoise : Je ne sais pas mais est-ce qu’on peut respecter Hitler, est-ce qu’on peut respecter des grands tyrans ?

    Mireille : Même chez Hitler on peut respecter son humanité, la vie qui est en lui, après ses actes sont condamnables.

    Françoise : On peut peut-être différencier « respect » et « politesse »

    Thierry : On a parlé de droit et de lois, si mes souvenirs sont bons maitre Vergès a défendu un ex-nazi, il me semble que justement la loi a aidé les hommes à se respecter les uns vis-à-vis des autres. Ça remonte au fond même de la religion puisqu’on est sur une base judéo-chrétienne, les commandements «  tu ne tueras pas » etc. on été traduits au fil du temps par des lois qui sont une bonne béquille pour la société. Les lois n’aident-elle pas à définir la respectabilité ?

    Jacques L. : Pour répondre à la question de Françoise, je pense qu’effectivement comme l’a dit Mireille il faudrait toujours respecter la personne même si on ne l’estime pas, même si ce qu’elle a commis est très condamnable. Je pense que dans les tribunaux les juges et les avocats parlent de façon correcte à l’assassin même si dans leur fort intérieur ils trouvent que ce qu’à commis l’accusé est abominable.

    Anne : Par rapport à ce que disait Françoise, il me semble qu’ un individu peut avoir commis les pires forfaits, dans la mesure où on a la possibilité de le juger, est-ce qu’on va, sous prétexte qu’il a commis des atrocités, le torturer, le piétiner, le traiter comme un moins que rien ? Non je ne pense pas. Comme le disait Mireille il a une forme de respect d’humanité, c’est même une espèce de respect vis-à-vis de soi-même de se dire « cet individu là il est condamné pour ce qu’il a fait, on ne va pas le traiter de la même façon que ce qu’il a fait lui-même ».

    Jacques A. : Je crois que le respect a un effet inducteur, c’est-à dire qu’en fait ce n’est pas gratuit, si on respecte les autres on reçoit du respect en retour. D’une certaine façon c’est un acte de non violence, c’est donc un processus qui induit des choses, il y a un intérêt à être respectueux. Ça fait fonctionner notre cerveau sophistiqué et non pas notre cerveau reptilien.

    Arielle : C’est pédagogique.

    Philippe C. : Je pense que lorsqu’on prononce le mot « respect » on entre directement dans la notion de la morale. Or, la définition que tu as donnée et l’origine latine de ce mot « re specere » : regarder derrière soi, ça veut donc dire que quelque part la notion du respect nous vient du fait qu’on est pas seul au monde, il y a les autres. Ces autres, il faut que je porte un regard sur eux qui est aussi un regard sur moi. Je pense qu’il y a cette notion qui nous conduit vers l’autre. Paul Ricœur l’explique très bien en disant que dans la construction du « moi », cette construction ne passe que par le fait qu’il y a les autres autour. Donc, le respect que je vais porter à l’autre est en fait le respect que je dois me porter à moi-même. Je pense qu’il y a là une matière de réflexion importante pour chacun d’entre nous parce qu’effectivement il y a des moments où on a tendance à  agresser l’autre de manière souvent violente et irrespectueuse. Ce qu’on n’aimerait pas forcément qu’on nous fasse.

    Thierry : Par rapport à ça, j’ai eu la chance de suivre les débats de Robert Badinter sur la peine de mort et de Simone Veil sur l’avortement, et effectivement ils parlent beaucoup du respect à travers ce qu’ils ont voulu soulever dans la société française.

    Pierre : Je vais d’une certaine manière retrouver Philippe en disant qu’il va falloir qu’on fasse une distinction entre le fait d’être en vie, d’être une personne, de faire partie intégrante de l’humanité : si je considère que l’humanité je la porte en moi je séparerais l’être de la conduite, l’être de ses actes, de ses gestes, de ses comportements. A ce moment là le premier respect serait de se reconnaitre tous comme partie intégrante de l’humanité. Et dans le même temps se dire que, qui que l’on soit, on est utile aux autres parce que même dans le pire aspect des autres quelque part on peut se rejoindre. En revanche, après la question du respect devient tout à fait suspecte parce que si un individu m’agresse comment je vais lui porter du respect ? Enfin il y a ensuite plein de questions qui se posent. Je vois aussi une question dans la politesse, les convenances et puis aussi dans le conservatisme : est-ce qu’on doit respecter tout ce qui se conserve ? A ce moment là où sont les avancées, le changement, la créativité etc. ?

    Mireille : Ça fait deux fois qu’on introduit la notion de politesse, à ce propos Pascal cite Fontenelle qui dit : « Devant un grand seigneur je m’incline », ça c’est le devoir, la convenance, la suite est « mais mon esprit ne s’incline pas ». Il fait la différence entre le respect moral d’une société et le sentiment de respect que j’ai. Einstein lui souligne que «  Le respect irréfléchi de l'autorité est le plus grand ennemi de la vérité. » Il faut bien dissocier le respect social, la politesse, du sentiment de respect que j’éprouve pour une personne.

    Agnès : Ça pourrait aller loin dans le respect des ordres, combien se déculpabilisent en disant « j’ai respecté les ordres de ma hiérarchie »

    Max : Doit-on le respect à la loi ?

    Anne : C’est ce qui vient d’être évoqué : respecter la loi, oui, pour pouvoir vivre en société, dans une communauté, mais jusqu’où ? C’est le problème du procès d’Eichmann qui dit avoir appliqué la loi.

    Arielle : Dans la question du débat d’aujourd’hui il y a le verbe « cultiver » qui veut bien dire que le respect n’est pas inné, qu’il s’apprend au fur et à mesure qu’on grandit, qu’on devient un adulte. Quand on vit en société on se rend compte que le respect se cultive et qu’on se doit de respecter l’être humain mais qu’on a droit soi-même au respect.

    Jacques A. : La question « doit-on cultiver le respect ? » est un sujet à traiter de façon complète. On a surtout échangé sur la notion du respect. Je voudrais aussi dire que dans le respect il y a des codes, on peut interpréter une action comme étant irrespectueuse alors qu’en fait elle est respectueuse. Il y a les codes de générations par exemple. Voyez ma voisine prend des notes avec un papier moi je les prends sur le bloc-notes de mon portable ; on m’a déjà dit dans une réunion « au lieu de jouer avec ton téléphone tu ferais mieux d’écouter » mais non je ne joue pas je prends des notes mais comme ce code n’était pas connu des autres je paraissais irrespectueux. Aujourd’hui il y a des codes qui changent très vite et les conflits entre générations viennent de ce qu’on ne comprend pas le code, mais il n’y a pas irrespect. Aujourd’hui les codes sont complexes.

    Pierre : Je voudrais revenir au mot « cultiver ». Le sens que je lui donne est que le respect serait quelque chose de mouvant. L’appréciation qu’on pourrait donner du respect serait un travail permanent de telle manière qu’on puisse arriver au discernement. C'est-à-dire que ce qui peut paraitre respectueux à un moment donné ne l’est pas forcement, dès qu’un discernement pour nous même se fait. On fouille et on se dit « tiens je pensais qu’il s’agissait de respect mais finalement qu’est-ce que c’est ? ». C’est surtout l’aspect de l’appréciation que l’on a du respect qu’il faut travailler et encore la travailler au fur et à mesure qu’on avance en âge, de telle manière qu’on soit mieux placé pour dire « oui, là vraiment je suis au cœur du respect, par contre ici je me suis trompé ».

    Nadine : Il y a beaucoup de formes de respect. Et de toute façon ça fait partie de l’éducation. On apprend à un enfant à respecter, pas seulement les humains mais aussi le respect de la nature, le respect des animaux. C’est une philosophie en soi, mais ce n’est pas inné il faut l’apprendre.

    Mireille : Pour compléter ce que dit Nadine, j’ajouterai que le respect ne s’apprend pas par des leçons mais par l’exemple et comme disait Pierre  par l’exemple et l’expérience.

    Thierry : Dans ce que je viens d’entendre il y a deux trois choses qui me paraissent assez importantes. Je vois en face de moi un panneau « Je suis Charlie » et je pense à ce que disait Monsieur par rapport à la religion. A l’époque de Charlie il y a eu des caricatures qui ont été faites sur Mahomet, sur l’Islam, et on disait en France qu’on pouvait rire de ces choses là. Or, pour certains de la religion islamique c’était aller trop loin dans l’irrespect de leurs croyances et ça a eu les conséquences que l’on connait. Ceci pour dire que ce qui peut ne pas nous choquer au niveau du respect de certaines choses peut choquer et blesser d’autres personnes.

    Je voulais parler aussi de la sociologie qui est un métier moderne où on travaille sur la normalité, sur les normes. Et on sait que les normes évoluent tout le temps ; à travers ça la norme a fait qu’il y a des majorités qui sont dans la norme et il y a des minorités qui sont hors norme, ça se sont les sociologues qui le disent.

    Enfin, la troisième chose que je voulais dire c’est qu’on a cité Pascal, on a cité Einstein à propos de l’autorité ;  quand j’ai débuté dans le bénévolat il y a 30 ans, j’ai vu des gens imbus de leur personne qui avaient une autorité pas possible parce qu’ils étaient présidents de petites associations et qui pensaient qu’ils avaient le droit « de vie et de mort » sur des décisions, sur des gens ? C’était choquant, heureusement ça a changé, aujourd’hui on parle plus de compétences pour mettre des gens à des postes de responsabilité.

    Anne : Je vais juste faire un petit commentaire, car je pensais que peut être le problème serait abordé à propos des caricatures et le droit à l’irrespect. Je pensais au moins le dire à la fin : « cultiver le droit au respect, cultiver le droit à l’irrespect ». Il y a un livre très intéressant écrit par Caroline Fourest qui s’appelle « Éloge du Blasphème ». Le jour où l’on n’aura plus le droit de blasphémer nous serons en dictature.

    Mireille : Pour reprendre ce que dit Thierry c’est qu’en fait le respect et ses codes ce n’est qu’une question de culture. Les codes du respect ne sont pas universels.

    Arielle : Les différences de codes, comme on en a parlé tout à l’heure, existent entre générations. Les jeunes vont se sentir respectueux alors que les plus âgés vont les juger comme irrespectueux. Il y a des codes dans les générations, dans des groupes de sociétés qui font que cette notion de respect prend des sens différents.

    Jacques A. : Les normes n’ont pas été inventées pour embêter les gens mais pour induire d’une certaine manière le respect. Si on roule à droite sur la route c’est pour que les gens ne se rentrent pas dedans. Les codes sont là pour nous faciliter la vie. On dit que savoir le code de la route c’est savoir vivre.

    Jacques L. : Je vois bien deux notions qui sont abordées dans le sens du respect. Jusqu’où doit-on respecter ? Les événements de Nice ou de Charlie Hebdo ça peut quand même interpeller parce que ce qui c’est passé est tellement terrible, le droit au blasphème n’a-t-il pas des limites ? Après, on peut avoir de la haine pour ces assassins et dire qu’ils ne sont pas respectables. Mais… c’est compliqué tout ça c’est discutable. Le respect est une notion relative, donc chaque individu a sa petite idée.

    Mireille : Dans la mesure où le respect est un sentiment, cette notion va être très subjective.

    Anne : Effectivement ce sont des gens qui ne sont pas respectables et en même temps si, d’une certaine façon, je ne les respecte pas, c’est ne pas me respecter moi-même non plus. Je crois que dans cette notion de respect il y a plusieurs niveaux. Entre le respect du code de la route, le respect d’un certain nombre de lois, qui sont un peu au raz des pâquerettes, une forme de respect un peu basique, il y a quand même des formes de respect qui demandent une réflexion sur soi, une réflexion sur l’humanité, une réflexion qui est quelque chose de plus profond et qui peut-être en effet de l’ordre du sentiment. Et, je ne sais pas si le respect est nécessairement quelque chose d’acquis. Je me demande s’il n’y a pas des formes de respect qui peuvent être spontanées.

    Mireille : Pour reprendre ce que disait Nadine, on parle du respect de la personne, du respect des lois, mais il y a aussi le respect de l’environnement, des animaux, des autres règnes. Ma voisine a dit tout doucement une chose très vraie c’est que c’est en fait le respect de la vie. Alors quand on parle de l’être humain c’est le respect de la vie qu’il y a en lui et pas de ses actes. Il est important de dissocier les deux.

    Jacques L. : La loi du talion «œil pour œil, dent pour dent »  a été remise en cause. En France on ne condamne plus à mort mais ça se fait encore dans certains pays, ça veut dire que c’est encore une notion relative. Tout le monde n’est pas d’accord sur ce qui est le respect de la vie.

    Mireille : Par respect de l’autre j’ai pensé respect de la vie en lui mais aussi respect de la dignité de l’autre. Pour moi ces notions s’interpénètrent.

    Janie : Vous parliez de culture, je pense que le respect est très culturel puisque ça change d’un pays à l’autre cette notion n’a pas le même sens si on est en Afrique, en Asie où en Europe. Oui, on le cultive, il est très culturel.

    Anne : C’est très culturel, leur forme de respect n’est peut-être pas pareille que la notre, mais ils ont cette notion de respect.

    Marie France : On a droit à la différence.

    Max : L’irrespect le plus flagrant se trouve sur les réseaux sociaux où les insultes fusent bien plus que dans la vie.

    Arielle : Bien sûr parce que dans la vie on est en face de la personne alors que le réseau c’est virtuel et les gens se cachent derrière.

    Catherine : Être responsable c’est respecter.

    Mireille : Pour reprendre ce que dit Max, j’ai noté comme exemple d’irrespect le « casse-toi pauvre con » de Nicolas Sarkozy. Dans le cadre de l’éducation on apprend à un enfant à être respectueux par notre exemple. Quel exemple d’irrespect de la part d’un président de la république !

    Jacques L. : Je vais rebondir sur ce que tu disais Mireille à propos de l’exemple que les parents doivent donner. Je ne suis pas enseignant, mais je pense et j’espère quand même que le respect est encore enseigné dans l’éducation nationale.

    Arielle : L’éducation civique fait partie des matières oubliées.

    Anne : En maternelle on leur apprend le respect dans la pratique.

    Michel : Je travaillais à l’époque dans une association qui s’occupait de personnes âgées et nous avions une vétérane qui venait d’Afrique et qui ne tolérait au niveau du respect que des blanches, pas des noires. Et les jeunes noires nous disaient on ne veut pas travailler chez elle parce que ce n’est plus du respect mais de l’esclavage. Mon adjoint plus vieux que moi n’avait pas les cheveux blancs alors que moi je les avais, elle n’acceptait de ne parler qu’à moi parce qu’on devait le respect à la personne la plus âgée. Dans son pays c’est quelque chose de normal.

    Marie Christine : Je voulais revenir sur ce qu’à dit Philippe au début en parlant de Paul Ricœur. Dans « Un autre que soi-même » il y a deux réflexions qui m’ont interpellée. C’est qu’effectivement on voudrait être l’autre, on fait à l’autre ce qu’on voudrait pour soi-même. Et tu parlais Mireille de la dignité c’est exactement ce qu’on attend de l’autre c’est comme ça qu’on se construit. Quand à l’enseignement ce n’est pas écrire une phrase morale « Faut respecter… », L’enseignement c’est ce que tu vas être toi en tant que personne, ce que tu vas être par rapport à l’environnement, par rapport à la personne âgée, c’est la façon dont tu vas te positionner, c'est-à-dire ce que tu attends de l’autre.

    Il y a aussi autre chose je ne sais plus qui a dit ça « Quand je vois les abimes qu’il y a en moi, les autres me font peur ». C’est là-dessus qu’il y a un travail à faire : quelle distance on va pouvoir donner à l’autre et qu’on espère recevoir des autres, le respect il se joue là dedans.

    Thierry : J’ai écouté parler des réseaux sociaux et de l’éducation nationale, je ne suis pas là pour faire leur procès, simplement la question que j’ai envie de poser est sur leur réelle incidence ?  On a vu l’importance des réseaux sociaux par rapport à  l’élection de Trump,            

    Je ne sors pas du sujet parce que le respect au niveau des réseaux sociaux et de l’éducation nationale par rapport à l’individu pour moi c’est très important, ça rejoint aussi la notion de bien et de mal. Mais, j’ai connu des jeunes qui par l’école ont progressé de façon tout à fait positive pour la société et je connais aussi des jeunes qui n’ont pas été à l’école  et qui ont aussi progressé de façon positive dans la société.

    Anne : Pour donner un petit peu de renseignement sur ce qui se passe à l’école maternelle, ce n’est pas il faut faire ceci - il faut faire cela, mais c’est du vécu, on apprend aux enfants à se respecter les uns les autres, à vivre en groupe ; on leur apprend par le vécu et par l’attitude que peut avoir l’enseignant. Ça n’est pas un apprentissage théorique, dogmatique, c’est vraiment dans le vécu de tous les jours que le respect s’apprend.

    Jacques L. : Je remercie Anne de sa réponse, je suis content de savoir que les enseignants participent à l’apprentissage du respect. Ce que tu as mis en évidence c’est la question de savoir si, dès que l’enfant nait, enfin quelques mois plus tard, il a déjà un sens moral, si déjà par rapport aux autres il peut éprouver un sentiment de pitié, de compassion, s’il sait faire la part du bien et du mal, pour savoir ce qu’il convient de faire dans la vie alors que son éducation n’a pas commencé.

    Catherine : Pour avoir vécu ça avec mes deux petits enfants, ma fille ainée et moi nous avons eu énormément de mal quand ils ont été adolescents, face à nous ils avaient un manque total de respect. Pourtant l’éducation ils l’ont eu avant. Chez l’adolescent c’est vraiment la négation de l’autre pour exister.

    Arielle : C’est un autre sujet c’est la crise de l’âge ingrat que certains vivent fortement et que d’autres surmontent.

    Geneviève : Ce que vient de dire Catherine me ramène à quelque chose, en fait elle parle de l’irrespect, c’est vrai que nos ados nous malmènent, ils ont besoin de se frotter à nous pour se construire ; je pense que ça va nous ramener au sujet qui est posé aujourd’hui. Le manque de respect est pour moi lié à l’agressivité qui entraine chez la personne des actes de provocation que l’on peut tolérer, même si c’est avec difficulté, ils prennent racine dans la colère ; ça nous ramène au « regard derrière » de cultiver.

    Arielle : La personne qui est irrespectueuse, il faudrait se poser la question « pourquoi l’est-elle ? ». On apprend à cultiver le respect, si on se respecte soi-même on sait respecter les autres, donc les personnes qui ne respectent pas les autres c’est qu’elles ne se respectent pas elle-même ou bien qu’elles ont des problèmes, des souffrances.

    Pierre : Dans le rapport entre l’adolescent agressif et ses parents, je pense qu’il faut interroger le respect. Est-ce que c’est bien de respect dont il s’agit ? Ça questionne «  est-ce que c’est supportable pour moi ? ». Ce qui est vécu comme de l’irrespect c’est finalement l’incapacité de l’être à supporter, donc à dépasser quelque chose de lui-même. D’un autre côté quand on vit des expériences comme celles là, on fait ce qu’on peut.

    Je voudrais revenir sur cette question de l’utilité générale du respect comme faire en sorte que la vie ne soit pas mise en danger, maintenir l’intégrité de l’être. Pour moi, le fondement du respect touche à l’intégrité de l’être, à sa place dans la société, dans l’humanité, et c’est jusque là qu’il faut aller. Ensuite on fait avec. Je trouve que la notion de respect est vraiment une notion à la fois utile et suspecte. Je ne sais pas comment faire avec ça.

    Catherine : Je reviens au « casse-toi pauvre con » de Sarkozy, c’est dû à l’ignorance des autres, c’est l’effacement de l’autre.

    Max : Enfin, Sarkozy a répondu à l’agression de la personne.

    Thierry : Je voudrais seulement citer le psychosociologue  Serge Paugam qui disait que « ce n’est que dans le conflit qu’on peut avancer » et Marcel Rufo pédopsychiatre qui parle de l’intégrité de l’être autant physique que psychique. Ce sont, à mon avis deux personnes respectables. Bien sûr le respect est à considérer autant de façon, on va dire, « virtuelle » que de façon législative, bien sûr que c’est l’éducatif ; mais, j’ai connu des ados qui étaient complètement révoltés après le monde adulte mais qui étaient bien obligés de reconnaitre que le permis de conduire était utile et qu’il faut rouler à droite etc. Donc, d’un côté ils se révoltent, c’est le conflit générationnel, et d’un autre côté ils admettent qu’il y a des lois des codes sociaux à respecter.

     Anne : Pour revenir à Pierre, je me demande si ce que dit Jean Dutourd peut correspondre à ce que tu voulais dire: « L’intelligence de la vie, ce mélange si particulier de respect des convenances et de largeur d’esprit, cette faculté de comprendre avant de savoir »

    Mireille : On ne peut pas parler du respect sans faire allusion à la tolérance, tolérer l’autre c’est déjà commencer à le respecter. Goethe dans « Maximes et réflexions » écrit :

    « La tolérance ne devrait être qu'un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer c'est offenser. » Quand on tolère il y a encore cette notion de jugement.

    Janie : Il y a quelque chose qui m’a toujours interpellée dans la notion de respect, c’est que bien souvent quand on a des jeunes en face de nous, on les tutoie, or s’ils nous répondent en nous tutoyant, on a le sentiment qu’ils nous manquent de respect. Pourtant ils ne sont pas irrespectueux, le respect c’est réciproque aussi.

    Arielle : Non, ils enlèvent des frontières pour se rapprocher par le dialogue. C’est là encore une conception d’éducation ?

    Jacques L. : En effet, il y a eu un débat pour savoir si les policiers quand ils arrêtaient des jeune devaient leur dire « tu » ou « vous ». C’est vrai que dire « vous » à un jeune de 8 ans c’est surprenant.

    Brouhaha :

    Jacques L. : Par rapport à ce qu’a dit Pierre je dirais que le respect ce n’est pas qu’une preuve d’intégrité physique c’est aussi le respect au niveau du langage, au niveau du psychisme.

    Françoise L. : Je voudrais revenir sur la notion de respect entre les êtres humains, bien sûr il s’apprend et se cultive, et puis, il est en même temps notre façon d’aller vers les autres et d’être avec les autres. S’il n’y a pas de respect, comment peut-on avoir une relation ? Cela me parait complètement impossible. C’est donc quelque chose qui va faire qu’on va pouvoir être ensemble, on va pouvoir discuter comme ce soir, on va pouvoir se créer des amis etc. ? C’est ça qui me semble important c’est que ça nous fait aller vers les autres. Alors, quelque fois, bien oui, on va manquer de respect parce qu’un jour on n’est pas bien, on est en colère. Mais on s’en aperçoit et on s’excuse. Il me semble que le respect c’est ce qui lie les êtres humains.

    J’ai beaucoup aimé aussi ce que tu as dit sur la tolérance, parce que ça fait aborder les différences. Alors est-ce que le respect peut s’arrêter au niveau du « appris par cœur » toujours avec cette envie d’aller vers les autres et que les autres viennent vers moi ? Je suis dans la situation où cette personne me renvoie quelque chose que je n’aime pas, sans doute quelque chose de moi mais je ne sais pas, et là on va être dans la tolérance. Je suis d’accord avec toi Mireille c’est quand même un premier pas qu’on peut franchir et qui nous permet de ne pas sortir du respect. Pour moi, le respect va avec les sentiments.

    Max : On peut être intolérant et avoir du respect.

    Brouhaha : … non… indifférence…

    Thierry : J’ai la chance d’entrainer des jeunes dans un sport je leur enseigne les codes du sport qu’ils pratiquent, c’est une école de la vie extraordinaire parce que on leur apprend le respect des règles, le respect de l’autre puisque c’est un sport collectif.

    Jacques L. : J’ai lu que le respect c’était un mélange d’humilité par rapport à l’autre, ajouté à la compassion et à un sentiment de justice.

    Anne : D’humilité, je ne sais pas. Si on regarde Fontenelle  cité par Pascal, il s’incline devant un noble parce que c’est la coutume mais dont l’esprit ne s’incline pas, ce n’est pas de l’humilité.

    Brouhaha :

    Max : Dans notre société le manque de respect est accentué par le capitalisme, je pense que dans les sociétés tribales et les sociétés de groupe ça existait beaucoup moins. Les codes étaient plus simples.

    Thierry : Par rapport à l’éducation nationale ; l’objectif de l’école de Jules Ferry était d’apprendre aux enfants à lire, écrire, compter, donc des choses très rationnelles. Est-ce qu’aujourd’hui l’école n’est pas en phase avec ce souci d’apprendre aux jeunes à respecter les fonctionnements parentaux,  les fonctionnements sociaux etc. ? J’ai le sentiment qu’ils en débattent pour trouver une solution à cette question du respect.

    Max : Je pense que les profs essayent déjà de se faire respecter.

    Brouhaha : (long hors sujet non philosophique sur les punitions physiques à l’école)

    Nathalie : Je voudrais revenir sur l’individualisme. Je pense que notre société aujourd’hui est en perte de respect parce que on est tellement replié sur soi-même qu’on va vers une espèce de pensée unique et que dès qu’une voix s’élève qui veut seulement porter l’attention sur une possibilité différente tout le monde trace sa route, évite d’écouter, évite de réfléchir, et là ça casse tout parce que la société nous fait nous replier sur nous-mêmes. Il y a des gens dans le monde ou à côté de chez nous qui meurent dans la misère et on les regarde avec indifférence. Pour moi, ça c’est de l’irrespect. Cet individualisme, ça c’est de l’irrespect.

    Brouhaha : (hors sujet)

    Geneviève : A propos du texte de Socrate sur les jeunes que tu as lu dans ton introduction, on ne dirai pas que c’est lui qui l’a dit on a l’impression que c’est un texte d’aujourd’hui. Donc ce conflit a toujours été. On pourrait revoir aussi quel ados nous avons été nous-mêmes.

    Arielle : Si on doit cultiver le respect, quand est-ce qu’on le perd ?

    Jacques L. : Nathalie a parlé de l’individualisme, n’est-ce pas cet égoïsme qui fait qu’on perd le respect ?

    Françoise L. : Je voudrais revenir sur l’éducation à l’école et les coups qui pouvaient y être donnés avant (en référence au hors sujet non retranscrit). Je pense que c’était de la violence mais à l’époque on appelait ça l’éducation du respect, à l’époque c’était accepté et les parents étaient très contents.

    Pierre : Je voudrais revenir sur la colère dont il a été question. J’ai du mal à mettre un rapport entre la colère et le respect. Mais ça m’a fait penser à un ouvrage que je suis entrain de lire qui s’appelle « Le garçon » où l’écrivain dit clairement que nous sommes depuis une éternité dans une société de maitres et d’esclaves et l’esclave aspire à être maitre. On est donc toujours dans une sorte de rapport inégalitaire et que dans ces conditions je me dis « dès lors, il n’y a pas de respect possible ». Selon lui, il faudra bien, à un moment donné, faire différemment. Et dans cette dialectique du maitre et de l’esclave, la seule ressource pour maintenir l’ordre c’est la violence. Et on donne une baffe au gamin en disant « respecte-moi »

    Marie Christine : On parle de l’école, mais la violence et le respect ça commence dans les familles.  C’est là que se construit le respect, bien avant la scolarisation. Je voulais aussi dire que les ados sont en transgression, qu’ils sont insupportables, mais qu’ils ne sont pas si irrespectueux que ça. L’adulte, la mère représente quelque chose d’important pour eux. Ils peuvent être irrespectueux dans la communication, parfois dans les actes mais au fond d’eux ils ont un vrai respect et même par rapport à l’institution. Aujourd’hui on met l’enfant en toute puissance, je trouve que c’est un irrespect vis à vis d’eux, c’est une maltraitance de mettre l’enfant au centre de tout.

    Brouhaha :

    Mireille : Dans ce que tu dis, en fait, l’adolescent rejette la forme mais pas le fond. Il a le sentiment de respect pour nous les parents, mais il rejette la forme, les codes. Je trouve inquiétant un adolescent qui ne remettrait pas en cause cette forme car ça lui permet de trouver le fond.

    Geneviève : Je pense que si on a une attitude respectueuse, non violente, je pense à Gandhi, On court-circuite l’hostilité.

    Marie Claude : Je ne sais pas si c’est dominant-dominé, ou respect-irrespect, mais au pays Dogon, les gens se réunissent dans une case qui a un plafond très bas, c’est la case à palabres. Tout le monde est assis parterre et les gens discutent et échangent bien : ils sont contraints à écouter l’autre parce que personne ne peut se mettre debout.

    Pierre : Geneviève, tu as parlé à un moment donné de Gandhi. On est vraiment au cœur du problème : que font Martin Luther King et Gandhi ? Ils tentent d’établir un nouveau rapport entre les uns et les autres, un rapport plutôt égalitaire. Or, qu’est-ce qui leur arrive : une balle dans la tête. Ça veut dire en clair que dès qu’on tente d’établir d’autres rapports que des rapports de domination, des classes s’empressent de liquider ces personnes qui sont immensément dérangeantes. On voit bien comment on tient en laisse les gens dès le moment où on institue la peur.

    Geneviève : Oui, ils sont morts de leurs convictions mais ils ont fait avancer les choses.

    Nadine : Par leur attitude, bien qu’ayant été des modèles, d’une certaine façon, ils ont voulu imposer le respect.

    Brouhaha :

    Mireille : Il y une autre notion que je trouve en lien avec le respect, Barjavel l’écrit : c’est l’amour. Il dit « L'amour est la clef de tout. Pas le sexe, pas la chiennerie que l'on confond un peu trop, ces temps-ci, avec la liberté d'aimer ! Un des caractères les plus graves de notre temps, à mon sens, est qu'on ne parle plus que des droits ! Nous sommes dans une revendication perpétuelle de chaque individu devant les autres. La politesse, la gentillesse, la courtoisie sont des qualités surannées, dévaluées, alors qu'elles impliquent, en réalité, le respect d'autrui. »

    Cette notion de respect liée à celles de l’amour et du pardon, on la trouve aussi chez Martin Gray, dans « Le livre de la vie » il écrit  «  L’amour est vertu d’indulgence, de pardon et de respect de l’autre ».

    Françoise : Quand on parle de Martin Luther King et de Gandhi, il faut se dire que l’on ne parle pas de nous. Ce sont des personnes qui ont fait un tel chemin, qui en sont arrivés à un état d’amour universel. Nous, nous sommes très, très loin de ça.

    Jacques A. : J’effectue un travail assez approfondi sur  l’organisation des entreprises dites « sans hiérarchie », ce qui choque un peu les gens parce qu’on ne sait pas ce que ça veut dire. Dans ces entreprises la notion de respect est très présente, et pleins de mots y sont associés. On ne peut pas mettre le respect tout seul sans y associer autre chose, par exemple réduire la peur. Alors on parle de respect, réciprocité, reconnaissance, c’est la règle des 3 « R ». Il y a aussi celle « du vrai, du beau et du bien ». Il y a l’approche systémique. Il y a aussi apprendre ce que c’est la complexité, parce que il y a 10 ans on était dans un monde compliqué et qu’on est passé dans un monde complexe. Ce qui est compliqué peut se comprendre par petit bout, la complexité ne peut se diluer. Le plus petit niveau hiérarchique a autant de poids que le chef : une entreprise peut basculer parce que la femme de ménage n’a pas nettoyé un truc. Les entreprises qui fonctionnent bien aujourd’hui sont des entreprises sans hiérarchie, on dit aussi entreprises libérées où il y a beaucoup rigueur et de respect, retour du respect du client au sens large : c’est le collègue de travail, c'est-à-dire je donne un brouillon à quelqu’un je dois bien écrire car il va être lu par quelqu’un de l’entreprise qui est mon client, le client de mon brouillon. Le respect va jusque là.

             

    Fermeture du débat par Arielle et Anne

    Arielle : Je terminerai par cette phrase de Françoise Dolto : « Tout groupe humain prend sa richesse dans la communication, l'entraide et la solidarité visant à un but commun : l'épanouissement de chacun dans le respect des différences. »

    Anne : Pour clore la séance j’ai cherché un poème, je n’ai pas cherché spécialement un poème sur le respect par peur que ce soit un petit peu pesant après ce débat. J’ai trouvé quelque chose où il y a le mot respect tout à la fin. Ce sera l’occasion pour ceux qui ne le connaisse pas de découvrir Francis Ponge, ça s’appelle :

    Le Pain

     La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.
     Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.
     Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable...
     Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

     

     Que vous ayez été présent ou non à cette rencontre, si vous voulez apporter un complément à ce débat, n’hésitez pas à faire un commentaire en cliquant ci-dessous.  Vous pouvez être avertis des commentaires faits en vous inscrivant à la Newsletter. Merci pour votre participation et rendez vous Dimanche 29 janvier 2017 (même heure, même lieu)

    La question choisie à mains levées, sera: « La notion de normalité est-elle subjective ? »

    Le thème choisi pour  février : « L’intuition ». Préparez vos questions.

    Mireille PL

     


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